COMMENTAIRES

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Aurore boréale, au coucher de la lune.

Protection, sécurité, engagement : l’énoncé de la politique de défense 2017 du gouvernement libéral

par Martin Shadwick

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Bien que le gouvernement libéral du premier ministre Justin Trudeau soit au pouvoir depuis à peine deux ans, il a diffusé, ou contribué à faire diffuser, un nombre impressionnant d’études, de rapports, de discours et d’énoncés de politique portant sur la défense. Au programme de la défense que les Libéraux ont présenté durant leur campagne électorale de 2015, on peut ajouter, d’une part, les documents gouvernementaux et non gouvernementaux associés au processus de consultation de 2016 en matière de politique de défense (un document de consultation publique de 27 pages; six tables rondes portant sur des sujets multiples et trois autres sur des questions spécialisées; des activités de consultation organisées par des députés et différentes organisations non gouvernementales; de nombreuses présentations officielles; et 20 000 commentaires en ligne), et d’autre part, les délibérations d’un groupe consultatif de haut niveau chargé de conseiller le ministre; des rapports éclairants de comités parlementaires; des discours sincères du ministre de la Défense nationale Harjit Sajjan; ainsi qu’un discours particulièrement cité de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland prononcé le 6 juin 2017 (sans doute la date tout indiquée pour évoquer les priorités du Canada en matière de politique étrangère, étant donné les événements survenus à pareille date à une autre époque). Ce n’est donc pas une coïncidence si le produit final de l’examen de la politique de défense, en l’occurrence l’énoncé Protection, sécurité, engagement, a été lancé le lendemain. Visiblement plus détaillé que le livre blanc, et de fait plus détaillé que tous les livres blancs des dernières décennies, ce document de politique abondamment illustré (et rempli d’allitérations) présente une « nouvelle vision » – et d’importantes dépenses en immobilisations – pour les forces armées du Canada, tout en accordant une attention sans précédent aux questions liées au personnel et aux besoins en matière de santé et de bien-être des militaires en activité de service et à la retraite. Ces derniers points feront l’objet d’un article complémentaire.

Page couverture de ‘Protection, Sécurité, Engagement – La politique de défense du Canada’.

Gouvernement du Canada

Le discours non conventionnel de Chrystia Freeland sur les priorités du Canada en matière de politique étrangère dans le monde d’aujourd’hui – livré à juste titre devant la Chambre des communes – a judicieusement préparé le terrain en vue du lancement de la politique Protection, sécurité, engagement. « Deux conflits mondiaux de même que la Grande Crise, qui se sont produits [en] moins d’un demi-siècle », a fait remarquer la ministre, « ont appris à nos parents et à nos grands-parents que les frontières nationales devaient rester inviolées, que les relations internationales commerciales ont engendré non seulement de la prospérité, mais aussi de la paix, et qu’une vraie communauté mondiale, fondée sur des normes et des aspirations communes n’était pas seulement souhaitable, mais aussi indispensable pour notre survie même. Ce profond désir d’établir une paix durable a entraîné la création d’institutions internationales qui existent encore aujourd’hui, et au cœur desquelles se trouvent les pays de l’Europe de l’Ouest, de même que leurs alliés transatlantiques, les États-Unis et le Canada. Dans chacune de ces évolutions dans la façon dont nous, les humains, nous organisons, les Canadiens ont joué un rôle central. » Elle a ajouté qu’« il importe de souligner que lorsque des sacrifices ont été nécessaires pour appuyer et renforcer l’ordre mondial, la puissance militaire qui défend nos principes et nos alliances, le Canada était de la partie. À Suez, en Corée, au Congo, à Chypre, pendant la première guerre du golfe Persique, dans les Balkans, et en Afghanistan, jusqu’à aujourd’hui en Iraq, et dans bien d’autres endroits, le Canada était présent. […] Aujourd’hui, il est important de nous rappeler pourquoi nous répondons présents, pourquoi nous consacrons du temps et des ressources à la politique étrangère, à la défense et au développement, pourquoi nous avons envoyé des Canadiens, que ce soit des soldats, des marins, des aviateurs, des diplomates, des travailleurs humanitaires, des agents du renseignement, des médecins, des infirmières, des techniciens médicaux, des ingénieurs, des policiers ou des agents correctionnels dans des situations dangereuses, des zones de sinistre et des endroits chaotiques à l’étranger, même lorsque le territoire du Canada n’était pas directement menacé. Pourquoi dépensons-nous des milliards de dollars dans la défense nationale si nous ne sommes pas directement menacés? »

Bien qu’il soit « facile d’imaginer une opinion canadienne selon laquelle nous […] tournons le dos au monde [et m]ettons le Canada en premier. Voici pourquoi il s’agirait d’une mauvaise approche : D’abord, même si aucun adversaire étranger ne s’apprête à nous envahir, nous sommes tout de même confrontés à des défis clairs. [Outre] le changement climatique, […] [l]es guerres civiles, la pauvreté, la sécheresse et les catastrophes naturelles partout dans le monde constituent aussi une menace pour nous, et pas seulement parce qu’[elles] causent des migrations de masse déstabilisatrices à l’échelle mondiale. La dictature en Corée du Nord, les crimes contre l’humanité en Syrie, les extrémistes monstrueux de Daech ainsi que l’aventurisme militaire et l’expansionnisme de la Russie présentent tous des menaces stratégiques claires pour le monde libéral démocratique, y compris le Canada. Notre capacité de lutter seuls contre ces menaces est limitée. Cette lutte nécessite la coopération de pays aux vues similaires. […] Certaines personnes pensent, et certaines personnes vont jusqu’à dire[,] que nous devrions donc profiter gratuitement de la puissance militaire américaine. Pourquoi investir des milliards pour maintenir des forces armées canadiennes qualifiées, professionnelles, bien financées et bien équipées? La réponse est évidente : se fier uniquement au bouclier protecteur des États-Unis ferait de nous un État client. Même si nous avons une excellente relation avec nos amis et voisins américains, une telle dépendance ne serait pas dans l’intérêt du Canada. C’est pourquoi il est si clairement nécessaire de faire notre juste part. C’est pourquoi nos engagements envers le commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord et envers notre relation stratégique avec les États-Unis sont si essentiels. C’est en faisant notre part dans ce partenariat et dans tous nos partenariats internationaux que nous avons du poids. En termes simples, la diplomatie et le développement canadiens nécessitent parfois l’appui de la puissance dure. Bien entendu, nous n’utilisons la force qu’en dernier ressort. Toutefois, l’utilisation de la force fondée sur des principes, de concert avec nos alliés et en fonction des lois internationales, fait partie de notre histoire et doit faire partie de notre avenir. »

KCNA KCNA/Reuters RTSL0PZ

Le leader nord-coréen Kim Jong Un à Pyongyang. Diffusion de l’agence de presse centrale coréenne (KCNA), le 4 août 2016.

Dans sa politique de défense de 2017, le gouvernement se base sur le « contexte de sécurité complexe et imprévisible » d’aujourd’hui pour avancer que « trois tendances clés de sécurité continueront d’influencer les événements » : a) « l’évolution de l’équilibre des pouvoirs » (c’est-à-dire « [l]e retour de la rivalité entre les grandes puissances, des nouvelles menaces des acteurs non étatiques et des défis que posent le domaine spatial et le cyberdomaine [qui] a replacé la dissuasion au centre de la réflexion sur la défense »; l’évolution du contexte dans l’Arctique; et de nombreux défis par rapport à la gouvernance mondiale); b) « la nature changeante du conflit » (c’est-à-dire, sa complexité grandissante, la « zone grise » et la guerre hybride, les liens entre les conflits interétatiques et intra-étatiques, le terrorisme mondial, les défis de sécurité posés par le changement climatique, la prolifération des armes et l’évolution de la nature des opérations de paix); et c) « l’évolution rapide de la technologie » (c’est-à-dire l’expansion du cyberdomaine et du domaine spatial, ainsi que les défis connexes).

Étant donné l’incertitude et la complexité du contexte de sécurité internationale – et leurs répercussions multiples pour le Canada – le pays « continuera d’investir dans une force polyvalente et prête au combat qui est en mesure d’agir de façon décisive et de produire des résultats dans l’ensemble du spectre des opérations. Les rôles et les missions des Forces armées canadiennes ont traditionnellement été caractérisés en termes géographiques, avec des lignes distinctes entre les responsabilités nationales, continentales et internationales. L’engagement des Forces armées canadiennes à défendre le Canada et l’ensemble du continent nord-américain, et à apporter une contribution à la paix et [à] la sécurité internationales sera plus solide que jamais. Toutefois, l’établissement de distinctions nettes entre les missions qui permettent d’assumer ces rôles est de moins en moins pertinent dans le nouveau contexte de sécurité. L’importance que prennent les menaces hors frontière comme le terrorisme et les cyberattaques, les liens de plus en plus étroits entre la stabilité mondiale et la sécurité et la prospérité nationales, et le fait que les Forces armées canadiennes soient aussi susceptibles d’appuyer les efforts pangouvernementaux généraux à l’étranger qu’au pays signifient que leurs trois rôles traditionnels sont de plus en plus inextricablement liés ».

Par conséquent, les « huit nouvelles missions principales » des Forces armées canadiennes présentées dans le document de politique de 2017 « doivent traduire cette réalité. Au lieu d’être simplement divisées géographiquement, elles sont désormais également envisagées en fonction du spectre des opérations militaires. Ces missions sont toutes essentielles à la réalisation des objectifs de défense du Canada et elles ne sont pas inscrites en ordre de priorité. » Les voici : a) « détecter et dissuader les menaces ou les attaques visant le Canada et s’en défendre »; b) « détecter et dissuader les menaces et les attaques visant l’Amérique du Nord et s’en défendre en partenariat avec les États-Unis, notamment par l’entremise du NORAD »; c) « diriger et/ou offrir des forces à l’OTAN et aux coalitions afin de dissuader et de défaire des adversaires, y compris des terroristes, à l’appui de la stabilité mondiale »; d) « diriger et/ou contribuer aux opérations de paix et aux missions de stabilisation internationales avec les Nations Unies, l’OTAN et d’autres partenaires multilatéraux »; e) « participer au renforcement des capacités à l’appui de la sécurité d’autres pays et de leur capacité d’apporter une contribution à la sécurité à l’étranger »; f) « prêter assistance aux autorités civiles et aux organismes d’application de la loi, y compris ceux chargés de la lutte contre le terrorisme, à l’appui de la sécurité nationale et de la sécurité des Canadiens à l’étranger »; g) « prêter assistance aux autorités civiles et aux partenaires non gouvernementaux à la suite de catastrophes ou d’urgences majeures survenant au pays ou à l’étranger »; et h) « mener des opérations de recherche et sauvetage ».

Photo du MDN ET2015-5118-005, par le matelot de 1re classe Ogle Henry

Le NCSM Winnipeg navigue dans l’Est de l’océan Atlantique, en route vers les lieux de l’exercice Trident Juncture durant l’opération Reassurance, le 21 octobre 2015.

Au grand soulagement des forces maritimes du Canada, dans son plan de défense de 2017, le gouvernement « finance entièrement, pour la première fois, les 15 navires de combat de surface canadiens [NCSC] […] nécessaires pour remplacer les frégates [de la classe Halifax] actuellement en service et les destroyers [de la classe Iroquois] mis hors service », a déclaré le ministre de la Défense Sajjan. « J’ai bien dit quinze. Je n’ai pas dit “ jusqu’à ” quinze et je n’ai pas dit douze, et encore moins six. Six, c’est le nombre de navires que le plan du gouvernement précédent aurait permis de financer, comme l’a rapporté le directeur parlementaire du budget […] ». Tel qu’il est indiqué dans la documentation connexe, les 15 navires de combat de surface canadiens d’une seule classe « seront en mesure de contrer les multiples menaces en haute mer et dans l’environnement côtier très complexe ». Dans son énoncé de politique, le gouvernement promet également d’aller de l’avant avec les plans hérités de son prédécesseur en ce qui concerne deux navires de soutien interarmées (NSI) et cinq ou six navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique. L’engagement qu’a pris le gouvernement Trudeau de financer entièrement les NCSC – qui seront de toute évidence la clé de voûte de la Marine royale canadienne – n’est pas une mince affaire; cela dit, sa concrétisation nécessitera l’injection soutenue de fonds importants pendant des dizaines d’années, au fil de différents mandats. Il reste donc à voir si la nouvelle flotte comptera finalement 15 frégates relativement haut de gamme ou une version diluée – d’autant plus que même les grandes marines sont sommées, pour des raisons économiques, politiques ou autres, de prévoir une combinaison de frégates haut et bas de gamme, ou haut et moyen de gamme (p. ex. le navire de type 26 et le navire intermédiaire projeté de type 31 de la Royal Navy). L’engagement à l’égard des navires de soutien interarmées (NSI) est une bonne chose, mais on devrait tout de même continuer d’envisager l’acquisition d’un navire de soutien supplémentaire possédant une meilleure polyvalence que les NSI ou que les navires prévus dans le cadre de la conversion vers la classe Resolve (p. ex. ravitaillement, transport maritime, soutien aux forces à terre, aide humanitaire et secours aux sinistrés). L’acquisition de ce genre de navire, qu’il s’agisse d’une conversion ou d’une nouvelle construction, serait en harmonie avec les priorités du gouvernement Trudeau en matière de défense.

Dans son énoncé de politique, le gouvernent s’engage en outre à « moderniser les quatre sous-marins de la classe Victoria », à « acquérir des systèmes nouveaux ou améliorés de renseignement, de surveillance et reconnaissance maritimes, de l’armement mis à niveau et des systèmes supplémentaires pour les plateformes actuelles et futures permettant des capacités navales offensives et défensives plus efficaces » et à « mettre à niveau les torpilles légères transportées par les navires de surface, les hélicoptères maritimes et les aéronefs de patrouille maritime ». La promesse de moderniser les quatre sous-marins de la classe Victoria a été accueillie favorablement dans certains milieux, mais des observateurs ont déploré l’absence d’un plan de remplacement pour les sous-marins et, en même temps, l’absence d’un plan de rééquilibrage du ratio entre les sous-marins et les navires de combat de surface dans la flotte canadienne.

Photo du MDN ET2016-0468-03, par le caporal Carbe Orellana

Le NCSM Chicoutimi escorte les navires de la Marine de l’Armée de libération populaire en visite à Victoria au nom des forces militaires chinoises, le 13 décembre 2016.

Pour l’Aviation royale canadienne, la pierre angulaire de la politique de défense de 2017 est la promesse de remplacer la flotte vieillissante de chasseurs CF-18 par « 88 chasseurs sophistiqués », à la suite d’un processus concurrentiel ouvert et transparent. La nouvelle flotte, beaucoup plus grande que la force de 65 chasseurs prévue par le gouvernement Harper dans la Stratégie de défense Le Canada d’abord, contribuera à « combattre les menaces changeantes actuelles », à « améliorer les capacités de contrôle et de frappe aériennes [du Canada] », et à nous permettre « de remplir entièrement nos engagements envers le NORAD et l’OTAN simultanément ». Dans un passage énigmatique de la politique, il est également mentionné que le gouvernement du Canada « continue d’étudier l’acquisition éventuelle d’un chasseur provisoire pour compléter [l’ancienne] flotte de chasseurs CF-18 jusqu’à ce que soit terminée la transition vers la flotte permanente de remplacement ». Le concept du chasseur provisoire remonte, du moins de manière officielle, à novembre 2016, lorsque le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il prévoyait acquérir 18 F/A-18E/F Super Hornet de Boeing. Il a soulevé un tollé de protestations de toutes parts, notamment de nombreux commandants de la force aérienne à la retraite. Selon eux, cette solution est ouvertement politique, en plus d’être inabordable et imprudente, et elle entraînerait une réaffectation inefficace des rares équipages et équipes au sol (p. ex. voir l’article « Fighter Jet Deal ‘Makes no Sense,’ Liberals Told » de John Ivison, dans le National Post du 23 février 2017). Dans un sondage mené en 2017 par l’Institut Macdonald-Laurier, 88 p. 100 des spécialistes de la défense ayant répondu ont rejeté la proposition relative aux Super Hornet provisoires. Par ailleurs, si jamais le gouvernement Trudeau finit par se raviser quant à l’option des chasseurs provisoires, il pourrait très bien tirer son épingle du jeu en alléguant la décision de Boeing de demander au département du Commerce et à l’International Trade Commission des États-Unis d’enquêter sur les subventions destinées à l’avion de ligne C-Series de Bombardier.

En plus de l’acquisition de 88 chasseurs perfectionnés, la politique de défense de 2017 comprend les engagements suivants : a) remplacer les CC-150 Polaris par des avions de ravitaillement en vol stratégiques de prochaine génération; b) remplacer les CP-140 Aurora par des avions multimission de renseignement, de surveillance et reconnaissance (RSR) de prochaine génération (il est à espérer qu’Ottawa résistera, comme l’a fait le premier gouvernement Trudeau au milieu des années 1970, aux lobbies politiques et industriels, car malgré l’attrait qu’exerce de prime abord l’adoption d’une solution canadienne aux besoins en avions de patrouille maritime et de RSR, les questions d’ordre opérationnel et financier demeurent nébuleuses); c) remplacer les avions de transport polyvalents CC-138 Twin Otter; d) acquérir de nouveaux missiles air-air courte et moyenne portée; e) investir dans des systèmes aériens télépilotés moyenne altitude; f) « [s]outenir les capacités nationales de recherche et sauvetage, notamment en prolongeant la durée de vie des systèmes existants, en acquérant de nouvelles plateformes et en assurant une intégration accrue avec nos partenaires internes et externes »; g) « [o]pérationnaliser la flotte d’avions de recherche et sauvetage [à voilure fixe] nouvellement acquise » (soit les C295W); h) mettre à niveau ou prolonger la durée de vie, à divers degrés, de l’hélicoptère de recherche et sauvetage CH-149 Cormorant, de l’avion de transport CC-130J Hercules et de l’hélicoptère utilitaire de transport tactique CH-146 Griffon; i) « [a]cquérir des capacités spatiales destinées à accroître la connaissance de la situation et le ciblage, notamment : le remplacement du système RADARSAT actuel, […] des capteurs capables d’identifier et de suivre des débris spatiaux pouvant menacer les systèmes spatiaux canadiens et alliés […] et des systèmes spatiaux qui étendront et amélioreront à l’échelle mondiale les communications tactiques par satellite à bande étroite et à large bande, y compris dans l’ensemble de la région de l’Arctique canadien »; j) mettre à niveau les systèmes de navigation, de gestion et de contrôle aériens; k) acquérir de nouveaux systèmes d’instruction des équipages; et l) « [a]cquérir des nouveaux systèmes de commandement, de contrôle et de communication intégrée tactique, de nouveaux dispositifs cryptographiques radio et d’autres systèmes de communication nécessaires. »

Bien qu’elles ne comprennent pas de mégaprojet comme celui des NCSC ou des chasseurs, les dépenses en immobilisations prévues pour l’Armée canadienne – qui « remplacera de nombreuses [italiques ajoutés] capacités importantes » – sont évaluées dans l’énoncé de 2017 comme étant « essentiel[les] à son efficacité future en tant que force prête au combat ». La politique Protection, sécurité, engagement entraînera les investissements suivants : a) « [a]cquérir des systèmes de défense aérienne au sol et les munitions appropriées qui sont capables de protéger tous les éléments de force sur le terrain contre les armes aéroportées »; b) acquérir un nouveau système d’arme polyvalent antiblindé et anti-structure; c) acquérir 20 000 nouveaux fusils d’assaut; d) « [m]ettre à niveau le parc de véhicules de combat légers, afin d’améliorer la mobilité et la surviabilité »; e) « [r]emplacer la famille de véhicules blindés de soutien au combat, qui comprend les véhicules de commandement, les ambulances et les équipes mobiles de réparation »; f) « [m]oderniser les véhicules logistiques, l’équipement lourd et les véhicules utilitaires légers »; g) « [a]cquérir des véhicules tout-terrain, des motoneiges et des véhicules utilitaires à chenilles semi-amphibies plus gros qui sont adaptés à l’environnement dans l’Arctique »; h) « [a]cquérir de l’équipement de communication, de maintien en puissance et de surviabilité pour les forces légères de l’Armée, y compris des radios légères et de l’équipement du soldat améliorés »; i) « [m]oderniser les systèmes de commandement et contrôle, de renseignement, de surveillance et de reconnaissance basés au sol »; j) « [a]méliorer la capacité de l’Armée d’effectuer des opérations dans les régions éloignées en investissant dans la modernisation des communications, des abris, de la production d’énergie, des systèmes avancés de purification de l’eau et de l’équipement pour les environnements difficiles »; k) acquérir de nouveaux systèmes de vision nocturne et des systèmes connexes; et l) « [m]oderniser l’ensemble des capacités de détection et de destruction des dispositifs explosifs de circonstance ».

Photo du MDN WT01-2017-0073-110, par le caporal-chef Malcom Byers

Des membres de la Force opérationnelle terrestre – Pacifique offrent à un Ranger canadien un parcours d’orientation à bord d’un véhicule blindé léger (VBL) 6.0 à Williams Lake (C.-B.) durant l’opération Lentus 17-04, le 25 juillet 2017.

Très longue et éclectique, la liste des dépenses en immobilisations figurant dans la politique de défense 2017 fournit une indication utile – qui donne à réfléchir – au sujet des écarts et des insuffisances de capacité qui ont foisonné dans l’Armée canadienne au cours des dernières années, voire décennies. Cela dit, le nombre de références aux « forces légères », aux « capacités des forces légères » améliorées et aux véhicules « légers » soulèvera des inquiétudes dans certains milieux quant à l’avenir des blindés lourds (c’est-à-dire, le char de combat principal Leopard C2).

En plus de prévoir l’ajout de 605 postes aux Forces d’opérations spéciales (FOS) du Canada – une amélioration tout à fait justifiée, étant donné le rythme élevé des opérations des formations de FOS – la politique de défense 2017 comprend les engagements suivants : a) « [a]cquérir des plateformes de renseignement, surveillance et reconnaissance aéroportées » (qui font l’objet de discussions depuis longtemps et qui peuvent être très utiles, mais qui supposent aussi des répercussions potentiellement délicates sur la recherche de renseignement et la protection des renseignements personnels au pays); b) « [r]emplacer les véhicules blindés de type VUS et de modèle commercial existants »; c) « [m]oderniser les systèmes d’information de commandement, de contrôle et de communication des [FOS], ainsi que les réseaux de défense informatiques »; et d) « [a]méliorer l’équipement intégré du soldat de prochaine généra­tion, les plateformes de mobilité terrestre et de mobilité mari­time, ainsi que les véhicules de combat des Forces d’opérations spéciales ».

D’autres initiatives mentionnées dans le document de politique de 2017 mettent l’accent sur l’avenir de la Force de réserve, sur la multiplication des contacts avec le milieu universitaire (p. ex. « 4,5 millions de dollars par années pour financer un Programme de coopération de la Défense remanié et élargi, notamment des réseaux collaboratifs d’experts, un nouveau programme de bourse d’études […] et l’expansion de la série existante de conférences animées par des spécialistes, ainsi que le Programme de subventions de coopération »), sur une présence accrue dans l’Arctique et sur l’amélioration du processus d’approvisionnement en matière de défense. L’énoncé de politique précise que « [b]ien que la Force de réserve apporte depuis très longtemps des contributions importantes aux opérations des Forces armées canadiennes, plus récemment dans le cadre du conflit en Afghanistan, des améliorations importantes doivent être apportées à la Réserve pour lui permettre d’atteindre son plein potentiel opérationnel ». Les unités et les formations de la Réserve se verront donc attribuer « de nouveaux rôles qui fournissent une capacité à temps plein aux Forces armées canadiennes à l’aide d’un service à temps partiel, y compris :  [r]echerche et sauvetage en milieu urbain avec équipement léger, [d]éfense chimique, biologique, radiologique et nucléaire, [c]apacités de combat (p. ex. pelotons de tir direct, de mortier et de pionniers), [c]yberopérateurs, [s]pécialistes du renseignement, [é]quipes de sécurité navale et [l]inguistes ». Les rôles actuels des réservistes seraient élargis, ce qui comprend les opérations d’information, le soutien au combat, le soutien logistique au combat et le soutien aux opérations aériennes. Cette liste est très louable, mais elle pourrait faire craindre dans certains milieux de la Réserve une apparente transition vers la spécialisation.

En ce qui concerne les opérations dans l’Arctique, voici les nouvelles initiatives mises de l’avant : « [a]ccroître la mobilité, la portée et la présence des Forces armées canadiennes […] afin d’appuyer les opérations, les exercices et la capacité de rayonnement des Forces armées canadiennes dans la région »; « [a]ligner la Zone d’identification de la défense aérienne du Canada (CADIZ) à notre espace aérien souverain »; « [a]méliorer et augmenter l’instruction et l’efficacité des Rangers canadiens dans le but de rehausser leurs capacités fonctionnelles au sein des Forces armées canadiennes »; « [c]ollaborer avec les États-Unis sur le développement de nouvelles technologies destinées à améliorer la surveillance et le contrôle de l’Arctique, notamment le renouvèlement du Système d’alerte du Nord »; et « [m]ener des exercices conjoints avec nos alliés et nos parte­naires dans l’Arctique, et contribuer au renforcement de la connaissance de la situation et des moyens d’échange d’information dans la région, notamment avec l’OTAN ». Selon Rob Huebert, autorité en ce qui concerne l’Arctique, ces déclarations, ainsi que d’autres déclarations connexes, marquent le passage d’une approche axée sur la défense de la souveraineté dans l’Arctique à une approche centrée sur la sécurité. En vue d’établir un « approvisionnement efficace en matière de défense » – ce qui, comme il est adéquatement précisé dans la politique de défense 2017, est « essentiel afin d’assurer la confiance du public » – de nouvelles initiatives sont également prévues, telles que « [r]éduire les délais d’élaboration et d’approbation des projets au ministère de la Défense nationale d’au moins 50 p. 100 pour les projets à faible risque et peu complexes en améliorant la coordination interne, en augmentant la délégation et en renforçant les processus d’approbation », « accroître et professionnaliser les effectifs chargés de l’approvisionnement de défense afin de renforcer la capacité de gérer l’acquisition et le soutien des capacités militaires complexes d’aujourd’hui » et « [a]ccroître la transparence et la rapidité des communications aux associations de l’industrie de la défense » et avec le public.

Photo du MDN YK-2016-036-004, par le maître de 2e classe Belinda Groves

Photographie aérienne du Nunavut, prise à bord d’un CC-177 Globemaster III durant l’opération Nevus, le 10 juin 2016.

Comme on pouvait s’y attendre, l’énoncé de la politique de 2017 a d’abord reçu un accueil mitigé de la part des analystes de la défense et d’autres intervenants, allant de l’approbation presque unanime de l’attention accordée à la santé et au bien-être, à diverses critiques par rapport à un manque perçu de détail à différents égards et à un flou perçu en ce qui concerne les priorités en matière de politique de défense, en passant par des plaintes au sujet de l’enchaînement peu orthodoxe des « chapitres ». Cependant, ce qui a retenu l’attention d’une écrasante majorité, c’est l’importance (ou au contraire, l’insuffisance) des fonds supplémentaires promis par le gouvernement Trudeau. Le 7 juin 2017, l’éditorialiste du Globe and Mail adoptait une position modérée, déplorant que le nouveau plan de défense ait pour objectif de « permettre aux Forces [armées] canadiennes de faire dans dix ans à peu près ce qu’elles faisaient déjà il y a dix ans » [TCO], mais reconnaissant que le gouvernement Trudeau « promet néanmoins de dépenser davantage pour la défense, et non l’inverse. Il s’engage à renverser le déclin des Forces [armées] canadiennes, et non à l’accélérer. Et il promet de donner le feu vert aux deux projets les plus importants, soit les chasseurs et les navires [de combat], malgré des coûts énormes, dont la hausse est vertigineuse. Ce n’est pas rien. » [TCO] En effet, comme l’a mentionné le ministre de la Défense, le budget de la défense passera, selon une comptabilité de trésorerie, de 18,9 milliards de dollars en 2016-2017 à 32,7 milliards de dollars en 2026-2027. Ces chiffres, a-t-il ajouté, ne tiennent pas compte du coût des prochaines opérations majeures ni de la modernisation du NORAD. D’autres sommes importantes seront injectées après 2026-2027. Toutefois, à bien des égards, la question qui se pose vraiment n’est peut-être pas quel sera le montant total de ce nouveau financement – aussi important soit-il – mais avec quelle rapidité cet argent frais sera effectivement versé.

Martin Shadwick a enseigné la politique de défense canadienne à l’Université York de Toronto pendant bon nombre d’années. Il a déjà été rédacteur en chef de la Revue canadienne de défense et il est actuellement le commentateur attitré en matière de défense à la Revue militaire canadienne.