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Revue militaire canadienne [Vol. 23, No.4, automne 2023] Articles de fond

Matelot de 3e classe Megan Sterritt, Forces armées canadiennes

Le chef Marcel Moody et un membre du Conseil de la Nation crie de Nisichawayasihk discutent avec des membres de la Force opérationnelle terrestre dans la Nation crie de Nisichawayasihk, dans le nord du Manitoba, au cours de l’opération VECTOR, le 1er avril 2021.

M. Robert Falcon Ouellette, CD et titulaire d’une doctorat, appartient à la nation crie Red Pheasant. Adjudant et membre des Royal Winnipeg Rifles il compte 27 ans de service au sein des Forces armées canadiennes (FAC). Ancien député, il occupe à l’heure actuelle un poste de professeur à l’Université d’Ottawa. Il participe activement à des cérémonies religieuses cries, notamment la danse du soleil, la purification et la guérison.

L’Aîné Winston Wuttunee, titulaire d’une doctorat, appartient à nation crie Red Pheasant. Il compte 12 ans de service au sein des FAC, notamment dans le Royal 22e Régiment. En 2014, il mérite un prix Indspire pour son travail à titre d’aîné. Musicien très connu au Canada, il se sert de la musique pour rassembler les gens.

L’Aîné Melvin Swan, CD, appartient à la Première Nation de Lake Manitoba. Il a servi 13 ans dans les FAC comme membre de la Police militaire. Dans les années 1990, au Manitoba, sa participation est déterminante pour la mise en œuvre du programme Bold Eagle. L’Aîné Melvin travaille à sensibiliser les jeunes sur le mode de vie du guerrier et il les encourage à s’enrôler dans les FAC. Aujourd’hui, il représente les vétérans autochtones par son rôle comme détenteur du calumet des anciens combattants canadiens.

En 1994, la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie a permis de dévoiler les principaux échecs de la profession des armes au Canada. Dans le sillage de cette commission, les FAC ont entrepris un examen approfondi de leur éthique et de leurs valeurs militaires. Il en a résulté la publication Servir avec honneurNote de bas de page 1, une politique fondamentale dans le domaine militaire canadien. Quinze ans plus tard, en raison de harcèlement sexuel dans leurs rangs, les FAC ont été confrontées à de grands défis touchant le moral et le leadership; de toute évidence, l’éthos des FAC est en mal de perspectives, et cette époque est propice pour lui en trouver de nouvelles. Dans cet article, nous proposons que la vision du monde autochtone soit ajoutée au nombre des perspectives fondamentales. En effet, cette perspective autochtone appliquée au code du guerrier est, de par sa nature, holistique et spirituelle, car elle intègre tous les aspects de la vie, contrairement à l’éthos des FAC, qui est enraciné dans une structure bureaucratique et institutionnelle.

Aujourd’hui, pour exercer la profession des armes, il ne s’agit plus d’obéir aveuglément à des ordres, mais plutôt de bien réfléchir aux renseignements et aux valeurs en cause dans le but de déterminer nos agissements. La capacité de réfléchir et d’envisager diverses perspectives est importante à plusieurs niveaux. En plus de contribuer au succès des troupes dans les environnements complexes et de répondre aux attentes de la population canadienne, le code du guerrier doit également fournir des valeurs simples pour guider les militaires au jour le jour à la maison comme au travail. Certaines personnes pourraient être surprises d’apprendre que les peuples autochtones ont également des codes du guerrier très élaborésNote de bas de page 2, qui sont ancrés dans des perspectives holistiques et spirituelles. En outre, rappelons-nous que les Autochtones ne forment pas un groupe homogène. Dans la communauté crie par exemple, certains souscrivent à un mode de vie plutôt traditionnel, tandis que d’autres adhèrent à un système de croyances plutôt occidental. Certains peinent à appliquer de nombreux enseignements de la culture crie, car ces enseignements exigent une grande discipline personnelle. Même si de nombreuses personnes connaissent l’existence de ces enseignements et y adhèrent, toutes ne sont pas en mesure d’être à la hauteur de ce qu’ils exigent. Le point de vue présenté ici provient d’une vision du monde crie, acquise au cours de toute une vie, grâce aux enseignements des aînés et à une tentative honnête de participer aux cérémonies traditionnelles.

La vision du monde holistique des Autochtones

Le Grand Esprit (ou Grand Mystère) de l’Amérique du Nord est partout et il réside en tout : les montagnes, les plaines, les vents, les eaux, les arbres, les animaux et la Terre. Pour les Pieds-Noirs, il ne fait aucun doute que les animaux sont dotés d’une intelligence et qu’ils ont la faculté de raisonner. En effet, les Pieds-Noirs croient que tous les animaux possèdent diverses forces qui leur ont été remises par le pouvoir du Soleil, à des degrés divers, de la même manière que l’humain et que toute chose, animée ou inaniméeNote de bas de page 3. [TCO]

The Old North Trail: Or, Life Legends, and Religion of the Blackfeet Indian

Dans le modèle autochtone, on retrouve l’idée d’un mouvement et d’un flux constant. L’existence consisterait en des vagues d’énergie et des interrelations, des espaces, des lieux, du renouvellement, toute chose étant aminée et tout élément imprégné d’un esprit. La matière et les humains auraient une nature dualiste : l’animé et l’inanimé. Gary Witherspoon écrit ce qui suit : « l’hypothèse qui sous-tend cet aspect dualiste des êtres et de l’existence est que le monde est en mouvement, que les choses sont constamment soumises à un processus de transformation, de déformation et de restauration et que l’essence de la vie et de l’être, c’est la mouvanceNote de bas de page 4 ». [TCO]

Le problème de l’éthos des FAC vient peut-être de la façon dont les gens perçoivent leur vie. D’un côté, il y a la vie professionnelle, et de l’autre, il y a la vie privée. Ces deux aspects sont distincts. Selon la vision du monde autochtone, on ne peut pas les séparer; en fait, les valeurs d’une personne doivent être intégrées, tant dans sa vie professionnelle que personnelle.

Caporal Brandon James Liddy, Caméra de combat des Forces canadiennes

Shanley Spence, une danseuse aux cerceaux de la Première nation crie de Mathias Colomb, au Manitoba, exécute une danse lors de la cérémonie de la Dernière sonnerie, à la porte de Menin, à Ypres, en Belgique, le 8 novembre 2017.

« Le patrimoine autochtone n’est pas un simple ensemble d’objets, de récits et de cérémonies; il s’agit plutôt d’un système complexe de connaissances doté de ses propres concepts épistémologiques et philosophiques ainsi qu’ayant une validité scientifique et logique. Les divers éléments de cet héritage peuvent seulement être expliqués ou enseignés par une pédagogie traditionnelle : de l’apprentissage, des cérémonies et de la pratique. Le seul fait de mémoriser des mots ou des images ne permet pas de saisir entièrement le contexte et la signification des chants, rituels, œuvres d’art ou de la sagesse scientifique et médicale. » [TCO]

Erica-Irene Daes, titulaire de doctorat, 1994

Sous-commission de la lutte contre les mesures de discrimination et de la protection des minorités, Commission des droits de l’homme, UNESCO

Pour l’Aîné Melvin Swan, vétéran, les fondements philosophiques d’un mode de vie traditionnel autochtone sont entièrement spirituelsNote de bas de page 5. Pour comprendre les peuples autochtones, il faut avoir une idée de leur vision holistique et inclusive, qui est toujours enseignée par les anciens qui veillent au respect des bons protocoles. Le mode de vie dont il est question, les Autochtones l’ont adopté depuis fort longtemps et ils en ont appris ses préceptes en écoutant les récits et les rêves des anciens. L’objectif présent et futur est un état continuel de bien-être, d’équilibre et de synchronicité. L’Aîné Manitopeyes, de la Première nation Saulteaux, s’exprime ainsi : « il ne s’agit pas simplement pour nous de marcher sur la Terre » [TCO], nous devons aussi être attentifs à la qualité de nos pas. Dans son ouvrage, il prône l’équilibre entre l’entité civile, la société et la nature, équilibre appliqué sur une base individuelle et qui s’étend pour inclure le protocole de la famille, de la communauté locale et de l’Amérique du Nord. Le résultat obtenu n’est pas un concept insaisissable ou mystique, mais la survie au cours d’une existence caractérisée par des valeurs morales ou par l’acceptation, l’apprentissage et la connaissance, juxtaposés à la vision occidentale de l’immortalité ou du paradisNote de bas de page 6.

Traditionnellement, les Autochtones percevaient la présence des esprits dans tout ce qui existe, tant les êtres animés que les objets non animés, dans les plantes comme dans les créatures du ciel, de l’océan et de la terre. Ces esprits étaient respectés et vénérés. C’était un monde où toutes les entités étaient interreliées dans un état d’interdépendance. Le chasseur remerciait l’animal abattu d’avoir consenti à sacrifier sa vie pour lui permettre d’assurer sa subsistance et celle de sa famille. Pour Friesen et Friesen, cette interconnexion oblige le guerrier à comprendre le rôle qu’il doit jouer dans l’ensemble du monde et tout sacrifice futur qu’il pourrait être amené à faire pour le bien de tousNote de bas de page 7.

L’Aîné Winston Wuttunee explique comment la voie du guerrier consiste à suivre le protocole et à respecter les traitésNote de bas de page 8. Les traités sont importants parce que chaque guerrier est lié par un traité avec la création et avec les autres.

Les traités supposent respect et fraternité. Les Autochtones ont toujours eu des traités. Les Cris et les Pieds-Noirs concluaient des traités rationnels. Par exemple, il n’était pas question de livrer des combats en hiver, parce qu’il faisait trop froid et qu’il n’était pas bon de déplacer les enfants, les femmes et les vieillards pendant cette période. Si une tribu faisait la guerre, son chef allait voir l’autre chef pour lui expliquer ses motifs. Bien souvent, la raison était que les jeunes guerriers débordaient d’énergie et dérangeaient tout le camp. Les aînés savaient que la meilleure chose à faire était de les envoyer en guerre contre l’ennemi connu. Les deux chefs discutaient, et l’un d’eux bénéficiait d’un délai pour déplacer les femmes, les enfants et les vieillards, et cela fonctionnait. Plus tard, en temps de paix, ils en parlaient.

Les histoires que nous racontons au sujet de la création, de Wesakechak, concernent des traités. Ces traités universels portent sur l’eau, la terre, l’air, le feu et, bien sûr, le Grand Esprit. Par exemple, lorsqu’un enfant naît, les eaux de la mère se rompent, ce qui indique que l’enfant va naître. Il reçoit ensuite sa première bouffée d’air précieux et sacré, et il est un être humain vivant. Il est ensuite enveloppé dans la peau et la fourrure chaudes d’un animal et bénéficie de la chaleur du feu et du lait vivifiant de sa mère. Bientôt, les autres enfants jouent avec lui, à l’extérieur, dans leur propre territoire, qui est le Canada.

Lorsque le Créateur a fini de créer les créatures de la terre, de la mer et des airs, il les a toutes appelées pour leur demander quels dons elles souhaitaient recevoir. Il a ainsi conclu des traités avec toute la vie sur terre. De nombreuses créatures ont demandé de servir l’humanité, mais le Créateur les a averties que l’humanité serait le meilleur et le pire de toute la création. Elles ont accepté et compris ses avertissements. En remerciement de leur compréhension et de leurs sacrifices, elles ont obtenu une place dans l’au-delà. Les hommes, les femmes et les enfants devaient les honorer lors de cérémonies, ce que les peuples autochtones font encore aujourd’hui.

Robert Falcon Ouellette, député
Hansard – Chambre des communes
9 mai 2019

L’anthropologue A. Irving Hallowell a mené une étude à long terme pendant les années 1930 et 1940 sur les Anishinaabe du Manitoba à Berens RiverNote de bas de page 9. Dans un bref portrait qu’il dresse de la cosmologie des Salteaux, Hallowell constate qu’il y a deux notions fondamentales permettant d’expliquer l’imaginaire des Ojibwa, leurs concepts de Kitchi Manitou et leur conception de l’environnement naturel : 1) tout dans l’univers « est doté d’une force qui l’anime, d’une âme et d’un corps. L’humain est également doté d’un esprit » [TCO]; 2) les entités naturelles possèdent aussi des « patrons » ou « propriétaires » spirituels qui contribuent à guider les animaux et les humainsNote de bas de page 10. Nabokov emploie le terme « Weltanschauung », qui se traduit approximativement par « conception du monde », et il le redéfinit comme suit : « le faisceau de suppositions et d’images sur la nature de la réalité partagées par l’ensemble d’une société donnéeNote de bas de page 11 ». Nabokov poursuit : « Selon moi, la vision du monde est une image générale et momentanée, mais évolutive, de l’organisation du cosmos. Elle procure aux humains les moyens de réagir à leur environnement dans ce cosmos et dicte aussi comment cet environnement dynamique réagira en retour, ce qui augmente leurs chances de réaliser les objectifs qu’ils croient nécessaires pour réussirNote de bas de page 12. » [TCO]

Pour Battiste et Henderson, les pratiques et les enseignements spirituels des Autochtones émanent d’une compréhension écologique plutôt que cosmologique. Cette écologie n’est pas perçue comme étant un ensemble, mais plutôt comme une synthèse d’éléments multiplesNote de bas de page 13. Citant les travaux de Levy-Bruhl, Battiste et Henderson font observer que ces éléments multiples soutiennent un ordre sacré du vivant, lequel est autosuffisant et non tributaire de la volonté humaineNote de bas de page 14.

Cette synthèse d’éléments multiples est un processus instauré au fil du temps. Ce processus a été influencé par de multiples êtres et esprits qui ont contribué à la création d’un savoir global en l’enrichissant de génération en génération. Prenons un exemple tiré du domaine des beaux-arts, soit les notions de « pentimento » et de « palimpsesteNote de bas de page 15 ». Le premier terme désigne les couches successives de peinture à l’huile sur une toile, et le deuxième fait référence à un parchemin sur lequel les brouillons antérieurs ont été effacés, mais dont il reste des traces, et sur lequel on a ajouté de l’écriture. Le matériau que nous percevons à la surface a été incorporé au tout global et se trouve bonifié par les essais précédents. Il y a là une analogie à faire avec la façon dont le répertoire des connaissances des Autochtones s’est constitué : les gardiens du savoir du passé ont transmis leurs connaissances aux prochains gardiens du savoir, génération après génération. Il s’agit donc d’une superposition de connaissances successives.

Le code du guerrier cri-anishinaabe

La vision du monde qui ressort du code du guerrier cri-anishinaabe est importante. En effet, elle nous apprend que, fondamentalement, les êtres humains ne sont pas unidimensionnels; ce sont des êtres spirituelsNote de bas de page 16. L’Aîné Swan est d’avis que « le guerrier devient un humain à part entière seulement quand il arrive à saisir la nature interdépendante du monde […] tout en restant humble, il doit comprendre les enseignements spirituels, car s’il ne les comprend pas, il pourrait se perdre » [TCO]. Swan relate l’expérience qu’il a vécue dans les FAC. Au début, il avait tenté d’ignorer que les humains à part entière ont besoin de la dimension holistique pour s’intégrer. Il estime qu’un guerrier doit rester un guerrier dans toutes les sphères de l’existence, et aucune sphère ne doit être laissée pour compte. La sphère personnelle et la sphère professionnelle sont toutes deux importantes. Ce n’est que plus tard, quand il a été en mesure d’adopter une vision holistique et traditionnelle, qu’il a pu relever les défis de la vie militaire. Ainsi l’adoption du code du guerrier autochtone traditionnel a été positive pour l’Aîné Swan sur le plan de la santé mentale à long terme et cela lui a permis de donner un sens à sa vieNote de bas de page 17.

Le code du guerrier

Le code du guerrier « c’est le parcours du guerrier, où il n’est pas facile de cheminer; nous devons y apprendre à protéger, à aimer et à prendre soin de notre famille, de notre nation et de toute la création. Nous devons cheminer dans les quatre principaux domaines du guerrier véritable : le métaphysique, notre mental, le physique, nos actionsNote de bas de page 18 » [TCO]. Le code du guerrier est donc composé de quatre éléments interreliés.

Le code du guerrier cri est constitué de quatre éléments :
Le métaphysique, Manitowi (le spirituel);
Nos pensées, Nistikwan (mon mental);
Le monde physique, Niyaw (mon corps);
Nos actions, Isihcikan ou Miyo-tôtamowin (les bonnes actions).

Le spirituel

Un guerrier doit aiguiser sa compréhension de l’inconnu. La création est un tout holistique dont les éléments sont interreliés. Manitowi est la vie elle-même. Nous ne pourrons jamais réellement comprendre le « quoi? » ou le « pourquoi », mais il est de notre devoir d’essayer, et de reconnaître les idées que nous ne comprenons pas. Nous devons nous efforcer d’honorer notre compréhension et d’aiguiser nos perceptions. Le monde est entièrement spirituel de par sa nature, et nous avons un rôle à jouer à l’intérieur de cette vision. Nous devons honorer le Grand Mystère, car il s’agit de la terre, de l’eau, des êtres vivants, de nos ancêtres, de notre famille et de nous-mêmes. Nous devons rester humbles dans tout ce que nous faisons.

« Lorsque nous suivons le protocole, nous ne sommes jamais seuls. Nous honorons nos ancêtres qui se tiennent à nos côtés, et ils nous relient à la création. Non seulement devons-nous voir au-delà de la simple dimension physique, mais nous devons également comprendre que les esprits, qui sont présents dans l’eau, sur la terre, chez les animaux et dans le ciel, sont liés à l’ensemble de nos actes et de nos croyances. Nous sommes souvent guidés par des rêves, des visiteurs ou une parole. Il arrive parfois que l’on ne comprenne pas exactement le sens d’un rêve avant qu’un incident particulier ne survienne et vous place exactement dans la même situation que le rêve, ce qui vous amène à le comprendre. Une fois, j’ai rêvé à quelque chose que je ne comprenais pas. Quelques années plus tard, je me suis retrouvé en train de réconforter une veuve à qui l’on reprochait la mort tragique de son mari. Le rêve sacré m’a alors révélé son innocence et des paroles sacrées furent prononcées : “Que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre”. L’entourage comprit et cessa alors de jeter des pierres contre le cœur de l’endeuillée. On lui apporta de la nourriture, on l’invita à s’assoir et à manger avec les autres et on la réconfortaNote de bas de page 19. » [TCO]

Aîné Wuttunee

Nos pensées

Qui ne réfléchit pas n’est pas un guerrier. Nous avons le devoir de cultiver l’art de penser, autant que faire se peut. « Nistikwan » est notre perception du monde fondée sur notre humble compréhension. Chaque personne est différente, et cette différence doit être respectée. Apprendre est fondamental pour un guerrier, car les connaissances lui permettent de maîtriser les défis de ce monde. Grâce au savoir, le guerrier peut changer le monde et influencer son entourage. L’ignorance chez le guerrier est dangereuse. Si un guerrier est incapable de voir le monde réel par la lorgnette du savoir, il apportera du déshonneur à lui-même, à ses ancêtres, à sa famille et à sa nation.

L’éducation et l’apprentissage du guerrier sont importants, non seulement pour l’individu, mais aussi pour la communauté. Cependant, Basil Johnston est d’avis que la communauté a le devoir d’instruire ses membres à titre d’individus, non tellement pour l’avantage de la communauté (même si la communauté en retire certains avantages), mais pour le bien-être de la personne. Les hommes et les femmes qui ont reçu de l’instruction ont en fait reçu un cadeau de la part de la communauté, et cela devrait être reconnu sous une forme ou une autre. Cette forme consiste simplement à élargir la vision le plus possible, car plus un guerrier est fort, plus la communauté est forte. Il est tout aussi vrai que plus la communauté est forte, plus ses membres sont fortsNote de bas de page 20.

Le physique

Le code du guerrier requiert la maîtrise du corps physique au maximum de ses capacités. « Niyaw » représente un idéal selon lequel rien ne doit être négligé et tout est interrelié. Le guerrier doit être capable de réfléchir, mais aussi d’agir, et c’est le corps physique qui porte ce fardeau. Le guerrier doit être prêt à souffrir ainsi qu’à sacrifier son existence physique dans l’honorable défense du code du guerrier. En plus d’avoir une santé florissante, il doit conserver une adresse physique maximale afin d’être prêt au moment où il sera appelé à protéger, par amour, ses ancêtres, sa famille et sa nation.

Nos actions

Le code du guerrier exige que les idéaux spirituels, mentaux et physiques soient exprimés par de bonnes actions ou de bonnes œuvres. « Miyo-tôtamowin » signifie que nos actions sont encore plus importantes que nos pensées, car nos actions sont en fin de compte l’expression de notre esprit. Nous devons veiller à honorer le spirituel, maîtriser nos pensées et entraîner notre corps pour que toutes nos actions soient en fait de bonnes actions. À cet égard, nos paroles sont également importantes, car elles sont l’expression de nos corps spirituel, mental et physique, qui ont un effet sur les gens qui vous entourent. Les paroles peuvent inspirer ou détruire, par conséquent, nos actions doivent être claires et bonnes afin de produire des résultats qui feront en sorte de respecter notre véritable personne.

Dans le code du guerrier, on retrouve sept enseignements qui sont transmis dans l’histoire d’un bébé élevé pour avoir une compréhension profonde de ces enseignements des grands-pères. Ils offrent d’autres pistes de réflexion pour contribuer à l’éducation du guerrier sur les plans de ses pensées et de ses actions. Ces enseignements ont été formalisés par l’Aîné Eddie Benton-Banai, un membre de cinquième degré de la loge Midewiwin, dans son livre « The Mishomis BookNote de bas de page 21 ».

Selon une histoire que raconte Benton-Banai, il est dit que peu après la Création, la population des humains s’est mise à croître. Les humains n’étaient pas suffisamment forts et mouraient fréquemment en raison de leurs faiblesses. Le Créateur, s’en trouvant fort inquiet, chargea les sept grands-pères, qui étaient des esprits, d’éduquer et de guider les humains. Les grands-pères envoyèrent un aidant parmi les humains pour en ramener un capable d’apprendre à vivre en harmonie avec la création. À six reprises, l’aidant tenta de trouver une personne digne de cette fonction, mais ce n’est qu’à la septième tentative qu’un bébé fut choisi. Le bébé était encore au stade de l’innocence et son esprit n’avait pas encore été entaché par la corruption et la souffrance du monde.

Le bébé fut ramené aux sept grands-pères; ces derniers demandèrent à l’aidant de lui montrer toute la création ainsi que les quatre parties de l’univers. La leçon à tirer de cette histoire traditionnelle est très simple : il faut donner ces enseignements aux enfants, dès leur plus jeune âge, car ceux-ci ont des sens très aiguisés et ils sont parfaitement conscients de ce qui se passe autour d’eux. Ils ont aussi la capacité de communiquer avec le monde des esprits, ce que la plupart d’entre nous avons perdu. L’éducation est importante dès le plus jeune âge pour guider l’enfant sur le bon chemin de la vie.

Avant que le bébé ne se mette à voyager, il reçut des cadeaux de la part de chacun des sept grands-pères. Ces cadeaux sont souvent appelés les sept enseignements des grands-pères. Le bébé a fini par grandir, mais il a continué à voyager. Au fil du temps, il a rencontré sept esprits qui lui ont enseigné la signification des cadeaux.

Tous les humains, et notamment les guerriers, doivent incarner, autant que possible, les sept enseignements des grands-pères.

  1. Chérir le savoir, c’est connaître la sagesse;
  2. L’humilité, c’est comprendre que vous êtes une partie sacrée de la création;
  3. Le courage, c’est faire face à ses adversaires avec intégrité;
  4. Connaître l’amour, c’est connaître la paix;
  5. Honorer la création, c’est faire preuve de respect;
  6. Faire face à une situation avec honnêteté, c’est faire preuve de bravoure;
  7. La vérité, c’est comprendre le dur labeur nécessaire pour observer tous ces principes.

Les esprits lui apprirent qu’à chaque enseignement correspondait un opposé; le mal est l’opposé du bien. Le garçon écouta attentivement et étudia chacune de ces idées afin de pouvoir transmettre ce savoir aux siens le moment venu.

Les histoires sont importantes, car sans elles, nous ne pouvons toucher le cœur d’un guerrier. Pour être véritablement entendu, il faut parler avec le cœur. Nombreuses sont les personnes qui tentent d’enseigner à l’aide de livres et de matériel de lecture, mais elles n’essaient pas de ressentir les notions enseignées. Le code du guerrier peut seulement se transmettre par des actions et des histoires.

L’histoire des guerriers

Les guerriers, avant tout des hommes pacifiques, dépendaient de la chasse pour leur survie. La valeur d’un homme se mesurait à sa générosité et à ses exploits sur le terrain de chasse, en particulier à son adresse comme cavalier et comme chasseur de bison. Pour prouver sa virilité, le guerrier n’avait pas à participer à des batailles sanglantes, mais plutôt à montrer qu’il était capable de subvenir aux besoins de sa famille. La guerre était un dernier recours. Quand nous empruntions le sentier de la guerre, c’était pour nous venger de la personne ou du groupe qui nous avait infligé une blessure physique ou mentale ou qui l’avait infligée à l’un de nos frères. C’est une source de grande fierté de ne jamais laisser impunie l’insulte ou la blessure. Les conflits n’étaient jamais déclenchés en raison d’un désir de conquérir ou d’asservir.

Il y a fort longtemps, les Cris des environs de l’actuelle ville de Battleford campaient pour l’hiver. L’hiver avait été long et froid, comme il arrive parfois dans les Prairies. Par une belle journée du mois de mars, un jeune guerrier arriva dans le camp monté sur son cheval, annonçant que les Pieds-Noirs se trouvaient tout près, dans le terrain de chasse traditionnel des Cris, et qu’ils tuaient et capturaient un grand nombre de bisons. Les Cris et les Pieds-Noirs avaient une longue histoire de guerre entre eux. Les cultures des deux peuples sont très différentes l’une de l’autre et leur langue respective ne se ressemble pas beaucoup. Les jeunes Cris dans le campement estimaient que l’honneur de la tribu avait été entaché par l’incursion des Pieds-Noirs. Ils voulaient défendre leur territoire et s’assurer que leur peuple serait respecté comme il se doit.

L’un des principaux guerriers de la tribu, Kayâs, voulait mener une expédition contre les Pieds-Noirs, mais il fallait d’abord suivre le protocole. Les aînés discutèrent, puis déterminèrent que les Pieds-Noirs ne posaient pas un danger imminent. Ils discutèrent de nouveau longuement de la question à savoir pourquoi les Pieds-Noirs se trouvaient sur leur territoire et comment il fallait réagir à leur présence. Normalement, les Pieds-Noirs auraient dû aller voir les Cris et leur demander la permission de traverser leur territoire. Les aînés prirent la décision d’envoyer un groupe de guerriers dont le chef de guerre serait Kayâs : il était le e guerrier le plus respecté, et il avait déjà pris part à de nombreuses batailles.

Kayâs choisit seulement dix hommes pour l’accompagner, car il voulait éviter que les morts soient trop nombreux. Il voulait aussi avoir un bon contrôle de ses guerriers. Kayâs prit le temps de se rendre personnellement voir ceux qu’il avait choisis. Si la plupart des hommes se montrèrent heureux de l’accompagner, l’un d’eux refusa, car il préférait chasser et s’occuper de sa famille. Sa femme venait d’accoucher et il estimait qu’il devait rester pour lui venir en aide. Dans la société crie, il n’était pas mal vu d’agir ainsi, car le courage d’un homme n’était jamais remis en question. Les hommes étaient libres de prendre ou non le sentier de la guerre et ils pouvaient dicter leurs conditions.

Plusieurs jeunes hommes n’étant jamais allés à la guerre se rendirent auprès de Kayâs et lui demandèrent s’ils pouvaient prendre part à l’expédition. Parmi eux, Kayâs en choisit trois qui, à son avis, offriraient vitalité et sérieux et qui profiteraient de l’occasion pour apprendre au sujet des protocoles s’appliquant à la guerre et au fait d’être guerrier. À la fin de l’après-midi, Kayâs fut d’avis que les dix guerriers choisis excelleraient au combat à venir. Plus tard en soirée, Kayâs planta son drapeau de guerre au milieu du village. Des guerriers commencèrent à chanter, et tous les habitants se rassemblèrent au milieu du village. Kayâs commença à réciter les prières et à honorer les actions qu’ils allaient prendre le lendemain. Il raconta ensuite ses exploits. Il ne se vanta pas, car tous connaissaient ses excellentes qualités de guerrier, mais il les raconta simplement pour souligner le sérieux du code du guerrier auquel il se pliait. Lorsque Kayâs eut fini de parler, les guerriers, un à un, s’avancèrent et racontèrent leurs propres exploits au combat. Puis les jeunes hommes s’avancèrent également et exprimèrent leur désir de suivre la voie du guerrier. Les jeunes hommes dansèrent en y mettant toute l’énergie qu’ils pouvaient afin de compenser leur manque d’expérience.

Tous les Cris du village se mirent également à danser avec les jeunes hommes dans le but de les honorer. La danse prit fin. Pour les guerriers, c’était le temps de partir, et ils enfourchèrent leur monture; la tribu les honora pendant qu’ils commençaient à chevaucher. Deux femmes qui accomplissaient un rituel ancien tentèrent de les arrêter et elles leur demandèrent de rester. Les guerriers refusèrent et poursuivirent leur chemin. Les deux femmes suivirent quand même les hommes hors du village où elles tentèrent de nouveau, mais en vain de les retenir par des pleurs et des cris. Les hommes expliquèrent qu’ils devaient suivre la voie du guerrier. Kayâs commença à mener ses hommes jusqu’à la position des Pieds-Noirs.

Les guerriers chevauchèrent ainsi toute la nuit jusqu’à l’aube, puis s’arrêtèrent brièvement pour se reposer et réciter les prières. Bientôt le soleil fut haut dans le ciel et il se mit à faire chaud. Les guerriers se sentaient alertes et ragaillardis. Ils se dirigèrent vers la position des Pieds-Noirs. Entre-temps, une sentinelle pied-noir les avait repérés et elle avait alerté son campement. Très peu de temps après, un groupe de guerriers du camp adverse – le même nombre de guerriers que le groupe de Cris – arrivait chevauchant à leur rencontre. Les deux groupes se mirent à se provoquer mutuellement, à 50 mètres de distance. À un moment donné, un jeune Cri, n’en pouvant plus de la provocation, fit galoper son cheval avec fougue en direction de la ligne des Pieds-Noirs. Tout juste avant cette ligne, il fit tourner sa monture vers la droite et il ne fit plus qu’un avec son cheval. Les Pieds-Noirs lancèrent des flèches à son endroit et le touchèrent; ils voulaient le tuer. Ils n’y réussirent pourtant pas, ce qui paraissait invraisemblable; le jeune Cri refit donc le même manège : il chevaucha à nouveau jusqu’à la ligne des Pieds-Noirs; ces derniers décochèrent encore une fois de multiples flèches en sa direction et il fut touché à plusieurs reprises, mais ne fut pas tué. Il rebroussa chemin jusqu’au groupe de guerriers cris, sachant qu’il avait prouvé son courage et son acceptation de la mort.

Un jeune guerrier Pied-Noir nommé Ninohtîhkatânân, furieux de ne pas avoir tué le guerrier cri, décida de lancer à son tour une charge contre la ligne des Cris. Tandis qu’il s’approchait de l’adversaire, il fit lui aussi tourner son cheval rapidement vers la droite, et il ne fit qu’un avec son cheval. Les Cris lancèrent à leur tour de nombreuses flèches à son endroit, mais ils n’arrivèrent ni à atteindre, à blesser ou à tuer Ninohtîhkatânân. Le jeune guerrier refit le même manège, le même acte de bravoure. Il s’en tira lui aussi indemne. Le tout était invraisemblable. Puis un autre guerrier imita les deux premiers. Et ensuite, tous les autres guerriers des deux camps, les uns après les autres. Et chaque fois l’adversaire tentait de mettre fin aux jours des guerriers en action. Il était extraordinaire qu’aucun guerrier ne trouva la mort dans ces manifestations de courage et d’assurance.

Finalement, Kayâs se mit en retrait et entonna un chant en l’honneur de tous les jeunes guerriers des deux camps. C’est à ce moment que le combat cessa, et les hommes des deux camps se rassemblèrent. On servit de la nourriture et les Cris expliquèrent aux Pieds-Noirs qu’ils se trouvaient en territoire cri. Ninohtîhkatânân apprit aux Cris que les Pieds-Noirs avaient manqué de nourriture pendant l’hiver et qu’ils avaient dû quitter leur territoire habituel. Bien que les Cris et les Pieds-Noirs furent des ennemis traditionnels, il fut décidé de mettre fin aux combats, du moins pour un certain temps. Les Cris comprirent que les Pieds-Noirs allaient bel et bien retourner dans leur territoire traditionnel, mais qu’entre-temps, ils avaient besoin de trouver de quoi nourrir leur famille. Après discussions, les Cris décidèrent de permettre aux Pieds-Noirs de rester en territoire cri à titre d’invités jusqu’à ce que le temps devienne clément, puis les Pieds-Noirs allaient pouvoir s’en retourner sur leurs terres. Les Pieds-Noirs offrir des présents aux guerriers cris, soit des couteaux et des substances médicinales qu’ils avaient obtenus en faisant du commerce avec d’autres tribus du Sud et de l’Ouest.

Les guerriers des deux nations mangèrent avec très grand appétit et se racontèrent encore et encore les faits de la journée. Ils félicitèrent les jeunes hommes comme Ninohtîhkatânân et les jeunes cris, car ceux-ci étaient devenus de vrais guerriers.

Cette histoire montre l’importance du code du guerrier. Nous pouvons voir que le code du guerrier cri comporte quatre éléments principaux qui ressortent de cette histoire :

  1. Le métaphysique, Manitowi (le spirituel);
  2. Nos pensées, Nistikwan (mon mental);
  3. Le monde physique, Niyaw (mon corps);
  4. Nos actions, Isihcikan ou Miyo-tôtamowin (les bonnes actions).

Tous les humains, et notamment les guerriers, doivent incarner, autant que possible, les sept enseignements des grands-pères. Nous voyons quels enseignements ressortent des actions des guerriers.

  1. Chérir le savoir, c’est connaître la sagesse;
  2. L’humilité, c’est comprendre que vous êtes une partie sacrée de la création;
  3. Le courage, c’est faire face à ses adversaires avec intégrité;
  4. Connaître l’amour, c’est connaître la paix;
  5. Honorer la création, c’est faire preuve de respect;
  6. Faire face à une situation avec respect, c’est faire preuve de bravoure;
  7. La vérité, c’est comprendre le dur labeur nécessaire pour observer tous ces principes.

Une transformation culturelle majeure est en train de s’opérer dans les FAC. À la suite de ce changement, elles pourraient donc se retrouver plus fortes ou encore plus faibles. Il existe diverses traditions qui tirent leur origine chez les Autochtones du Canada et qui offrent une meilleure définition, plus holistique, du concept de guerrier. Les FAC, à titre de bureaucratie de commandement et de contrôle, n’a pas réussi à éliminer le racisme, le sexisme, la discrimination et autres formes d’ignorance trônant dans le cœur de nombreux militaires. Si le problème persiste, les FAC ne pourront pas réaliser les objectifs de mission du Canada.

Peut-être que la façon actuelle d’enseigner l’éthos dans les FAC n’engage pas l’esprit, le mental, le corps ou les actions des militaires. Or, si l’enseignement choisi ne s’adresse pas au « cœur », il est voué à l’échecNote de bas de page 22. Le code du guerrier autochtone, établi grâce aux profondes conversations des aînés, représente un mode de vie qui a encore toute sa place aujourd’hui. Qui plus est, une véritable culture du guerrier doit faire son entrée dans le cœur des militaires des FAC.

« Tapwe » (Vérité)

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