Opinions

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Des soldats américains se tiennent près d’une batterie de missiles surface-air Patriot, à une base de l’armée située à Morag (Pologne)

Le choix du système Patriot par la Pologne

par Debalina Ghoshal

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Dans le cadre de son programme Wisla, la Pologne a décidé de signer une entente pour acheter le système de défense aérienne et antimissile Patriot. Ce marché d’une valeur de 5,6 milliards $US a été conclu en vertu du programme polonais Narew. L’élargissement et la modernisation de son système de défense antimissile est un élément clé de la modernisation militaire du pays. Lors des étapes de planification initiale, la Pologne a aussi envisagé sérieusement le déploiement du Système de défense aérienne élargie à moyenne portée (MEADS). En 2014, neuf entreprises ont soumissionné pour le programme de défense aérienne et antimissile à moyenne portée, soit MBDA, Thales, Israel Aerospace Industries, MEADS, Rafael, Aselsan, Kongsberg, Diehl BGT Defense et la polonaise PGZ. Toutefois, la Pologne a par la suite décidé d’employer uniquement des systèmes aux capacités de défense éprouvées lors des opérations, laissant de côté les systèmes encore en développement. Elle a ainsi rejeté le MEADS, choisissant plutôt le système Patriot, parvenu à maturité et déjà éprouvé. De plus, au fil des ans, la Pologne avait étudié la possibilité d’utiliser les systèmes proposés pour son programme de défense aérienne et antimissile, vérifiant si ces systèmes pourraient assurer une couverture de 360 degrés.

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Le ministre de la Défense de la Pologne, Antoni Macierewicz

En 2015, le nouveau gouvernement de la Pologne, dirigé par le parti Droit et Justice (PiS), a accéléré le processus d’appel d’offres pour faire l’acquisition de neuf batteries offrant au pays une capacité de défense aérienne à courte portée. Cependant, l’entente pour l’achat du système Patriot a par la suite ralenti sous le nouveau gouvernement, malgré que la Pologne ait affirmé son intention d’acheter le système. Le délai dans la décision d’aller de l’avant était lié au prix élevé et à la date de livraison lointaine du système Patriot, selon le ministre de la Défense Antoni Macierewicz. Le système Patriot est déjà employé en Europe par l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, les États-Unis, les Pays-Bas et la Pologne. Les Pays-Bas, les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne l’ont aussi déployé en Turquie, bien que les États-Unis, les Pays-Bas et l’Allemagne l’aient ensuite retiré de ce pays. Il était donc évident que la Pologne allait chercher à obtenir une capacité de défense assurant l’interopérabilité avec ses alliés de l’OTAN. À présent, la Pologne fera probablement l’acquisition du PAC-3 (MIM-104F), la version de défense avancée du système Patriot, puisqu’elle accueille déjà des rotations d’entraînement d’une batterie de Patriot états-unienne munie du PAC-2 (MIM-104C). Son expérience antérieure avec l’ancien système Patriot signifie qu’il serait plus facile pour la Pologne d’assimiler et d’exploiter les systèmes avancés PAC-3. De plus, Raytheon a aussi accepté de développer le nouveau système conjointement avec la Pologne.

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Des soldats polonais et américains regardent une batterie de défense anti-missiles Patriot, pendant un exercice interarmées en campagne, à Sochaczew (Pologne).

Le nouveau système polonais de défense antimissile constituera une composante de l’approche adaptative progressive en Europe, qui devrait être opérationnelle à partir de 2018. En mai 2016, les États-Unis ont rendu opérationnel, au coût de 800 M$, le bouclier antimissile Aegis Ashore en Roumanie, à la base aérienne éloignée de Deveselu. La Pologne a aussi accepté d’accueillir des composantes à terre du programme Aegis de défense contre les missiles balistiques, qui prévoit l’utilisation du système de combat Aegis BMD 5.1 et d’intercepteurs SM-3 IB et IIA.

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Des représentants américains et roumains, lors de la cérémonie d’inauguration des travaux de construction de l’installation de défense anti-missiles des États-Unis Aegis Ashore, à Deveselu, le 28 octobre 2013

À l’est, la Pologne ne voit pas d’un bon œil l’expansion de la Russie en Europe. Elle redoute l’expansion russe, surtout en ce qui concerne les rapports suggérant que la Russie prévoie déployer des missiles nucléaires tactiques à Kaliningrad, une enclave russe entre la Pologne et les pays baltes – la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie. Varsovie a déclaré que ces manœuvres sont troublantes et alarmantes. L’appréhension de la Pologne est justifiée par l’histoire. En septembre 1939, malgré la signature d’un pacte de non-agression avec la Pologne en 1932, l’Union soviétique a envahi le pays et persécuté un nombre incalculable de Polonais. Après la Seconde Guerre mondiale, la Pologne a aussi perdu une partie de son territoire au profit de l’Union soviétique quand elle est devenue signataire du pacte de Varsovie. Le pays a obtenu son indépendance seulement après la Guerre froide. Depuis le conflit entre la Russie et la Géorgie et la crise ukrainienne, les inquiétudes de la Pologne se sont intensifiées. La Pologne croit que la Russie tente de reprendre le pouvoir qu’elle a perdu après la chute de l’Union soviétique, aspiration qui pourrait affecter profondément la Moldova, la Géorgie, la Pologne et les pays baltes.

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Le président de la Russie, Vladimir Poutine

La Russie a exprimé ses préoccupations en ce qui concerne le déploiement de défenses antimissiles par les États-Unis et l’OTAN en Europe. Elle croit que le système de défense annule sa capacité de dissuasion nucléaire et crée une instabilité stratégique. En fait, en 2016, un porte-parole du président russe a déclaré que le déploiement du système ABM constitue une menace pour la sécurité nationale de la Fédération de Russie. Cependant, l’OTAN a répété à la Russie que le système de défense antimissile ne vise pas la Russie, mais est plutôt déployé en Europe pour contrer la menace des missiles balistiques iraniens.

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Un système lance-missiles mobile à courte portée Iskander (nom de code de l’OTAN : SS-26 Stone), fait part du défilé de la Victoire sur la place Rouge en 2010

Moscou voit aussi sa décision de stationner une capacité de missiles nucléaires à Kaliningrad comme un droit et une réaction logique à une menace de défense antimissile provenant des États-Unis. Néanmoins, en 1991, la Russie s’était engagée à ce que les pays baltes soient et demeurent exempts d’armes nucléaires. La Pologne et les pays baltes s’inquiètent que la Russie se soustraie à cet engagement. Le ministre Macierewicz craint que le déploiement de missiles Iskander par la Russie à Kaliningrad menace la Pologne et l’Allemagne et, en conséquence, voit en un système de défense antimissile un moyen dissuasif crédible face à ces menaces.

Debalina Ghoshal est une chercheuse universitaire au Centre for Human Security Studies d’Hyderabad. Ses recherches se concentrent sur les études stratégiques, la sécurité nucléaire et les questions touchant les missiles et la défense antimissile. La Federation of American Scientists, RUSI News Brief, The Diplomat, Yale Global, Defence Review Asia et The European – Security and Defence Union ont publié ses articles, pour ne nommer que ceux-là.