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Défilé militaire célébrant la Victoire à l’occasion du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, à la place Rouge, à Moscou, le 9 mai 2015.

Interventions de la Russie à l’étranger proche : astuce du fin renard

par Enno Kerckhoff

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Le major Enno Kerckhoff, MSM, CD, est officier des blindés dans le Royal Canadian Dragoons. Il a obtenu un baccalauréat ès arts en études militaires et stratégiques au CMR en 2002, puis une maîtrise en administration des affaires de l’Université Norwich en 2014 et une maîtrise en études de la défense à nouveau au CMR en 2016. Le major Kerckhoff travaille actuellement au sein de l’État-major interarmées stratégique, à Ottawa, mais il s’ennuie des jours plus simples où il avait pour lieu de travail un véhicule blindé plutôt qu’une alvéole. Le présent article a d’abord été un mémoire présenté dans le cadre du Programme de commandement et d’état-major interarmées, au CFC, à Toronto.

Introduction et contexte

Depuis la chute de l’Union soviétique, la Russie a exécuté plusieurs interventions militaires dans les anciennes républiques soviétiques voisines. L’Ouest a vu ces actions comme des mesures d’agression; or, chaque intervention répondait au besoin de la Russie d’affirmer sa puissance à « l’étranger proche »1. Les interventions en Moldova (1992), en Géorgie (1992, 1994 et 2008) et en Ukraine (2014) suivent toutes le même modèle : la Russie repère une minorité opprimée et déploie une force militaire pour contrer l’oppression, puis des troupes militaires russes demeurent en place et provoquent dans l’État concerné une instabilité suffisante pour l’empêcher de répondre aux conditions préalables établies pour adhérer à l’OTAN. Cette stratégie a permis à la Russie de faire obstacle à l’expansion de l’OTAN dans certaines régions de son étranger proche sans entrer directement en conflit avec les forces de l’OTAN. En maintenant une présence dans les régions où elle est intervenue, la Russie continue de tirer profit de la situation tant que l’instabilité demeure. On a dit des interventions de ce genre qu’elles engendrent un « conflit gelé » : le niveau des hostilités est faible, mais celles-ci persistent pendant des années. Dans ces situations, ce n’est pas dans l’intérêt stratégique de la Russie de se retirer ou de régler les conflits une fois pour toutes, car elle favoriserait ainsi la poursuite de l’expansion de l’OTAN. Il ne s’agit pas là d’actions de la part d’un gouvernement irresponsable ou même d’un dirigeant mégalomane, mais bien de gestes stratégiques mûrement réfléchis visant à prévenir une érosion accrue de sa sphère d’influence.

La structure des forces armées russes a évolué au cours des 20 dernières années, au profit des interventions susmentionnées. En déployant ses forces militaires dans des conflits restreints, tout d’abord dans un rôle discret et non conventionnel, puis dans des combats livrés ouvertement, la Russie a pu améliorer la déployabilité de ses forces, accroître le professionnalisme de ses chefs et adresser des messages stratégiques à ses alliés tout comme à ses adversaires éventuels. En examinant en particulier la façon dont les réformes ont renforcé les capacités des forces armées russes dans des interventions limitées, on peut se faire une idée des intérêts nationaux qu’elles ont pour mission de favoriser en priorité. Ces forces modernisées sont dès lors plus mobiles et plus à même de faire face aux menaces régionales avec un avantage qualitatif, plutôt qu’avec l’historique avantage quantitatif russe.

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Près d’un pont bloqué enjambant le fleuve Dniestr, à Dubăsari, en Moldavie, pendant la guerre de Transnistrie, en 1990.

La Moldova

Le conflit en Moldova est attribuable à un effondrement de l’appareil gouvernemental civil pendant la transition postérieure au régime soviétique. Sous ce dernier, des exigences linguistiques empêchaient les Moldoves parlant le roumain d’occuper des postes importants au gouvernement. De nombreux Moldoves ont été déportés en Sibérie parce que les autorités doutaient de leur loyauté2. Pendant la période de la Glasnost au cours des années 1980 et 1990, les Moldoves de souche sont parvenus à exercer un plus grand contrôle sur les forces industrielles et politiques dans leur république. Parmi les mesures prises à ce chapitre, ils ont adopté des lois linguistiques qui ont renversé la dynamique du pouvoir, de sorte que les dirigeants russophones n’ont pas pu se maintenir au pouvoir3. Mis au-devant de cette menace pesant sur leur statut social, les Moldoves russophones se sont séparés de la Moldova et ont fondé la République moldave du Dniestr (RMD), le 1er septembre 1990. La Russie n’est pas intervenue immédiatement, mais les liens ethniques avec une minorité opprimée dans une ancienne république soviétique allaient redevenir le casus belli qui justifierait les interventions ultérieures.

Entre 1991 et 1992, des escarmouches sporadiques entre l’armée moldove et les rebelles de la RMD ont dégénéré en un conflit ouvert, le personnel et l’équipement des rebelles provenant surtout des bases de la 14eArmée russe dans la région4. La RMD pouvait constituer une menace suffisante pour les forces moldoves grâce aux armes et aux militaires entraînés qu’elle recevait secrètement par l’intermédiaire de la 14e Armée. Pour démentir les rumeurs, les Russes ont déclaré qu’on leur avait volé du matériel et que des membres de leurs unités avaient pris leur retraite en RMD5. Après le conflit, des allégations de vastes transferts d’armes ont fait surface : « Les représentants de la 14e Armée ont fait don aux séparatistes de 24 chars, de 12 hélicoptères de combat, de 37 000 mitrailleuses et mitraillettes et de 120 canons6 [TCO]. » Des années de déploiement continuel dans la région ont facilité l’établissement de relations et de liens familiaux qui allaient renforcer la loyauté de la 14e Armée envers les séparatistes pro-russes, plutôt qu’envers les Moldoves. Peu importe que ce fussent les sympathies séparatistes éprouvées par les soldats russes, ou un transfert institutionnel d’armes, ce soutien discret en faveur des forces séparatistes a persisté quand d’autres interventions ont eu lieu ultérieurement.

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Soldats séparatistes sur un BMP de l’ère soviétique arborant des drapeaux de la Russie et de la Transnistrie, durant la guerre de Transnistrie, en 1992.

À partir de juin 1992, les troupes russes ont commencé à combattre ouvertement avec les séparatistes de la RMD7. Il n’a fallu qu’un mois pour mettre fin aux combats avec une force aussi écrasante; une ligne de cessez-le-feu a été établie le long du fleuve Nistrou8. Les stocks militaires qui n’avaient pas été utilisés pendant le conflit sont essentiellement tombés aux mains des forces de la RMD, une fois la ligne de cessez-le-feu mise en place. Afin de protéger ces emplacements de stockage et d’empêcher que leur présence ne déstabilise davantage la région, les forces russes y sont restées dans le cadre d’une mission trilatérale de « maintien de la paix », les trois parties au conflit (Moldova, Transnistrie et Russie) fournissant alors les troupes9. Une force de maintien de la paix en bonne et due forme supervisée par l’ONU ou l’OSCE10 aurait au moins légitimé la présence de forces sur place. Toutefois, une supervision et un calendrier internationaux auraient ajouté aux pressions en faveur du règlement du conflit. Afin de mieux contrôler les négociations sur le cessez-le-feu, la Russie a préféré agir avec l’approbation multilatérale des parties au conflit, au lieu de passer par un organisme extérieur reconnu11. Cette façon de faire permet à la Russie d’exercer son pouvoir directement sur les parties au conflit, plutôt que par l’intermédiaire d’une éventuelle tierce partie modératrice, de sorte qu’elle peut intimider chaque partie individuellement, selon les besoins, au lieu de devoir négocier avec une opposition organisée. Dans le cas de la force de « maintien de la paix » installée en Transnistrie, deux des trois parties étaient sous contrôle russe, de sorte que les intérêts russes avaient un poids à l’avenant au cours des négociations. Comme d’importantes quantités d’armes et de matériel devaient encore être retirées de la zone de conflit, la Russie avait avantage à atermoyer le plus possible. Ce faisant, elle pouvait transférer d’autres armes à la RMD et empêcher que toute négociation future ne prévoie la remise d’armes à la Moldova à titre compensatoire. Par conséquent, cette action de retardement va plus directement dans le sens des intérêts stratégiques de la Russie qu’un règlement du conflit.

Les négociations continues depuis le cessez-le-feu de 1992 ont entraîné une certaine réduction des forces et des armes, mais l’exécution constamment reportée des retraits de troupes a eu une influence déstabilisatrice dans les négociations visant à adopter une solution plus permanente12. Le retrait de l’équipement et des forces militaires russes pourrait s’opérer rapidement, si la Russie le voulait. Le refus d’exécuter le retrait peut se justifier à l’interne par la nécessité de continuer à représenter les intérêts de la RMD contre une intervention internationale; or, ce faisant, la Russie passe délibérément outre au fait que sa présence constitue en elle-même une intervention étrangère aux yeux de la collectivité internationale.

La Russie est intervenue en Moldova manifestement pour protéger une minorité opprimée, pour garantir la sécurité de bases militaires où elle avait d’importantes ressources et pour empêcher que les armes s’y trouvant ne soient utilisées contre des intérêts russes. Après le cessez-le-feu, cependant, les troupes russes ont constamment reporté leur départ. La Moldova a exprimé son désir d’adhérer à l’OTAN, mais elle ne peut le faire tant que sévira une crise chez elle13. Si les droits de la minorité russe ne sont plus menacés et que l’équipement militaire est en lieu sûr (ou qu’il peut être ramené en Russie), la présence de forces de maintien de la paix n’est plus nécessaire. Or, pareil argument va à l’encontre des intérêts stratégiques russes. En profitant de sa présence militaire continue pour protéger les dépôts d’armes, la Russie fait en sorte que le conflit persiste sans qu’existe une paix permanente, ce qui empêche la Moldova d’aspirer à une place au sein de l’OTAN. La Moldova est le pays le plus pauvre de l’Europe, et cela continue de constituer un problème régional. Les déséquilibres commerciaux et les embargos imposés sur les produits moldoves contribuent à empêcher l’intégration du pays dans l’ensemble de la communauté européenne et dans sa sphère d’influence économique. En entretenant ce conflit gelé, la Russie peut continuer à exercer son influence sur la Moldova et à l’exclure de force de la sphère d’influence militaire de l’OTAN.

Carte de la région et des territoires contestés.

Carte remaniée par Accurate, tirée de l’article de Patrick Jackson, de BBC News, intitulé « ‘Frozen conflicts’ and the Kremlin », le 10 septembre 2014.

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La Géorgie

Il y a eu plusieurs vagues d’interventions russes en Géorgie. La première, qui s’est produite entre 1992 et 1994, a été provoquée par les lois linguistiques de 1989 qui s’apparentaient à celles adoptées par la Moldova et qui limitaient la participation des Russophones au fonctionnement du gouvernement14. Les résultats de ces lois ont mis plus de temps à se manifester en Géorgie qu’en Moldova, mais ils ont provoqué le même genre de mesures protectionnistes de la part de la Russie. L’intervention russe a tout d’abord pris la forme de troupes et d’armes (issues surtout de la dissolution de l’Union soviétique) fournies aux séparatistes d’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud15. Le Traité de Sochi conclu en juillet 1992 a mis fin au conflit militaire de cette première vague, mais des forces russes de « maintien de la paix » sont restées en Ossétie du Sud et en Abkhazie, ce qui a procuré une légitimité à saveur russe aux mouvements séparatistes respectifs et irrité le gouvernement géorgien16. La sphère d’influence russe dans la région du Caucase et au Moyen-Orient dépend des bases du sud, y compris celles d’Arménie et de Géorgie17. La perte de bases russes en Géorgie risquerait d’exposer les opérations expéditionnaires russes à des risques accrus; par conséquent, la Russie est prête à affecter là des ressources pour maintenir sa présence et protéger ses intérêts dans la région. La Géorgie est donc beaucoup plus importante en tant qu’État sous influence russe n’appartenant pas à l’OTAN.

Au tout début du nouveau millénaire, la Géorgie a envisagé de se joindre à l’OTAN, et par voie de conséquence, des tensions ont alors émergé entre elle et la Russie. Entre 2006 et 2008, la Russie a exercé des pressions diplomatiques et économiques sur la Géorgie pour lui exprimer son mécontentement au sujet de l’OTAN18. En août 2008, la lutte menée par l’Armée géorgienne contre les forces séparatistes de l’Ossétie du Sud a entraîné des combats ouverts pour le contrôle des villages frontaliers, ce qui a incité l’armée russe à intervenir en faveur des Ossètes du Sud. Pour se justifier, la Russie s’est attribué le droit de défendre ses forces de maintien de la paix dans les villages frontaliers ainsi que les Russes de souche vivant dans la région19. Sur le plan opérationnel, les forces russes se sont heurtées à une faible opposition; l’armée géorgienne a été vaincue en cinq jours seulement, la Russie ayant eu recours à des forces écrasantes au lieu de faire appel à des éléments irréguliers20. Dans ce cas, la Russie avait une présence clandestine moindre en Géorgie avant son intervention directe, mais elle a admis qu’elle avait des forces qui participaient à des exercices dans la région et elle a accusé l’Ukraine de fournir des armes à la Géorgie pour parer au soutien fourni par Moscou aux rebelles21.

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Un véhicule blindé russe roule devant un édifice de l’université d’Ossétie du Sud à Tskhinvali durant le conflit Géorgie-Abkhazie, le 12 août 2008.

La stratégie russe comportait une composante informationnelle axée sur l’emploi des médias pour présenter les soldats russes comme étant les sauveteurs des groupes minoritaires dans le territoire capturé par la Géorgie; cela a eu un succès limité au niveau international, mais la campagne a été bien accueillie en Russie même22. Des cyberattaques coordonnées contre l’infrastructure du gouvernement de la Géorgie ont été synchronisées avec les manœuvres des forces russes, ce qui mène à la conclusion raisonnable que le gouvernement russe avait soit exécuté, soit facilité ces attaques23. Enfin, les forces russes se sont avancées dans les zones peuplées, mais elles ont semblé éviter de les traverser. Cela peut s’expliquer par la menace accrue qu’y présentaient les forces ennemies non conventionnelles, mais il y aurait aussi lieu d’y voir un désir d’éviter de causer inutilement des pertes civiles pour préserver en partie le mythe du « maintien de la paix ».

Aux termes des conditions du cessez-le-feu, la Russie a retiré ses forces du reste du territoire géorgien, mais elle continue d’occuper l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie et elle exerce des pressions sur la Géorgie en faisant des préparatifs qui semblent tendre vers l’annexion des régions contestées. Cette instabilité persistante sert les mêmes intérêts militaires qu’en Transnistrie : elle empêche l’OTAN de poursuivre son expansion.

ITAR-TASS Photo Agency/Alamy Stock Photo BPETW6

Des gardiens de la paix russes à la frontière de la Géorgie et de l’Ossétie du Sud, le 6 août 2008.

Malgré la vitesse et la force de l’attaque, les faiblesses militaires russes ont été mises en évidence pendant le court déploiement en Géorgie. En ce qui concernait le commandement et le contrôle, la surveillance et la coopération sol-air, les résultats ont tous été considérés comme étant inférieurs aux niveaux de compétence escomptés24. Plus précisément, les forces russes ont perdu plusieurs membres parce que les unités terrestres n’avaient pas su communiquer avec les aéronefs assurant l’appui rapproché25. Afin d’accroître son avantage qualitatif sur ses rivaux éventuels, la Russie a opéré une série de réformes militaires, y compris la « professionnalisation » partielle de l’armée, la réorganisation des forces de réserve et la mise à niveau de l’équipement pour faire passer le taux de ses équipements militaires modernisés de 10 à 70 p. 100 entre 2008 et 202026.

De toute évidence, l’appareil militaire russe voulait profiter de l’occasion pour apprendre en tirant profit de l’expérience, en prévision de conflits à venir de même type. Un conflit conventionnel de grande envergure exigerait une mobilisation massive typique des forces russes telle que celle observée au cours des générations antérieures, mais des interventions plus restreintes nécessiteraient une force de combat plus spécialisée et de meilleure qualité. Les réformes instituées après le conflit géorgien ont fait entrevoir les plans militaires futurs de la Russie, y compris la valeur à accorder aux forces d’opérations spéciales, à la coopération entre les éléments aériens et terrestres et aux petites unités de combat plutôt qu’aux formations massives de blindés et d’artillerie.

Dans un sens plus large, le conflit géorgien a été l’étape intermédiaire entre l’intervention hésitante en Transnistrie et l’annexion de la Crimée. À partir du début des années 1990, la Russie a, au cours de ses interventions, continué à invoquer la nécessité de protéger des minorités ethniques pour justifier ses actions militaires. Elle a ensuite armé on ne peut plus discrètement des groupes séparatistes, puis elle est passée à une intervention armée beaucoup plus agressive que celle observée contre la Moldova. Les forces qui avaient servi au cours de l’intervention sont ensuite demeurées sur place dans la zone contestée, sauf que ce n’était pas tant un déploiement de « soldats de la paix » de facto qu’un avertissement contre toute autre action. La Russie avait présenté ses arguments contre l’expansion de l’OTAN en Géorgie et elle était prête à y laisser des forces pour décourager toute ouverture du même genre dans l’avenir.

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Manifestation visant à protester contre l’intervention russe en Ukraine devant le consulat russe à Gadansk, le 15 mars 2014. La manifestation avait été organisée par l’Union de solidarité.

L’Ukraine

Presque dès le moment où l’Ukraine est devenue un État indépendant après la dissolution de l’Union soviétique, la Crimée y a eu un statut spécial. L’Ukraine a reconnu la Crimée comme étant une république autonome. Cependant, les tensions ethniques ont persisté, et un nombre considérable de Criméens ont continué à se percevoir comme des Russes et non comme des Ukrainiens27. Cette conjoncture démographique ne correspondait pas aux vues des dirigeants politiques ukrainiens, ce qui a engendré des tensions entre la population de la Crimée et son gouvernement à Kiev. En 2014, l’adoption de lois linguistiques qui désavantageaient les russophones et les ouvertures économiques de l’Ukraine en faveur de l’Ouest ont constitué la fameuse « goutte qui a fait déborder le vase » et qui a mené à l’intervention au nom des éléments ukrainiens favorables à la Russie. La structure politique à ce moment-là était incertaine, car le président appuyé par la Russie avait fui, et le gouvernement provisoire installé à Kiev et bénéficiant du soutien de l’Ouest n’arrivait pas à gagner la confiance de la population. Cette situation a procuré à la Russie la possibilité d’atteindre un autre but politique en recourant à des moyens militaires. Ce fut aussi une occasion pour elle d’employer les forces modernisées en fonction des leçons retenues après la campagne de Géorgie de 2008.

En février 2014, des forces irrégulières soutenues par la Russie ont commencé à résister activement au gouvernement ukrainien provisoire, ce qui a accru l’instabilité et engendré le chaos dans toute la Crimée. Le recours à des forces irrégulières à cette fin a été décrit immédiatement avant l’intervention en Crimée comme étant un moyen de créer un front actif constant dans tout le territoire de l’État en opposition28. Les gangs et, plus tard, les milices pro-russes ont organisé des manifestations violentes qui ont contribué à établir un environnement de sécurité incertain où persistaient des menaces constantes29. Cela a perpétué la stratégie de l’appui secret d’un régime séparatiste comme cela avait été le cas en Moldova et en Géorgie. L’instabilité du gouvernement et la tenue d’un référendum douteux sur ce que la Crimée devait faire au sujet de sa situation face à l’Ukraine ont établi les conditions voulues pour susciter l’argument protectionniste dont Poutine avait besoin pour justifier une intervention à la fin de février30. La tenue d’un référendum régional a permis à la Russie d’invoquer l’autodétermination ethnique comme fondement de son intervention, au mépris de la perception on ne peut plus négative de la collectivité internationale quant à la légitimité du référendum.

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Un soldat russe armé monte la garde devant un emblème ukrainien à l’extérieur de la Base Perevalne, près de Simferopol, en Crimée, le 2 mars 2014.

Des soldats en uniforme non identifiable ont commencé à marcher en grand nombre derrière les manifestants en février 2014 et à se déplacer rapidement dans toute la Crimée. Ces forces clandestines avaient dépouillé leurs uniformes de leurs écussons et insignes d’unité, mais il a été établi qu’elles regroupaient certains des soldats les mieux entraînés et les mieux équipés de l’ordre de bataille russe : des commandos des Spetsnaz, des unités de l’infanterie navale et des parachutistes de l’armée31. Dirigés par des professionnels plutôt que par des conscrits et employant du matériel ultra-moderne, les soldats anonymes étaient de toute évidence des Russes et non des citoyens d’une milice constituée pour les besoins de la cause. À ce stade de l’opération, toutefois, la Russie avait avantage à rester discrète. Une fois l’occupation des installations clés telles que le parlement criméen et les principaux aéroports réalisée, les conditions ont été réunies pour qu’aient lieu l’intervention manifeste de la Russie, le 1er mars 2014, et l’annexion de la Crimée dans le mois qui a suivi.

Avant l’invasion de 2014, la Russie avait déjà déployé environ 25 000 soldats et marins à sa base navale de Sébastopol en Crimée. Face à cette menace supérieure et au mouvement d’autres unités hautement spécialisées par air et par mer, les forces ukrainiennes ne pouvaient offrir qu’une résistance locale mal coordonnée. On pourrait faire valoir que la Russie avait un avantage écrasant aux chapitres de l’équipement et des effectifs, mais cela ne justifie pas suffisamment la stratégie adoptée. Comme l’Ukraine a été mise devant le fait accompli qu’était l’occupation de ses infrastructures clés en Crimée, ses forces armées n’avaient plus rien à gagner en combattant en Crimée : il était préférable qu’elles se retirent au lieu d’affronter l’armée russe. Cette stratégie va dans le sens des mesures prises antérieurement par la Russie en Géorgie, en ce sens que Moscou n’a pas cherché à causer des pertes militaires ou civiles dans le cadre de ses interventions, mais plutôt à employer ses atouts militaires pour atteindre des objectifs politiques.

Une fois la question criméenne réglée par l’annexion, des forces russes non conventionnelles ont pénétré dans d’autres régions de l’Ukraine. Les régions de Donetsk et de Louhansk, dans l’Est de l’Ukraine, possèdent des caractéristiques démographiques semblables à celles de la Crimée, car d’importantes populations russes y vivent. La Russie aurait été plus fidèle à elle-même si elle avait justifié son intervention en disant qu’elle défendait une minorité opprimée, mais ses actions ont été moins subtiles cette fois-ci. Immédiatement après l’annexion de la Crimée, des soulèvements armés à Donestk et à Louhansk (qui composent ensemble la région du Donbass) ont menacé davantage le contrôle que l’Ukraine exerçait sur ses régions à forte population russophone. Malgré la présence d’importantes forces irrégulières et la présence et l’avance militaires discrètes de ses troupes en Ukraine, la Russie a continué de nier son intervention officielle pendant tout l’été et l’automne 2014. Elle a néanmoins continué à fournir personnel, armes et équipements aux milices séparatistes32. Avec des armements lourds et la réapparition de forces spéciales russes déguisées, ces milices ont pu s’emparer de vastes secteurs du Donbass, y compris l’important carrefour de transport à l’aéroport de Donetsk.

Étant donné la qualité et la quantité des armements fournis aux rebelles, l’intervention manifeste de la Russie n’avait pas besoin de se faire aussi vite qu’elle l’avait été en Géorgie. Les séparatistes ont subi des revers au début de l’été, notamment des pertes humaines et matérielles qui ont fait l’objet de nombreux reportages attestant que c’était la preuve de la participation russe aux violents combats contre les forces ukrainiennes33. À la fin de l’été, il n’était plus possible pour la Russie de maintenir l’illusion; par son intervention manifeste, elle s’est assurée que toute négociation qui suivrait le conflit aurait lieu après la prise de contrôle par les séparatistes de carrefours de transport clés et de secteurs importants du territoire ukrainien. Il importait pour la Russie d’acquérir une présence officielle dans la région avant tout cessez-le-feu, à cause des délais que cela lui permettait d’imposer pour retirer ses forces après le conflit. Comme le monde en avait été témoin en Moldova et en Géorgie, le maintien de la paix « à la russe » peut continuer de déstabiliser la zone de conflit longtemps après la fin des combats. Avec sa base installée à Sébastopol, en Crimée, la Russie disposerait d’une présence perpétuelle, mais dans le cas de la région du Donbass, il fallait trouver un point de départ pour les négociations. La présence de forces régulières russes le lui a fourni.

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Présumés soldats des Forces spéciales russes à bord d’un navire civil près de la flotte ukrainienne, qui est bloquée par des navires de guerre russes dans le port de Sevastopol, en Ukraine, le 7 mars 2014.

L’annexion de la Crimée fait contraste avec l’impasse qui a caractérisé la fin des hostilités en Moldova et en Géorgie. La décision prise à l’égard de la Crimée est logique du point de vue stratégique, car elle procure une sécurité aux forces navales russes dans la mer Noire et permet de fournir un soutien continu aux forces séparatistes ailleurs en Ukraine. L’instabilité qui subsiste dans le Donbass et à Louhansk est à l’avantage de la Russie, car elle continue d’empêcher l’entrée de l’Ukraine à l’OTAN. Si cette dernière réplique en renonçant à l’exigence de stabilité et qu’elle admet l’Ukraine dans ses rangs, elle serait tenue de la défendre, même si elle n’est pas vraiment encline à le faire, comme elle l’a déjà démontré34. Bien que la présence militaire russe en Transnistrie, en Ossétie du Sud et en Abkhazie soit une conséquence des conflits respectifs y ayant sévi, la Russie ne tire de ces pays qu’une utilité militaire minime. En revanche, la Crimée possède la plus vaste base navale de la mer Noire et est, depuis des générations, le bastion militaire de la Russie dans le Sud. Jeffrey Mankoff est Directeur adjoint et chercheur principal au sein du Programme du Center for Strategic and International Studies (CSIS) pour la Russie et l’Eurasie. Il soutient que l’annexion inciterait le reste de l’Ukraine à se tourner davantage vers l’Ouest, sur les plans tant militaire qu’économique. Il a déclaré que l’intervention russe a peut-être valu la Crimée à la Russie, mais qu’elle lui a fait perdre l’Ukraine35. Ce dont cette théorie ne tient pas compte, cependant, est que ni l’UE ni l’OTAN n’ont été disposées à assouplir leurs critères d’adhésion pour admettre l’Ukraine en leur sein (avec les défis économiques et militaires connexes que cela comporterait). L’OTAN a déjà montré qu’elle n’avait aucunement l’intention de partir en guerre à cause de l’Ukraine. Elle ne l’a pas fait lors de la crise criméenne, non plus que pour défendre les provinces de l’Est. La Russie a affirmé sa position en remportant la Crimée, et elle n’a par conséquent plus besoin de la Russie.

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Une femme âgée pro-russe argumente avec des passants au sujet du futur de la Crimée au quartier général de la Garde côtière de l’Ukraine à Simferopol, en Crimée (Ukraine), le 8 mars 2014.

Après les opérations de la Russie en Géorgie, la modernisation de ses forces armées s’est poursuivie, bien qu’à un rythme plus lent. Au lieu de se concentrer sur les technologies de pointe qu’elle peut acquérir auprès d’autres pays, la Russie a cherché à accroître la « professionnalisation » de son personnel36. Les changements apportés entre 2008 et 2014 ont entraîné la réduction du nombre d’unités et l’amélioration de la qualité des chefs, mais le pays a conservé le régime de conscription comme mesure économique, bien qu’il soit moins efficient du point de vue militaire37. Par conséquent, la Russie possède un appareil militaire à deux vitesses : une partie de ses forces armées est bien équipée, rapidement déployable et dotée des meilleurs chefs, tandis que l’autre se compose essentiellement de conscrits et de chefs non professionnels et dispose d’armements moins modernes38. Avec des forces militaires considérables, mais un cadre plus restreint capable d’intervenir rapidement, la Russie avait ce qu’il fallait pour exécuter les interventions intérieures de contre-insurrection et les opérations expéditionnaires limitées décrites dans le présent document. Avec ces atouts, la Russie a pu agir discrètement avec des forces plus restreintes et agiles pendant que le gros de ses forces s’abstenait visiblement de participer aux conflits, en se cantonnant le long des frontières. Cela lui a permis de continuer à nier sa participation aux conflits, ses forces manifestes ne franchissant carrément pas la frontière, pendant que les forces d’opérations spéciales opéraient clandestinement à l’intérieur de l’Ukraine.

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Des militaires bloquent et détruisent des groupes militaires illicites lors d’exercices militaires interarmées des Forces d’opérations spéciales du Bélarus et des troupes russes aéroportées (VDV) dans le district de Chashnik, dans la région de Vitebsk, le 4 avril 2017.

Un avertissement destiné à la Biélorussie?

Comme l’objectif de la Russie consiste à contrecarrer l’expansion de l’OTAN, il est peu vraisemblable qu’elle décide d’intervenir en Pologne, dans les pays baltes ou dans n’importe quel autre pays membre de l’OTAN. Un acte aussi agressif serait contraire à la stratégie qu’elle a adoptée et ne contribuerait en rien à enrayer l’expansion de l’OTAN. À la périphérie, cependant, la Russie pourrait bien recourir à la même stratégie en Biélorussie qu’en Ukraine. Elle a déjà conclu un accord de défense mutuelle qui, à toutes fins utiles, élimine toute distinction entre les forces russes et biélorusses39. En vertu de cet accord, la Russie dispose d’un certain nombre d’installations de surveillance clés et de bases militaires qui accroissent la portée de ses engins dirigés vers l’Europe de l’Ouest. La menace perçue que constitue le système occidental de défense antimissiles balistiques (DMB) au-dessus de la sphère d’influence de la Russie rend nécessaire le contre-déploiement du système russe équivalent, et la portée maximale de ce dernier à l’ouest constitue un facteur limitatif lorsqu’il s’agit d’en déterminer l’efficacité globale. Pour garantir la défense du territoire russe, il est donc absolument nécessaire pour le pays de pouvoir placer son système de DMB aussi à l’ouest que possible.

Si cet arrangement devait changer, par suite d’une modification du régime politique ou de l’imposition de nouvelles lois linguistiques, ou si l’accès aux bases susmentionnées était menacé par ailleurs, la Russie pourrait décider de passer à l’action pour protéger ses intérêts. Les mesures adoptées alors s’apparenteraient probablement à ce qui s’est passé en Crimée : la Russie appuierait alors une rébellion intérieure et fournirait en cachette aux rebelles du personnel entraîné et des équipements lourds, puis elle exécuterait une intervention manifeste écrasante pour terminer l’opération. Les situations suivantes pourraient annoncer la possibilité d’actions de ce genre :

  • l’élection de membres du parlement biélorusse favorables à l’Ouest;
  • l’adoption d’un ton différent dans les communiqués diplomatiques ou les déclarations publiques;
  • l’accroissement de la cadence des exercices annuels conjoints qui feraient intervenir moins de forces biélorusses que d’habitude;
  • le renforcement des positions des forces de sécurité intérieures biélorusses, face à la menace;
  • la disponibilité réduite des ressources stratégiques biélorusses à même d’appuyer les opérations interarmées russes;
  • le prépositionnement de forces des deux côtés de la frontière biélorusse.

La Russie est actuellement absorbée par la crise syrienne, et il est peu probable qu’elle veuille amorcer une autre campagne à court terme, mais la Biélorussie doit veiller à ne pas adopter de politiques sociales qui risqueraient de froisser la Russie. Il sera important de surveiller la relation entre le président de la Russie, Vladimir Poutine, et son homologue biélorusse, Alexandre Loukachenko; l’accroissement des tensions personnelles entre les deux hommes pourrait influer sur les décisions prises dans le contexte de la politique étrangère, et vice-versa. C’est là un sujet qu’il conviendrait d’étudier davantage à mesure que la situation évoluera en Ukraine, surtout si la Russie veut établir plus solidement une zone d’instabilité là où l’OTAN ne peut plus accomplir d’autres progrès.

Conclusion

La stratégie d’intervention de la Russie a été clairement montrée dans les conflits décrits dans le présent document. Dans chaque cas, la Russie a prétendu s’intéresser à une minorité opprimée, puis elle est intervenue manifestement au nom de cette minorité, tout d’abord avec des forces non conventionnelles (clandestines), puis en fournissant des armes et un soutien aux groupes rebelles. Quand le conflit a perduré ou s’est aggravé, une intervention ouverte de forces conventionnelles a rapidement écrasé toute résistance locale. Quand la Russie a exécuté de telles interventions, ses forces étaient déjà bien placées pour agir promptement, s’emparer des infrastructures et rendre intenables les positions des défenseurs. Après l’instauration d’un cessez-le-feu, les forces irrégulières et les armes sont demeurées sur place pour entretenir une instabilité d’un niveau qui a empêché l’État touché de remplir les conditions nécessaires pour adhérer à l’OTAN.

En 2016, quand l’OTAN a annoncé des déploiements de troupes qui ont rappelé les premiers jours de la guerre froide, ils ont principalement eu pour objet de faire savoir à la Russie que l’Alliance était résolue à respecter son engagement au chapitre de la défense collective. L’OTAN a déclaré qu’elle comptait entretenir des liens avec la Russie sur deux plans, soit ceux de la défense et du dialogue, pour assurer la sécurité des États la composant40. Bien que la Russie veuille empêcher l’OTAN de poursuivre son expansion, elle ne le fera pas imprudemment. La Pologne et les pays baltes n’ont pas autant à craindre de la Russie que l’Ukraine, indépendamment des déploiements de l’OTAN en Roumanie, en Pologne et en Lettonie. La Russie continuera peut-être de fomenter l’instabilité en recourant à des moyens non conventionnels ou en passant par le cyberespace pour perturber la sécurité intérieure des États ciblés de l’OTAN, mais il est peu probable qu’elle ose déclencher une attaque ouverte ou même parrainer des groupes minoritaires, car elle risquerait alors d’être accusée d’avoir appuyé ces activités. Empêcher l’Ukraine, la Géorgie et la Biélorussie d’adhérer à l’OTAN s’inscrit dans le cadre de la stratégie hégémonique de la Russie, mais se mettre à dos les États membres de l’OTAN ne sert pas cet intérêt stratégique de la même manière.

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Des drapeaux de l’OTAN flottent avant le début du premier exercice Noble Jump, le déploiement de la force « fer de lance » de l’OTAN, sur les terrains d’exercice situés près de la ville de Zagan, en Pologne, le 18 juin 2015.

Si les États-Unis se trouvaient dans une situation semblable, c’est-à-dire si un adversaire cherchait à accroître son influence militaire et politique dans le continent nord-américain, on pourrait s’attendre à ce qu’ils réagissent de façon hostile. C’est ce qu’ils ont fait quand la Russie a tendu la main à Cuba, ce qui a entraîné l’incident de la baie des Cochons et la Crise des missiles de Cuba. Une nouvelle guerre froide n’est probablement pas à craindre, mais les deux camps sont conscients de leurs intérêts respectifs. La Russie a des moyens d’exercer sa puissance afin de promouvoir ses intérêts, et il ne faut pas s’étonner quand elle choisit d’y recourir.

Les interventions militaires de la Russie ont été un élément coutumier de sa politique de sécurité après l’effondrement du régime soviétique. Au lieu de recourir à la diplomatie pour résoudre un conflit, elle a été beaucoup plus disposée que les pays occidentaux à utiliser ses forces armées comme prolongement de son appareil diplomatique. Aussi bien en Transnistrie qu’en Ossétie du Sud, en Abkhazie, en Crimée et en Ukraine de l’Est, la Russie a employé ses forces armées efficacement et a pu exploiter les déploiements militaires dans ces pays et régions pour améliorer l’état de préparation de ces dernières en vue d’opérations futures. La Russie dispose d’importants moyens diplomatiques, informationnels et économiques pour exercer son pouvoir national. Cependant, quand il s’agit de son étranger proche, le recours aux forces armées constitue encore une stratégie logique. En faisant en sorte que celles-ci continuent de prendre part aux conflits susmentionnés, la Russie a atteint son objectif stratégique, à savoir enrayer l’expansion de l’OTAN. La pensée politique de l’Ouest lui dicte qu’il est préférable de mettre fin à un conflit, mais la Russie voit les choses autrement : pour elle, c’est une instabilité de niveau acceptable qui répond à ses objectifs nationaux.

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Des soldats de la garde d’honneur russe prennent part au défilé militaire du jour de la Victoire à la place Rouge, à Moscou, le 7 mai 2015.

Notes

  1. Le terme « étranger proche » a été utilisé pour décrire un vaste éventail d’États qui faisaient partie de l’ancienne Union soviétique, notamment lorsque l’intention est d’avancer que les anciennes républiques soviétiques sont loin d’être indépendantes de la puissance russe. Aux fins du présent article, l’expression désigne les États voisins de la Russie sur lesquels elle continue d’exercer une influence considérable, en particulier dans le Caucase et en Europe de l’Est.
  2. William H. Hill, sous la dir. de, Russia, the Near Abroad, and the West: Lessons from the Moldova-Transdniestra Conflict, Washington (D.C.), Woodrow Wilson Center, 2012, p. 49.
  3. Ibid, p. 50.
  4. Ibid, p. 51.
  5. Andreas Morike, « The Military as a Political Actor in Russia: The Cases of Moldova and Georgia », dans The International Spectator, vol. 23, no 3, juillet-septembre 1998, p. 124.
  6. W. Alejandro Sanchez, « The ‘Frozen’ Southeast: How the Moldova-Transnistria Question has become a European Geo-Security Issue », dans Journal of Slavic Military Studies, no 22, 2009, p. 124.
  7. Morike, p. 125.
  8. Sanchez, « The ‘Frozen’ Southeast: How the Moldova-Transnistria Question has Become a European Geo-Security Issue », p. 163
  9. Ibid. La Russie décrit ces troupes comme des forces de maintien de la paix, mais il est évident qu’elles ne répondent pas à la norme d’impartialité allant de pair avec les opérations de maintien de la paix organisées par l’ONU.
  10. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, bien qu’à l’époque, elle était connue sous le nom de Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, ou CSCE.
  11. Roy Allison, « The Russian Case for Military Intervention in Georgia: International Law, Norms and Political Calculation », dans European Security, vol. 18, no 2, juin 2009, p. 127.
  12. Hill, p. 96.
  13. Sanchez, p. 166.
  14. Jeffrey Mankoff, « Russia’s Latest Land Grab: How Putin Won Crimea and Lost Ukraine », dans Foreign Affairs, vol. 93, no 3, mai-juin 2014, p. 62.
  15. Ted Hopf, « Identity, Legitimacy, and the use of Military Force: Russia’s Great Power Identities and Military Intervention in Abkhazia », dans Review of International Studies, vol. 31, no S1, Décembre 2005, p. 229. Voir aussi Allison, p. 181.
  16. Robert L. Larsson, « The Enemy within: Russia’s Military Withdrawal from Georgia », dans The Journal of Slavic Military Studies, vol. 17, no 3, 2004, p. 407.
  17. Ibid. p. 417.
  18. Emmanuel Karagiannis, « The Russian Interventions in South Ossetia and Crimea Compared: Military Performance, Legitimacy and Goals », dans Contemporary Security Policy, vol. 35, no 3, 2014, p. 406.
  19. Allison, p. 177.
  20. Karagiannis, p. 405.
  21. Allison, p. 163.
  22. Colonel George T. Donovan, « Russian Operational Art in the Russo-Georgian War of 2008 », Carlisle (Pennsylvanie), US Army War College, 2009, p. 21.
  23. Ibid. p. 20.
  24. Timothy L. Thomas, « The Bear Went Through the Mountain: Russia Appraises Its Five-Day War in South Ossetia », dans Journal of Slavic Military Studies, vol. 22, no 1, 2009, p. 32.
  25. Fredrick Westerlund, « The Defence Industry », dans Russian Military Capability in a Ten-Year Perspective - 2011, Carolina Vendil Pallin, sous la dir. de, p. 65-95, Stockholm, Swedish Defence Review Agency, 2012.
  26. Bettina Renz, « Russian Military Capabilities after 20 Years of Reform »”dans Survival, vol. 56, no 3, juin-juillet 2014, p. 61-84.
  27. Karagiannis, p. 407.
  28. Valeriy Gerasimov, « The Value of Science is in Foresight: New Challenges Demand Rethinking the Forms and Methods of Carrying out Combat Operations », dans Voyenno-Promyshlennyy Kuryer Online, 26 février 2013. Cité dans Timothy Thomas, « Russia’s Military Strategy and Ukraine: Indirect, Asymmetric - and Putin-Led », dans The Journal of Slavic Military Studies, vol. 28, no 3, 2015, p. 453.
  29. Andrew Wilson, Ukraine Crisis: What it means for the West, New Haven : Yale University Press, 2014, p. 108.
  30. Karagiannis, p. 408.
  31. Andrew Bowen, « Is Russia’s Military really as Good as it was in Crimea? ». Site consulté le 8 novembre 2015 : http://www.interpretermag.com/is-russias-military-really-as-good-as-it-was-in-crimea/.
  32. Thomas Grove et Warren Strobel, « Special Report: Where Ukraine’s Separatists Get their Weapons », Reuters. Site consulté le 10 novembre 2015 : http://www.reuters.com/article/2014/07/29/us-ukraine-crisis-arms-specialreport-idUSKBN0FY0UA20140729?feedType=RSS&feedName=worldNews.
  33. Tim Judah, « Ukraine: A Catastrophic Defeat », New York Review of Books. Site consulté le 8 novembre 2015 : http://www.nybooks.com/blogs/nyrblog/2014/sep/05/ukraine-catastrophic-defeat/.
  34. John J. Mearsheimer, « Why the Ukraine Crisis is the West’s Fault: The Liberal Delusions that Provoked Putin », dans Foreign Affairs, vol. 93, no 5, septembre-octobre 2014, p. 89.
  35. Mankoff, p. 68.
  36. Renz, p. 68.
  37. Ibid, p. 73.
  38. Märta Carlsson et Johan Norberg, « The Armed Forces », dans Russian Military Capability in a Ten-Year Perspective - 2011, Vendil Pallin, sous la dir. de, p. 105, Stockholm : Swedish Defence Review Agency, 2012.
  39. Kaare Dahl Martinsen, « The Russian Takeover of Belarus », dans Comparative Strategy, vol. 21, no 5, 2002, p. 412.
  40. Jens Stoltenberg, « NATO and Russia: Balancing defence with dialogue », article d’opinion du Secrétaire général de l’OTAN, 19 juillet 2016, à l’adresse : http://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_134210.htm?selectedLocale=en