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Revue militaire canadienne [Vol. 23, No 1, Hiver 2023]
Formation militaire

Mat 1 Lisa Sheppard, photojournaliste militaire, CMR

Premier jour de cours pour les élèves-officiers et aspirants de marine au CMR, le 6 septembre 2022.

Stéphanie Chouinard est professeure adjointe en sciences politiques au CMR (Kingston), et elle assume une nomination conjointe à l’Université Queen’s. Elle est boursière de la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau.

Holly Ann Garnett est professeure adjointe en sciences politiques Political au CMR et elle assume une nomination conjointe au département d’études politiques et à l’école des études en politiques de l’Université Queen’s, et comme codirectrice du projet d’intégrité électorale.

Introduction

Le présent article traite des attitudes politiques des élèves-officiers (élof) et des aspirants de marine (aspm) au Collège militaire royal du Canada (CMR). Nous savons que les attitudes politiquesNote de bas de page 1 façonnent le style et le comportement des leaders au sein de Forces armées canadiennes (FAC) de plus en plus diversifiées. En effet, les élof du Collège dirigeront bientôt des membres des FAC, dont certains seront eux-mêmes de jeunes adultes qui transmettront possiblement leurs attitudes politiques à leurs subordonnés. Par conséquent, il est particulièrement pertinent d’évaluer cette population étant donné que ses membres occuperont ultimement des fonctions d’autorité dans la hiérarchie militaire.

Cela dit, le début de l’âge adulte est une période déterminante de la vie au niveau de la socialisation politique. Cette période est généralement considérée comme les « années impressionnablesNote de bas de page 3 », c’est-à-dire le moment où les attitudes sociopolitiques changent le plus et finissent par se cristalliser pour le reste de la vie adulteNote de bas de page 4. On a déterminé depuis longtemps que les études postsecondaires ont une incidence particulière sur les attitudes politiques, notamment par l’entremise des processus d’influence normative des pairsNote de bas de page 5.

La recherche a également montré que les FAC, en tant qu’institution, favorisent une culture particulière chez ses membres, laquelle mène à des attitudes politiques différentes de celles de la société qu’ils doivent servir et protégerNote de bas de page 6. Cependant, au cours des dernières années, l’écart observé entre les attitudes des membres des FAC et les attitudes des membres de la société a semblé vouloir se réduireNote de bas de page 7. Notre analyse documentaire montrera que même si cet écart a fait l’objet d’un certain nombre d’études dans le contexte américain, on note l’absence d’études récentes au Canada.

Ainsi, le présent article vise à pallier l’écart dans la littérature sur les divergences d’attitudes entre les civils et les militaires en mettant en lumière les opinions et les comportements politiques des élof et des aspm canadiens à l’égard de la vie civique. Au moyen de questionnaires remplis au CMR dans le cadre d’un cours du tronc commun – POE/F 205, Société et politique canadiennes – nous avons évalué l’opinion d’élof de plusieurs cohortes concernant des questions politiques saillantes relatives à la démocratie et à la vie civile, puis nous avons comparé leurs réponses avec celles des civils. Notre choix s’est arrêté sur les participants à ce cours, car comme tous les élof et aspm inscrits dans un programme au CMR doivent suivre ce cours dans le cadre de leurs études, cela nous donnait accès au plus grand nombre possible de participants de tous les cours offerts dans notre département.

Cet article présente la documentation sur la socialisation politique et montre la façon dont les attitudes et les comportements liés à la vie politique se développent, en particulier durant les années d’études universitaires. Il souligne également le rôle que l’éducation militaire peut jouer dans l’établissement des visions du monde des militaires et permet de déterminer s’il existe toujours un « écart de socialisation » entre les civils et les militaires qui découle des attitudes politiques. Ensuite, cet article résume les activités d’enquête et présente un sommaire des résultats en comparant la population des élof avec la population canadienne générale et son groupe de pairs. Enfin, il fournit d’importants aperçus sur les attitudes de la nouvelle génération d’officiers militaires et souligne l’importance des constatations pour l’éducation militaire et les relations civilo-militaires au Canada en général.

Littérature

La formation des attitudes politiques et le changement d’attitude chez les jeunes adultes

La façon dont se forment les attitudes politiques des individus, si celles-ci peuvent changer avec le temps et, le cas échéant, comment cela se produit, sont des aspects qui ont longtemps occupé l’esprit des scientifiques politiques, à en juger par la littérature florissante sur le sujet élaborée au cours des 60 dernières années. Dès le début du processus, les chercheurs ont cerné l’une des variables clés, c’est-à-dire l’âge, plus particulièrement le lien entre l’âge et l’ouverture au changement. En fait, les attitudes des individus plus âgés sont manifestement plus stables que celles des individus plus jeunesNote de bas de page 8.

Cependant, cette observation n’explique pas à elle seule pourquoi les attitudes des jeunes gens semblent plus malléables. Au moins deux explications plausibles sont possibles. Selon la première, les jeunes sont plus facilement impressionnables en raison de leur manque d’expérience de la vieNote de bas de page 9. Selon la deuxième, l’âge n’est pas réellement le facteur d’importance, ce serait plutôt le mode de vie de l’individu qui serait en cause. Des recherches plus récentes suggèrent que les expériences vécues par les plus jeunes leur donnent davantage d’occasions de remettre en question leurs opinions et leurs attitudes que dans d’autres périodes de la vieNote de bas de page 10. En d’autres termes, ce n’est pas que les individus plus âgés sont incapables de changer d’attitude, c’est plutôt qu’ils sont de moins en moins confrontés à des situations qui leur permettent de remettre en question leurs croyances antérieuresNote de bas de page 11.

L’importance des études postsecondaires relativement au changement d’attitude

Dans les deux cas, les études postsecondaires sont considérées comme un événement important dans la formation et le changement de l’attitude. L’âge auquel la plupart des individus entament leurs études collégiales ou universitaires correspond à l’âge de la majorité politique officielle en tant que citoyens à part entièreNote de bas de page 12. Vu l’obtention de leur droit de vote, les individus ont tendance à avoir une conscience politique plus aiguë. Cette nouvelle responsabilité civile peut favoriser une plus grande « vulnérabilité politique » à un âge particulier où les individus sont plus réceptifs aux nouvelles idéesNote de bas de page 13. Par conséquent, les études postsecondaires deviennent un important jalon lié au changement d’attitude, grâce à la confrontation entre les valeurs et les croyances au sein de leur famille (qui ont été « en partie idéalisées durant l’enfanceNote de bas de page 14 ») et de nouvelles idées auxquelles sont exposés les étudiants, que ce soit dans le cadre officiel de la salle de classe ou un cadre moins formel par l’entremise de leurs pairs. Les études postsecondaires peuvent s’avérer une expérience si importante pour la socialisation politique que, selon certaines recherches, elles pourraient constituer le facteur expliquant pourquoi tant de changements surviennent entre 18 et 25 ansNote de bas de page 15. Qui plus est, les attitudes ainsi changées durant les années d’études postsecondaires semblent persister et se cristalliser durant l’âge adulte, ce qui fait de cette période un jalon d’une importance significativeNote de bas de page 16.

Avr Makala Rose, technicienne d’imagerie

Des élèves-officiers et des aspirants de marine participent à la course à obstacles du CMR pour marquer la fin du Programme d’orientation des élof de première année (POPA) de 2022. 23 septembre 2022.

En ce qui concerne les processus en cours dans le cadre de l’expérience postsecondaire, la littérature souligne que l’« influence normative » ou l’« identification à un groupe » ont une grande incidence sur le changement d’attitude. En d’autres termes, l’influence des groupes de pairs est considérée comme très pertinente pour comprendre comment survient le changement durant cette période. « Les étudiants changent leurs perceptions sociales et politiques pour se conformer aux normes établies par leurs pairs. On suppose que le changement est motivé par un désir d’acceptation et d’approbation sociale – le besoin d’être aiméNote de bas de page 17. » [TCO] Cependant, on peut offrir une autre explication, à savoir que les attitudes des étudiants changeraient au cours de leurs études « vu l’information à laquelle ils sont exposés et étant donné que leur motivation serait plutôt le désir d’avoir raisonNote de bas de page 18 » [TCO]. Il a aussi été montré que des collèges plus petits, comme le CMR, tendent à offrir une expérience postsecondaire générale qui surpasse l’influence d’un programme précis et crée une cohésion plus solide au sein d’une même cohorteNote de bas de page 19.

Les attitudes politiques des étudiants militaires

Les étudiants qui s’inscrivent dans des collèges militaires comme le CMR ont tendance à avoir une vision plus conservatrice sur le plan sociopolitique que leurs pairs inscrits dans une université civileNote de bas de page 20. Par exemple, une recherche américaine effectuée en 2001 démontre que les étudiants de West Point sont plus « conservateurs, patriotiques et guerriers » [TCO] que leurs pairs civils de l’époqueNote de bas de page 21. Les étudiants militaires ont également montré un niveau d’autoritarisme plus élevé que leurs pairs civils par le passé, par exemple lorsqu’on leur demandait leur opinion sur les détenus et les anciens détenusNote de bas de page 22. Une étude plus récente sur les attitudes envers le service des homosexuels dans l’armée américaine a révélé que les étudiants des académies militaires avaient davantage tendance à être d’accord avec l’exclusion des homosexuels du service militaire, suivi par les candidats du Programme de formation des officiers – Force régulière (PFOR) et par les étudiants civilsNote de bas de page 23.

Cependant, on se demande toujours si cet écart d’attitude dans le contexte américain est lié à des attitudes préexistantes ou au processus de socialisation. Par exemple, des recherches récentes montrent qu’il n’y a aucune différence entre les étudiants militaires et les étudiants civils au début des études en ce qui concerne deux indicateurs : l’autoritarisme de droite et l’orientation de la dominance sociale. Ces indicateurs ont été associés dans d’autres études comme des indices de conservatisme politique et de préjugés négatifs envers certains groupes non dominants dans la sociétéNote de bas de page 24. Selon Nicol, Charbonneau et Boies (2007), les étudiants qui choisissent de fréquenter un collège militaire sont, au début de leurs études, semblables à leurs pairs civils en ce qui a trait à ces deux indicateurs, mais au bout du compte, ils obtiennent une note plus élevée en termes de dominance sociale. Les auteurs avancent que le processus de socialisation militaire, et non les croyances politiques préexistantes, est l’élément qui favorise des attitudes plus conservatrices chez les militairesNote de bas de page 25. Le résultat de ce processus est ce que nous appelons communément « l’écart entre militaires et civils », c’est-à-dire que les attitudes des militaires ne correspondent pas à celles des civils qu’ils doivent servir et protégerNote de bas de page 26.

Encore une fois, ces résultats soulignent l’importance de l’expérience postsecondaire dans le cadre de la socialisation politique. Cependant, comme cette étude récente met l’accent sur seulement deux mesures de l’attitude de ces étudiants, elle ne nous donne qu’un petit aperçu de leurs croyances politiques. Par exemple, dans quelle mesure sont-ils satisfaits de notre démocratie ou des autres institutions politiques canadiennes? Dans quelle mesure font-ils confiance à nos représentants élus? Cela a-t-il une incidence sur leur engagement civique? Et de quelle façon se comparent-ils à leurs pairs civils ainsi qu’à l’ensemble de la population canadienne en ce qui concerne ces questions?

La question liée aux attitudes politiques des membres des forces armées, au Canada et à l’étranger, a toujours été essentielle étant donné que nous faisons confiance à cette population pour protéger la souveraineté de l’État, ce qui comprend notamment le maniement d’armes létales. Au Canada, ces questions, qui ont préoccupé les chercheurs et le grand public au cours des années qui ont suivi l’« incident en SomalieNote de bas de page 27 », par exemple, ont gagné de nouveau en importance au cours des dernières années. Selon certains observateurs, ce qui peut être considéré comme un faible contrôle civil de l’organisation militaire au CanadaNote de bas de page 28 a notamment entraîné l’adoption d’attitudes inquiétantes parmi les officiers et les militaires du rang. Des incidents liés au racisme systémique et à la discrimination, à des préjugés sexistes, à l’inconduite sexuelle, à la suprématie blanche et à l’extrémisme d’extrême droiteNote de bas de page 29 dans les FAC ont récemment été mis en lumière, ce qui a soulevé de nouveau des questions sur l’écart entre militaires et civils au niveau des attitudes politiques au Canada ainsi que sur l’érosion de la confiance du public envers les FAC.

Questions et hypothèses de recherche

Nous cherchons à connaître les attitudes des élof et des aspm canadiens envers la vie civique et à les comparer à celles de leurs pairs civils. À cette fin, nous évaluons un certain nombre d’indicateurs clés concernant les comportements et les croyances politiques fondamentaux d’un individu.

En ce qui concerne les opinions fondamentales sur la démocratie et la communauté, nous cherchons à savoir de quelle façon la confiance généralisée des étudiants du CMR diffère de celle de la population générale et de leurs pairs du même âge. La confiance généralisée est un indicateur clé du capital social et fait référence au sentiment de réciprocité entre les réseaux qui constituent la trame de notre société démocratiqueNote de bas de page 30. On sait que cette attitude a une incidence sur bien d’autres attitudes et comportements politiques, de la participation politiqueNote de bas de page 31 au crime violentNote de bas de page 32. Les membres des FAC doivent faire davantage confiance à leurs collègues que dans la plupart des milieux de travail. Par contre, ils sont également formés pour porter un regard critique sur les situations politiques et sociales potentiellement difficiles. Néanmoins, comme la confiance généralisée constitue une attitude fondamentale, vu le choix volontaire de s’enrôler dans les FAC parmi les personnes ayant un sens plus élevé de la communauté civile, nous nous attendons à ce que la confiance généralisée soit plus élevée chez les étudiants du CMR.

Avr Makala Rose, technicienne d’imagerie.

Des élèves-officiers et des aspirants de marine participent à la course d’obstacles du CMR pour marquer la fin du POPA. 23 septembre 2022.

Nous demandons ensuite si les étudiants du CMR diffèrent de la population générale et de leur groupe de pairs en termes de satisfaction à l’égard de la démocratie. On a émis une hypothèse sur cette satisfaction pour évaluer les perceptions aspirationnelles liées au concept de la démocratie et/ou le fonctionnement d’un régime démocratique ou du soutien politiqueNote de bas de page 33. Nous prévoyons que les étudiants du CMR, étant donné leur propre choix d’entrer dans les FAC dans lesquelles ils peuvent servir le régime démocratique, éprouveront davantage de satisfaction à l’égard de la démocratie. Comme le soutien populaire de la démocratie est tout aussi important pour la santé du régime démocratique, il est possible que le soutien de la démocratie dans cette cohorte de jeunes élof sera important pour la santé des FAC.

En ce qui concerne les attitudes politiques plus concrètes, nous souhaitons connaître l’intérêt des étudiants du CMR en matière de politique ainsi que les sentiments généraux envers les politiciens et la vie politique au Canada. Nous ne nous attendons pas à constater de grandes différences entre les étudiants du CMR et leurs groupes de pairs en ce qui a trait aux sentiments envers les acteurs politiques. Le fait que les étudiants du CMR aient choisi la vie militaire ou l’instruction militaire ne devrait pas avoir une grande incidence sur les sentiments envers les politiciens et les campagnes politiques. À l’inverse, nous nous attendons à ce que l’intérêt envers la politique soit affecté durant l’instruction au CMR, alors que les étudiants doivent suivre un tronc commun qui comprend des cours en sciences humaines et sociales, y compris la politique et l’histoire. Le fait d’être exposés à ces matières peut permettre d’accroître l’intérêt des étudiants du CMR pour la politique et de surpasser celui de leur groupe de pairs.

Enfin, nous cherchons à savoir si ces attitudes et croyances des étudiants du CMR se reflètent dans différents types de comportements politiques et d’engagement civique. En ce qui concerne la participation électorale, nous prévoyons que même si les jeunes sont généralement les moins enclins à voter, les élof du CMR pourraient avoir davantage tendance à prendre part à la politique par la voie traditionnelle du vote parce qu’ils savent que les représentants élus du gouvernement, grâce à une surveillance civile de l’organisation militaire, ont une incidence concrète sur leur vie quotidienne dans les FAC. Nous nous attendons également à des taux d’engagement civique supérieurs au moyen du bénévolat, en raison de leur choix de s’enrôler ou du sens de la responsabilité communautaire, qui fait partie des valeurs fondamentales des FAC.

Cependant, nous savons que certaines formes de participation politique ne sont pas offertes aux étudiants du CMR et à tous les membres des FAC. Par exemple, leurs conditions d’embauche énoncent clairement que ceux-ci ne peuvent pas se livrer ouvertement à des activités politiques partisanesNote de bas de page 34 ou, dans certains cas, signer des pétitionsNote de bas de page 35. Par conséquent, le taux de participation à ces activités politiques devrait être plus faible chez les étudiants du CMR qu’au sein de la population générale.

Méthode

Pour répondre à ces questions de recherche, nous avons mené une enquête auprès d’étudiants du CMR qui suivaient le cours obligatoire POE/F 205 (Politique et société canadiennes) durant les années universitaires 2019-2020 et 2020-2021. Ce cours, qui fait partie du tronc commun, nous a donné l’occasion de mener une enquête parmi un large éventail de la population étudiante au CMR. Les étudiantsNote de bas de page 36 qui étaient inscrits à ce cours ont rempli deux questionnaires, bien que l’objet de la présente recherche corresponde au premier questionnaire, ce qui établit les fondements des attitudes politiques. Le questionnaire a été rempli en personne (sur papier) en 2019-2020 et en ligne en 2020-2022 (en raison des contraintes liées à la pandémie); le même questionnaire a été utilisé, dans les deux cas. En tout, nous avons obtenu 503 réponses : 239 en 2020, 200 en 2021 et 64 en 2022. La diminution du nombre de participants au cours de la dernière année découle du fait qu’un moins grand nombre d’enseignants ont remis le questionnaire à leurs étudiants. Les taux de réponse aux questions simples varient étant donné que les étudiants avaient la possibilité de passer des questions ou de cesser leur participation à tout moment. Des 473 participants qui ont choisi d’indiquer leur genre, 75 % étaient des hommes, 24 % étaient des femmes, 1 % ont répondu « autre ».

Le questionnaire comprenait des questions formulées selon l’Étude électorale canadienne (EEC) de 2015Note de bas de page 37 pour permettre une comparaison avec un échantillon représentatif plus large de la population canadienne et couvrir les attitudes et les variables sociodémographiques de base concernant la politique canadienne. Par conséquent, pour comparer les étudiants avec la population générale, nous utilisons des données tirées de l’EEC 2019. Cette enquête représentative à l’échelle nationale est menée durant et après chaque élection fédérale au Canada, et les données individuelles sont accessibles au grand public (à l’exception des identifiants). L’étude de 2019, menée par le Consortium de la démocratie électorale, comprenait un échantillon de répondants par téléphone et un échantillon de répondants sur InternetNote de bas de page 38. Bien qu’il existe des coefficients de pondération, nous n’avons pas pondéré ces données dans le cadre de notre analyse. L’ensemble de l’échantillon de l’EEC 2019 comprend plus de 37 000 répondants au cours de plusieurs vagues et types d’enquête. Cependant, dans la plupart des cas, seule une partie de ces participants ont répondu aux questions individuelles.

Afin de comparer la population étudiante avec son groupe de pairs de la population générale, nous les avons comparés aux répondants à l’EEC nés entre 1997 et 2001, soit 2 019 répondants, bien qu’encore une fois, le nombre exact de répondants à une question particulière soit beaucoup plus réduit. De même, nous présentons seulement les résultats du sous-ensemble d’étudiants du CMR également nés entre 1997 et 2001, étant donné que nous reconnaissons qu’il peut y avoir des différences fondamentales entre les étudiants plus jeunes et les plus âgés. Les résultats concernent donc quatre groupes importants :

  1. L’échantillon total du CMR
  2. L’échantillon des étudiants du CMR nés entre 1997 et 2001
  3. L’échantillon total de la population canadienne
  4. L’échantillon des membres de la population canadienne nés entre 1997 et 2001

Dernière remarque au sujet de la méthodologie employée : nous n’attribuons aucun lien de causalité entre les différences notées. Nous croyons que les étudiants qui choisissent de fréquenter le CMR peuvent être considérablement différents et que leurs motivations et leurs buts diffèrent pour poursuivre une carrière dans les FAC. Par conséquent, nous avons pris soin de n’attribuer aucune différence à l’expérience au CMR.

Résultats

Attitudes

Nous commençons par examiner les croyances fondamentales de ces étudiants par rapport à la vie civile, y compris la satisfaction à l’égard de la démocratie, la confiance généralisée, les croyances sur les politiciens et le gouvernement ainsi que l’intérêt en matière de politique.

Nous remarquons d’abord que la confiance généralisée est plus élevée chez les étudiants du CMR que chez leur groupe de pairs civils, mais légèrement plus faible que celle des membres de la population générale (figure 1). Cela n’est guère surprenant étant donné qu’il est reconnu que la confiance généralisée croît avec l’âge; la recherche a démontré que le niveau de confiance est le moins élevé chez les cohortes plus jeunesNote de bas de page 39. De même, il n’est pas surprenant que ces jeunes citoyens qui souhaitent devenir officiers militaires aient tendance à accorder une plus grande confiance aux autres. Les militaires doivent avoir une grande confiance en leurs collègues militaires puisque les décisions et les actions peuvent avoir des conséquences « de vie et de mort ». Cela peut provenir de leur choix de joindre les forces ou des compétences acquises au cours de leur courte carrière militaire.

Figure 1 : « La majorité des gens sont dignes de confiance » (Confiance généralisée)

Figure 1 : « La majorité des gens sont dignes de confiance » (Confiance généralisée)
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Formulation de la question : « D’une manière générale, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens, ou diriez-vous plutôt que l’on doit être très prudent dans ses rapports avec les gens? »

Nous examinons ensuite la satisfaction à l’égard de la démocratie au moyen de la question suivante : « Dans l’ensemble, êtes-vous très satisfait, relativement satisfait ou pas du tout satisfait du fonctionnement de la démocratie au Canada? » Nous remarquons que les étudiants du CMR ont tendance à être davantage « relativement satisfaits » que leur groupe de pairs et la population générale; par conséquent, ils sont moins à même de se considérer comme « peu satisfait » (figure 2). Cela indique que les étudiants du CMR sont légèrement plus satisfaits à l’égard de la démocratie que leurs pairs. La satisfaction à l’égard de la démocratie est un indicateur important de la volonté d’un individu à soutenir le fonctionnement du gouvernement (et, pour certains universitaires, à soutenir les principes démocratiques de façon plus généraleNote de bas de page 40). On peut donc logiquement affirmer que si un individu est satisfait du fonctionnement du système démocratique, cet individu sera davantage porté à y prendre part volontairement par l’entremise du service militaire.

Figure 2 : Satisfaction à l’égard de la démocratie

Figure 2 : Satisfaction à l’égard de la démocratie
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Formulation de la question : « Dans l’ensemble, êtes-vous très satisfait, relativement satisfait ou pas du tout satisfait du fonctionnement de la démocratie au Canada? »

Deux questions visaient les opinions politiques fondamentales. La proportion de répondants qui sont d’accord ou fortement d’accord avec l’énoncé « Les politiciens sont prêts à mentir pour se faire élire » est similaire; en effet, environ 90 % des étudiants du CMR sont d’accord avec cette affirmation (figure 3). Cette proportion se rapproche de celle de la population générale et du groupe de pairs et montre qu’il existe une méfiance généralisée envers les politiciens.

Cependant, nous avons noté un accord plus faible concernant l’énoncé « Le gouvernement ne soucie guère de ce que pensent les gens comme vous », alors qu’environ seulement 45 % des étudiants du CMR ont répondu par l’affirmative (figure 3). Cela nous indique une plus grande perception selon laquelle le gouvernement se soucie de leurs opinions. Encore une fois, il est impossible d’affirmer avec certitude que cet avis découle de la courte carrière militaire des élof ou de leurs opinions et croyances qui les ont menés à s’enrôler dans les forces armées; cependant, cela montre que les étudiants du CMR – et les futurs officiers – ont un peu plus confiance dans un gouvernement démocratique, ce qui est peu surprenant étant donné leur futur emploi.

Figure 3 : Deux questions tirées de l’ensemble des opinions politiques fondamentales

Figure 3 : Deux questions tirées de l’ensemble des opinions politiques fondamentales
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Enfin, nous avons examiné l’intérêt envers la politique (figure 4). Nous remarquons que la note moyenne liée à l’intérêt politique (sur une échelle de 0 à 10) est plus faible pour les étudiants qui ont participé à l’enquête, la moyenne de l’ensemble de l’échantillon s’élevant à 4,95. La moyenne des membres de l’échantillon nés en 1997 et après s’établit à 4,92. Cela contraste avec les moyennes plus élevées de la population générale (6,45) et du groupe de pairs (5,8). Cependant, il est très important de noter que l’EEC (d’où sont tirées les données) semble comprendre des répondants qui ont un plus grand intérêt général envers la politique, étant donné que de nombreux participants ne souhaiteraient simplement pas répondre à un long questionnaire sur la politique à moins d’avoir un certain intérêt pour le sujet. À l’inverse, les étudiants du CMR inscrits au cours POE/F 205, d’où nous avons tiré notre échantillon d’étudiants, sont tenus de suivre ce cours. Par conséquent, ces étudiants ne se sont pas portés volontaires pour participer à l’enquête (bien qu’ils aient tous eu la possibilité de cesser leur participation en tout temps).

Figure 4 : Intérêt politique autodéclaré

Figure 4 : Intérêt politique autodéclaré
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Formulation de la question : « Dans quelle mesure la politique vous intéresse-t-elle GÉNÉRALEMENT? Sur une échelle de 0 à 10, 0 signifiant aucun intérêt et 10, un très grand intérêt. »

Comportements

Nous nous intéressons maintenant aux comportements politiques, qui reflètent les variables ci-dessus concernant les attitudes et les intérêts. Nous avons d’abord examiné le vote. Étant donné que de nombreux étudiants n’ont pas pu voter au cours des élections précédentes (puisqu’ils étaient mineurs) et que nous savons que le taux de participation est souvent sujet à des biais en matière de rappels et de désirabilité, nous avons posé la question à savoir si les répondants sont d’accord avec le fait que l’exercice du vote est un devoir ou un choix (figure 5). Nous savons toutefois qu’un sens du devoir de voter est un indicateur clé de la participationNote de bas de page 41. Nous remarquons que les étudiants qui ont participé à l’enquête ont eu tendance à indiquer plus souvent que l’exercice du vote constituait un devoir que leur groupe de pairs, mais moins souvent que la population générale. Cela correspond aux attentes : les jeunes militaires savent que leur vie est directement touchée par les décisions gouvernementales ou ils peuvent avoir un sens plus aigu du devoir civil (qu’il soit déjà présent pour ceux qui choisissent de s’enrôler dans les forces armées ou qu’il soit inculqué durant l’instruction).

Figure 5 : Répondants qui conviennent que l’exercice du vote est un devoir (et non un choix)

Figure 5 : Répondants qui conviennent que l’exercice du vote est un devoir (et non un choix)
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En outre, nous avons comparé les étudiants du CMR au sujet des autres modes de participation politique. On a demandé aux étudiants (et au groupe de comparaison) à quelle fréquence ils ont effectué les activités civiques suivantes, qu’il s’agisse de faire du bénévolat ou de signer une pétition, au cours des 12 derniers mois (figure 6). Nous remarquons ici certains « risques professionnels ». Nous constatons qu’il y a des résultats similaires entre les étudiants du CMR et la population générale concernant deux activités : le bénévolat et le boycottage (ou « buycottage »). Il est à noter que ces deux actions ne sont pas interdites par les FAC, bien qu’il y ait des restrictions sur d’autres activités politiques traditionnelles ou plus ouvertes. Nous observons une proportion beaucoup moins grande de répondants qui disent avoir participé à un rassemblement politique ou à une manifestation, offert un don à un parti ou à un candidat ou encore signé une pétition. La participation à ces activités est encore moins probable qu’au sein de leur groupe de pairs. Par conséquent, bien que le service militaire puisse dans certains cas renforcer le sens civique (par exemple, le devoir de voter), en ce qui concerne certaines formes de participation qui ne sont pas interdites (ou découragées) par les FAC, les jeunes militaires sont étouffés dans leur capacité d’afficher leurs attitudes politiques au moyen d’autres activités.

Figure 6 : Moyens de participation politique

Figure 6 : Moyens de participation politique
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Formulation de la question : « Avez-vous effectué l’une des activités suivantes au cours des 12  derniers mois? »

Voir les différentes formulations de la question dans l’annexe.

Conclusion

Nous avons tenu compte des différences liées aux attitudes et aux comportements politiques fondamentaux entre (principalement) les jeunes futurs officiers du CMR et la population canadienne générale. Nous avons mené une enquête auprès d’étudiants du CMR entre 2019 et 2022 dans le cadre du cours POE/F 205, Politique et société canadiennes, puis comparé leurs réponses à celles données dans le cadre de l’EEC 2019.

Nous constatons que les étudiants du CMR qui ont participé à l’enquête montrent un léger écart en matière d’attitude par rapport à leur groupe de pairs et la population générale. Nous remarquons que la confiance généralisée des étudiants du CMR est plus élevée (se rapprochant de la population générale) que leur groupe de pairs de jeunes Canadiens nés après 1997. De plus, nous observons une plus grande satisfaction générale à l’égard de la démocratie que leur groupe de pairs, et nous présumons que cela pourrait constituer l’une des raisons pour lesquelles ils ont choisi de s’enrôler, plutôt que l’effet de socialisation au CMR, bien que nous ne puissions en être certains. Parallèlement, nous constatons que les étudiants du CMR font preuve d’un moins grand intérêt politique général, même si nous savons que l’échantillon de l’EEC a tendance à comprendre des citoyens qui font preuve d’un plus grand intérêt envers la politique.

Nous constatons que les comportements politiques sont similaires entre les étudiants du CMR et la population générale en ce qui concerne les activités qui ne sont généralement pas ouvertement découragées par les FAC, dont un sens du devoir de voter, le bénévolat ou le boycottage d’articles ou l’achat orienté. Cependant, les étudiants du CMR montrent des niveaux plus faibles de participation à des activités politiques partisanes (interdites aux membres des FAC) et à d’autres types d’activités comme la participation à des rassemblements politiques ou la signature de pétitions. Cela montre certains « risques professionnels » entourant le développement de l’activisme politique parmi ces futurs officiers. De futures recherches pourraient étudier la façon dont l’interdiction de prendre part à des activités politiques au cours des jeunes années impressionnables peut avoir une incidence sur l’engagement des militaires dans la vie civique à long terme, après la libération des FAC.

Cette recherche compte des limites, notamment la question de la causalité : existe-t-il des différences au niveau des attitudes et des comportements qui découlent du choix de s’enrôler dans les FAC? Ces différences surviennent-elles durant l’instruction au CMR ou découlent-elles de celle-ci? Une étude longitudinale approfondie portant sur le changement d’attitudes avant et après la fréquentation du CMR pourrait permettre de répondre à cette question.

En somme, cette recherche permet de mieux comprendre la façon dont les opinions et les comportements politiques des futurs officiers militaires diffèrent de ceux de leur groupe de pairs et de la population canadienne générale. Elle montre que ces jeunes futurs officiers peuvent effectivement adopter des approches liées à la politique qui diffèrent de celles de la population qu’ils servent. Ces résultats peuvent s’avérer utiles pour ceux qui enseignent aux futurs officiers les valeurs civiques souhaitées par les FAC, en particulier par l’entremise du tronc commun du CMR.

Annexe : Formulation des questions

Variable Exemple Question de l’enquête

Confiance généralisée

Confiance généralisée
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D’une manière générale, diriez-vous que l’on peut faire confiance à la plupart des gens, ou diriez-vous plutôt que l’on doit être très prudent dans ses rapports avec les gens?

On peut faire confiance à la plupart des gens. (0)

On doit être très prudent dans ses rapports avec les gens. (1)

Ne sais pas (99)

Satisfaction à l’égard de la démocratie

Satisfaction à l’égard de la démocratie
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Dans l’ensemble, êtes-vous très satisfait, relativement satisfait, peu satisfait ou pas du tout satisfait du fonctionnement de la démocratie au Canada?

Très satisfait (0)

Relativement satisfait (1)

Peu satisfait (2)

Pas du tout satisfait (3)

Ne sais pas (99)

Croyances politiques fondamentales

Croyances politiques fondamentales
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Êtes-vous tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt en désaccord ou tout à fait en désaccord avec les énoncés suivants?

Le gouvernement ne se soucie guère de ce que pensent les gens comme vous.

(Question de l’EEC – pes19_govtcare : « Le gouvernement ne se soucie pas beaucoup de ce que les gens comme moi pensent. »)

Les politiciens sont prêts à mentir pour se faire élire.

(Question de l’EEC – pes19_pollie : « Les politiciens sont prêts à mentir pour se faire élire. »)

Intérêt envers la politique

Intérêt envers la
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Dans quelle mesure la politique vous intéresse-t-elle GÉNÉRALEMENT? Sur une échelle de 0 à 10, 0 signifiant aucun intérêt et 10, un très grand intérêt.

1 – Aucun intérêt (0)

2 (1)

3 (2)

4 (3)

5 (4)

6 (5)

7 (6)

8 (7)

9 (8)

10 – Un très grand intérêt (9)

Exercice du vote en tant que devoir ou choix

Exercice du vote en tant que devoir ou choix
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Les gens ont différentes opinions sur l’exercice du vote. Pour certains, le vote est un DEVOIR. Ces personnes estiment qu’elles doivent voter à chaque élection. Pour d’autres, le vote est un CHOIX. Ces personnes votent seulement lorsqu’elles se sentent fortement concernées par cette élection.

À votre avis, le vote représente-t-il D’ABORD ET AVANT TOUT un devoir ou un choix?

Devoir (0)

Choix (1)

Ne sais pas (99)

Comportements/activités politiques

Comportements/activités politiques
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Avez-vous effectué l’une des activités suivantes au cours des 12 derniers mois?

Avez-vous signé une pétition?

Avez-vous fait un don en argent à un parti ou à un candidat?

Avez-vous acheté des produits pour des raisons politiques, éthiques ou environnementales?

(Question de l’EEC : boycotter des produits ou en acheter pour des raisons éthiques, environnementales ou politiques)

Avez-vous participé à une marche, à un rassemblement ou à une manifestation?

(Question de l’EEC : participer à une marche, un rassemblement ou une manifestation)

Avez-vous fait du bénévolat pour un groupe ou une organisation comme une école, une organisation religieuse ou une association sportive ou communautaire?

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