ÉTHIQUE DE LA DÉFENSE ET SPIRITUALITÉ

Aumônier avec un crucifix.

Service de l’aumônerie/Claude Pigeon

La résilience spirituelle au sein des Forces armées canadiennes

par Derrick Marshall et Yvon Pichette

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Le major Jon Derrick Marshall, aumônier, CD, D. Min., a été ordonné ministre baptiste en 1991. Il s’est ensuite enrôlé dans les Forces canadiennes en tant qu’aumônier protestant, en 1997, puis il a servi largement à ce titre au pays et dans le cadre de diverses opérations menées à l’étranger. Il occupe actuellement un poste d’aumônier principal à l’Unité de soutien des Forces canadiennes Ottawa.

Le lieutenant-colonel (retraité) Yvon Pichette, aumônier, CD, Ph. D., a récemment pris sa retraite des Forces armées canadiennes, à la fin d’une longue carrière bien remplie d’aumônier des Forces armées canadiennes. Durant sa dernière période d’affectation, il occupait le poste d’aumônier principal auprès du commandant de la 2e Division du Canada.

Introduction

Il s’écrit et se dit bien des choses, de nos jours, sur les Forces armées canadiennes (FAC) et sur la résilience des soldats, des marins et des aviateurs, dans la foulée des opérations militaires de plus en plus complexes, difficiles et éprouvantes. Ces missions ont porté un dur coup aux militaires et à leurs familles, tant sur les plans physique, psychologique que spirituel. Dans le cadre du programme En route vers la préparation mentale (RVPM) du ministère de la Défense nationale, la « résilience » se définit comme suit :

« […] la capacité d’un soldat de récupérer rapidement, de résister et peut-être même de s’épanouir lorsqu’il est exposé directement ou indirectement à des événements traumatisants et à des situations difficiles en garnison, à l’entraînement ou dans le cadre d’opérations. Le rétablissement après des épreuves physiques et mentales des plus intenses dans le contexte militaire est axé, à court terme, sur la mission à laquelle le soldat est en train de participer, mais est aussi nécessaire à long terme, c’est-à-dire tout au long de sa carrière. »

Par conséquent, les FAC élaborent actuellement leur propre concept de ce que constitue la « résilience » de leur personnel, ainsi qu’un réseau complexe d’organisations et de programmes axés sur la résilience. Ces programmes se veulent à la fois proactifs, c’est-à-dire qu’ils visent à « immuniser » le personnel militaire avant les opérations, et réactifs, par le biais de stratégies et de programmes de redéploiement et de réintégration. Ils ont pour objectif d’aider les membres du personnel militaire et leurs familles à se préparer en vue du stress opérationnel avant les déploiements, et à trouver des sources de résilience en cas de stress opérationnel après les déploiements.

De récentes recherches ont mis en lumière les ressources auxquelles l’humain a recours pour affronter l’adversité. Ces recherches ont révélé des sources de résistance, d’autopréservation et d’ingéniosité dans les moments et les expériences difficiles1. Les chercheurs ont commencé à utiliser le concept et le terme « résilience » au sens métaphorique dans le contexte des sciences psychosociales. Ils ont exploré les mécanismes psychologiques et sociologiques qui confèrent de la résistance à l’adversité en lien avec les facteurs qui diminuent le risque, le stress et la vulnérabilité.

Dans un contexte philosophique et théologique, la « résilience » comprend également des ressources éthiques, spirituelles et religieuses qui incitent les gens à affronter activement l’adversité, leur permettent de résister à la diminution ou à la suppression de leurs capacités ou qui renforcent leurs capacités dans des situations difficiles en faisant valoir leurs ressources et leurs compétences spirituelles.

Les problèmes de santé mentale ne sont pas le propre des militaires qui participent à des opérations de déploiement; [aux yeux de certains] il n’existe pas de lien direct entre les opérations de déploiement et le suicide. Les conclusions suivantes [qui représentent un point de vue] sont tirées de l’ouvrage intitulé Le suicide dans les Forces canadiennes, de 1995 à 2012 :

  1. Il n’y a pas eu de changements statistiquement significatifs dans les taux de suicide chez les hommes des FAC entre 1995 et 2012;
  2. Le taux de suicide est plus bas que celui de la population canadienne en général lorsqu’il est normalisé selon l’âge et le sexe;
  3. Les antécédents de déploiement ne sont pas un facteur de risque de suicide au sein des FAC2.

Voilà qui pourrait expliquer pourquoi les problèmes associés à la résilience surviennent également dans un contexte civil, comme le révèlent l’examen et l’analyse de groupes professionnels comme ceux de pompier, de secouriste opérationnel, etc. Le présent article porte sur les questions de santé mentale et de résilience spirituelle du personnel de toute l’Équipe de la défense, qu’il ait participé ou non à un déploiement, puisque la résilience spirituelle peut constituer un défi pour chacun d’entre nous.

Un membre de l’équipe d’arraisonnement de navires améliorée monte à bord d’un navire de guerre portugais en mer.

Photo du MDN ET2015-5103-003, par le caporal Stuart MacNeil

Comment définissons-nous la résilience psychologique et spirituelle?

Le Service de l’aumônerie royale canadienne (SAumRC) définit la résilience spirituelle par « la capacité de récupérer la force émotionnelle, psychologique et physique requise pour s’adapter à tout défi et à tout changement traumatique3 ». Cette définition correspond, dans le présent article, au type de résilience dont il sera question.

Au sein des FAC, la résilience est constituée des cinq piliers suivants :

  1. Pilier physique – c’est-à-dire le maintien de la santé grâce à l’activité physique, à l’alimentation et à un sommeil réparateur4.
  2. Pilier psychologique – d’après les psychiatres Steven Southwick et Dennis Charney, auteurs du livre intitulé Resilience: The Science of Mastering Life’s Greatest Challenges, la résilience psychologique est une aptitude multidimensionnelle à se plier sans se briser sous le poids du stress de la vie. Une personne peut se révéler très résiliente sur le plan professionnel, mais moins dans ses relations, et cette résilience peut fluctuer au fil des différentes étapes de la vie5. Les psychologues Susan Folkman et Richard Lazarus affirment ce qui suit :
    « La gestion du stress suppose l’acceptation, la tolérance, l’évitement ou la diminution du facteur stressant, ainsi que l’acquisition de la maîtrise de l’environnement; ces processus semblent essentiels à la gestion du stress. Tout ce que nous faisons pour nous adapter aux défis et aux exigences du stress, par l’intermédiaire de correctifs qui visent à atténuer les répercussions du stress, peut se définir comme autant de stratégies d’adaptation. L’adaptation peut donc être considérée comme des changements constants dans la cognition et l’utilisation des efforts comportementaux pour atténuer les demandes externes et internes qui sont perçues comme étant « éprouvantes » (Cummings, 1991) ou qui dépassent les ressources d’une personne6. » [TCO]
  3. Pilier spirituel – la spiritualité est le cœur et l’âme du bien-être, et le moteur du mieux-être. Le pilier spirituel se rapporte au système de valeurs d’une personne (éthique, boussole morale), à la quête de sens et de dessein de vie, aux expériences et aux liens avec les autres.
  4. Pilier social – se rapporte aux bonnes relations avec la famille, les amis, la collectivité et les autres, avec lesquels sont partagées des valeurs, des croyances ou des engagements satisfaisants ou enrichissants sur le plan personnel7.
  5. Pilier émotionnel – se rapporte au mode de gestion des réactions émotives aux événements, telles que la joie, la colère, la peur, ainsi de suite; toutes ces réactions peuvent se répercuter sur l’état d’être. Ce pilier suppose également l’état psychologique, comme l’estime de soi, les aptitudes intellectuelles ou cognitives (capacités de résolution de problèmes, d’analyse, de mémorisation, etc.8).

D’après l’experte en prise de décisions éthiques en matière de défense, Mme Deanna Messervey, Ph. D., il existe toutefois deux types de processus décisionnels éthiques. Le premier est le traitement automatique (jugement intuitif), qui suppose un système rapide et sans effort, c’est-à-dire autonome (qui ne nécessite pas une attention contrôlée), et qui se situe sous le niveau de conscience d’une personne. Le deuxième est le traitement délibéré (jugement éclairé), qui se fait généralement selon un processus lent et volontaire et qui est lié à la mémoire centrale (attention contrôlée), ce qui suppose donc une décision consciente9.

Il est évident que les FAC souhaitent obtenir un consensus en ce qui concerne le besoin d’aborder la résilience de manière holistique, comme on le mentionne dans le troisième pilier, ce qui comprend la dimension spirituelle.

Un aumônier discute avec des acteurs non combattants durant un exercice.

Photo du MDN VL08-2016-0020-011, par le sergent Marc-André Gaudreault

Dans la vie contemporaine des Canadiens, compte tenu des visées officiellement laïques de l’État, la religion et la spiritualité ont-elles une place légitime dans la sphère publique?

Certains penseurs publics répondraient par un « non » bien senti à cette litigieuse question; d’autres soutiennent toutefois que les leaders publics doivent reconnaître et gérer la spiritualité et la religion, comme c’est le cas de toute autre grande doctrine. Autrement dit, l’État doit tenir compte du spectre entier de la personne humaine – dont la religion et la spiritualité – et doit le faire dans un esprit holistique. Dans ce contexte, nous entendons par « religion » toute réponse organisée et institutionnalisée aux croyances spirituelles de l’humain qui reposent sur une révélation transcendante, une révélation générale et particulière, ce qui se traduit par des valeurs et un code de comportement éthique particuliers10.

À titre d’exemple, comme on le mentionnait récemment dans un éditorial du National Post11, de l’Ottawa Citizen12, et du Globe and Mail, le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense suggère que la création d’un registre des imams musulmans serait un excellent moyen :

« […] de permettre à l’État de déterminer qui est autorisé à prêcher et à enseigner quelle religion et implicitement, ce que ces personnes peuvent dire lorsqu’elles prêchent et enseignent13. »[TCO]

Les auteurs ne souhaitent pas faire valoir que cette proposition est le moyen qui convient ou non pour gérer cette question, mais ils croient que l’État a la responsabilité de se tenir informé et d’intervenir d’une quelconque manière (même si la religion est bien souvent considérée comme une question strictement personnelle). En effet, ce que les membres d’un clergé croient, enseignent et prêchent influence directement la sphère publique à des degrés divers.

Sur la scène nationale, dans le contexte de l’après-11 septembre, toute tentative de reléguer la spiritualité et la religion au domaine privé, au Canada, se révèlera inefficace. Les attaques terroristes contre des établissements occidentaux au nom de la religion ou de la spiritualité ont prouvé que l’on ne peut faire disparaître la spiritualité en tentant d’en faire abstraction ou de l’éliminer, pas plus que l’on ne peut l’empêcher de toucher un plus grand nombre de citoyens. Le professeur de théologie à temps plein du Boston College, David Hollenback, a montré que les croyances spirituelles et religieuses d’une personne ou d’un groupe confessionnel privé ont une influence importante dans la vie des personnes et des groupes en question. Consciemment ou inconsciemment, ces croyances influencent leurs valeurs, soit leur façon de vivre, d’interagir avec la collectivité et la société en général, la manière dont ils votent, leur décision de s’enrôler ou non dans les forces militaires, etc., ce qui se traduit par une influence directe et indirecte sur la sphère publique14.

Un aumônier des FAC et un Afghan discutent tranquillement.

Photo du MDN AR2007-T089-05, par le caporal-chef Bruno Turcotte

À l’international, religion et spiritualité jouent encore un rôle essentiel dans d’autres sociétés, quoiqu’à des degrés différents. Les FAC ont participé à de nombreuses opérations, dont une mission de maintien de la paix en ex-Yougoslavie durant les années 1990 et des opérations en Afghanistan dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, et plus récemment, elles ont envoyé une équipe d’intervention en cas de catastrophe (EICC) dans la foulée des tremblements de terre au Népal. À la lumière de ces opérations, il est devenu évident que l’omission de tenir compte des réalités spirituelles et religieuses de ces pays, où la plupart des aspects de la vie sont fortement influencés par la conception religieuse du monde, a nui à notre efficacité opérationnelle. Dans cette optique, les FAC ont récemment élaboré une nouvelle doctrine relativement à l’analyse de la dimension religieuse (ADR) et à l’établissement de rapports avec les chefs religieux (ERCR). Cette doctrine permet maintenant à la chaîne de commandement militaire de comprendre la culture religieuse et spirituelle et les réalités « sur le terrain » dans un théâtre d’opérations donné, ce qui pourrait bien se répercuter sur la réussite de toutes les missions. L’objectif final de l’ERCR consiste à réunir tous les chefs religieux concernés qui sont actifs dans un théâtre d’opérations en vue de tenir des discussions dans le cadre d’une stratégie de résolution de conflits et du processus de paix qui en découle15.

La religion et la spiritualité ont une incidence manifeste sur les opérations, mais elles peuvent également jouer un rôle important dans la guérison de chacun des combattants qui ont pris part à ces opérations. Les soldats, marins et aviateurs qui sont considérablement affectés par leur service au public méritent tous les outils qui leur sont offerts pour se rétablir, ainsi que des soins axés sur une approche holistique. Si elle est efficace, une approche véritablement holistique devrait comprendre un élément de résilience spirituelle financé, administré et appuyé par l’État, dans le cadre de tout programme de soins de santé.

La spiritualité et la religion sont importantes pour la résilience psychologique des membres du personnel militaire et de leurs familles. Toutefois, nous ne devons pas nous demander si nous devrions mettre en œuvre un programme de résilience spirituelle, mais bien quel type de programme il faut instaurer et de quelle manière procéder, pour que les FAC le jugent efficace et acceptable pour les militaires et leurs familles. Cela suppose la recherche d’un équilibre délicat, compte tenu de la pléthore de points de vue spirituels, religieux et séculaires qui existent au sein des FAC de nos jours. À titre d’institution publique, les FAC doivent respecter la liberté de conscience de tous les membres du personnel militaire et de leurs familles; la Charte canadienne des droits et libertés garantit notamment la liberté fondamentale de conscience et de religion individuelle (religieuse, agnostique ou athée) et établit les balises du mandat du Service de l’aumônerie royale canadienne, mandat qui est énoncé dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, chapitre 33 – Services d’aumônerie16. Les aumôniers militaires canadiens ont donc pour mission de s’occuper de tous, tant au pays qu’à l’étranger dans le cadre d’opérations, en offrant un soutien religieux et spirituel à tous les militaires canadiens et à leurs familles, peu importe où ils vivent ou travaillent, pour renforcer leurs aptitudes morales et spirituelles afin qu’ils puissent répondre aux exigences du service militaire17.

Le rôle essentiel des aumôniers militaires canadiens dans un milieu aussi pluraliste, selon un éthos axé sur les soins (plutôt qu’un éthos de prosélytisme), présente son lot de défis. Pour le gouvernement canadien, il n’a jamais été une mince affaire de répondre aux besoins, aux demandes et aux perspectives concurrents des intérêts religieux, spirituels et séculaires de la sphère publique. Le Canada est l’un des seuls pays au monde à avoir tenté de séparer officiellement la religion et l’État presque entièrement, au point où certains penseurs pourraient chercher à faire abstraction complète de la religion à titre d’acteur ou de moteur d’influence sur la sphère publique. Cette intention, qui n’était pas celle des fondateurs de notre nation, est malsaine pour les groupes confessionnaux comme pour l’arène publique18. La diminution de l’interaction et de l’influence de l’État et de la religion les appauvrit tous les deux. Ailleurs dans le monde, cette séparation entre l’État et la religion est beaucoup moins nette (p. ex., aux États-Unis). Si le gouvernement du Canada se désengage entièrement de la religion et refuse d’accorder une place à la religion et à la spiritualité dans le milieu public, d’où proviendra l’influence exercée sur les écoles confessionnelles, leur financement, leurs programmes et autres, de même que sur ce qu’elles enseignent? Pour le bien de l’ensemble de la société, il serait indiqué de chercher, au Canada, à se séparer des groupes confessionnels et de leurs organisations sociales, pédagogiques et caritatives, mais non à en faire des institutions entièrement privées. Autrement, nous nous priverons de la possibilité d’établir entre l’État et la religion une influence et un dialogue réciproques et sains (par opposition à toute tentative de contrôle des sphères de responsabilités distinctes de l’un ou de l’autre).

Tout porte à croire que les pratiques religieuses et spirituelles contribuent de manière importante à la résilience et devraient donc être appuyées par un programme public de résilience19. À titre d’exemple, lors d’une activité d’instruction collective annuelle des aumôniers qui a eu lieu du 17 au 20 novembre 2014, à la 2e Division du Canada, à l’intention des aumôniers de l’Armée canadienne (AC) et d’autres membres du personnel civil et militaire, la psychologue de l’Université du Québec à Montréal, Mme Mona Abbondanza, Ph. D., spécialisée en thérapie cognitivo-comportementale pour le traitement des troubles anxieux et de la dépression chez les adultes et les personnes âgées, a souligné, dans sa présentation, la valeur des pratiques spirituelles pour le bien-être. Elle affirme ce qui suit :

« La grande majorité des recherches empiriques ainsi que le savoir clinique indiquent que la religion exerce une influence positive sur la santé mentale et le bon fonctionnement. Ceci dépasse le simple manque de pathologie ou de souffrance pour inclure des traits positifs20 […] »

Elle souligne également dans sa présentation un lien entre la religion/la spiritualité et la résilience psychologique, en raison de ses effets sur le style de vie. Règle générale, les pratiques spirituelles et religieuses régulières, chez l’adulte, sont associées à des taux moins élevés d’alcoolisme, de troubles alimentaires, de divorce, de comportements sexuels risqués, d’homicides et de participation à d’autres activités criminelles21.

Mme Abbondanza a également mis en lumière un lien entre la spiritualité et la pratique de la religion et la résilience psychologique des militaires. Des recherches sur le trouble de stress post-traumatique (TSPT) attribuable au combat montrent les incidences de la spiritualité et de la pratique de la religion sur la santé, tant pour les personnes en bonne santé que pour celles qui ne le sont pas. Chez les adultes, les pratiques religieuses et spirituelles régulières entraînent des effets positifs et permettent notamment d’acquérir une plus grande résilience face aux défis à venir, de conférer un sens et un but plus profond à la vie et de renforcer l’aptitude à recourir à des mécanismes d’adaptation en cas d’incidents importants ou de crise. À titre d’exemple, des entrevues post-déploiement de membres des Marines des États-Unis au sujet de la spiritualité, de la religion et du milieu militaire ont révélé un sens et un but à la vie qui solidifie la capacité de certains de ces militaires à utiliser des ressources d’adaptation positives lors de crises. Toutefois, le sens ou le but à la vie s’accompagne également de croyances négatives sur la sécurité, la bonté et le sens du monde; certains avaient une conception négative de leur relation avec Dieu, se croyaient punis ou abandonnés par Dieu, avaient subi une perte de valeurs spirituelles fondamentales et s’étaient éloignés de leur spiritualité ou remettaient en question leur identité spirituelle. Par ailleurs, les personnes souffrant de TSPT sont souvent en proie à une détresse spirituelle, laquelle s’accompagne d’une perte de foi et de la difficulté de réconcilier ses croyances personnelles et les événements qui surviennent en temps de guerre22. Les aumôniers des FAC possèdent les outils nécessaires pour guider et conseiller les personnes aux prises avec ces épineuses questions religieuses et spirituelles.

Un hélicoptère CH-147F Chinook durant un exercice.

Photo du MDN IS09-2016-0032-006, par le caporal-chef Mathieu Gaudreault

La « résilience », dans le domaine de la psychologie, peut également se définir comme la capacité de vivre, de réussir dans la vie et de s’épanouir malgré l’adversité. Pour le psychiatre français Boris Cyrulnik, la résilience est « […] ce processus complexe par lequel les blessés de la vie peuvent déjouer tous les pronostics ». On peut dire de la résilience qu’elle est « […] la capacité d’une personne ou d’un groupe à se développer bien, à continuer à se projeter dans l’avenir en dépit d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères ». Il croit également que cet « art de naviguer entre les torrents  » [TCO] n’est pas une compétence innée, mais qui se trouve plutôt dans les racines de l’enfance et la relation que les parents ont avec leur enfant23.

D’après Vassilis Saroglou, professeur de psychologie à l’Université catholique de Louvain et directeur du Centre de psychologie et de religion, il existe quatre dimensions religieuses essentielles de spiritualité et de religion qui peuvent constituer de puissantes ressources pour soutenir ou rétablir la résilience, soit : « croire (en la vérité), s’attacher (à une réalité transcendante); se comporter (de manière vertueuse) et appartenir (à un groupe transhistorique 24) ». On pourrait s’attendre à ce que chacune de ces dimensions ait un rôle à jouer pour favoriser la résilience. Le tableau suivant vise à juxtaposer la personne spirituelle et la personne spirituelle qui n’est pas également religieuse, en appliquant les quatre dimensions essentielles et leurs traits caractéristiques :

VARIATIONS
RELIGIEUSES-
ARELIGIEUSES

(Abbondanza, 2014)

LES QUATRE GRANDES DIMENSIONS RELIGIEUSES (Saroglou, 2011)

Croyance
Cognition

Attachement
Émotion

Appartenance
Lien social

Action
Comportement ou intention

Personne religieuse

Qui croit en une réalité transcendante

Qui a un attachement à cette réalité transcendante

Qui appartient à une communauté

Dont les comportements sont guidés par ses croyances, sentiments et appartenances religieux

Personne spirituelle, mais non religieuse (areligieuse)

Qui croit en une réalité transcendante en dehors d’une tradition religieuse

Qui a un attachement à cette réalité transcendante

Dont les comportements sont guidés par ses croyances et sentiments spirituels

Auteurs

Tableau 1 – Variations religieuses/areligieuses par rapport aux quatre grandes dimensions religieuses.

Quel est le rôle des aumôniers des FAC pour faciliter cet art de la résilience spirituelle? Le capitaine Mario Sonier, aumônier, explique comment les aumôniers des FAC encouragent la dimension « croire » de la résilience spirituelle :

Les aumôniers, et plus particulièrement les aumôniers en santé mentale, assistent les militaires de façon à ce qu’ils s’adaptent bien à la réalité de leurs situations et les accompagnent dans leur quête de sens. Ils marchent et ils parlent avec eux afin qu’ils se sentent rassurés et maîtres de leur cheminement personnel tout au long de leur vie. En ce sens, les aumôniers aident les membres des FAC à demeurer sains d’esprit, dans le chaos et les opérations, et ils les guident sur le chemin du « retour25 ».

Le principal rôle de l’aumônier consiste à aider les gens à trouver un « sens » à la vie. La résilience permet un retour à la plénitude, ce qui présuppose une vie remplie de sens à laquelle on peut retourner. Les aumôniers des FAC, outre les autres professionnels de la santé (psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux), s’occupent d’aider les militaires et leurs familles à trouver un sens à la vie. Les aumôniers des FAC, particulièrement, offrent un métadiscours (une vue du monde) sur la manière de vivre et d’agir dans le monde; ils procurent un cadre éthique pour naviguer dans les incertitudes de la vie et un système, de même qu’un moyen, pour pardonner, se réconcilier, et guérir. Comme l’aumônier Harold Ristau nous le rappelle, les aumôniers des FAC, en plus d’offrir des services religieux, inculquent un sens à la vie grâce à d’autres services importants, comme le soutien spirituel, les conseils, l’orientation spirituelle et le soutien26.

En notre qualité d’aumôniers des FAC, nous sommes bien conscients qu’il existe des versions religieuses et non religieuses de ces quatre concepts spirituels. Il n’est pas nécessaire d’épouser une vision du monde théiste ou d’appartenir à un groupe confessionnel pour bénéficier, au plan psychologique, de ces quatre concepts spirituels. Il existe également une approche spirituelle, mais non religieuse de la vie (qui est de plus en plus fréquente dans la société canadienne post-moderne et qui embrasse des concepts spirituels, sans toutefois intégrer la pratique régulière de la religion correspondant à ces concepts), un mode de vie agnostique et athée selon ces quatre concepts spirituels. Par ailleurs, l’approche religieuse de la spiritualité comporte de multiples facettes. Qu’on pense seulement aux membres du personnel non religieux et aux membres de leurs familles, ou aux nombreuses personnes qui vivent leur vie spirituelle à l’extérieur des institutions organisées. Si les aumôniers des FAC étaient en mesure de contribuer à l’élaboration de programmes et de services de résilience pluralistes, offerts sur une base volontaire et régulière, disciplinés et structurés par l’organisation, ils pourraient sensibiliser et aider les gens qui évoluent à l’extérieur de la portée et de l’influence de l’église, de la chapelle, de la mosquée, de la synagogue ou du temple, en fonction de leurs besoins spirituels. Les labyrinthes, les cercles de guérison, les tentes de sudation, les offices quotidiens, la méditation, les services pastoraux, le counselling et les différentes façons d’aborder la spiritualité pourraient tous devenir des outils très puissants dans la « boîte à outils » des FAC au service du développement et du rétablissement de la résilience du personnel militaire.

Conclusion

En quoi consiste le rôle particulier ou unique de la spiritualité, que les approches séculaires ou psychologiques ne suffisent pas à remplir? La religion ou la spiritualité donne un sens à la vie et offre un système de croyances, un métadiscours général (une vision du monde), un système de valeurs et une boussole morale qui permettent de naviguer dans les vicissitudes de la vie. La religion, qui est l’expression socialement organisée des croyances spirituelles et des valeurs, procure également une communauté établie et des ressources spirituelles qui découlent de milliers d’années de sagesse et de pratique, ainsi qu’un sentiment vital d’appartenance et de soutien social.

Les aumôniers des FAC font également partie d’une équipe multidisciplinaire. Ils n’agissent jamais de manière entièrement indépendante; ils constituent un élément indispensable de l’équipe de soins de santé des FAC, car s’il est vrai que la résilience spirituelle améliore la capacité opérationnelle des FAC, elle doit s’inscrire dans l’approche holistique des soins de santé. Les pratiques associées à la résilience spirituelle ont une efficacité maximale lorsqu’elles sont disciplinées, intentionnelles, régulières et orientées. Les aumôniers des FAC sont des professionnels formés, qualifiés et expérimentés qui sont en mesure de guider intentionnellement et régulièrement les militaires et leurs familles dans le cadre de programmes disciplinés de santé sur les plans spirituel et religieux.

La contribution à la résilience de l’aumônerie et des programmes spirituels des aumôniers des FAC ne doit pas se limiter à des motifs utilitaires. Elle vise une approche plus holistique et multidimensionnelle à la question de la résilience spirituelle. Sa mission consiste à offrir un soutien religieux, spirituel et éthique global à l’intention des militaires et de leurs familles, à surveiller et à soutenir le moral de l’unité et à procurer un soutien à la chaîne de commandement et à l’ensemble de l’Équipe de la défense.

Nous sommes conscients que la mise en œuvre d’un programme de résilience spirituelle exige un engagement envers une approche introspective, organisée et institutionnelle de la résilience, et qu’il faut prendre au sérieux la dimension spirituelle de la vie humaine (qui donne un sens à la vie) et de la santé organisationnelle. Les aumôniers des FAC sont parmi les nombreux professionnels qui traitent cet aspect de la personne entière, mais ils constituent également une ressource unique d’une grande valeur pour apporter un soutien et s’occuper de la dimension spirituelle des soins de santé et de la résilience. Il reste cependant à déterminer si le gouvernement du Canada contournera l’importante question de la résilience, malgré l’existence au sein des FAC de praticiens professionnels prêts à aider, ou s’il relèvera ce défi afin d’offrir aux marins, aux soldats et aux aviateurs toutes les chances de santé, de bonheur et de réussite dans l’exercice de leurs fonctions.

Un aumônier donne la communion à un membre des forces alliées.

Service de l’aumônerie/RC Communion Service Afghanistan

Notes

  1. Le concept de « résilience » relève d’abord et avant tout de la science; il s’inscrit dans le domaine de la physique, où il renvoie à la résistance physique à la distorsion ou à la déformation (à savoir, on dira d’une barre de métal qu’elle est résiliente non seulement si elle résiste à la rupture ou aux bosselures, mais également si elle reprend sa forme originale après un choc ou une pression).
  2. http://www.forces.gc.ca/fr/a-propos-rapports-pubs-sante/suicide-dans-les-fc-1995-2012.page, consulté le 23 juin 2015.
  3. Livret aide-mémoire du Service de l’aumônerie royale canadienne intitulé Atteindre la résilience spirituelle, QuickSeries Publishing, ISBN 978-1-662350-382-6, 2014, Introduction, p.1.
  4. Ibid.
  5. The Globe and Mail, dimanche 18 novembre 2012.
  6. http://www.internationalpeaceandconflict.org/profiles/blogs/contours-of-coping-and-resilience, consulté le 27 juillet 2015; actuellement accessible à l’adresse suivante : https://pcdnetwork.org/blogs/contours-of-coping-and-resilience/.
  7. Livret aide-mémoire du Service de l’aumônerie royale canadienne intitulé Atteindre la résilience spirituelle.
  8. Ibid.
  9. Extrait de : Counteracting Unethical Behaviour through Realistic Training, présentation faite à l’International Symposium on Military Ethics, à l’université Notre Dame, par Deanna Messervey, Waylon Dean et Jennifer Peach en 2013.
  10. Définition de ce que les auteurs entendent par « religion ».
  11. « No call for an imam registry », The National Post, samedi 11 juillet 2015, p. A12.
  12. « What’s behind recommendation to certify imams? », The Ottawa Citizen, vendredi 17 juillet 2015, p. C5.
  13. The Globe and Mail, jeudi, 9 juillet 2015.
  14. David Hollenbach, The Common Good & Christian Ethics, Cambridge, R.-U., Cambridge University Press, 2002.
  15. Note de doctrine de l’Armée canadienne 13-1, Établissement de rapports avec les chefs religieux, 24 juillet 2013.
  16. Les principes du respect de la dignité de toute personne, du service du Canada avant soi-même et de l’obéissance à l’autorité légitime demeurent au centre de l’éthos militaire. Ces principes de base sont essentiels aux capacités militaires en temps de paix, de conflit ou de guerre.
  17. Appelé à servir : une stratégie pour l’aumônerie des Forces canadiennes, 2008.
  18. Major Jon Derrick Marshall, D Min. « The Ethics of Exile », Theoforum, Ottawa, 24 juin 2008, p. 1. « Les motifs fréquemment soulevés pour expliquer la marginalisation de la religion au Canada sont ceux de l’inclusivité et de la tolérance de tous les Canadiens et de la séparation entre l’Église et l’État dans une démocratie pluraliste. Pourtant, la séparation entre l’Église et l’État dans les démocraties nord-américaines a graduellement pris une signification erronée : plutôt que d’établir une ligne de démarcation des responsabilités entre la chaire et le bureau législatif, on devrait ériger un mur imperméable qui les divise complètement. Les fondateurs des démocraties de l’Amérique du Nord n’ont jamais voulu que la séparation entre l’Église et l’État empêche ces deux institutions d’avoir l’une sur l’autre une influence saine, respectueuse et démocratique. L’intention était plutôt d’empêcher qu’une religion ne bénéficie de favoritisme, d’influence ou de pouvoirs relativement aux autres. » [TCO]
  19. Verna Benner Carson, Dana E. King et Harold G. Koenig, Handbook of Religion and Health, deuxième édition, Oxford, R.-U., Oxford University Press, 2012.
  20. Mona Abbondanza, Ph. D., « Spiritualité et résilience psychologique : les soins spirituels en milieu militaire », présenté au Développement professionnel, Aumôniers de la 2e Division du Canada, Québec, 2014.
  21. Mona Abbondanza, Ph. D., Présentation au Développement professionnel, Aumôniers de la 2e Division du Canada, Québec, 2014, diapositives 27 et 28 de T.G. Plante, Addressing problematic spirituality in therapy, J.D. Aten, M.R. McMinn et E.R. Worthington, éditeurs, Spirituality oriented interventions for counselling and psychotherapy, p. 83 à 106, Washington, DC, American Psychological Association.
  22. Mona Abbondanza, Ph. D., « Spiritualité et résilience psychologique », présentation, diapositives 29 à 34.
  23. Ibid, diapositive 13, Manciaux et al., 2001, p. 17.
  24. Ibid, diapositives 7 à 11, Vassilis Saroglou, 2011, p. 42.
  25. Aumônier Mario Sonier. « Le rôle unique de l’aumônier en santé mentale dans les FAC », Dialogue, printemps 2015.
  26. Capitaine Harold Ristau, aumônier. « Les aumôniers des Forces armées canadiennes : principale source de résilience spirituelle », Revue militaire canadienne, volume 14, no 2, printemps 2014, p. 46.