Critiques de livres

Couverture de l’ouvrage « Charlie Foxtrot: Fixing Defence Procurement in Canada »

Charlie Foxtrot: Fixing Defence Procurement in Canada

par Kim Richard Nossal
Toronto, Dundurn, 2016
200 pages, 19,99 $ (couverture souple)
ISBN : 978-1-45973-675-7

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Critique d’Andrea Charron

L’idée d’affronter le dilemme de l’approvisionnement en matière de défense me remplit généralement d’effroi, un peu comme un examen dentaire; il s’agit d’une tâche nécessaire qui me réjouit très peu. L’ouvrage de Kim Richard Nossal, qui retrace l’histoire de l’approvisionnement en matière de défense au Canada, est cependant bien différent. Avec un titre sans aucun doute très approprié pour un document de politique, Charlie Foxtrot, un euphémisme pour l’expression anglaise « cluster f@ck », qu’on pourrait rendre par « beau gâchis », ce livre se lit très bien et est rempli d’anecdotes utiles, si non ahurissantes. Il vise à trouver une solution à l’infortune du Canada au chapitre des acquisitions de défense.

En 200 pages seulement, Nossal décrit dans un premier temps les « gâchis » de tout un siècle au chapitre de l’approvisionnement avant de passer à l’analyse de solutions futures à l’intention des politiciens. Parmi les insuccès en matière d’approvisionnement, mentionnons le fusil Ross, le CF150 Arrow, la jeep Iltis, les sous-marins de la classe Victoria, les hélicoptères Sea King et le F35. L’analyse de Nossal demeure singulièrement posée et réservée, compte tenu du fait que ces projets ont entraîné des milliers de décès aussi tragiques qu’inutiles et ont coûté des millions de dollars aux contribuables. Les gouvernements libéraux et conservateurs qui se sont succédé les uns aux autres (les « responsables ») sont fustigés pour de nombreuses décisions partisanes qui sont loin d’avoir débouché sur « le bon équipement, au moment voulu, au bon endroit, avec le soutien approprié et au bon prix. » Les « agents » (ou les fonctionnaires) sont à l’abri des critiques, à l’instar du public; c’est à ce niveau que Nossal aurait pu aller plus loin. Même s’il le sous-entend dans plusieurs cas, l’auteur ne mentionne pas ouvertement le rôle que jouent, dans les problèmes d’approvisionnement, l’industrie de la défense, les groupes de réflexion et les médias, qui font partie du « public » à mon avis, et qui ont leurs propres intentions et sont tout aussi partisans.

Nossal met l’accent sur les gouvernements et les partis d’opposition afin de leur rappeler quelques idées canadiennes inopportunes (ce qu’il appelle les causes distales) qui persistent et sont une source de catastrophes en matière d’approvisionnement.

  1. L’approvisionnement en matière de défense est guidé principalement par le besoin politique de dépenser aussi peu que possible tout s’attendant à des retombées économiques optimales;
  2. Les politiciens évoluent dans un « environnement permissif » (accordé par le public) – les mauvaises décisions ont peu de conséquences, et il y a peu d’incitatifs qui les poussent à prendre de bonnes décisions;
  3. Le Canada insiste sur le besoin d’une force militaire « apte au combat » (les militaires ont besoin de matériel et de capacités en tous genres pour remplir des rôles multiples plutôt que ciblés).

Les solutions proposées découlent principalement du premier et du troisième problème.

  1. Si les politiciens promettent souvent de grosses acquisitions pour ensuite reculer devant le prix, il faut corriger l’approvisionnement de manière à dépenser sur ce qui est nécessaire (la défense du Canada et de l’Amérique du Nord) et compter sur les alliés pour fournir collectivement d’autres capacités.
  2. Il faut se montrer plus stratégique (et on pourrait ajouter plus réaliste) en ce qui concerne les besoins du Canada, et le Cabinet doit s’approprier le plan de défense. Plus précisément, le gouvernement, et non la Défense nationale, doit bien comprendre et accepter le livre blanc de la défense, qui guide les approvisionnements futurs, et en orienter l’application.
  3. Il faut éviter de faire de la politique avec l’approvisionnement.

Nossal est le premier à l’admettre : ses solutions exigent un acte de foi, mais il maintient qu’elles sont capitales pour que le Canada arrive à mettre de l’ordre dans le Charlie Foxtrot qu’est l’approvisionnement en matière de défense.

Bien entendu, l’auteur a écrit ce livre en pensant à notre voisin américain, soit une superpuissance relativement bienveillante qui appuie et défend le Canada et surtout, qui tolère les erreurs catastrophiques du Canada en matière d’approvisionnement. Le gouvernement de Trump pourrait se révéler moins tolérant à l’égard de cette propension canadienne : nul doute qu’il communiquera son mécontentement dans ses gazouillis.

Pour le milieu universitaire, cet ouvrage vient surtout rappeler l’importance de la titularisation et de la liberté académique. Peu nombreux sont les jeunes intellectuels qui oseraient bafouer les politiciens comme le fait Nossal, même s’il le fait avec un ménagement qui n’est probablement pas mérité. Peu d’entre eux ont l’influence intellectuelle que possède Nossal après des années consacrées à l’enseignement et à des études rigoureuses. Cet ouvrage plaira aux étudiants, qui pourraient être les politiciens, les soldats et les électeurs de demain; c’est peut-être là que se trouve la solution définitive aux problèmes d’approvisionnement.

Andrea Charron est titulaire d’un doctorat en études de la guerre du Collège militaire royal du Canada. Elle possède également une maîtrise en relations internationales de l’Université Webster, à Leiden, aux Pays-Bas, une maîtrise en administration publique de l’Université Dalhousie et un baccalauréat spécialisé en science de l’Université Queen’s. Le NORAD, l’Arctique, les sanctions et les politiques étrangères et en matière de défense sont au nombre de ses domaines de recherche et d’enseignement. Elle siège au Conseil consultatif de la Défense du MDN et a publié des articles dans de nombreuses revues à comité de lecture. Mme Charron a travaillé dans différents ministères fédéraux, dont le Secrétariat de la sécurité et du renseignement au Bureau du Conseil privé et l’Agence du revenu du Canada. Elle dirige actuellement le Center for Security, Intelligence and Defence Studies de l’Université Carleton et est professeure auxiliaire à la Norman Patterson School of International Affairs.