Histoire militaire

US Defense Imagery, photo DF-SN-83-01207

Vue latérale (cÎté droit) de deux missiles balistiques soviétiques SS-5 Skean à moyenne portée, montés sur des véhicules

Les missiles d’Anadyr : les plans des SoviĂ©tiques qui auraient pu mener Ă  la destruction de la Station Comox de l’Aviation royale du Canada Ă  l’époque de la Guerre froide â€“ 1962-1969

par Sean M. Maloney

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Sean M. Maloney, Ph. D., est professeur d’histoire au CollĂšge militaire royal du Canada. Il Ă©tait conseiller en histoire auprĂšs du chef d’état-major de l’ArmĂ©e de terre durant la guerre en Afghanistan. Il avait auparavant servi Ă  titre d’historien au sein du 4e Groupe-brigade mĂ©canisĂ© du Canada, dont la mise Ă  contribution a Ă©tĂ© le principal appui de l’ArmĂ©e canadienne Ă  l’OTAN Ă  l’époque de la Guerre froide, aprĂšs la rĂ©unification de l’Allemagne et au dĂ©but de la longue participation du Canada aux opĂ©rations menĂ©es dans les Balkans. M. Maloney a acquis une grande expĂ©rience sur le terrain dans cette rĂ©gion, plus particuliĂšrement en Croatie, en Bosnie, au Kosovo et en MacĂ©doine, de 1995 Ă  2001. Il a publiĂ© plusieurs ouvrages sur la Guerre froide, dont Learning to Love the Bomb : Canada’s Cold War Strategy and Nuclear Weapons, 1951-1970.

Introduction

Durant la majeure partie de la Guerre froide, les Canadiens et les États-Uniens avaient une perception aiguĂ«, quoique floue, de la menace nuclĂ©aire qui pesait sur eux. Les exercices de dĂ©fense civile et les exercices d’alerte militaires dĂ©taillĂ©s et, dans une certaine mesure, les premiĂšres activitĂ©s du mouvement antinuclĂ©aire, ont Ă©tĂ© autant de manifestations du malaise ressenti. Le discours public portait sur les lacunes, qu’elles soient attribuables Ă  des bombardiers ou Ă  des missiles, et sur diverses crises propices Ă  l’éclosion d’un conflit nuclĂ©aire. L’exemple le plus Ă©vident est la crise des missiles de Cuba de 1962, au cours de laquelle l’attention du monde entier a Ă©tĂ© tournĂ©e vers les CaraĂŻbes et la cĂŽte est de l’AmĂ©rique du Nord.

© vintageusa1/Alamy Stock Photo, image G2RNTT

En 1962, un avion de patrouille américain Lockheed P2V Neptune survole un navire marchand soviétique pendant la crise des missiles de Cuba.

© ITAR-TASS Photo Agency/Alamy Stock Photo, image BTEBMW

Fidel Castro et Nikita Khrouchtchev en 1962

Aux yeux des EuropĂ©ens, la menace immĂ©diate provenait surtout de l’Union soviĂ©tique et des pays signataires du Pacte de Varsovie. Berlin Ă©tait entourĂ©e. La frontiĂšre interallemande, mieux connue sous le nom de Rideau de fer, Ă©tait un rappel manifeste des problĂšmes non rĂ©solus. Les pays de l’Europe de l’Ouest savaient que les forces conventionnelles des signataires du Pacte de Varsovie avaient l’avantage numĂ©rique et qu’ils seraient probablement contraints Ă  avoir recours Ă  des armes nuclĂ©aires tactiques pour les repousser si la situation le dictait.

Toutefois, les États du nord-ouest de l’AmĂ©rique du Nord constituaient une rĂ©gion stratĂ©gique Ă©loignĂ©e Ă  laquelle presque personne ne pensait. Le charme de l’Alaska et, par consĂ©quent, sa proximitĂ© par rapport Ă  l’Union soviĂ©tique, Ă©taient beaucoup plus prĂ©sents Ă  l’esprit des populations durant les premiĂšres annĂ©es de la Guerre froide que vers la fin. Pourtant, vers la fin des annĂ©es 1950 et le dĂ©but des annĂ©es 1960, l’Union soviĂ©tique accomplissait discrĂštement des progrĂšs importants qui mettaient en quelque sorte cette rĂ©gion « sous le nuage en forme de champignon Â». Si une guerre nuclĂ©aire avait Ă©clatĂ©, les forces canadiennes et Ă©tats-uniennes qui se trouvaient dans la rĂ©gion, isolĂ©es de Washington et des voies maritimes de l’Atlantique, et les forces soviĂ©tiques auraient menĂ© entre elles une guerre pratiquement privĂ©e loin des voies d’accĂšs Ă  Berlin et de la RĂ©gion du Centre oĂč se trouvaient les forces de l’OTAN. Pourquoi et comment en Ă©tait-on arrivĂ© lĂ ? Comment se fait-il qu’une situation aussi extrĂȘme soit presque passĂ©e inaperçue durant les annĂ©es dangereuses marquĂ©es par la crise du dĂ©but des annĂ©es 1960?

Description du terrain : les complexes de bases soviĂ©tiques de l’ExtrĂȘme-Orient

La rĂ©gion du Nord-Ouest de l’Alaska et de la cĂŽte du Pacifique constituait un thĂ©Ăątre distinct de la Guerre froide. Selon les plans de guerre Ă©tablis conjointement par le Canada et les États-Unis Ă  la fin des annĂ©es 1940, l’Alaska devait ĂȘtre la ligne de front si la crise de Berlin et plus tard la crise de CorĂ©e avaient dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en guerre. Divers scĂ©narios ont Ă©tĂ© envisagĂ©s, y compris celui de forces aĂ©roportĂ©es soviĂ©tiques qui s’emparent de bases en Alaska et font pleuvoir des missiles du type des V-2 ou qui envoient des bombardiers du type des B-29 Ă©quipĂ©s d’armes nuclĂ©aires attaquer les basses-terres continentales. Par consĂ©quent, les États-Unis ont menĂ© des opĂ©rations de surveillance aĂ©rienne intensives Ă  la limite et mĂȘme Ă  l’intĂ©rieur de l’espace aĂ©rien soviĂ©tique, de la presqu’üle de Tchoukotka, en descendant le long de la pĂ©ninsule du Kamtchatka et des Ăźles Kouriles, puis Ă  Vladivostok. Les vols servaient Ă  repĂ©rer les stations radars d’alerte lointaine et les bases de bombardiers et de chasseurs, et Ă  recueillir des Ă©chantillons aĂ©riens de dĂ©bris nuclĂ©aires rĂ©sultant d’essais effectuĂ©s par les SoviĂ©tiques. Fait important, ils ont permis de confirmer que les secteurs abritant les bases soviĂ©tiques Ă©taient regroupĂ©s prĂšs de Vladivostok et de Petropavlovsk. Rien n’indiquait Ă  l’époque que l’Union soviĂ©tique avait amorcĂ© des prĂ©paratifs importants en vue du dĂ©clenchement d’une attaque contre l’AmĂ©rique du Nord depuis cette rĂ©gion1.

Toutefois, en 1956, la possibilitĂ© d’obtenir une couverture plus complĂšte que dans le passĂ© grĂące Ă  l’utilisation d’aĂ©ronefs de reconnaissance U-2 au-dessus de la rĂ©gion a permis de dĂ©couvrir que des changements importants s’opĂ©raient. Conscients que le Strategic Air Command (SAC) des États-Unis disposait de capacitĂ©s accrues de bombardiers et que leur pays progressait vers la production de bombardiers birĂ©acteurs, les SoviĂ©tiques se sont mis Ă  voir l’Est de la SibĂ©rie comme un emplacement particuliĂšrement intĂ©ressant, d’oĂč ils pourraient attaquer l’AmĂ©rique du Nord et dĂ©fendre leur pays. Leur intĂ©rĂȘt est devenu manifeste lorsqu’ils se sont mis Ă  rĂ©nover leurs vieux terrains d’aviation et Ă  en construire de nouveaux. Le terrain le plus prĂšs de l’AmĂ©rique du Nord Ă©tait une base d’étape Ă©tablie grĂące au programme de prĂȘt-bail, qui Ă©tait situĂ©e de l’autre cĂŽtĂ© de la baie par rapport Ă  la petite ville portuaire appelĂ©e Anadyr.

À la fin des annĂ©es 1950, les forces aĂ©riennes soviĂ©tiques Ă  longue portĂ©e n’auraient pas pu envoyer les bombardiers moyens TU-16 Badger dont elles disposaient jusqu’aux cibles situĂ©es dans le territoire continental des États-Unis, Ă  moins de pouvoir compter sur une base d’étape avancĂ©e ou de procĂ©der au ravitaillement en vol. Les TU-16 Badger pouvaient toutefois atteindre l’Alaska, qui constituait essentiellement Ă  l’époque une grosse structure d’alerte lointaine et de soutien pour le SAC. En outre, celui-ci disposait d’une capacitĂ© complĂšte de ravitaillement en vol et pouvait se passer d’une base avancĂ©e. Par contre, la destruction de l’Alaska n’aurait pas permis Ă  la force de TU-16 Badger d’augmenter ses chances d’obtenir une victoire stratĂ©gique sur l’OTAN si une guerre mondiale avait Ă©clatĂ© durant la crise de Berlin, en 1958-1959 ou en 1961, par exemple.

En effet, l’intĂ©rĂȘt que suscitait Ă  l’époque l’ExtrĂȘme-Orient chez les SoviĂ©tiques Ă©tait surtout axĂ© sur la rĂ©gion situĂ©e entre Vladivostok, la mer du Japon et les Ăźles Kuriles. Les États-Unis disposaient d’armes nuclĂ©aires au Japon, en CorĂ©e et dans le Pacifique, et ils avaient Ă©tabli des cibles dans la rĂ©gion de Vladivostok de mĂȘme qu’en Chine et en CorĂ©e du Nord. Un groupe de terrains d’aviation situĂ©s Ă  Vladivostok et dans les environs abritait des rĂ©giments de bombardiers lourds dotĂ©s de TU-16, de la taille de neuf escadrons environ. La 12e Direction principale du ministĂšre de la DĂ©fense (12 DPMD), soit l’organisme qui gĂ©rait la garde et le contrĂŽle des armes nuclĂ©aires de l’Union soviĂ©tique, avait des entrepĂŽts Ă  Primorsky et Ă  Khabarovsk2.

Au fil des annĂ©es 1950, les SoviĂ©tiques ont rĂ©parti leurs bombardiers intercontinentaux Tupolev TU-95 Bear et Myasishchev Mya-4 Bison principalement dans des bases situĂ©es Ă  l’intĂ©rieur de leur pays. À divers niveaux d’alerte, un certain nombre de terrains d’aviation situĂ©s sur le pĂ©rimĂštre de l’ExtrĂȘme-Orient, appelĂ©s terrains d’aviation « tremplins Â» en russe, accueillaient des bombardiers qui Ă©taient positionnĂ©s en direction de cibles Ă©loignĂ©es.

© Aviation History Collection/Alamy Stock Photo, image E1N2BG

Un Myasishchev M-4 (Mya-4) Bison

L’un de ces terrains d’aviation « tremplins Â» Ă©tait celui d’Anadyr, sur la presqu’üle de Tchoukotka. En 1958, le terrain d’Anadyr accueillait un dĂ©tachement d’intercepteurs MiG-19 du 529e RĂ©giment de chasseurs, et une station radar d’alerte lointaine et d’interception du 75e RĂ©giment technique de radio y a Ă©tĂ© construite. DissimulĂ©e dans une vallĂ©e situĂ©e Ă  quelques milles Ă  l’est du terrain d’aviation, une base pouvant accueillir un groupe de la taille d’une brigade a aussi Ă©tĂ© Ă©tablie. Toutefois, cette base Ă©tait en fait sous le contrĂŽle de la 12 DPMD. Les responsables ont fait creuser des tunnels dans le plus grand secret, sous les collines adjacentes, et y ont fait installer et garder en lieu sĂ»r des bombes nuclĂ©aires pour la force de bombardiers3. Rien n’indique qu’à l’époque, ou mĂȘme dans les annĂ©es 1960, le service du renseignement des États-Unis connaissait l’existence en Union soviĂ©tique de l’installation connue sous le nom d’« Objekt Gudym Â», d’aprĂšs la ville qui Ă©tait situĂ©e dans les environs.

En mars 1958, peu aprĂšs la construction des nouvelles installations de la base aĂ©rienne d’Anadyr, des stations radars ont soudainement dĂ©tectĂ© la prĂ©sence de deux TU-16 Badger qui longeaient la cĂŽte de l’Alaska, au-dessus des eaux internationales. En Ă©tat d’alerte au terrain d’aviation de Galena, des intercepteurs F-102 de l’USAF ont dĂ©collĂ© sur-le-champ, mais ils ont Ă©tĂ© incapables d’intercepter les bombardiers soviĂ©tiques. Les SoviĂ©tiques ont continuĂ© d’effectuer des vols sporadiques avec leurs TU-16 Badger, mais ceux-ci n’étaient jamais interceptĂ©s, car les capacitĂ©s du F-102 Ă©taient limitĂ©es. Les escadrons de F-102 ont Ă©tĂ© incapables d’intercepter et d’observer des bombardiers soviĂ©tiques en Alaska avant le 5 dĂ©cembre 19614.

La mise en place de missiles balistiques soviĂ©tiques en ExtrĂȘme-Orient est advenue au moment de la mise en service du « 57e Service d’administration des polygones de tir d’artillerie Â», un nom paravent donnĂ© au 9e Corps indĂ©pendant de missiles basĂ© Ă  Razdolnoye, dans une large vallĂ©e situĂ©e au Nord de Vladivostok. (L’UnitĂ© a dĂ©voilĂ© le secret de son identitĂ© en 1961.) La principale unitĂ© opĂ©rationnelle Ă©tait la « 652e Division du gĂ©nie Â», un nom paravent donnĂ© Ă  l’unitĂ© qui allait s’appeler la 45e Division de missiles. Cette unitĂ© Ă©tait Ă©quipĂ©e de quatre types distincts de missiles balistiques Ă  moyenne portĂ©e ou Ă  portĂ©e intermĂ©diaire. Les progrĂšs rapides accomplis dans le domaine de la technologie ont conduit Ă  la mise en service par Ă©tapes et par chevauchement, entre 1959 et 1962, Ă  Razdolnoye et dans les environs, du missile balistique Ă  portĂ©e intermĂ©diaire (IRBM) R-5M (que l’OTAN a renommĂ© SS-3 Shyster), de l’IRBM R-12 (SS-4 Sandal), du missile balistique Ă  moyenne portĂ©e (MRBM) R-14 (SS-5 Skean) et du MRBM R-14U (une version du R-14 tirĂ©e depuis un lanceur en silo). Ces missiles Ă©taient tous dotĂ©s d’une ogive d’une puissance de 1 Ă  2,5 mĂ©gatonnes. Ils devaient servir Ă  attaquer des bases aĂ©riennes amĂ©ricaines Ă©quipĂ©es d’armes nuclĂ©aires au Japon, sur l’üle de Guam et en CorĂ©e du Sud et, plus tard, Ă  attaquer la Chine. Toutefois, aucun d’eux ne pouvait atteindre l’AmĂ©rique du Nord depuis leur aire de lancement, prĂšs de Razdolnoye.

En fait, ces premiers systĂšmes de missiles Ă©taient assez vulnĂ©rables. Les roquettes alimentĂ©es de carburant liquide Ă©taient entreposĂ©es sur des vĂ©hicules-rampes, dans des bunkers, puis ils Ă©taient placĂ©s sur une plateforme de lancement fixe en bĂ©ton durant les alertes. Le bras du vĂ©hicule dressait le missile, qui Ă©tait ensuite fixĂ© Ă  la plateforme, puis le carburant Ă©tait chargĂ© et, finalement, le missile Ă©tait lancĂ©. Le chargement du carburant nĂ©cessitait beaucoup de temps, et dans les cas oĂč l’alerte prenait fin, il fallait vidanger le carburant. Le R-14U Ă©tait tirĂ© Ă  l’aide d’un lanceur en silo; il s’agissait d’une version amĂ©liorĂ©e du missile R-145.

L’opĂ©ration Anadyr : une histoire de dĂ©ception?

Le rĂ©cit du processus dĂ©cisionnel qui a amenĂ© Nikita Khrushchev et d’autres dirigeants soviĂ©tiques Ă  installer des missiles balistiques R-12 et R-14 et leurs ogives mĂ©gatonniques Ă  Cuba est bien connu. Un certain nombre de facteurs conjuguĂ©s ont convaincu Khrushchev de la nĂ©cessitĂ© de mettre en Ɠuvre un tel plan d’action pour prĂ©server le prestige de l’Union soviĂ©tique et pour protĂ©ger le monde « socialiste Â» en devenir, dont celui qu’avait crĂ©Ă© la rĂ©volution cubaine de Fidel Castro Ă©tait un exemple. Au dĂ©but de mai 1962, des dirigeants soviĂ©tiques ont discutĂ© de la possibilitĂ© de dĂ©ployer des armes et des forces conventionnelles Ă  Cuba, mais c’est le 11 mai, au cours d’un voyage en Bulgarie, qu’a germĂ© l’idĂ©e de dĂ©ployer aussi des armes nuclĂ©aires. Les dirigeants ont dĂ©cidĂ© d’organiser l’opĂ©ration Ă  la fin de longues discussions tenues le 20 mai, qui ont Ă©tĂ© suivies d’une rĂ©union du prĂ©sidium. DĂ©jĂ  favorable Ă  l’idĂ©e, le ministĂšre de la DĂ©fense avait Ă©laborĂ© un plan et Ă©tait prĂȘt Ă  l’appliquer6.

Les SoviĂ©tiques avaient l’habitude de prĂ©voir un Ă©ventail complet de mesures de dĂ©ception dans l’organisation de leurs opĂ©rations. En effet, ils devaient trouver un moyen convenable de dĂ©tourner l’attention de leurs activitĂ©s Ă©tant donnĂ© le nombre fort important de ressources devant ĂȘtre mobilisĂ©es, particuliĂšrement autour des missiles. La base aĂ©rienne d’Anadyr Ă©tait le centre d’intĂ©rĂȘt, en ce qui concerne le projet de Cuba. Le personnel s’est fait dire qu’il serait envoyĂ© dans un « endroit froid Â» et qu’il recevrait une tenue d’hiver et une formation Ă  la guerre hivernale. À la fin de mai 1962, l’opĂ©ration entiĂšre a Ă©tĂ© dĂ©signĂ©e sous le nom de code Anadyr7.

À part l’ouvrage d’oĂč est tirĂ©e cette information succincte, aucun des innombrables livres portant sur la crise des missiles de Cuba ne mentionne qu’Anadyr aurait pu ĂȘtre un centre d’activitĂ© pour l’opĂ©ration; les auteurs ne mentionnent Anadyr que pour expliquer qu’il s’agissait d’un nom de code utilisĂ© Ă  des fins de dĂ©ception.

Toutefois, l’opĂ©ration Anadyr pourrait ĂȘtre plus complexe qu’on l’avait cru Ă  premiĂšre vue. En juin 1962, la 45e Division de missiles, qui Ă©tait stationnĂ©e prĂšs de Vladivostok, a mis en service le 83e RĂ©giment de missiles. Quatre vagues d’aĂ©ronefs de transport ont livrĂ© Ă  la base aĂ©rienne d’Anadyr quatre missiles balistiques R-14 (SS-5 Skean) ainsi que l’équipement terrestre connexe et le personnel requis8.

Conditions : https://www.cia.gov/library/publications/resources/cia-maps-publications/

Cette photo dĂ©classifiĂ©e par la CIA montre les emplacements de lancement de missiles balistiques R-14 (SS-5 Skean) Ă  Ougolny; elle a Ă©tĂ© prise en 1966 par un satellite NRO KH-7 Gambit muni d’un systĂšme de repĂ©rage Ă  haute rĂ©solution. (La source a Ă©tĂ© dĂ©classifiĂ©e en vertu de la Freedom of Information Act, 2015.)

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Le 83e RĂ©giment de missiles occupait une installation spĂ©ciale construite dans une vallĂ©e situĂ©e Ă  l’est du site intĂ©rieur et de l’entrepĂŽt d’armes nuclĂ©aires contrĂŽlĂ© par le 12 DPMD. AppelĂ© Ougolny, comme la ville qui se trouvait prĂšs de la base aĂ©rienne, ce site n’était jamais mentionnĂ© en rapport avec Anadyr. Il Ă©tait constituĂ© de plus de 30 structures, mais celles qui nous intĂ©ressent le plus sont 4 plateformes de lancement en bĂ©ton et 4 grands bĂątiments en bĂ©ton du style des abris Quonset. Ces bĂątiments pouvaient abriter un vĂ©hicule transporteur-Ă©recteur sur lequel un missile R-14 Ă©tait embarquĂ©, prĂȘt Ă  ĂȘtre utilisĂ© en cas d’alerte. Chacun d’eux Ă©tait jumelĂ© Ă  un bĂątiment secondaire dont la dimension reprĂ©sentait environ le tiers de celle du bĂątiment principal. Les bĂątiments secondaires servaient sans doute d’entrepĂŽts supplĂ©mentaires pour les missiles. Le site Ougolny pouvait probablement abriter de 8 Ă  12 MRBM R-14, qui Ă©taient tous dotĂ©s d’une ogive d’une puissance de 2,3 mĂ©gatonnes9.

Il convient de noter en passant que le 762e RĂ©giment de missiles antiaĂ©riens, qui Ă©tait Ă©quipĂ© de missiles surface-air (SAM) SA-2 Guideline, s’est installĂ© Ă  Shakhtyorskiy, un petit village situĂ© entre la base aĂ©rienne et la station radar, au moment oĂč l’unitĂ© des R-14 est arrivĂ©e, en 196210. Les lance-missiles Ă©taient dispersĂ©s le long d’une ligne, sur une falaise situĂ©e Ă  l’est de la station radar.

On ne sait pas exactement Ă  quel moment le site Ougolny abritant des missiles balistiques a Ă©tĂ© mis en Ă©tat d’alerte avec ses R-14. Selon une source officielle russe, le site n’aurait pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© prĂȘt au combat avant janvier 196411. Toutefois, on ne sait pas exactement non plus Ă  quels R-14 les sources officielles faisaient rĂ©fĂ©rence. L’une des sources russes indique que le site Ougolny Ă©tait en fait le deuxiĂšme site, laissant entendre qu’une installation plus rudimentaire aurait Ă©tĂ© utilisĂ©e temporairement, en attendant la fin de la construction du site Ougolny12. Par consĂ©quent, il faut se demander si la dĂ©claration officielle de disponibilitĂ© opĂ©rationnelle faite en janvier 1964 se rapportait aux premiers R-14 dĂ©ployĂ©s en juin 1962 ou Ă  la fin des travaux de construction du site Ougolny et Ă  son Ă©tat de prĂ©paration.

Il est parfaitement plausible d’envisager que les SoviĂ©tiques aient pu avoir recours par chevauchement Ă  de multiples mesures de dĂ©ception durant l’étĂ© 1962, un peu Ă  l’image d’une matriochka dont les piĂšces s’emboĂźtent. Les travaux de construction et le dĂ©ploiement du 83e RĂ©giment de missiles Ă  Anadyr, en juin, pourraient avoir Ă©tĂ© des piĂšces d’un plan de dĂ©ception s’inscrivant dans l’opĂ©ration Anadyr. Les vols effectuĂ©s par les U-2 et d’autres aĂ©ronefs de reconnaissance auraient permis de dĂ©couvrir un pĂŽle d’activitĂ© liĂ©e Ă  la prĂ©sence de missiles Ă  Anadyr, ce qui aurait conduit les intĂ©ressĂ©s Ă  conclure que chaque fois qu’une source donnĂ©e mentionnait l’opĂ©ration Anadyr, elle faisait rĂ©fĂ©rence Ă  l’activitĂ© en cours au site Ougolny et non pas Ă  ce qui se passait Ă  Cuba.

Et si nous ne savions pas tout du dĂ©ploiement des missiles Ă  Anadyr? Les Ă©valuations de la portĂ©e des R-12 et des R-14 qu’ont faites les États-Unis s’écartaient de prĂšs de 22 pour 100 de la rĂ©alitĂ©. L’information prĂ©sentĂ©e dans les diagrammes utilisĂ©s au cours des briefings tenus dans le cadre de la gestion de la crise des missiles de Cuba correspondait aux rĂ©sultats des Ă©valuations de la portĂ©e effectuĂ©es par la CIA. La portĂ©e rĂ©elle des missiles Ă©tait respectivement de 2080 kilomĂštres et de 4500 kilomĂštres13. LancĂ© depuis Cuba, un R-12 pouvait atteindre les trois quarts environ des États des États-Unis, et le R-14, presque tous. L’État de Washington Ă©tait toutefois Ă  la limite externe de l’enveloppe opĂ©rationnelle du R-14, dont le degrĂ© de prĂ©cision aurait pu ĂȘtre rĂ©duit considĂ©rablement. Toutefois, depuis le site d’Anadyr les R-14 pouvaient au besoin offrir une couverture par chevauchement de plusieurs cibles. Il ne faudrait pas Ă©carter non plus la possibilitĂ© que les R-14 d’Anadyr aient pu avoir Ă©tĂ© utilisĂ©s Ă  des fins de dĂ©ception et Ă  des fins opĂ©rationnelles.

Qu’est-ce que les États-Unis savaient et Ă  quel moment ont-ils appris ce qu’ils savaient? Le site d’Anadyr Ă©tait connu en tant que base avancĂ©e d’interception, avec son radar, sa base aĂ©rienne et ses sites de SAM. Dans le cadre du projet de reconnaissance appelĂ© Congo Maiden, des aĂ©ronefs U-2 se trouvant Ă  la base aĂ©rienne Eielson, en Alaska, ont Ă©tĂ© utilisĂ©s pour la prise de vues obliques longue portĂ©e aux fins de l’obtention d’images d’objectifs situĂ©s sur la cĂŽte arctique de l’Union soviĂ©tique. Les photographies ont Ă©tĂ© prises durant les huit sorties effectuĂ©es chaque mois par des aĂ©ronefs RB-47 qui survolaient la rĂ©gion pĂ©riphĂ©rique de la cĂŽte arctique soviĂ©tique, de Petropavlovsk Ă  la Nouvelle-Zemble, dans la mer de Barents14. Le nombre de ces sorties a Ă©tĂ© rĂ©duit en mai 1960, aprĂšs qu’un U-2 a Ă©tĂ© abattu, mais le prĂ©sident Kennedy en a ordonnĂ© la pleine reprise en fĂ©vrier 196115. Un U-2 a survolĂ© l’üle Sakhaline par la suite, le 30 aoĂ»t 1962, ce qui a suscitĂ© des protestations chez les SoviĂ©tiques16.

La prise de vues obliques du site intĂ©rieur n’aurait pas nĂ©cessairement permis de dĂ©couvrir l’existence d’un entrepĂŽt souterrain d’armes nuclĂ©aires. Dans le rapport d’analyse des « forces d’assaut pĂ©riphĂ©riques Â» soviĂ©tiques qu’elle a rĂ©digĂ© en 1971, la CIA mentionne l’existence du site Ougolny, dont elle prĂ©cise le nom, et avance l’idĂ©e que la construction ait pu remonter au dĂ©but des annĂ©es 196017. Les images dĂ©classifiĂ©es du site Ougolny abritant des missiles R-14 datent de 196618. Toutefois, il est tout Ă  fait possible que les États-Unis aient ignorĂ© l’existence du site en 1962 et 1963.

Faire la guerre avec le 83e RĂ©giment de missiles

Quels avantages les dirigeants soviĂ©tiques auraient-ils bien pu obtenir en installant des missiles balistiques R-14 Ă  Anadyr? Ils auraient certes pu espĂ©rer en tirer un certain nombre. Jusqu’au moment oĂč des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) fiables ont Ă©tĂ© mis en service massivement, au milieu des annĂ©es 1960, les missiles d’Anadyr complĂ©taient la force contemporaine des ICBM R-16 (SS-7 Saddler) au cours de son long dĂ©ploiement. Le nombre des R-16 Ă©tait insuffisant pour rĂ©pondre aux besoins, et c’était tant mieux si les IRBM, dont la portĂ©e Ă©tait plus courte, pouvaient atteindre certaines des cibles. Le dĂ©ploiement des R-14 pouvait se faire discrĂštement, et le site Ă©tait situĂ© en territoire soviĂ©tique, ce qui constituait un autre avantage. Si jamais la situation relative Ă  Cuba ou Ă  Berlin avait dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en 1963, les missiles auraient pu crĂ©er de sĂ©rieuses perturbations dans des limites soigneusement dĂ©finies, Ă©tant donnĂ© que les forces des États-Unis n’avaient pas remarquĂ© la prĂ©sence du site.

Les principales limites du systĂšme de missiles se rapportaient Ă  la disponibilitĂ© opĂ©rationnelle du missile lui-mĂȘme. Les donnĂ©es portant sur le R-14 ne sont pas accessibles, mais celles qui concernent le R-12 le sont, et les chiffres dont nous disposons sont probablement semblables Ă  ceux qui nous manquent. Il y avait quatre Ă©tats de prĂ©paration, indiquĂ©s par une Ă©chelle de 4 Ă  1. Dans le cas du R-12, il fallait 205 minutes pour faire passer le missile Ă  la pleine disponibilitĂ© opĂ©rationnelle depuis l’état de prĂ©paration 4, 140 minutes depuis l’état de prĂ©paration 3, 60 minutes depuis l’état de prĂ©paration 2 et 30 minutes depuis l’état de prĂ©paration 1. Le temps de prĂ©paration Ă©tait en grande partie consacrĂ© au chargement du carburant19.

L’attribution des armes Ă©tait Ă©troitement surveillĂ©e et centralisĂ©e au plus haut point. Dans le rapport d’une analyse quelque peu alarmante qu’elle a effectuĂ©e au dĂ©but de 1962, la CIA a indiquĂ© ce qui suit :

Les SoviĂ©tiques ont dĂ©jĂ  pris des mesures pour accĂ©lĂ©rer le processus menant Ă  la dĂ©cision de dĂ©clencher une guerre, de mĂȘme que l’exĂ©cution des tĂąches requises pour donner suite Ă  une telle dĂ©cision. Ces mesures comprennent l’assignation de forces de missiles stratĂ©giques Ă  un commandement suprĂȘme exerçant le contrĂŽle exclusif du dĂ©ploiement et de l’emploi des missiles, de mĂȘme que l’établissement de Khrushchev en tant que chef de l’arme stratĂ©gique du pays, Ă  titre de commandant suprĂȘme. Ce titre, Ă  notre avis, permet Ă  Khrushchev de presser lui-mĂȘme sur le bouton de la guerre, sans avoir Ă  consulter le conseil des dirigeants20. [TCO]

Le mĂȘme rapport d’analyse renferme des arguments convaincants concernant la stratĂ©gie nuclĂ©aire soviĂ©tique. En effet, les SoviĂ©tiques avaient trois choix d’action : riposte, premiĂšre frappe et opĂ©ration prĂ©ventive. À la lumiĂšre du gros des ouvrages produits par les SoviĂ©tiques et d’un large Ă©ventail de donnĂ©es du renseignement, les analystes de la CIA ont conclu qu’au dĂ©but des annĂ©es 1960, les SoviĂ©tiques privilĂ©giaient une stratĂ©gie prĂ©ventive. Si ces derniers avaient estimĂ© que les États-Unis et leurs alliĂ©s Ă©taient sur le point d’amorcer une attaque avec des forces conventionnelles ou des forces nuclĂ©aires, ils auraient, Ă  condition de disposer de l’information voulue, lancĂ© les premiers missiles dans le but de dĂ©truire le plus grand nombre possible de systĂšmes nuclĂ©aires dirigĂ©s vers des cibles soviĂ©tiques21. Soit dit en passant, les agents de l’armĂ©e des États-Unis qui travaillaient pour le compte du service du renseignement soviĂ©tique Ă©taient tenus de faire Ă©tat de tout changement de niveau de la condition de dĂ©fense (DEFCON); cette tĂąche comptait parmi leurs tĂąches prioritaires22.

Le nombre de missiles installĂ©s au site Ougolny et la portĂ©e du systĂšme nous donnent une idĂ©e gĂ©nĂ©rale de la façon dont les missiles pouvaient ĂȘtre employĂ©s. Les ensembles de cibles possibles se trouvant Ă  l’intĂ©rieur de cette portĂ©e sont rĂ©partis en trois groupes. Signalons au passage qu’étant incapables d’illustrer notre point de vue Ă  l’aide d’une carte de projection de Mercator, nous avons choisi de prĂ©senter une vue conique de la rĂ©gion.

Le premier ensemble de cibles se trouvait en Alaska. Le Strategic Air Command se servait de la base aĂ©rienne Eielson pour le ravitaillement par avion ravitailleur des bombardiers B-52 de l’Airborne Alert Force qui tournaient autour de l’Arctique. L’un des trois radars du systĂšme de dĂ©tection lointaine des missiles balistiques (BMEWS) se trouvait Ă  Clear, en Alaska. Une fois le radar de Clear dĂ©truit, le NORAD ne pourrait plus dĂ©tecter le lancement d’ICBM des SoviĂ©tiques. Par contre, et il n’est pas certain que les SoviĂ©tiques comprenaient les consĂ©quences possibles, la destruction d’un site abritant des Ă©lĂ©ments du BMEWS aurait pu ĂȘtre suffisante pour entraĂźner la dĂ©claration de l’état DEFCON 1, qui est le niveau le plus Ă©levĂ© de l’état de prĂ©paration. Des aĂ©ronefs du SAC de l’USAF, soit des avions ravitailleurs KC-135 dans le cas du site de Clear, auraient Ă©tĂ© en orbite 24 heures sur 24 si l’état DEFCON 3 avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©, et les Ă©quipages auraient observĂ© le site de Clear et auraient fait rapport de la situation au quartier gĂ©nĂ©ral du SAC, Ă  Omaha, si jamais il avait Ă©tĂ© dĂ©truit23. Il y avait Ă©galement Ă  Fort Greely une liaison satellite descendante permettant de dĂ©tecter le lancement de missiles Midas. Si cette liaison avait Ă©tĂ© dĂ©truite, le NORAD aurait Ă©tĂ© incapable de suivre la trajectoire d’un missile dirigĂ© vers ses installations.

Au dĂ©but des annĂ©es 1960, les forces d’interception qui se trouvaient en Alaska consistaient en deux escadrons augmentĂ©s de chasseurs F-102 Delta Dart. Établis aux bases aĂ©riennes d’Elmendorf et de Ladd, les escadrons disposaient de quatre bases avancĂ©es de dĂ©ploiement, chacune pouvant accueillir deux aĂ©ronefs. Le NORAD avait un centre de contrĂŽle de la dĂ©fense aĂ©rienne Ă  la base aĂ©rienne Elmendorf. Une trentaine de stations radars Ă©taient rĂ©parties en Alaska, le long de la chaĂźne alĂ©outienne et de la cĂŽte, entre Prudhoe Bay et Point Barrow, et Ă  l’intĂ©rieur du territoire.

Le deuxiĂšme ensemble de cibles se trouvait sur l’üle de Vancouver. N’importe quelle force de bombardiers qui serait parvenue Ă  passer Ă  travers du rĂ©seau de dĂ©fense aĂ©rienne de l’Alaska ou Ă  le contourner aurait eu Ă  affronter les intercepteurs CF-101 Voodoo du 409e Escadron d’appui tactique, qui Ă©tait stationnĂ© Ă  la Station Comox de l’Aviation royale du Canada (ARC) et dont l’intervention aurait Ă©tĂ© orientĂ©e par l’information recueillie Ă  la station radar de la Station Holberg de l’ARC. Les intercepteurs Ă©taient Ă©quipĂ©s de façon classique avant 1964, mais selon les plans, ils devaient ĂȘtre dotĂ©s de roquettes nuclĂ©aires air-air MB-1 Genie en cas d’urgence.

MDN/CIIFC, photo CXC77-1944

Deux CF101 Voodoo du 409e Escadron, Ă  Comox

Enfin, d’autres installations stratĂ©giques se trouvaient dans l’État de Washington, dont celles du complexe de Hanford. Les rĂ©acteurs de l’Atomic Energy Commission qui s’y trouvaient produisaient du plutonium pour tout l’arsenal nuclĂ©aire des États-Unis. L’immense usine de Boeing Ă©tait situĂ©e Ă  Seattle, et les États-Unis disposaient d’une base navale importante Ă  Bremerton, de mĂȘme que d’installations dans les environs de Seattle.

La tendance qu’avaient les SoviĂ©tiques Ă  privilĂ©gier une approche prĂ©ventive nous donne une idĂ©e de la façon dont ils auraient employĂ© les missiles R-14 au dĂ©but des annĂ©es 1960. Selon des documents produits par des hauts placĂ©s soviĂ©tiques et examinĂ©s par la CIA en 1962, les armes balistiques nuclĂ©aires devaient ĂȘtre employĂ©es soudainement, efficacement, dĂ©libĂ©rĂ©ment et en masse, et elles Ă©taient conçues pour jouer un rĂŽle de premier plan durant la pĂ©riode initiale de la guerre24. En effet, les missiles devaient ĂȘtre employĂ©s en premier lieu, et les bombardiers pilotĂ©s en deuxiĂšme lieu. En ce qui concerne les cibles prioritaires, le « Bulletin d’information des troupes de missiles Â», qui Ă©tait hautement classifiĂ© Ă  l’époque et dont le premier numĂ©ro est paru en juillet 1961, fait Ă©tat d’une liste des objectifs que les « cibleurs Â» devaient viser prioritairement25 :

  • Sites de lancement de missiles stratĂ©giques;
  • Sites de production, d’assemblage et d’entreposage d’armes nuclĂ©aires ou de piĂšces d’équipement permettant Ă  ces armes d’atteindre leur cible;
  • Terrains d’aviation et bases aĂ©riennes et navales de grande dimension;
  • Centres d’administration politique et centres industriels militaires;
  • Grands centres de communication;
  • Usines et stations centrales d’énergie de grande dimension;
  • Arsenaux et entrepĂŽts abritant des stocks stratĂ©giques d’équipement militaire pour l’armement ou des minĂ©raux bruts;
  • RĂ©serves stratĂ©giques et autres cibles d’importance sur le plan stratĂ©gique situĂ©es dans la zone arriĂšre de l’ennemi.

Les missiles du site Ougolny n’auraient toutefois pas Ă©tĂ© suffisants pour atteindre toutes les cibles Ă©numĂ©rĂ©es dans la liste. En effet, les quatre R-14 prĂȘts Ă  utiliser en cas d’alerte et les quatre Ă  huit missiles de rechange n’auraient pas suffi pour dĂ©truire les neuf sites dispersĂ©s abritant les ICBM Atlas E, prĂšs de Spokane, et encore moins les trois groupes de silos de lancement de Titan I, prĂšs de Moses Lake. Selon des sources russes, l’ogive d’une puissance de 2,3 mĂ©gatonnes du R-14 n’était utile que pour attaquer des cibles de surface.

Pour ce qui est des cibles classĂ©es au deuxiĂšme rang dans l’ordre de prioritĂ©, un seul R-14 dotĂ© d’une ogive d’une puissance de 2,3 mĂ©gatonnes aurait pu dĂ©truire entiĂšrement le complexe de Hanford. Selon les Ă©valuations, la prĂ©cision du R-14 Ă©tait de cinq kilomĂštres26. En ce qui concerne les cibles figurant au troisiĂšme rang, les bases aĂ©riennes Larson et Fairchild, et peut-ĂȘtre aussi la base aĂ©rienne Eielson, auraient pu ĂȘtre dĂ©signĂ©es comme cibles. Les bases de Comox, d’Elmendorf et de McChord auraient Ă©galement Ă©tĂ© classĂ©es dans la mĂȘme catĂ©gorie. Il faut savoir qu’une seule ogive lancĂ©e au-dessus de la rĂ©gion de Seattle aurait pu causer des dommages importants Ă  de multiples installations.

Compte tenu de la liste des cibles prioritaires de 1961, de la capacitĂ© du site Ougolny, du temps requis pour charger une deuxiĂšme et peut-ĂȘtre une troisiĂšme vague de missiles R-14 et de la doctrine sur les opĂ©rations prĂ©ventives en vigueur Ă  l’époque, la situation aurait pu Ă©voluer dans l’ordre qui suit, selon un scĂ©nario envisageable, en fait plausible, quoique purement spĂ©culatif :

Les missiles R-14 du site Ougolny sont employĂ©s pour ouvrir la voie Ă  une attaque coordonnĂ©e d’ICBM R-16 contre des cibles du Strategic Air Command. Cela signifie qu’il faut atteindre les radars du BMEWS Ă  Clear, en Alaska, et la liaison satellite descendante de dĂ©tection du systĂšme d’alerte de la dĂ©fense antimissile (MIDAS), Ă  Fort Greely, en lançant deux missiles R-14 sur chaque site pour augmenter autant que possible la probabilitĂ© de destruction. Le temps requis pour qu’un missile parcoure la distance qui sĂ©pare le site Ougolny et l’Alaska est de moins de 15 minutes. Les 565e, 570e et 772e rĂ©giments de missiles, qui sont basĂ©s prĂšs de Svobodnyy, dans l’oblast d’Amour, dans les profondeurs de l’Union soviĂ©tique, lancent une volĂ©e de 18 ICBM R-16 : 3 missiles dotĂ©s d’une ogive d’une puissance de 5 mĂ©gatonnes sont lancĂ©s en direction des bases aĂ©riennes Eielson, Larson et Fairchild (degrĂ© de prĂ©cision : dans les 3 kilomĂštres du point de visĂ©e) pour dĂ©truire les sites de bombardiers et d’entreposage d’armes nuclĂ©aires au sol, tandis que 15 autres R-16 sont lancĂ©s en direction de sites abritant des silos de Titan I et des missiles Atlas E dans la rĂ©gion situĂ©e entre Spokane et Moses Lake. Les panaches produits dans l’est de l’État de Washington par l’explosion des 15 ogives d’une puissance de 5 mĂ©gatonnes auraient enveloppĂ© le sud-est de la Colombie-Britannique et le sud de l’Alberta et laissĂ© une quantitĂ© importante de retombĂ©es radioactives, parfois dans des concentrations lĂ©tales.
Pendant le chargement des quatre R-14 de la vague suivante (aprĂšs 1,5 ou 2 heures), les bases abritant les intercepteurs, Ă  Elmendorf, Ladd, Comox et McChord, sont atteintes. L’ordinateur de dĂ©fense antiaĂ©rienne du SAGE est dĂ©truit Ă  la base aĂ©rienne McChord, de mĂȘme que le centre des opĂ©rations manuelles, Ă  Elmendorf. Toutes les forces d’interception qui se seraient encore trouvĂ©es au sol Ă  Elmendorf sont rĂ©duites en cendres, et le site d’entreposage des munitions spĂ©ciales de la base aĂ©rienne McChord est dĂ©truit avec les missiles MB-1 destinĂ©s Ă  l’USAF et Ă  l’ARC qui s’y trouvaient. Les CF-101 Voodoo qui n’ont pas encore dĂ©collĂ© ou qui n’ont pas Ă©tĂ© envoyĂ©s sur des terrains d’aviation de petite dimension, comme ceux de Port Hardy ou de Tofino, sur l’üle de Vancouver, ou Ă  la Station Puntzi Mountain de l’ARC, Ă  l’intĂ©rieur du territoire, sont aussi dĂ©truits, de mĂȘme que le site abritant l’entrepĂŽt de munitions spĂ©ciales, Ă  Comox.
Si le missile lancĂ© en direction de Comox avait manquĂ© sa cible â€“ il aurait pu tomber Ă  cinq kilomĂštres ou plus de sa cible par beau temps, mĂȘme si aucune erreur n’avait Ă©tĂ© induite â€“, il serait probablement tombĂ© dans le dĂ©troit de Georgia, Ă©tant donnĂ© sa trajectoire Ă  partir du site Ougolny. L’explosion prĂšs de Vancouver d’une arme d’une puissance de 2,3 mĂ©gatonnes aurait produit une forte quantitĂ© d’eau radioactive dans la ville. Une explosion Ă  l’intĂ©rieur ou au-dessus de Comox aurait creusĂ©, selon l’altitude Ă  laquelle elle se serait produite, un cratĂšre d’environ un Ă  trois kilomĂštres de diamĂštre en plus de rĂ©pandre des retombĂ©es radioactives partout dans le centre de la Colombie-Britannique.
À ce moment-lĂ , les bombardiers TU-16 de Vladivostok et les bombardiers TU-95 et Mya-4 se trouvant Ă  l’intĂ©rieur de l’Union soviĂ©tique, qui sont dĂ©jĂ  dans les bases aĂ©riennes « tremplins Â» des Ăźles Kuriles et d’Anadyr, ont dĂ©collĂ© et s’apprĂȘtent Ă  pĂ©nĂ©trer dans un systĂšme de dĂ©fense antiaĂ©rienne fragmentĂ© et perturbĂ©. Ils auraient pour cibles le complexe de Hanford, qui est grand, fixe et impossible Ă  protĂ©ger; la base navale de Bremerton, prĂšs de Seattle, avec ses sous-marins nuclĂ©aires; l’usine de Boeing et le terrain d’aviation; possiblement la base navale de la Marine royale du Canada, Ă  Esquimalt, au cas oĂč les navires ou les sous-marins de la Marine des États-Unis auraient fui leurs bases respectives, prĂšs de Seattle, pour s’y rĂ©fugier. Les gros barrages du fleuve Columbia auraient Ă©galement pu constituer des cibles.
D’autres terrains d’aviation importants de la rĂ©gion susceptibles de servir de refuges pour les bombardiers du SAC ou pour les intercepteurs du NORAD auraient sans doute Ă©tĂ© attaquĂ©s : Vancouver, par exemple, aurait pu ĂȘtre choisie comme cible en raison de la prĂ©sence de la Station Sea Island de l’ARC (oĂč se trouve actuellement l’AĂ©roport international de Vancouver), qui comptait une piste large et oĂč Ă©tait basĂ© l’Escadron de chasseurs F-86 Sabre de la RĂ©serve. Les bombes en chute libre de la puissance mĂ©gatonnique de celles qui seraient tombĂ©es sur Esquimalt et Sea Island auraient dĂ©truit Victoria et dĂ©vastĂ© Vancouver.
Les bombardiers qui auraient larguĂ© ces bombes auraient eu Ă  affronter des intercepteurs F-102 moins efficaces qu’eux et dispersĂ©s par groupes de deux dans des terrains d’aviation situĂ©s en Alaska, puis des intercepteurs CF-101 dispersĂ©s depuis Comox et, enfin, les intercepteurs F-106 Ă©quipĂ©s d’armes nuclĂ©aires qui se trouvaient toujours dans la rĂ©gion de Seattle et qui auraient survĂ©cu Ă  l’attaque contre la base aĂ©rienne McChord. La perte du bunker abritant le SAGE, Ă  la base aĂ©rienne McChord, et du centre de contrĂŽle situĂ© Ă  Elmendorf, en Alaska, aurait sĂ©rieusement attĂ©nuĂ© la portĂ©e de l’intervention dĂ©fensive du NORAD contre les bombardiers qui s’approchaient. Le systĂšme radar, qui aurait compris le rĂ©seau de la Station Holberg de l’ARC et de la Station Puntzi Mountain de l’ARC/USAF et, peut-ĂȘtre aussi celui du site de la station de la force aĂ©rienne Makah, Ă  Neah Bay, dans l’État de Washington, serait restĂ© intact et en mesure de fournir les donnĂ©es requises pour diriger les chasseurs restants, du moins jusqu’à ce que le nombre d’ICBM soviĂ©tiques augmente considĂ©rablement, comme cela s’est produit au fil des annĂ©es 1960.

© Fight Plan/Alamy Stock Photo, image DA118C

Deux chasseurs-intercepteurs F-106 Delta Dart de l’United States Air Force

Il faut remarquer que des cibles canadiennes auraient Ă©tĂ© attaquĂ©es, que le Canada ait participĂ© ou non Ă  la crise ayant conduit Ă  l’attaque. La neutralitĂ© n’existe pas dans une guerre nuclĂ©aire.
Toutefois…

Si les SoviĂ©tiques avaient choisi d’exĂ©cuter un tel plan d’action, il aurait fallu qu’ils examinent un certain nombre de variables. La premiĂšre est la prĂ©sence de Chrome Dome, la force d’alerte en vol du SAC. Elle comptait, « en temps de paix Â», 12 bombardiers B-52 (la plupart ayant Ă©tĂ© construits, paradoxalement, par Boeing, Ă  Seattle), qui restaient en vol 24 heures sur 24 grĂące au ravitaillement en vol. Le nombre de ces bombardiers aurait Ă©tĂ© augmentĂ© Ă  mesure que la crise dĂ©gĂ©nĂ©rait, jusqu’à 65 au dĂ©but. Au cours d’une poursuite effectuĂ©e par la force d’alerte en vol, six B-12 sont montĂ©s le long de la cĂŽte Pacifique pour se rendre jusqu’à l’extrĂ©mitĂ© des Ăźles AlĂ©outiennes, puis jusqu’au pĂŽle Nord, avant de faire le chemin du retour27.

USAF, source déclassifiée aux termes de la Freedom of Information Act, 2015.

Cette carte montre les itinĂ©raires septentrionaux des bombardiers B-52 de la force Chrome Dome et les points d’identification pour communication. Six paires de bombardiers B-52 emportant chacun six armes nuclĂ©aires parcouraient cet itinĂ©raire tous les jours, dans le sens antihoraire. La ligne en coude Ă  l’ouest survolant l’Alaska mettait Ougolny et ses installations Ă  la portĂ©e des missiles de croisiĂšre amĂ©ricains.

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Au dĂ©but des annĂ©es 1960, la force des B-52 du SAC Ă©tait Ă©quipĂ©e d’une variĂ©tĂ© d’armes nuclĂ©aires. La premiĂšre configuration Ă©tait composĂ©e de deux bombes Mk 15/39 (puissance : 1,7 mĂ©gatonne chacune), et la deuxiĂšme, de quatre Mk 28Y1R1 (puissance : 1,1 mĂ©gatonne chacune)28. Les aĂ©ronefs transportaient aussi une paire de missiles de croisiĂšre AGM-28 Hound Dog, qui Ă©taient gĂ©nĂ©ralement utilisĂ©s pour dĂ©truire les SAM. La puissance de chacune de ces armes Ă©tait de 1 Ă  4 mĂ©gatonnes environ, selon ce qui a Ă©tĂ© Ă©tabli. La portĂ©e des Hound Dog Ă©tait de 785 milles, c’est-Ă -dire de 1263 kilomĂštres29.

Il est fort probable que l’un des B-52 qui volaient le long de la frontiĂšre entre l’Alaska et le territoire de l’Union soviĂ©tique ait eu pour mission de cibler les missiles SA-2 du 762e RĂ©giment de missiles antiaĂ©riens. Le site oĂč se trouvaient ces missiles Ă©tait nettement Ă  l’intĂ©rieur de la portĂ©e des Hound Dogs qui auraient Ă©tĂ© larguĂ©s depuis un bombardier B-52 qui se serait trouvĂ© Ă  l’intĂ©rieur de l’espace aĂ©rien des États-Unis. Une charge d’une mĂ©gatonne qui aurait explosĂ© en vol au-dessus de sites de lancement de missiles SA-2 aurait Ă©galement dĂ©truit la station radar au-dessus de la ville. Des intercepteurs MiG-19 auraient pu dĂ©coller depuis la base aĂ©rienne d’Anadyr, mais ils auraient difficilement pu poursuivre et intercepter les bombardiers B-52 d’alerte en vol une fois le centre de contrĂŽle dĂ©truit.

Avant 1963, les cibleurs du SAC n’étaient sans doute pas informĂ©s de la prĂ©sence du site Ougolny qui abritait des missiles R-14. Ils ne savaient rien des tunnels oĂč Ă©taient entreposĂ©es des armes nuclĂ©aires. Des attaques aux missiles Hound Dog auraient Ă©tĂ© menĂ©es pour permettre aux bombardiers B-52 d’alerte en vol de pĂ©nĂ©trer dans l’espace aĂ©rien soviĂ©tique afin d’attaquer des cibles qui se trouvaient en profondeur, Ă  l’intĂ©rieur de l’Union soviĂ©tique.

© AV8 Collection 2/Alamy Stock Photo, image ENC9JG

Un B-52 Stratofortress muni de missiles de croisiĂšre Hound Dog sous chaque aile

Cela dit, les cibleurs du SAC auraient su que la base aĂ©rienne d’Anadyr Ă©tait suffisamment grande pour accueillir des bombardiers TU-16 et TU-95. Ce fait aurait en lui-mĂȘme suffi pour justifier la destruction de la base. À l’époque, les plans d’utilisation des armes nuclĂ©aires des États-Unis, soit le plan unique d’opĂ©rations intĂ©grĂ©es 62 (SIOP-62) et le SIOP-63, Ă©taient fondĂ©s sur le principe de la dĂ©signation d’un objectif pour divers vecteurs. Le but Ă©tait d’attaquer toutes les cibles choisies de façon Ă  assurer l’atteinte d’un taux de probabilitĂ© de destruction de presque 100 pour 100. Étant donnĂ© que les systĂšmes nuclĂ©aires des États-Unis n’étaient pas tous fiables Ă  100 pour 100, il aurait fallu attaquer la base aĂ©rienne d’Anadyr avec quelques armes mĂ©gatonniques pour en assurer la destruction. Par exemple, le taux de fiabilitĂ© des ICBM Titan I et Atlas E qui se trouvaient dans l’État de Washington n’était que de 50 pour 10030. Par consĂ©quent, il aurait fallu utiliser deux ou mĂȘme trois missiles depuis diffĂ©rentes bases pour attaquer une « Ăźle Â» de cibles.

Il est possible d’imaginer que si un engagement s’était produit dans la rĂ©gion d’Anadyr avant la dĂ©couverte du site Ougolny, les États-Unis auraient utilisĂ© un ou plusieurs missiles Hound Dog pour attaquer le site abritant des SAM et la station radar, en plus d’une bombe Ă  chute libre et de deux ICBM pour attaquer le terrain d’aviation. En effet, ils auraient lancĂ© quatre armes mĂ©gatonniques en direction de ces emplacements dans l’espoir que deux d’entre elles atteignent leur cible. Compte tenu de la distance qui sĂ©parait le site Ougolny oĂč se trouvaient les missiles R-14 et la base aĂ©rienne ou la base de dĂ©fense antiaĂ©rienne, et Ă©tant donnĂ© que le site Ougolny Ă©tait situĂ© dans une vallĂ©e, il est parfaitement raisonnable de penser que les R-14 du site Ougolny n’auraient pas Ă©tĂ© endommagĂ©s sĂ©rieusement ni dĂ©truits durant l’attaque, et que les activitĂ©s menĂ©es dans les installations auraient Ă©tĂ© poursuivies « selon le degrĂ© de gravitĂ© des dommages subis Â». L’entrepĂŽt de la 12 DPMD aurait certainement Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©, Ă  moins d’avoir Ă©tĂ© ciblĂ© directement par une arme thermonuclĂ©aire Ă  Ă©clatement au sol.

Toutefois, aprĂšs la dĂ©couverte du site Ougolny grĂące aux satellites Corona et Gambit du Bureau national de reconnaissance, le sort du site aurait Ă©tĂ© jetĂ© si une guerre avait Ă©clatĂ©. En effet, un seul missile Hound Dog larguĂ© d’un bombardier B-52 aurait complĂštement dĂ©truit le site « non protĂ©gĂ© Â» si une charge d’une mĂ©gatonne avait explosĂ© en vol, mais les États-Unis auraient probablement voulu employer de trois Ă  cinq armes pour dĂ©truire le site Ougolny en raison du danger que celui-ci reprĂ©sentait. La question aurait Ă©tĂ© de savoir si zĂ©ro, quatre ou huit missiles R-14 auraient Ă©tĂ© lancĂ©s en direction de cibles situĂ©es en AmĂ©rique du Nord. De toute façon, peu importe le scĂ©nario imaginĂ©, les environs d’Anadyr et d’Ougolny auraient Ă©tĂ© rĂ©duits Ă  un ensemble de cratĂšres remplis d’eau radioactive en un Ă©clair. Il Ă©tait hors de question de prendre un risque.

Conditions : https://www.google.com/intl/fr/policies/terms/.

Vue actuelle d’Ougolny (Source : Google Earth)

Notes

  1. Voir John Farquhar, A Need to Know : The Role of Air Force Reconnaissance in War Planning 1945-1953, Base aĂ©rienne Maxwell, Alberta, Air University Press, 2004. Merci aussi Ă  Allex Wallerstein, pour son site sur les « effets des armes nuclĂ©aires Â», qui se trouve Ă  l’adresse http://nuclearsecrecy.com/nukemap/.
  2. Michael Holm, ancien membre du Service du renseignement de la Force aĂ©rienne royale du Danemark dont le domaine de spĂ©cialitĂ© Ă©tait l’ordre de bataille de la Force aĂ©rienne soviĂ©tique de l’époque de la Guerre froide, tient un site oĂč sont mises en corrĂ©lation les donnĂ©es recueillies par les pays occidentaux et les donnĂ©es recueillies par les SoviĂ©tiques. Cette ressource remarquable se trouve Ă  l’adresse http://www.ww2.dk/new/newindex.htm. L’ordre de bataille (ORBAT) de la 12 Đ“лаĐČĐœĐŸĐ” УпраĐČĐ»Đ”ĐœĐžĐ” ĐœĐžĐœĐžŃŃ‚Đ”Ń€ŃŃ‚ĐČĐ° ĐžĐ±ĐŸŃ€ĐŸĐœŃ‹ de l’URSS (12 DPMD) se trouve Ă  l’adresse http://www.ww2.dk/new/rvsn/12gumo.htm.
  3. Des voyageurs en visite dans la rĂ©gion sont entrĂ©s dans cette installation abandonnĂ©e et l’ont photographiĂ©e. Voir « Gudym, la base nuclĂ©aire secrĂšte de l’ex-URSS Â», Ă  l’adresse http://www.svalbard.fr/nouvelle-polaire/Gudym-base-nucleaire-secrete-ex-URSS-2014_10.htm
  4. John H. Cloe, Top Cover and Global Engagement : A History of the Eleventh Air Force, Anchorage, Alaska, Alaska Quality Publishing, s.d., p. 24; « Attack Detection Prime Alaskan Role Â», dans St. Petersburg Times, 6 mars 1962, « Memorandum of Conference with the President, 9 aoĂ»t 1960 Â», FOIA, Dwight D. Eisenhower Library [DDEL].
  5. Des captures d’écran du documentaire intitulĂ© « Armes nuclĂ©aires prĂ©parĂ©es en vue de leur emploi Â», produit par les SoviĂ©tiques, illustrent le processus menant Ă  la disponibilitĂ© opĂ©rationnelle du R-14. Elles se trouvent Ă  l’adresse http://militaryrussia.ru/blog/topic-379.html. Il faut noter que l’équipement et les vĂ©hicules employĂ©s font penser au systĂšme de missiles Corporal employĂ© par les États-Unis et le Royaume-Uni.
  6. Aleksander Fursenko et Timothy Naftali, One Hell of a Gamble : The Secret History of the Cuban Missile Crisis, New York, W. W. Norton, 1997, p. 171-181.
  7. Ibid., p. 191; voir aussi Anatoli I. Gribkov et William Y. Smith, Operation ANADYR : US and Soviet Generals Recount the Cuban Missile Crisis, Chicago, Edition Q, 1994, p. 15 et 16.
  8. Cette information est tirĂ©e de quatre forums Internet russes traitant de l’histoire des forces de roquettes stratĂ©giques et de leurs systĂšmes. Voir les sites aux adresses suivantes : http://rvsn.ruzhany.info/45rd/index.html, « 45e Division de missiles sous l’étendard rouge Â»; http://yasnay.ru, voir particuliĂšrement le message no 503, 31 janvier 2011, concernant le dĂ©ploiement et la construction Ă  Anadyr, en 1962; le site qui se trouve Ă  l’adresse http://artofwar.ru/s/sukonkin_a_a/text_810.shtml renferme un superbe article d’Alex Sukonkin intitulĂ© « Strategic Missile Forces in Primorsky Krai Â». Il faut noter que dans WikipĂ©dia, l’entrĂ©e en russe concernant le missile R-14 diffĂšre de l’entrĂ©e correspondante rĂ©digĂ©e par des auteurs de pays occidentaux : les renseignements sont beaucoup plus dĂ©taillĂ©s et proviennent de sources secondaires russes. Voir la note 36 pour connaĂźtre les dates de dĂ©ploiement des missiles R-14 Ă  Anadyr.
  9. Analyse que l’auteur a faite des images Google Earth du site Ougolvy oĂč se trouvaient les missiles. Il faut noter que des touristes en visite Ă  Anadyr se sont rendus jusqu’à Ougolvy, en ont photographiĂ© certaines des structures et ont diffusĂ© leurs photographies dans Internet.
  10. Le 762-Đč Đ·Đ”ĐœĐžŃ‚ĐœĐŸ-раĐșĐ”Ń‚ĐœŃ‹Đč ĐżĐŸĐ»Đș (762e RĂ©giment de missiles antiaĂ©riens), Ă  l’adresse http://www.ww2.dk/new/pvo/sam/762zrp.htm.
  11. Voir le site qui se trouve Ă  l’adresse http://rvsn.ruzhany.info/45rd/index.html, « 45e Division de missiles sous l’étendard rouge Â».
  12. http://yasnay.ru, voir particuliĂšrement le message no 503, 31 janvier 2011, concernant le dĂ©ploiement et la construction Ă  Anadyr, en 1962.
  13. Pavel Podvig, Russian Strategic Nuclear Forces, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 185-188.
  14. FOIA, DDEL, sans date, « Briefing to President Eisenhower on Current Status of Aerial Reconnaissance Programs Which are Conducted Proximate to Communist Territory Â».
  15. FOIA, SECDEF, « National Security Action Memorandum No. 24 : RB-47 Reconnaissance Flights Â», 27 fĂ©vrier 1961.
  16. FOIA, note de service de la CIA au directeur du renseignement central des États-Unis, « CIA Handling of the Soviet Build-up in Cuba, 1 July-16 October 1962 Â», 14 novembre 1962.
  17. FOIA, Rapport du renseignement de la CIA SR IR 71-5, « Soviet Strategic Forces for Peripheral Strike Â», mai 1971.
  18. Voir les images du 83-Đč раĐșĐ”Ń‚ĐœŃ‹Đč ĐżĐŸĐ»Đș (83e RĂ©giment de missiles) provenant de sources des États-Unis Ă  l’adresse http://www.ww2.dk/new/rvsn/83mr.htm.
  19. Pavel Podvig, Russian Strategic Nuclear Forces, Cambridge, Mass., MIT Press, 2001, p. 185.
  20. FOIA, CIA Office of Current Intelligence, CAESAR XVI-62 : « Soviet Strategic Doctrine for the Start of War Â», 3 juillet 1962.
  21. Ibid.
  22. Cette information est sortie durant l’affaire d’espionnage de John Walker. Voir Philip Shenon, « Arthur Walker Sentenced to Life; Wider Spying Role Hinted by U.S. Â», dans New York Times, 13 novembre 1985, Ă  http://www.nytimes.com/1985/11/13/us/arthur-walker-sentenced-to-life-wider-spying-role-hinted-by-us.html.
  23. FOIA, USAF, « History of the 6th Strategic Wing October-December 1969 Â».
  24. FOIA, CIA Office of Current Intelligence, CAESAR XVI-62 : « Soviet Strategic Doctrine for the Start of War Â», 3 juillet 1962.
  25. Ibid.
  26. Podvig, p. 188.
  27. FOIA, USAF, « Strategic Air Command Operations in the Cuban Crisis of 1962 Historical Study No. 90 Â», vol. 1.
  28. Ibid.
  29. Bill Yenne, B-52 Stratofortress : The Complete History of the World’s Longest Serving and Best Known Bomber, Minneapolis, Minn., Zenith Press, 2012, p. 64-66.
  30. Voir le commentaire du Captain (Ă  la retraite) Phil C. Watson, officier de contrĂŽle de missiles Minuteman de l’USAF, sur la prĂ©cision des premiers ICBM, Ă  l’adresse https://nsarchive.wordpress.com, 8 novembre 2011. « US War Plans Would Kill an Estimated 108 Million Soviets, 104 million Chinese, and 2.3 Million Poles : More Evidence on SIOP-62 and the Origins of Overkill Â».