Critiques de livres

Couverture de l’ouvrage « Churchill and His Airmen: Relationships, Intrigue and Policy Making 1914-1945 »

Churchill and His Airmen: Relationships, Intrigue and Policy Making 1914-1945

par Vincent Orange
London, Grub Street, 2013
314 pages; index, bibliographie, cartes (2), photographies, aucune note de bas de page.
25,91 $US – couverture rigide
10,85 $US – Kindle
ISBN-10 : 1908117362
ISBN-13 : 978-1908117366

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Critique de Randall Wakelam

Au cours des premiers jours d’août 2016, le vice-chef d’état-major de la défense sortant et son remplaçant ont tous deux affirmé que les politiciens intervenaient trop souvent dans la gestion des affaires militaires1. Les personnes qui ont lu l’article du Toronto Star à ce propos pourraient se demander quels rapports les intervenants gouvernementaux, tant les politiciens que les employés de bureau, entretiennent avec les membres de leurs forces armées. Quoi de plus à propos, alors, que d’examiner le rôle qu’a joué la Royal Air Force, le premier service aérien indépendant du monde, à travers la lentille de l’une des grandes personnalités politiques du siècle dernier, sir Winston Churchill?

C’est justement ce que l’auteur, Vincent Orange, a fait : il traite du rapport de Churchill avec la puissance aérienne britannique, du technique au stratégique. L’association a duré longtemps, au-delà de la période indiquée dans le titre du livre, et de nombreux lecteurs seront surpris d’apprendre que Churchill avait imaginé les possibilités que présentait la puissance aérienne bien avant le tir des premières salves de la Première Guerre mondiale, qu’il a appris à piloter un aéronef en 1909 et qu’il a pressenti la menace potentielle que posait cette puissance aérienne pour la Grande-Bretagne. La lecture des faits présentés concernant Churchill et la situation complexe et parfois chaotique du Parlement et du Cabinet pourrait bien être riche en enseignements pour les personnes qui connaissent mieux le domaine de la puissance aérienne que celui des considérations politiques de haut niveau. Churchill a d’abord été élu comme membre de la Chambre des communes britanniques en 1900, puis il a occupé un certain nombre de postes au sein du Cabinet avant de devenir le premier lord de l’Amirauté, c’est-à-dire le ministre responsable de la Royal Navy, en 1911. Il a entrepris à ce titre de moderniser la Royal Navy, entre autres en faisant valoir l’importance de produire des aéronefs, tant les dirigeables que les avions. Churchill, infatigable homme d’action, a été l’un des principaux défenseurs de la campagne des Dardanelles menée en 1915, qui s’est soldée par une série de revers désastreux dans la péninsule de Gallipoli et l’a obligé à quitter ses fonctions au Parlement pour passer plusieurs mois à la tête d’un bataillon d’armée sur le front occidental. De retour à la Chambre des communes, à la fin de 1916, Churchill a été nommé ministre de l’Armement, une fonction ingrate à cette époque, car tout au long de la guerre, la Grande-Bretagne a eu du mal à produire des munitions de bonne qualité en quantité suffisante, sans compter les moteurs des aéronefs et avions.

À la fin de la guerre, Churchill a été nommé ministre de la Guerre et secrétaire d’État de l’Air, et il est parvenu à convaincre le Cabinet de la nécessité de mettre en place les fondations qui allaient garantir la continuité de la nouvelle Royal Air Force (RAF) en temps de paix, à titre d’élément aérien indépendant. Toutefois, tout aussi partisan de la RAF qu’il ait pu être, il a également été forcé par le contexte national à promouvoir la fameuse « règle de dix ans », qui stipulait que la Grande-Bretagne ne pourrait pas participer à un conflit important durant les dix années à venir, ce qui lui permettrait de réduire au minimum ses dépenses en matière de défense. La situation géopolitique allait être réévaluée chaque année, et l’évaluation marquerait le début d’une nouvelle période de dix ans. Ce n’est qu’au moment où la menace que posait Hitler a commencé à planer sur l’Europe, en 1933, que les montants alloués à la défense ont augmenté. De 1924 à 1929, Churchill a occupé le poste de chancelier de l’Échiquier, soit l’équivalent de celui du ministre des Finances, et il a fait tout ce qu’il a pu à ce titre pour restreindre les dépenses militaires. Mal vu par la direction du Parti conservateur durant toutes les années 1930, Churchill est néanmoins parvenu à rester informé des nouveaux développements sur le plan de la défense, y compris des progrès accomplis dans les cercles de la force aérienne et de la technologie.

Le Churchill que la plupart des lecteurs connaissent assez bien est celui qui a joué le rôle de premier ministre du Royaume-Uni de 1940 à 1945. Durant ces années, il a dirigé bravement, mais non sans se mêler de choses qu’il aurait peut-être mieux fait de laisser à ses chefs militaires. Nous le constatons en lisant l’exposé que fait Vincent Orange sur la bataille d’Angleterre, sur la campagne de Norvège menée la même année et sur le rôle qu’a joué Churchill dans d’autres campagnes de plus longue durée, comme la bataille de l’Atlantique, les campagnes menées dans la Méditerranée et dans la partie nord-ouest de l’Europe et la campagne de bombardement stratégique. Nous constatons aussi que Churchill était indifférent, dans l’ensemble, à ce qui se passait dans l’Asie du Sud-Est.

Durant les décennies qui nous intéressent, Churchill a eu affaire à bon nombre de hauts dirigeants des services d’aviation britanniques et a été en accord avec certains et en désaccord avec d’autres, et comme cela a été le cas durant la majeure partie de sa vie politique, il a cherché à imposer ses idées, aussi justes ou peu judicieuses qu’elles aient été. Dans son ouvrage, le professeur Orange a entrepris de décrire les relations entre le gouvernement et la force aérienne, c’est-à-dire entre des dirigeants des deux organisations, mais il n’a pas atteint son but à bien des égards. Avant de présenter les imperfections du livre, je dois mentionner que l’auteur est décédé en 2012 et que la maison d’édition Grub Street a publié son ouvrage même s’il n’a pu le revoir pour y donner la touche finale, comme il avait eu l’intention de le faire.

Par conséquent, les lecteurs auront en main un ouvrage qui, dans l’ensemble, expose les faits dans un ordre chronologique, chapitre par chapitre, mais dont certaines parties sont tout de même restées nébuleuses ou répétitives. Des passages semblent avoir été coupés ou regroupés de façon sommaire; en effet, presque tous les chapitres paraissent être dépourvus d’un thème central. Les chapitres inachevés comportent un grand nombre de titres de section qui devraient normalement indiquer la présentation d’un nouveau sujet, mais le sujet exposé dans chacune des sections n’a dans bien des cas aucun lien avec le titre. Certaines sections ne consistent qu’en un court paragraphe, ce qui est fort frustrant. En outre, la plupart des chapitres ne comportent pas d’introduction ni de conclusion. Le problème de l’absence de thème ou de thèse commence dès la première page : le professeur Orange entreprend d’expliquer les rapports de Churchill avec les aéronefs, la puissance aérienne et les aviateurs sans avoir préalablement exposé en quoi consistait sa thèse ou l’objet de son livre. Ce n’est qu’à la lecture d’une brève conclusion que nous comprenons en quelque sorte que l’auteur voulait traiter des points faibles et des points forts de Churchill au regard des commandants supérieurs de la force aérienne et de la politique sur la puissance aérienne.

La décision que semble avoir prise le professeur Orange de publier le livre sans notes de bas de page, pour en faciliter la lecture aux non-initiés, selon l’éditeur, est aussi fort frustrante2. Que l’absence de sources puisse faciliter la lecture relève quelque peu du mystère. L’auteur se contente de mentionner en passant le nom de certains auteurs, mais d’une manière qui ne permettrait pas aux non-initiés de savoir à qui il fait référence, et il emploie à l’occasion des guillemets simples. Ce manque de « finesse » se voit aussi dans d’autres aspects; par exemple, l’index comporte des lacunes, et certains faits sont présentés de façon erronée ou omis. Dans un passage du livre, l’auteur, qui est né en Grande-Bretagne, mais qui a vécu en Nouvelle-Zélande pendant des décennies, mentionne les pays qui ont affecté des pilotes au Fighter Command en 1940, dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais ne fait aucunement mention du rôle qu’a joué le Canada3. Dans un autre passage, il traite de la recherche opérationnelle menée au sein du Bomber Command et fait référence à un livre de Wakelam, sans toutefois en indiquer le titre dans sa bibliographie4. Dans un troisième passage, le professeur Orange donne un certain nombre de renseignements sur le commandant d’escadre Charles Anderson, qu’il décrit comme étant « sans doute l’un des plus importants officiers de la RAF à avoir communiqué régulièrement avec Churchill dans les années 1930 ». [TCO] Et pourtant, le nom d’Anderson ne figure pas dans l’index, et nous n’avons droit qu’à un bref portrait de cet officier et du rôle qu’il a joué, dans le dernier paragraphe de la section où il est question de lui5.

Le livre comporte de graves lacunes, mais le professeur Orange s’est donné une tâche d’envergure comme dernier projet. Qu’il n’ait pas atteint son but en raison de problèmes de santé, et finalement de son décès, ne devrait pas nous empêcher de reconnaître les qualités de son ouvrage.

Le colonel (à la retraite) Randall Wakelam, CD, Ph. D., membre de la Société royale d’histoire et ancien pilote de la Force aérienne, est professeur adjoint d’histoire au Collège militaire royal du Canada. Il a publié deux livres et de nombreux articles sur la puissance aérienne.

Notes

  1. Voir par exemple The Toronto Star, à l’adresse https://www.thestar.com/news/canada/2016/08/05/lt-gen-guy-thibault-slams-level-of-bureaucratic-involvement-in-military.html; article consulté le 6 août 2016.
  2. P. 6.
  3. P. 145.
  4. Wakelam est après tout le critique de l’ouvrage présenté, et son livre, The Science of Bombing, n’est pas mentionné. Comment les non-initiés désireux de pousser leur recherche sur ce sujet pourraient-ils le faire dans de telles conditions?
  5. P. 102.