Sélection de la langue

Search

Revue militaire canadienne [Vol. 22, No 2, printemps 2022]
Le personnel

Adj Jerry Kean/Photo du MDN

Le major-général (à la retraite) David Neasmith (qui était à ce moment brigadier-général), commandant du Secteur de l’Atlantique de la Force terrestre, discute avec les membres du 36e Groupe-brigade du Canada et du 37e Groupe-brigade du Canada dans le secteur d’entraînement de Fort Pickett, en Virginie, aux États-Unis, le 5 mars 2009.

M. Luc Pigeon a obtenu en 2001 un Ph. D. international conjoint en génie électrique (avec grande distinction) de l’École nationale supérieure des télécommunications de Bretagne à Brest, en France, et en sciences géomatiques de l’Université Laval, à Québec, au Canada. Depuis 20 ans, il agi à titre de Scientifique de la défense à Recherche et développement pour la défense Canada. Au cours des années, il a fourni des conseils en matière de commandement et contrôle (C2) et de renseignement afin de mettre sur pied des capacités en vue de mener des opérations urbaines, des contre-insurrections, des opérations de défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CBRN) et des opérations de défense continentale. Il mène actuellement des recherches sur les aspects liés au C2 du concept d’emploi de la force dans tous les domaines.

À la suite de sa retraite des forces armées, M. Russell W. Glenn, Ph. D., a travaillé dans le monde des groupes de réflexion pendant 16 ans avant d’accepter un poste au sein du corps professoral du Strategic and Defence Studies Centre à l’Université nationale d’Australie. Il a co-rédigé cet article alors qu’il occupait des fonctions au sein du G2 du U.S. Army Training and Doctrine Command. M. Glenn est co-auteur et éditeur de l’ouvrage « Trust and Leadership: The Australian Army Approach to Mission Command », qui a été récemment publié et de “Come Hell or High Water: Readying the World’s Megacities for Disaster”, qui doit être publié sous peu.

L’analogie d’une équipe de course de Formule 1 permet de mettre en lumière le risque d’accorder une très grande attention aux parties individuelles d’une initiative au lieu de reconnaître et de réaliser les objectifs de l’ensemble. Une vision fragmentaire prive les gestionnaires de tous les échelons de la perspective essentielle pour prendre des décisions correctes dans l’intérêt de la sécurité nationale et de ceux qui servent sur le terrain. La Deuxième Guerre mondiale a montré qu’il est important d’assurer un équilibre entre les exigences liées au champ de bataille et celles qui sont nécessaires pour remporter la victoire. Ainsi, on a non seulement tiré parti des compétences et de l’engagement de tous les gouvernements des Alliés – une approche pangouvernementale – mais cela a également permis une participation élargie que l’on peut qualifier de « pannationale » ou, plus largement, d’«- approche globale ou liée à l’ensemble de l’alliance » qui a franchi les frontières internationales et les limites entre les entreprises gouvernementales et civiles. Les menaces actuelles à la sécurité de nos pays ressemblent à celles de la fin des années 1930 et du début des années 1940, tout en étant également très différentes. Hier comme aujourd’hui, les menaces sont évidentes, mais parfois trop inconfortables pour être affrontées. Les menaces militaires sont encore moins évidentes, car les manœuvres de ceux qui ont de mauvaises intentions peuvent être actuellement représentées par un mélange machiavélique d’ingérence économique, diplomatique, informationnelle et cybernétique dans les affaires intérieures de nos pays, et les activités militaires ne constituent que l’un des nombreux outils potentiellement utilisés. L’Occident se tient prêt en maintenant la capacité militaire la plus remarquable au monde, mais au cours des futurs conflits, cette capacité pourrait être consciemment marginalisée par nos adversaires. Un exemple révélateur est celui des soldats français qui, entre les deux guerres mondiales, se tenaient prêts à défendre la ligne Maginot contre la menace croissante de la Wehrmacht. La France est tombée lorsque l’Allemagne a flanqué les défenses sur lesquelles elle avait misé pour assurer la sécurité de son peuple, et les Occidentaux constatent aujourd’hui que leur supériorité militaire est surpassée dans d’autres domaines. Plus que jamais depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’état de préparation militaire ne suffit plus à lui seul. Le Canada, les États-Unis et leurs partenaires multinationaux ont besoin de capacités de défense supérieures à celles fournies par leurs seuls ministères de la Défense.

Everett Collection Historical/Alamy Stock Photo

La ligne Maginot, à la frontière franco-allemande, en décembre 1939. Les troupes britanniques traversent le pont vers la forteresse souterraine française.

Il ne faut pas pour autant mettre de côté la préparation militaire. Celle-ci demeure un élément fondamental de notre puissance nationale. Les forces militaires doivent être prêtes à assumer leurs responsabilités étant donné qu’elles constituent l’un des outils dont peuvent se servir les leaders politiques pour assurer la défense contre les forces œuvrant dans les multiples domaines susmentionnés. Bien que nos forces armées soient sans doute les plus compétentes au monde, les processus de développement des capacités qui les appuient souffrent d’une approche fragmentée qui a pour effet de polariser l’attention sur l’optimisation des composantes au détriment de l’ensemble. Le présent article traite des répercussions de cette lacune et de la façon dont on peut la pallier. L’accent sera mis sur l’état de préparation militaire, mais les approches que nous proposons s’appliquent aussi à ceux dont la sphère de responsabilités est moins axée sur l’aspect militaire qu’économique ou autrement circonscrit. De plus, nous nous inspirerons des défis associés à l’environnement de combat sans doute le plus difficile pour les soldats – les zones urbaines – alors que nous examinerons la façon d’améliorer le développement des capacités. Le choix est pertinent compte tenu des difficultés démontrées à relever les défis liés aux opérations urbaines. Malgré les millions dépensés pour améliorer les technologies utilisées dans ces initiatives, les soldats et les marins sécurisent les pièces et les bâtiments comme ils le faisaient durant la Deuxième Guerre mondiale. Toute solution nécessite une vaste gamme d’approches qui doivent continuellement se compléter si l’on vise le succès.

Quelles que soient la qualité et la complexité des efforts déployés par ses composantes, une équipe de course ne peut s’attendre à remporter la victoire en considérant séparément le carburant, les pneus, les systèmes de communication, les ordinateurs de bord et les ordinateurs hors-bord, l’équipe de puit, le pilote et la myriade d’autres éléments qui doivent collaborer pour que la voiture arrive la première à la ligne d’arrivée. De même, il est impossible pour une seule personne de gérer tous les détails essentiels à la victoire. Des énoncés de mission et d’intention clairs qui fournissent une orientation continue à tous les membres de l’équipe sont essentiels pour organiser les actions de l’ensemble de l’équipe de course. Des échanges constants entre les chefs d’équipe et les autres membres favorisent l’affectation éclairée des ressources par les dirigeants, dictée par des conseils efficaces provenant des niveaux inférieurs. Cette communication doit être continue et équilibrée pour que toutes les parties agissent le plus efficacement possible en une seule entité. Les renseignements fournis par les pilotes et les personnes qui assurent de façon étroite le rendement quotidien du véhicule ne doivent pas perdre la vue d’ensemble, c’est-à-dire le système complet visant l’objectif de la victoire. Les supérieurs ne peuvent pas se permettre de ne pas tenir compte de ces renseignements, car le système cessera de fonctionner si les composants individuels tombent en panne. De plus, même s’il est nécessaire de satisfaire aux exigences actuelles de la course, cela ne suffit pas. L’équipe doit aussi regarder vers l’avenir pour s’assurer que les parties individuelles et l’ensemble du groupe anticipent les exigences continuellement changeantes de la course en Formule 1, s’y adaptent et s’y conforment. Pour parvenir à cette fin symphonique au cours du développement des capacités militaires, on doit orchestrer les exigences de chaque environnement de défense (armée de terre, marine, force aérienne – et de plus en plus, d’autres organisations pertinentes telles que celles axées sur la défense de l’espace ou la cyberdéfense) qui, ensemble, forment la totalité des composantes de notre équipe de course. Le développement des capacités doit maintenir un équilibre non seulement entre les exigences en matière d’efficacité de l’ensemble et des composantes, mais aussi entre les exigences actuelles et futures. En pratique, pour obtenir la synergie souhaitée, on doit tenir compte de toutes les contributions des participants concernés au cours du processus de développement des capacités.

Exemple : les opérations urbaines

L’opération Just Cause au Panama en 1989-1990 a laissé entrevoir une évolution. En raison de la perte de 2 hélicoptères et de 18 soldats américains dans les rues poussiéreuses de Mogadiscio en 1993, de même que d’un nombre encore plus important de Russes le long des avenues de Grozny jonchées de décombres plusieurs années plus tard, il est devenu impossible de ne pas reconnaître les dangers – les zones urbaines sont devenues un environnement, voire l’environnement de choix pour ceux qui affrontent les armées les plus sophistiquées au monde. Les combats à Bagdad, à Mossoul et à Falloujah ainsi que bien d’autres combats subséquents en zones urbaines ont confirmé cette tendance. C’est à l’intérieur et à proximité des bâtiments des villes et au sein de leur population que les organisations moins bien équipées et entraînées cherchent à vaincre de façon tactique les forces armées plus sophistiquées, ce qui se traduirait par un embarras stratégique et peut-être un désengagement. Les lignes de visées limitées des villes, les nombreuses voies d’approche d’entrée et de sorties, les noncombattants qui fournissent une dissimulation, un soutien et des boucliers humains volontaires et involontaires, des moyens de communication omniprésents et la masse des médias qui ne sont que trop disposés à rapporter les succès du « plus faible » fournissent tous un grand nombre d’éléments permettant de déformer délibérément ou par inadvertance les intentions des forces occidentales, et ces éléments sont facilement accessibles aux consommateurs d’information du monde entier. Il est tout aussi troublant de constater que les zones urbaines attirent tant les terroristes que les combattants ennemis.

Everett Collection Inc. / Alamy Stock Photo

Les flammes engloutissent les bâtiments de la ville de Panama pendant les combats urbains entre les forces de défense panaméennes et les forces américaines lors de l’invasion du Panama, le 21 décembre 1989.

L’histoire a montré que le gouvernement d’une ville peut être dépassé par quelques insurgés, terroristes et autres personnes ayant des intentions malveillantes. (Rappelons-nous les attaques terroristes à Mumbai en 2008 effectuées par seulement 10 personnes.) Les récents événements à Boston, à Paris, à Londres et ailleurs montrent que même les forces de sécurité les mieux équipées, dirigées et formées au monde peuvent être mises à l’épreuve par celles qui disposent de ressources limitées et dont les fondements moraux sont douteux. Bien que certains coups impressionnants de renseignement aient permis d’intercepter les intentions de terroristes, vu la complexité des théâtres urbains, il s’avère impossible d’assurer une prévention complète. La présence de multiples paliers d’autorités – municipales, régionales, étatiques et nationales – accentue les défis liés à l’organisation des ressources essentielles pour se préparer à de telles attaques et coordonner par la suite les interventions au secours des victimes. Cette collaboration, qui est de toute évidence nécessaire, n’en brille pas moins par son absence fréquente.

Les opérations urbaines nécessitent l’organisation de toutes les ressources pertinentes disponibles, qu’elles soient civiles, militaires, gouvernementales ou autres – tout comme notre équipe de course. C’est le cas pour tous les types de mission, qu’il s’agisse d’aide humanitaire et de secours aux sinistrés dans des environnements non hostiles, de contre-insurrection ou d’engagements armés entre forces égales à grande échelle (et parfois de tous ces engagements en même temps). La complexité des zones urbaines génère des exigences disproportionnées en matière de processus décisionnels qui sont essentielles pour rassembler ces éléments disparates. Les nombreuses interactions entre les infrastructures sociales et physiques des zones urbaines – difficiles à cerner de façon exhaustive et encore moins à comprendre pleinement – peuvent susciter des interventions ou des actions à retardement en l’absence d’information clé, et celles--ci peuvent aller à l’encontre d’objectifs stratégiques. C’est un cercle vicieux pour les leaders, en particulier dans le cas des mégalopoles dont le système extraordinaire d’interconnections globales fait en sorte que les répercussions d’une décision peuvent se faire sentir dans l’ensemble de la zone urbaine, dans la région internationale élargie et dans le monde entier. Les défis liés à la compréhension de la situation et, par extension, au maintien de l’état de préparation, constituent des obstacles importants à la mise en œuvre des ressources nécessaires. La nature de ces lacunes et les efforts pour les atténuer représentent une préoccupation importante pour les maîtres à penser politiques, les décideurs, les stratèges militaires, les responsables du développement des capacités et les leaders aux niveaux tactique et opérationnel.

La complexité susmentionnée des relations dans les grandes zones urbaines constitue l’un de ces défis, car il peut s’avérer difficile de prévoir les résultats des interactions, même de premier ordre. Il est encore plus difficile d’évaluer la nature des effets de deuxième et de troisième ordre ainsi que les conséquences des décisions de sécurité sur ces effets. Il est donc ardu 1) d’anticiper, 2) de s’adapter et 3) de répondre de façon efficace. Le dernier point est une conséquence des deux premiers. Si une coalition ne peut anticiper les événements à venir, sa capacité d’adaptation s’en trouve altérée. Cela peut également entraîner des interventions lentes, inadéquates ou inappropriées. Les événements des 3 et 4 octobre 1993 à Mogadiscio sont un exemple de ces trois lacunes qui surviennent simultanément. Les leaders américains dans la capitale somalienne n’ont pas prévu que leur adversaire adapterait ses réponses aux raids des forces des États-Unis. Les insurgés et les forces criminelles (qui bien souvent ne forment qu’un) ont observé les tactiques des États-Unis et ont mis en place des procédures d’alerte lointaine. Les hypothèses des Américains en matière de planification ont donc été invalidées. Les succès précédents ont embrouillé la perception des leaders concernant les activités en cours. Ceux-ci étaient donc moins en mesure de percevoir les ajustements effectués par l’ennemi et de s’y adapter. On peut en dire autant des opérations de la Russie en Tchétchénie, où les premiers succès remportés durant l’approche vers Grozny ont aveuglé les leaders en ce qui concerne les conditions auxquelles ceux-ci allaient être confrontés dans la capitale. Les attaques terroristes de 2008 à Mumbai montrent aussi l’incapacité d’anticiper et, par conséquent, de s’adapter et de répondre efficacement. Mumbai a beau être la quatrième zone urbaine la plus peuplée du monde, les forces d’intervention locales n’étaient pas préparées, les forces plus compétentes étaient trop loin, et l’intervention de l’ensemble de ces forces n’a pas été bien coordonnée.

ZUMA Press, Inc. / Alamy Stock Photo

Les restes d’un hélicoptère Apache américain abattu dans un quartier excentré de Mogadiscio, en Somalie, le 30 novembre 1993.

Tout comme la victoire à une course de Formule 1 nécessite une compréhension exhaustive de la façon dont chaque aspect de la course soutient l’objectif ultime de la victoire, les environnements urbains requièrent une compréhension de leur globalité très complexe. Les leaders supérieurs font face à un dilemme lorsqu’ils comprennent les répercussions possibles des décisions prises aux niveaux inférieurs. La difficulté de maintenir les communications et la connaissance des conditions s’avère particulièrement considérable étant donné les obstructions dans la ligne de visée, la multiplicité des utilisateurs de la bande passante et des fréquences, et les changements rapides de situation.

En raison de la nature dynamique de ces environnements, il est encore plus délicat d’anticiper les changements inévitables mais imprévisibles; il est donc difficile de reproduire les exigences en matière d’adaptation éclairée et opportune dans un contexte d’instruction. Par conséquent, cela s’avère extrêmement exigeant pour chaque partie des capacités d’une armée ou d’une coalition. La proximité physique qui caractérise souvent les opérations urbaines peut nuire à la confiance entre partenaires, car les actions d’un membre de la coalition peut compromettre les objectifs de certains ou de tous les autres. Les frictions sont plus probables; les différences nuancées entre les objectifs opérationnels et le nombre de parties prenantes rendent difficiles la mise en place et le maintien d’une cohésion de la coalition (on doit tenir compte d’éléments ennemis ou criminels, d’acteurs de la sphère économique, de partis politiques locaux, et d’autres parties ayant des objectifs parfois en opposition directe avec ceux de la coalition). Le caractère indissociable des considérations tactiques, opérationnelles et stratégiques exacerbe les défis liés aux opérations urbaines. On doit nécessairement comprendre les répercussions de cette complexité extrême pour obtenir une vision d’ensemble; cette compréhension s’avère donc essentielle pour mieux satisfaire aux besoins actuels et futurs des utilisateurs.

Écart entre les résultats du développement des capacités et les besoins actuels et futurs des utilisateurs

Il y a toujours lieu d’accroître l’efficacité du processus de développement des capacités. Le moment présent est particulièrement propice alors que nous continuons d’élaborer le concept d’emploi de la forcepandomaine (au Canada) et des opérations multidomaines/opérations interarmées tous domaines (aux États-Unis) en vue de transposer ces concepts dans la doctrine. Cela vient s’ajouter à l’éventail beaucoup plus large des exigences de sécurité qui comprennent la défense CBRN, la défense antimissile et l’ensemble des considérations liées à l’aide humanitaire et au secours aux sinistrés.

Actuellement, les processus de développement des capacités du Canada et des États-Unis sont trop souvent axés sur les composantes individuelles de notre équipe de course sans porter suffisamment attention à l’ensemble dont ces composantes font partie. Pour pallier les lacunes actuelles et futures à cet égard, une clé, voire la clé, consiste à établir une meilleure relation, plus réactive et mieux équilibrée, entre les représentants de la communauté de développement et les utilisateurs sur le terrain, y compris les personnes qui exercent des fonctions dans de nouveaux domaines à court, à moyen et à long termes. L’emploi efficace du commandement de mission, soit « la pratique de confier une mission à un commandant subordonné sans préciser la façon dont celle-ci doit être réaliséeNote de bas de page 1 » est essentiel pour établir et maintenir cette relation. Même si nous examinons de quelle façon le développement des capacités peut accroître sa valeur pour les utilisateurs sur le terrain et la sécurité nationale en général, des voies de communication ouvertes entre les parties demeurent essentielles pour conserver l’équilibre permettant d’éviter qu’un élément domine les autres et donc compromette la réalisation de l’objectif principal.

Cplc Ken Galbraith/Photo du MDN

Des membres de la compagnie India, du 2e Bataillon, The Royal Canadian Regiment appuient le gouvernement provincial et les autorités municipales en participant aux efforts de secours dans le cadre de l’opération LENTUS, à Maugerville, au Nouveau Brunswick, le 20 avril 2019. L’opération LENTUS correspond aux interventions des Forces armées canadiennes (FAC) en cas de catastrophes naturelles au Canada.

À cette fin, il faut une ligne de communication ouverte et quasi constante qui permet aux utilisateurs d’être informés de l’état d’avancement des responsables du développement des capacités. De leur côté, les responsables du développement des capacités doivent connaître les exigences du terrain, tant les exigences actuelles que celles prévues par ceux qui doivent les satisfaire, dans l’environnement opérationnel. La connaissance équilibrée qui en résulte doit non seulement comprendre les échelons qui utilisent directement les contributions des responsables du développement des capacités sur le terrain, mais aussi les perspectives des leaders et des utilisateurs aux niveaux intermédiaires étant donné que les exigences évolueront également à ces niveaux. En d’autres termes, les responsables du développement des capacités, qui ont reçu des directives des supérieurs et des dirigeants politiques, communiquent aux utilisateurs leur compréhension des exigences des utilisateurs finaux. À leur tour, les utilisateurs donnent leurs commentaires sur la mesure dans laquelle, selon eux, les responsables du développement des capacités ont compris les exigences actuelles et en évolution.

Commandement de mission : la clé de la cohérence opérationnelle

Cette relation dynamique découle de l’application efficace du commandement de mission. À notre avis, il s’agit d’une culture que les responsables du développement des capacités et les utilisateurs doivent adopter non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans le cadre de tous les aspects du développement des capacités, de l’instruction et des opérations. (Une telle utilisation du concept de commandement de mission n’est en aucun cas révolutionnaire. Bien qu’ils ne soient pas associés à l’appellation « commandement de mission », les policiers de la ville de New York et les pompiers de la Californie font partie des nombreuses organisations non militaires qui utilisent cette approche sous une forme quelconque.) Si nous revenons à notre analogie sur la course, chaque service représente une équipe comptant de multiples parties, tout comme les forces armées d’un pays devraient constituer une équipe interarmées formée de ses services de composantes. La priorité absolue en matière de développement des capacités interarmées et des capacités des services doit être la détermination des besoins actuels et futurs en tenant compte des ressources déjà disponibles, mais sans s’y limiter. Pour y parvenir, on doit obtenir des énoncés de mission et d’intention clairement articulés tant pour les services individuels que pour la force interarmées dont ils font partie.

Le commandement de mission nous permet de maintenir la cohérence de l’objectif et de l’approche même quand cela nécessite de nombreuses parties et des considérations connexes. Les leaders supérieurs indiquent clairement ce que doivent accomplir les subordonnés participant à la mission et précisent leur intention sur la mesure dans laquelle cette mission soutient un état final souhaité plus large, c’est-à-dire la manière dont la mission s’inscrit dans le contexte d’opération dans son ensemble. (Dans notre exemple, l’intention décrirait clairement que l’objectif ultime de l’équipe de course correspond à ses actions collectives.) Les décideurs de chaque échelon doivent comprendre l’orientation du commandement fournie par les leaders d’au minimum deux échelons supérieurs s’ils veulent comprendre le contexte dans lequel s’inscrivent les actions de leur organisation. Si cela est correctement effectué, les subordonnés et les partenaires participants disposent ainsi de l’information nécessaire pour adapter leurs activités en vue d’atteindre les objectifs supérieurs dans le cas où l’orientation de la mission n’est plus suffisante. Une telle adaptation s’avère souvent essentielle, en particulier aux niveaux tactiques inférieurs, où les conditions évoluent le plus rapidement. Le leader qui se trouve le plus près de l’action est le mieux placé pour comprendre les défis imminents.

Une adaptation réussie repose sur la capacité de déterminer de quelle façon les intentions des leaders supérieurs s’appliquent à la situation à la lumière de l’orientation de la mission. Si l’on met adéquatement en pratique le commandement de mission, la nature décentralisée de celui-ci fournit aux leaders des échelons inférieurs l’autorité nécessaire pour prendre les mesures pertinentes afin de composer avec les défis en évolution. Le commandement de mission leur assure également la souplesse voulue pour adapter les ordres en fonction de la situation et permet aux leaders supérieurs d’avoir une portée opérationnelle autrement impossible. La philosophie du commandement de mission offre un outil qui soutient le maintien de la cohérence stratégique (l’objectif de l’équipe de course dans son ensemble), même lorsque les capacités (ses composantes) agissent de façon suffisamment autonome pour servir dynamiquement cet objectif aussi efficacement que possible.

Les technologies aident de plus en plus les leaders tactiques à voir au-delà du bâtiment suivant ou à l’intérieur de celui-ci durant les opérations urbaines, ce qui permet de réduire le risque de contact surprise à courte portée ou de trouver plus facilement des victimes qui ont besoin d’aide à la suite d’une catastrophe. Nos forces armées possèdent déjà des véhicules aériens sans pilote (UAV) et des véhicules terrestres sans pilote (UGV) qui fournissent des « yeux », des « oreilles » et d’autres capteurs de renseignements sans exposer les soldats. Ces systèmes ont prouvé leur utilité notamment à Mossoul et à Raqqa au cours de récentes opérations urbaines. La combinaison des technologies des UAV/UGV et d’infonuagique – que ce soit au moyen d’un seul nuage ou de plusieurs petits nuages – promet également aux utilisateurs un meilleur accès aux données fournies par ces capteurs, un accès à une gamme de renseignements encore plus vastes et une résilience accrue des réseaux de communication. Tôt ou tard, les transmissions individuelles d’une personne à l’autre perdront de leur nécessité étant donné que les leaders de tous les échelons sont en mesure d’« accéder » à un nuage et d’obtenir ce dont ils ont besoin au moment opportun et d’une façon adéquate selon leur situation respective.

Caporal David Veldman/Photo des Forces armées canadiennes

Un membre du Quartier général de la Flotte canadienne de l’Atlantique prépare un véhicule aérien sans pilote (UAV) Puma en vue d’un vol; il se trouve à bord du NCSM Harry DeWolf durant une sortie de mise à l’épreuve des compétences, le 4 novembre 2020.

La dispersion géographique et les populations nombreuses des plus grandes zones urbaines du monde continuent de croître. Cela signifie que davantage de personnes, de structures et d’infrastructures sont dispersées dans une plus grande zone (ou, ce qui est plus exact, représentent un volume plus important étant donné qu’une grande partie de ces villes se trouve au-dessus ou au-dessous du sol). Par conséquent, il y a non seulement plus de civils à ne pas blesser, mais ces civils, et d’autres caractéristiques des zones urbaines, sont dispersés sur un terrain plus vaste. Une force qui traverse ces environnements hautement complexes ou qui combat dans de tels environnements doit le faire sur une plus grande distance et pendant des périodes prolongées. Nous devons nous rappeler que si la zone urbaine est une mégalopoleNote de bas de page 2, son influence accrue dans les sphères économiques, politiques et autres signifie que les relations entre les actions de la coalition auront des répercussions de deuxième ordre et d’ordre supérieur qui dépassent la zone urbaine en elle-même. Ces répercussions seront difficiles à évaluer. Le fait que de telles opérations nécessitent davantage que des forces militaires constitue un autre défi pour les décideurs. Il n’est guère étonnant que la complexité urbaine continue de dépasser les progrès organisationnels et technologiques. Par conséquent, le développement des capacités est toujours « en mode rattrapage ». Le commandement de mission permet aux responsables du développement des capacités de rester au fait en ce qui concerne les objectifs de défense.

Comme il a été susmentionné, trop peu de choses ont changé dans notre façon de traiter les opérations urbaines malgré les récentes leçons de l’histoire et des investissements technologiques majeurs. Bien que nous ayons accès à plus de données que jamais, ces données se trouvent sous tellement de formes, sont réparties dans l’ensemble de tant d’organisations et dépendent d’un si grand nombre de types de matériel et de logiciels (souvent incompatibles) que, souvent, nous ne pouvons pas cerner les éléments pertinents et les intégrer aux processus décisionnels d’une manière opportune et utilisable. La complexité des zones urbaines présente suffisamment de défis sans qu’il faille continuer de s’infliger l’achat et le développement de logiciels et de matériels incompatibles au sein de nos communautés de défense, et a fortiriori dans l’ensemble du gouvernement. Le défi s’accentue par le fait que les données pertinentes doivent être mises en contexte avant d’être exploitées. Dans les exemples donnés, de nombreuses causes sous-jacentes ont entraîné des pertes parmi les soldats. Il nous incombe de faire notre possible pour éviter ces pertes à l’avenir. Avons-nous suffisamment réussi à surmonter les défis liés à l’information et aux communications qui ont nui aux commandants durant les opérations à Mogadiscio en 1993 puis en Iraq et en Afghanistan? Malheureusement, non.

L’intégration d’échanges d’information bidirectionnels entre les responsables du développement des capacités et les utilisateurs dans le cadre du commandement de mission aurait pour résultat final d’accroître la pertinence du développement des capacités pour les personnes sur le terrain et la sécurité nationale de façon plus large. L’atteinte de ce résultat final hautement souhaitable nécessite une compréhension commune d’un état final commun (comme il est articulé dans une intention) et une mission qui précise les étapes requises pour atteindre l’état final souhaité. Élaborées adéquatement, l’intention et la mission permettent de traiter non seulement les exigences actuelles, mais aussi les adaptations nécessaires pour satisfaire aux exigences en évolution et celles à déterminer, des adaptations qui ont lieu idéalement de façon consécutive plutôt que séquentielle.

Comme exemple de réussite à cet égard, on peut penser à l’excellente description de Paul Kennedy concernant le développement du P-51 Mustang au milieu de la campagne de bombardement en Europe au cours de la Deuxième Guerre mondialeNote de bas de page 3. Le 14 octobre 1943, 291 bombardiers B-17 Flying Fortress et leurs équipages ont quitté l’Angleterre en direction de leurs objectifs à Ratisbonne et dans la ville de Schweinfurt. Ce n’est qu’après le retour du P-47 Thunderbolt à portée limitée que la Luftwaffe a envoyé des vagues répétées parmi les bombardiers. Ce jour-là, 60 avions Flying Fortress et 600 membres d’équipage ne sont pas revenus. Certains jours, les pertes en matière d’aéronefs et de membres d’équipage britanniques furent tout aussi brutales contre d’autres objectifs.

Shawshots / Alamy Stock Photo

En 1943, un B-17 Flying Fortress de la 8th Air Force américaine effectue un raid de bombardement sur une avionnerie Focke Wulf à Marienburg, en Allemagne, durant la Deuxième Guerre mondiale.

Comme pour notre équipe de course, la production d’un chasseur gagnant requiert l’assemblage de toutes les parties d’une manière efficace et adaptée à la forme, tant physiquement qu’ergonomiquement. C’est également le cas pour les systèmes de combat plus vastes dont fait partie le chasseur, soit ceux qui mènent les raids de bombardement et qui visent à obtenir et à maintenir la supériorité aérienne, ou à interdirent les forces terrestres ennemies qui tentent de contrer les attaques des Alliés, ou tout autre moyen nécessaire pour remporter non seulement une course, mais aussi une guerre. Le P-51 Mustang semblait avoir du potentiel en tant que capacité au sein des différentes équipes menant ces missions, mais il était quelque peu limité au moment de son intégration. L’aéronef n’a pas donné les résultats escomptés dans sa conception et son équipement initiaux. Il n’a atteint sa maturité qu’après que le pilote d’essai Ronnie Harker de la Royal Air Force a piloté un P-51 au printemps 1942. Harker a réalisé que le moteur Rolls Royce Merlin 61 accroissait considérablement le rendement et que celui-ci s’adapterait parfaitement au compartiment moteur du chasseur américain, dont les spécifications étaient très semblables à celles du Spitfire doté du Merlin 61 à ce moment.

Everett Collection Historical / Alamy Stock Photo

Chasseur P-51 Mustang nord-américain, en 1942.

Mission : le plus rapidement possible

Les membres du génie des Alliés ont mis au point un chasseur d’escorte capable de protéger les bombardiers durant leurs missions en Allemagne. L’intention était de fournir aux forces aériennes alliées suffisamment d’aéronefs pour accompagner les bombardiers jusqu’aux objectifs, de vaincre les chasseurs ennemis à tout moment durant ces vols, d’avoir une chance raisonnable de survivre aux dommages infligés durant le combat par des tirs aériens ou terrestres et d’assurer une fiabilité suffisante sans nécessiter de maintenance excessiveNote de bas de page 4. Les pertes considérables au début de la Deuxième Guerre mondiale et la rétroaction des pilotes survivants ont permis de déterminer clairement les éléments nécessaires. Les leaders des forces aériennes britanniques et américaines, poussés par des personnalités comme Winston Churchill, ont indiqué clairement leurs besoins aux membres du génie. Ces derniers, de même que des pilotes d’essai comme Harker, sont allés au-delà des limites de leurs missions, en mettant en pratique leurs connaissances et la compréhension qu’ils étaient les seuls à posséder pour mettre sur pied un aéronef qui répondait à la fois aux exigences de la mission et à l’intention. Tout comme le Merlin 61 s’adapte parfaitement au compartiment moteur du P-51, l’armement, le combustible, la charge de munitions, l’aménagement du poste de pilotage, l’instruction du pilote et une myriade d’autres parties s’assemblent pour former un seul système hautement efficace grâce à l’exercice sûr du commandement de mission dans une période de grandes difficultés. Il faut toutefois garder en tête que la mise au point du P-51 faisait partie d’une course beaucoup plus grande, une course pour gagner la guerre. Alors que les responsables du développement des capacités ont accru le rendement des chasseurs, ils ont fait de même pour les bombardiers qui ont appuyé les chasseurs durant l’intégration de paillettes, la mise sur pied d’un viseur de bombardement ainsi que les révisions des processus tactiques et du ciblage. Ils ont fait de même au service de la guerre anti-sous-marine, de la survie des convois et de l’ensemble constitué par le combat terrestre et l’appui aérien alors que les Alliés ont envahi le nord-ouest de l’Europe et se sont échappés du bocage dans le nord de la France. Les leaders et les subordonnés ont constamment navigué dans les courants toujours changeants qui ont secoué les forces militaires en tant qu’adversaires, et les théâtres en évolution ont influencé l’environnement de compétition. Dans l’ensemble, les missions qui étaient orientées par une compréhension des objectifs plus larges ont guidé ces développements. Les responsables du développement des capacités – aidés par des renseignements tirés du terrain – ont donc été en mesure non seulement de satisfaire aux exigences du moment, mais aussi de regarder vers l’avenir et de satisfaire aux exigences futures. Ce que l’on appellera des années plus tard le commandement de mission a permis de s’assurer que tous ne perdent jamais de vue leur objectif : le résultat final recherché. On peut se demander si une telle clarté existe dans le cadre de nos efforts contemporains en matière de développement des capacités.

Retour aux opérations urbaines : le développement des capacités et la voie à suivre concernant les opérations dans les plus grandes zones urbaines

Les paragraphes précédents soulignent l’importance de la capacité des forces militaires à anticiper, à s’adapter et à répondre aux conditions changeantes ainsi que de le faire en temps opportun. Les prochaines rencontres à grande échelle dans les mégalopoles du monde constitueront une nouvelle expérience pour nos forces militaires. Les missions d’aide humanitaire et de secours aux sinistrés dans ces environnements devront composer avec des conditions très différentes d’une mégalopole à l’autre, ce qui rend les défis connexes encore plus ardus. Heureusement, nous possédons une expérience riche en matière d’opérations dans les petites zones urbaines… si nous tenons compte des leçons apprises. Des opérations ont été menées récemment dans la ville de Mossoul, en Iraq, qui comptait moins de deux millions d’habitants, et dans la ville de Bagdad, qui en comptait moins de six. Ces exemples fournissent néanmoins une base solide pour obtenir une compréhension au niveau tactique et opérationnel des contingents à venir, même si les populations sont plus nombreuses et l’étendue géographique est plus grande. Il est d’autant plus important de tirer des leçons de ces initiatives récentes lorsque nous tenons compte du fait que celles qui concernent les grandes luttes urbaines de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée – Manille en 1945 et Séoul en 1950, par exemple – touchaient des villes dont la population était à l’époque bien inférieure à celles de nos grandes villes aujourd’hui (la population de Manille s’élevait seulement à environ 1 million et celle de Séoul, à 1,1 million. Aujourd’hui, ces villes comptent respectivement 23,1 millions et 21,8 millions d’habitantsNote de bas de page 5).

La complexité des opérations urbaines ne décroît pas. Les forces militaires doivent s’adapter. Les mégalopoles ne sont pas simplement plus populeuses que les autres zones urbaines. Les systèmes dont elles font partie sont également beaucoup plus complexes. Les relations d’interdépendance des mégalopoles ne les lient pas seulement à leur environnement rural immédiat et aux autres zones urbaines à proximité, comme c’est le cas des plus petites villes. Leur interconnexion dans l’ensemble du pays dont font partie les mégalopoles, avec les pays à proximité et souvent avec le monde entier leur confère une influence démesurée grâce à ces liens économiques, politiques, sociaux et autres. L’indignation internationale qui a suivi le bombardement accidentel de l’ambassade de la Chine à Belgrade en 1999 représente plus que des allusions à ce que pourraient être les conséquences d’une attaque d’un objectif particulièrement interconnecté. Les opérations urbaines – en particulier celles qui visent des mégalopoles   exigent donc une approche multidisciplinaire, coopérative et bien structurée concernant les activités à tous les niveaux. Le succès requiert une compréhension des interrelations entre les composantes de la zone urbaine et les participants à l’exécution des opérations; par la suite, on doit s’assurer que tous ceux qui jouent un rôle opérationnel intègrent ces connaissances dans l’exercice de leurs fonctions. En réorientant notre approche en matière de développement des capacités pour placer le commandement de mission au cœur, nous disposons d’un nouveau paradigme qui retourne la technologie à son rôle de soutien approprié en tant qu’élément habilitant essentiel pour atteindre les états finaux souhaités.

Op IMPACT/Photo du MDN

Un membre des Forces armées canadiennes surveille ses arcs de tir à bord d’un hélicoptère CH-146 Griffon durant une mission de mobilité aérienne dans le nord de l’Iraq dans le cadre de l’opération IMPACT, le 4 novembre 2016.

La connaissance des renseignements essentiels à la mission et la compréhension de son importance à la lumière des actions en cours font le pont entre la situation actuelle et un état de préparation futur que nous espérons maintenir. Sans cela, l’exécution dans l’environnement complexe de mégalopole est la proie d’orientations désuètes en raison de ruptures de communication, d’une incapacité à pallier les lacunes logistiques et bien d’autres difficultés accrues par les interdépendances des environnements urbains. La complexité des mégalopoles et leur interconnexion élargie mettent à rude épreuve la capacité d’une unité à s’adapter et celle du quartier général à assurer le contrôle et le soutien. Dans de telles conditions, la connaissance ne se résume pas au pouvoir. Il s’agit d’une condition nécessaire à l’exécution réussie du commandement de mission qui, à son tour, sous-tend l’atteinte ultime des objectifs stratégiques.

Résumé et recommandations : mettre en œuvre le commandement de mission dans le cadre d’un continuum entre le développement des capacités et l’exécution de la mission

Les forces militaires n’existent pas en vase clos. Au-delà de la défense et de la sécurité, l’adoption d’une perspective de systèmes intégrés est déjà considérée comme essentielle pour permettre une « quatrième révolution industrielle » (aussi connue sous le nom d’Industrie 4.0, dans laquelle les pratiques industrielles intègrent des avancées telles que l’Internet des objetsNote de bas de page 6) et ses dérivés tels que la fabrication de la prochaine génération et les paradigmes des villes intelligentes. Ces initiatives s’inscrivent dans tous les domaines et sont motivées par des exigences semblables, quel que soit le type d’organisation.

Les solutions pour composer avec le défi d’améliorer le développement des capacités de défense (et des capacités en général) comportent plusieurs composantes, dont les suivantes :

  • Une meilleure application d’une perspective des systèmes.
  • Une connaissance continue de la façon non seulement dont les parties appuient un système dans son ensemble, mais aussi dont on doit adapter les composantes pour satisfaire aux exigences futures.
  • La modularité de la gestion de projet au lieu d’un contrat principal unique et massif ou d’un processus d’acquisitions. Cette modularité vise les produits finaux, de même que les sous-organisations (p. ex. les composantes d’une équipe de course), le tout orienté par un état final commun précisé dans les énoncés d’intention et de mission. Certaines de ces sous-organisations travaillent en vue d’obtenir un produit en fonction des exigences actuelles précisées (p. ex. la cellule du P-51). D’autres cherchent à améliorer une autre composante au cours du développement du produit (p. ex. adapter le moteur Merlin 61 au Mustang). Enfin, il devrait y avoir des organisations qui regardent bien en avant et contemplent la prochaine voiture de course ou le prochain chasseur, c’est-à-dire celles qui souhaitent faire le pont entre le présent et le futur. Toutes les parties prenantes, soit les gestionnaires principaux, les responsables des sous-organisations, les coureurs automobiles et pilotes, les mécaniciens et autres, peuvent devenir une source de révolution durant l’évolution.

Les échanges continus entre les responsables du développement des capacités et les utilisateurs ainsi que la distribution des ressources afin d’examiner les exigences futures seront essentiels pour faire face à la composante de concurrence des opérations tous domaines/multi-domaines. Si l’Occident a été surpris par la menace que représentent les fausses informations et les attaques de désinformation qui ont tenté d’influencer les élections ainsi que par l’utilisation de substituts par la Russie pour rester sous le seuil d’engagement de l’OTAN en Ukraine, il ne faudrait pas nous étonner que de futurs ennemis décident de ne pas nous combattre dans les rues des villes, mais plutôt de convaincre suffisamment de membres de la population qu’ils doivent se retourner contre nous, ce qui permettrait de nous éliminer sans avoir à combattre. Qu’il s’agisse d’un environnement urbain ou non, il sera toujours nécessaire d’intervenir et d’élaborer une solution hypercritique semblable à celle du briseur de haies en Normandie, aux contre-chasseurs de mines/rouleaux en Iraq, en 1991, ou au P-51 en Europe durant la Deuxième Guerre mondiale. Des besoins semblables dans les domaines de la désinformation et de la cybersécurité demeurent sans doute sur la table actuellement, tout comme ils le sont pour contrer les manœuvres inférieures au seuil d’engagement de manière plus générale.

Cpl Blaine Sewell/Photo du MDN

L’équipe d’arraisonnement de navires renforcée du Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) Charlottetown de la Marine royale canadienne effectue une transition d’une embarcation pneumatique à coque rigide à un arraisonnement coopératif du navire à moteur Smit Yare alors que l’hélicoptère CH-124 Sea King du navire assure la couverture durant l’exercice JOINT WARRIOR dans l’océan Atlantique, le 12 octobre 2016.

Les mégalopoles et les autres zones urbaines sont des environnements complexes – et le demeureront – pour les fournisseurs d’aide, les soldats au combat et les autorités publiques. Comme elles sont centrales pour les cultures, les économies, les gouvernements, les institutions civiles et autres infrastructures des pays, les actions militaires au niveau tactique effectuées dans ces environnements risquent davantage d’influencer les résultats opérationnels et stratégiques qu’au cours d’opérations menées dans d’autres environnements. L’inévitable chevauchement de l’organisation militaire avec les objectifs et les domaines de responsabilités des autres organisations complexifient davantage les opérations urbaines. Les réseaux interreliés des environnements urbains font partie de cette complexité, qui est exacerbée par la possibilité omniprésente de perturbation des communications et de mobilité réduite, de même que par le défi lié à la simple compréhension des effets potentiels des décisions et des actions d’une force sur les systèmes internes et externes de la ville concernée.

Ces défis soulignent la nécessité de pouvoir s’adapter aux conditions changeantes tout en agissant de façon autonome pendant des périodes prolongées (insistons encore une fois sur le caractère essentiel d’intentions et de missions claires). Les missions et les intentions tireront profit d’un état final stratégique bien articulé, qui comprend les spécifications explicites des contraintes alors qu’il définit clairement les conditions qui indiquent de quelle façon les nombreuses actions visant ce résultat doivent se compléter. Étant donné le caractère multiorganisationnel, multi-échelons, tous domaines/multi-domaines et civilo-militaire des entreprises dans les zones urbaines, une autorité suprême – parfois décrite comme un « supremo » – est grandement souhaitable pour superviser la définition de cet état final et de ces contraintes. Bien que le commandement de mission nécessite un certain degré de décentralisation du processus décisionnel et des actions, la cohérence interorganisationnelle de la précision des orientations stratégiques contribuera largement à favoriser une opération orchestrée plutôt que fragmentée. En d’autres termes, les missions et les intentions des leaders doivent être cohérentes, tant horizontalement que verticalement, entre les organisations.

L’intégration efficace de capacités disparates sur des champs de bataille urbains ou autres s’avère beaucoup plus facile si les responsables du développement des capacités adoptent une approche liée aux systèmes dès le début de l’initiative. Seule une telle approche permet à ceux qui doivent rendre nos forces armées les plus efficaces possible de s’assurer que les liens plus faibles de la chaîne sont cernés et solidifiés au lieu de renforcer inutilement les capacités plus fortes, comme c’est trop souvent le cas actuellement.

Tout comme le commandement de mission est essentiel au succès des opérations en zones urbaines, ses principes doivent guider le développement des capacités que nos forces armées utiliseront durant les opérations de tous types dans n’importe quel environnement. Comme l’homme ou la femme dans les rues urbaines sait le mieux de quelle façon utiliser les ressources disponibles au service de la mission et de l’intention du commandant, les efforts largement dispersés pour équiper et doter nos forces nécessitent une orientation claire des supérieurs et la liberté de s’adapter en fonction de cette orientation afin de satisfaire aux exigences des environnements de défense et des services au sein de celles-ci. Le leader supérieur doit superviser ses subordonnés pour veiller à ce que la mission et l’intention soient respectées. De même, les leaders supérieurs militaires et les responsables civils de la défense doivent s’assurer que les responsables du développement des capacités et les leaders des services et des armées subordonnées ne doivent pas faire fi de ces directives au service d’intérêts plus étroits.

À la lumière de ces faits, nous recommandons les mesures suivantes pour favoriser un développement constant des capacités conforme au PRICIE (Personnel, instruction individuelle et leadership; Recherche, développement et recherche opérationnelle; Infrastructure, environnement et organisation; Concepts, doctrine et instruction collective; Gestion de l’information et technologie; Équipement et soutien) [Canada] et au DOIMLPI I/P (Doctrine, organisation, instruction, matériel, leadership, personnel, installations – Interopérabilité/Politique) [OTAN, États-UnisNote de bas de page 7] :

  • L’application d’une approche liée au commandement de mission dans le cadre de la conception, de l’acquisition et de la mise en place des capacités. Ces processus doivent être guidés par une vision commune d’intégration et plutôt que par l’environnement de défense, la branche ou une autre voie bureaucratique traditionnelle. Le commandement de mission et la planification fondée sur les capacités doivent collaborer au moyen d’objectifs finaux compatibles, voire identiques, afin de fournir une compréhension générale de ce que chaque composante de l’équipe de course doit faire pour y parvenir et de la façon dont cela vise à atteindre les objectifs finaux, de même que d’inclure les exigences actuelles et futures.
  • La conception ou l’acquisition d’aides à la prise de décisions, ce qui permet d’établir un équilibre entre les orientations des leaders supérieurs/stratégiques et les besoins des soldats dans la mesure du possible. L’accès à d’énormes quantités de données/renseignements n’aide pas nécessairement les leaders à prendre des décisions.
  • La conscience omniprésente n’existe que dans l’utopie. Les opérations urbaines – toutes les opérations – requièrent une adaptation rapide et judicieuse à des conditions en constante évolution. Les leaders doivent apprendre à diriger au moyen de l’application du commandement de mission. Les subordonnés doivent apprendre à fournir la rétroaction nécessaire aux leaders pour prendre des décisions éclairées qui répondent au mieux aux besoins des personnes sur le terrain.

Caporal-chef Roy MacLellan/Photo du MDN

Deux CF-18 Hornet du 425e Escadron d’appui tactique à Bagotville, au Québec, survolent les montagnes d’Islande après leur départ de Keflavik, en Islande, à l’appui des mesures d’apaisement de l’OTAN, le 1er mai 2014.

Pour obtenir du succès sur le champ de bataille, les forces armées doivent s’engager à orchestrer leurs nombreuses capacités, tout comme les équipes de course de première classe. Bien que nous ayons utilisé les défis liés aux opérations urbaines comme principal moyen pour montrer l’importance de maintenir une perspective générale durant le processus de développement des capacités, les considérations susmentionnées s’appliquent tout autant à ce type de développement, quel que soit le domaine, qu’il s’agisse de défense CBRN dont il a déjà été question, la défense antimissile stratégique, ou encore la construction de navires, la conception d’un aéronef ou l’élaboration d’une campagne de bombardement.

Nous avons besoin de leaders capables de gérer des équipes dans la même mesure que ceux qui remportent des courses de Formule 1. Nous avons également besoin de responsables du développement des capacités qui connaissent autant les exigences opérationnelles que ceux qui outillent ces équipes. Ce sont les gens, et non les machines, qui conçoivent, améliorent et utilisent les technologies qui remportent du succès. Ce sont les gens, et non la technologie, qui continueront de gérer l’application de la violence en temps de guerre pendant les prochaines décennies. Des états finaux stratégiques bien définis, des énoncés de mission et d’intention clairs et des technologies de l’information conçues pour s’adapter aux exigences du processus décisionnel du commandement de mission et en mesure de le faire constituent les clés du succès dans les environnements de guerre. Il en est de même pour le développement des capacités. Nous reconnaissons que la situation durant la Deuxième Guerre mondiale était exceptionnelle étant donné que le personnel militaire et civil, les technologues et les soldats ainsi que les politiciens et les officiers généraux ont collaboré comme jamais auparavant dans les démocraties modernes. Nous reconnaissons également que cette réalisation a été effectuée pour contrer une menace existentielle, une menace que trop de leaders en Amérique du Nord et en Europe ont mis du temps à reconnaître. On peut se demander si cette léthargie ne se manifeste pas à nouveau dans un monde où les adversaires font la guerre au moyen d’opérations d’information, de cyberattaques, d’utilisation de substituts et de moyens qui relèguent potentiellement le conflit armé à un rôle mineur, voire nul. La « plus grande génération », celle qui a vécu la Deuxième Guerre mondiale, a remporté la guerre au prix de grands sacrifices. Est-ce que notre génération peut elle aussi s’élever à ce niveau si elle est capable de reconnaître la nature des menaces émergentes et de protéger son pays des pires conséquences des nouvelles formes de guerre? Les composantes sont là, mais la voiture a des ratés. La « plus grande génération » nous avertit que le fait de perfectionner la voiture avant la course coûte beaucoup moins cher que de le faire une fois la course commencée.

Signaler un problème sur cette page
Veuillez cocher toutes les réponses pertinentes :

Merci de votre aide!

Vous ne recevrez pas de réponse. Pour toute question, s’il vous plaît contactez-nous.

Date de modification :