Critiques de livres

Couverture de l’ouvrage « Capturing Hill 70: Canada’s Forgotten Battle of the First World War »

Capturing Hill 70 : Canada’s Forgotten Battle of the First World War

par Douglas E. Delaney et Serge Marc Durflinger (éd.)
Vancouver, UBC Press, 2016
xii+273 pages, 34,95 $ (couverture rigide)
ISBN : 9780774833592

NOTA : Parmi les autres auteurs figurent Tim Cook, Robert Engen, Robert T. Foley, Nikolas Gardner, J.L. Granatstein, Mark Humphries et Andrew Iarocci.

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Critique de John R. Grodzinski

La prise de la cote 70 et la lutte ultérieure pour la ville industrielle de Lens, en France, ont eu lieu entre la victoire emblématique remportée à la crête de Vimy et l’horrible bataille de Passchendaele : rien d’étonnant, donc, à ce que ces deux événements soient à peine connus de la population canadienne. En août 1917, le Corps canadien a mené une bataille coûteuse, bien que victorieuse, dont l’exécution a été aussi novatrice que celle de l’assaut lancé plus tôt contre la crête de Vimy. L’essai intitulé Capturing Hill 70 redonne à la conquête de la cote 70 la place qui lui revient de droit parmi les grandes victoires enregistrées par le Corps canadien. Les neuf essais constituant ce volume, tous rédigés par un éminent historien canadien et explorant un thème différent, atteignent cet objectif. L’originalité de ces études et le degré d’érudition qui les imprègne confèrent à l’ouvrage Capturing Hill 70: Canada’s Forgotten Battle of the First World War une place au rang des meilleurs livres historiques à paraître au cours du centenaire de la Grande Guerre.

Les combats livrés pour conquérir la cote 70 et Lens découlaient du succès obtenu par les Britanniques à Messines, en juin 1917, et de la troisième bataille d’Ypres, l’offensive des Flandres qui a été déclenchée le mois suivant. Le Field Marshal Douglas Haig, commandant de la British Expeditionary Force, a proposé une poussée depuis la côte belge qui devait amorcer l’effondrement des lignes allemandes. La First Army britannique, qui comprenait le Corps canadien, a reçu l’ordre d’empêcher l’ennemi d’envoyer des renforts aux défenseurs qui faisaient face à l’offensive britannique principale au nord, en prenant Lens et en menaçant Lille. Le lieutenant-général Arthur Currie, dont l’annonce de l’accession au titre de chevalier allait être faite en janvier 1918 dans la liste des honneurs et qui venait d’être nommé commandant du Corps canadien chargé de prendre la ville, n’aimait pas le plan que son commandant d’armée avait dressé et qui aurait obligé les Canadiens à attaquer Lens de front. Currie a donc réussi à faire approuver sa proposition de prendre la cote 70, un emplacement important au nord de la ville, proposition dont l’exécution rendrait intenable la position allemande à Lens. C’est cette opposition audacieuse aux ordres de son supérieur qui allait donner à Currie la réputation d’un commandant hardi et novateur personnifiant l’indépendance grandissante du Canada par rapport à l’Empire. Trois semaines ont ensuite été consacrées à la préparation de l’offensive.

Menant une attaque magistralement planifiée et bien exécutée qui a commencé le 15 août 1917, les Canadiens ont rapidement enfoncé les lignes des défenseurs et, au cours des trois jours suivants, près de 1 900 membres du Corps canadien ont été tués ou blessés, alors que celui-ci résistait aux contre-attaques répétées des Allemands. Sur le plan tactique, la victoire a été merveilleuse. L’attention s’est ensuite tournée vers Lens. Au lieu d’agir comme le prévoyaient les Britanniques et les Canadiens, c’est-à-dire d’évacuer Lens après avoir perdu la cote 70, l’ennemi n’a pas bougé et a transformé en un échec coûteux l’assaut canadien préparé à la hâte et exécuté au petit bonheur contre une zone bâtie, un environnement que les Canadiens connaissaient mal. Le Corps canadien n’avait pas réussi à atteindre son objectif final quand l’offensive a pris fin le 25 août; sa victoire à la cote 70 est devenue moins complète qu’à la crête de Vimy, et c’est ainsi qu’elle a bientôt sombré dans l’oubli, car les Allemands sont restés maîtres de Lens jusqu’au printemps suivant.

Les essais regroupés dans Capturing Hill 70 explorent le commandement (relations entre les commandants de la First Army et le Corps canadien, le commandant de la division, les états-majors de formation et les procédures d’état-major, et évaluation de Currie en sa qualité de commandant de corps d’armée), l’emploi d’armes et de services particuliers (armes chimiques, armes à tir indirect, transports, approvisionnement et services médicaux), la politique et les effectifs, ainsi que le patrimoine laissé par la bataille. L’originalité des thèmes transparaît dans des passages dénonçant le peu d’attention accordé antérieurement (p. 31) à un sujet particulier ou le fait que l’on n’ait pas « examiné sérieusement » (p. 78) ces deux batailles, et elle se remarque dans chaque chapitre. Ces pages contiennent une nouvelle matière abondante.

Dans son essai intitulé « The Best Laid Plans: Sir Arthur Currie’s First Operations as Corps Commander », Mark Osborne Humphries examine magnifiquement le rendement d’Arthur Currie au cours de cette campagne. Les historiens et les analystes nationalistes présentent l’audacieuse critique de Currie à l’égard de son supérieur, de même que la façon dont il a su convaincre le General sir Henry Horne des avantages qu’entraînerait la prise de la cote 70 en premier, comme une confirmation de l’indépendance croissante du Corps canadien et une preuve de l’émergence d’une façon canadienne de faire la guerre. D’autres mettent en lumière le professionnalisme grandissant de Currie, un simple officier de la milice coloniale qui s’est élevé à contre-courant jusqu’au niveau des commandants de corps d’armée, en dépit de l’élitisme social déshumanisé du corps des officiers britanniques. Humphries tempère d’une manière convaincante cet orgueil nationaliste démesuré. Currie a effectivement exprimé ses opinions à des officiers qui lui étaient supérieurs et il a bel et bien fait valoir son point de vue (p. 98) avec une grande habileté, mais en raison de son inexpérience, il a fait preuve d’un optimisme exagéré en supposant que Lens tomberait sans coup férir, une fois la cote 70 perdue par les défenseurs. Currie a montré qu’il était aussi vulnérable à l’attrait d’un objectif prestigieux que beaucoup d’autres commandants de la Grande Guerre (p. 98) lorsqu’il s’est prononcé en faveur d’une attaque directe contre les principales défenses ennemies : l’assaut infructueux contre Lens a coûté 1 154 tués et blessés au Corps canadien. Quoi qu’il en soit, Currie a manifesté les qualités qui, une fois raffinées, allaient en faire un excellent commandant de corps d’armée.

L’historien Andrew Iarocci décrit une autre « victoire canadienne » dans un chapitre intitulé « Sinews of War: Transportation and Supply ». L’utilisation novatrice de voies ferrées étroites pour remédier au manque de véhicules de transport motorisés, qui a permis au Corps canadien d’acheminer des canons et des obus, de ravitailler les unités et d’évacuer les pertes humaines, a suscité des plaintes de la part de la First Army de Horne et du General Headquarters de Haig. La construction et l’utilisation des voies ferrées étroites légères, a rappelé l’état-major aux Canadiens, relevaient du General Headquarters. Le Corps canadien, a-t-il ajouté, était autorisé à construire ses propres voies ferrées dans la mesure où les wagons seraient tirés par des chevaux ou poussés par des hommes; or, cette restriction a rendu le transport des obus lourds difficile, et le mouvement des canons impossible. Currie a alors fait valoir de façon convaincante que l’horaire des trains imposé par les échéanciers des échelons arrière plutôt que par les exigences tactiques mettait les troupes en danger; il a ainsi obtenu la permission de continuer à se servir de trains mus par des locomotives à vapeur et à charbon, plutôt que par des chevaux ou des hommes. Cette victoire importante, quelque peu moins spectaculaire que le succès remporté par Currie face à un commandant d’armée, a compté parmi les nombreuses situations qui ont révélé que les commandants et les états-majors canadiens devenaient de plus en plus habiles à se servir des armes de combat et des services de soutien. Les pratiques novatrices adoptées pour les opérations logistiques, les solides compétences en matière de commandement, le bon travail d’état-major et les admirables qualités manifestées au combat ont été des caractéristiques du Corps canadien en 1917, mais en mettant ces atouts exclusivement sur un pied d’égalité avec les outils utilisés pour bâtir un pays ou le mener à l’indépendance, on altère la réalité de l’époque.

Comme l’ouvrage Capturing Hill 70 le fait voir, les caractéristiques particulières du Corps canadien – l’affiliation permanente de ses quatre divisions, la structure des brigades d’infanterie reposant sur quatre bataillons et la brigade d’artillerie supplémentaire au niveau du corps d’armée – n’ont rien changé au fait qu’il faisait partie intégrante d’une armée impériale plus grande, à savoir la British Expeditionary Force. Les Canadiens et leurs frères d’armes de l’Empire avaient en commun les procédures d’état-major, les méthodes d’entraînement, l’équipement, les armes et la tenue, les procédures d’état-major de l’artillerie et de nombreuses valeurs. Des officiers britanniques occupaient aussi plusieurs postes clés de commandement et d’état-major dans tout le Corps canadien. Cela ne diminue en rien les réalisations des soldats canadiens, mais renforce plutôt le fait que le jeune Dominion était un membre « adhérent » de l’Empire britannique et qu’il participait volontairement à la lutte livrée par l’Empire pendant la Grande Guerre. Il peut sembler paradoxal que la naissance présumée de l’indépendance canadienne issue de la Grande Guerre n’ait pas été suscitée par le déclin du sentiment impérialiste. La conquête de la cote 70 a été une des nombreuses batailles qui ont engendré ces idées chez les Canadiens.

Comme le souligne l’historien Doug Delaney dans l’introduction, la plupart des Canadiens ne savent rien de ce qui s’est passé à la cote 70. Les quelque 20 amis et membres de sa famille à qui il a demandé de nommer des batailles de la Première Guerre mondiale ont cité les noms bien connus tels que la Somme, la crête de Vimy et Passchendaele. Personne n’a mentionné la cote 70. Ce livre remédie au manque d’intérêt manifesté par les historiens à l’égard de la bataille de la cote 70 et il fait connaître celle-ci au grand public. L’ouvrage Capturing Hill 70 dévoile « certains éléments manquants » (p. 26) [TCO] de l’histoire et rend pleinement justice aux dizaines de milliers de Canadiens qui ont pris part à cette bataille. Dans le cadre d’une initiative connexe, lancée par le Projet du monument commémoratif de la cote 70 (http://www.hill70.ca/?lang=fr-CA) – qui a contribué financièrement à la publication de l’ouvrage Capturing Hill 70 –, sera inauguré en 2017 un monument érigé à la mémoire des soldats canadiens qui ont combattu et sont tombés à la cote 70.

Le livre Capturing Hill 70: Canada’s Forgotten Battle of the First World War incite à la réflexion et est digne d’attention. En présentant cette importante bataille sous un nouveau jour et en offrant de nouveaux points de vue sur le leadership d’Arthur Currie et sur les opérations du Corps canadien, il nous aide sensiblement à mieux comprendre une période déterminante de l’histoire militaire du Canada.

Le major John R. Grodzinski, C.D., Ph. D., est professeur agrégé d’histoire au Collège militaire royal du Canada.