AvertissementCette information est archivée à des fins de consultation ou de recherche.

Information archivée dans le Web

Information identifiée comme étant archivée dans le Web à des fins de consultation, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’a pas été modifiée ni mise à jour depuis la date de son archivage. Les pages Web qui sont archivées dans le Web ne sont pas assujetties aux normes applicables au Web du gouvernement du Canada. Conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada, vous pouvez la demander sous d’autres formes. Ses coordonnées figurent à la page « Contactez-nous »

LES POLITIQUES

LE NORTHERN COMMAND ET L’ÉVOLUTION DES RELATIONS DE DÉFENSE CANADO-AMÉRICAINES

par Philippe Lagassé

Imprimer PDF

Pour plus d'information sur comment accéder ce fichier, veuillez consulter notre page d'aide.

Depuis les attaques du 11 septembre 2001, la défense continentale nord-américaine joue à nouveau un rôle fondamental dans la politique américaine de sécurité nationale. Les États-Unis ont récemment créé un département de la sécurité intérieure rattaché au Cabinet. Pour mieux protéger le pays, l’administration du président George W. Bush a chargé ce département d’« assumer la responsabilité des ressources opérationnelles de la Garde côtière, des Services de douane, des Services de l’immigration, de la naturalisation et de la Patrouille frontalière, des Services d’inspection sanitaire des animaux et des plantes du département de l’Agriculture, ainsi que de l’Administration en sécurité des transports récemment mise sur pied1. Sur le plan militaire, une mesure similaire a été prise pour la défense continentale. Le 17 avril 2002, le secrétaire à la Défense, Ronald Rumsfeld, annonçait que le Plan de commandement unifié des États-Unis (UCP) comporterait un nouveau commandement régional, le Northern Command (NorthCom). Le NorthCom, qui est responsable la zone continentale des États-Unis, du Canada, du Mexique, d’une partie des Caraïbes ainsi que des eaux qui s’étendent jusqu’à 500 milles des côtes nord-américaines2, a pour mandat de « se consacrer à la défense aérienne, terrestre et maritime du continent, et de fournir une aide capitale aux autorités civiles de la nation en temps de crise »3. Il ne s’agit donc pas d’une modification accessoire. Au reste, Rumsfeld estime que la mise en place du Northcom, ce qui signifie par conséquent que toute l’Amérique du Nord est regroupée en un seul commandement géographique, « constituent la plus grande modification de l’UCP depuis sa création, en 1947 »4.

Bien que le NorthCom soit un commandement uniquement américain, il influencera inévitablement les États qui font partie de sa zone géographique de responsabilité. Au Canada, qui collabore depuis longtemps avec les États-Unis sur le plan militaire, il y a d’ailleurs eu un regain des débats sur l’incidence de la révision de l’UCP. Le NorthCom et les autres aménagements de l’UCP ont notamment relancé la question de la souveraineté et du rôle du Canada dans la défense continentale.

Cet article étudie la question de l’incidence du NorthCom sur la politique canadienne de sécurité nationale. Afin de dégager les tendances que présentent les relations des deux pays en matière de défense continentale nord-américain, la première partie retrace l’histoire des relations canado-américaines en matière de défense continentale et se penche plus particulièrement sur les débats portant sur la souveraineté canadienne. La seconde partie décrit la structure et les fonctions du NorthCom pour illustrer l’importance croissante que la défense continentale revêt aux États-Unis depuis le 11 septembre 2001. La dernière partie évalue l’influence du NorthCom sur les politiques étrangère et de défense du Canada; elle avance la thèse que les rapports entre le Canada et le NorthCom de même que la collaboration du Canada à la défense continentale suivront le même cours que par le passé.

SOUVERAINETÉ ET AMBIGUÏTÉ

Pour évaluer l’importance du NorthCom au Canada, il faut d’abord voir comment le pays a jusqu’à maintenant abordé la défense continentale en coopération avec les États-Unis. Au Canada, les politiques étrangère et de défense présentent une tendance nette : bien qu’il soit préoccupé par sa souveraineté, le pays a eu tendance à collaborer avec les États-Unis, notamment sous l’influence des Forces canadiennes qui ont souvent réussi à convaincre les dirigeants politiques que la défense de l’Amérique du Nord exigeait une coopération binationale.

En 1982, John W. Holmes, diplomate canadien bien connu, commentait ainsi l’importance du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) :

Le NORAD, qui semble constituer un pas vers la continentalisation de la défense de l’Amérique du Nord, peut être vu sous un autre angle comme un moyen pour le Canada de continuer à jouer un rôle et de préserver suffisamment de souveraineté dans une situation où, s’il n’y avait pas de règles, les Américains prendraient tout simplement en main la défense continentale5.

Généralement qualifiée de stratégie de « protection contre l’aide », la réalité que décrivait Holmes caractérise la manière dont le Canada a abordé la défense continentale pendant une bonne partie du XXe siècle. En coopérant avec son voisin, avant même la Deuxième Guerre mondiale, le Canada a toujours renoncé à une souveraineté totale, mais vulnérable, au bénéfice d’une souveraineté tronquée, mais plus assurée. En fait, de toutes les questions qui tiraillent les relations de défense canado-américaines, celle de la souveraineté est une préoccupation incessante, mais surmontable.

Dans une allocution prononcée à l’université Queen’s, en août 1938, le président Franklin Roosevelt déclarait que « le peuple américain ne resterait pas indifférent si une grande puissance menaçait le Canada »6. Quelques jours plus tard, le premier ministre Mackenzie King répliquait que « les forces ennemies ne devraient pas être capables d’avancer, que ce soit par air, par mer ou par terre, jusqu’aux États-Unis en traversant le territoire du Canada»7. Cette « Exemption de Kingston », comme la qualifient Michel Fortmann et David Haglund8, est une des premières manifestations du dilemme que pose la souveraineté. L’allusion au fait que les États-Unis seraient prêts à protéger le continent unilatéralement, si cela s’avérait nécessaire, a fait comprendre à King que le Canada devait renforcer ses défenses pour calmer les inquiétudes de son voisin. Même si, à cette époque, les deux pays n’ont pas pris de mesures pour défendre conjointement le continent, les intérêts américains n’en ont pas moins influencé la politique de défense canadienne.

Haut de la page

Le début de la Deuxième Guerre mondiale a intensifié les appréhensions sur la sécurité de l’Amérique du Nord. En 1940, pour coordonner la défense continentale, le Canada et les États-Unis ont créé la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis (PJBD) qui, durant toute la guerre, a constitué un lien essentiel entre Ottawa et Washington, car elle facilitait la coopération en matière de défense et d’infrastructures9. Au reste, elle constitue toujours une tribune de défense bilatérale du plus haut niveau, car elle permet l’établissement de contacts entre les diplomates et les dirigeants militaires des deux gouvernements10. Malgré le succès de cette Commission, la Deuxième Guerre mondiale a toutefois appris aux dirigeants canadiens qu’ils devaient se montrer prudents dans leurs rapports avec les États-Unis. Au début de la guerre, pour construire la Route de l’Alaska et déployer des hommes sur la route à escales du Nord-Est en direction de l’Europe, les États-Unis ont posté un nombre considérable d’effectifs au Canada11. Il va sans dire que nombre de hauts fonctionnaires canadiens n’appréciaient guère la présence américaine. Ainsi, le haut-commissaire à Londres, Vincent Massey, ne cachait pas qu’il jugeait que « le Canada avait été trop préoccupé par ses efforts de guerre pour s’occuper des Américains qui, malheureusement, sous prétexte des besoins de la guerre, se conduisent dans le Nord-Ouest comme s’ils étaient les maîtres du pays »12. Heureusement pour Ottawa, avant la fin de la guerre, les Américains ont donné l’assurance qu’ils se retireraient. Bien que les dirigeants canadiens n’aient pas douté que ces déploiements avaient été effectués de bonne foi, la facilité avec laquelle ils se sont produits a montré qu’il fallait prendre des mesures pour que la souveraineté du pays n’ait pas à subir une épreuve similaire13.

Photo du NORAD

Le centre de commandement au Quartier général du NORAD. Le commandant en chef du NORAD est aussi le commandant en chef du US Northern Command.

Après la Deuxième Guerre mondiale, le Canada et les États-Unis ont commencé à accroître leur collaboration militaire officielle au niveau opérationnel. Alors que la PJBD portait principalement sur les aspects politiques des relations de défense, un nouvel organe, le Comité de coopération militaire (CCM), a permis aux forces armées des deux pays de dresser des plans conjoints. En 1946, comme ils craignaient des attaques-surprise après Pearl Harbor et que la puissance militaire et l’hostilité croissante de l’Union soviétique les inquiétaient, les hauts dirigeants de la défense canadienne et américaine ont tiré parti de la structure binationale du CCM pour concevoir une première mesure de défense conjointe. Connue sous le nom de Plan de sécurité de base (BSP), cette nouvelle entente devait assurer « au niveau du continent une organisation poussée de la défense aérienne, de la cartographie, de la surveillance aérienne et terrestre (pour donner rapidement l’alerte en cas d’attaque), de la défense côtière et anti-sous-marine, des plans de contre-établissement ainsi que de la structure du commandement unifié »14. Au début, le BSP ne répondait pas aux exigences des dirigeants canadiens : en tant qu’entreprise opérationnelle, il échappait à la supervision politique, ce qui les inquiétait15. Le ministère des Affaires étrangères du Canada était particulièrement contrarié de ne pas avoir accès au groupe de travail du BPS, dont la tâche était censément secrète16. Malgré ces réserves, les États-Unis et le Canada ont entériné le BPS. Par conséquent, en dépit des réactions peu heureuses suscitée par la présence américaine durant la Deuxième Guerre mondiale et des réticences du ministère des Affaires étrangères, le PJBD et le CCM ont servi aux deux pays de modèles de pourparlers officiels et de prise en considération de leurs opinions réciproques en ce qui a trait à la défense continentale.

En 1949, le jeu de corde raide politique des Soviétiques au sujet de Berlin et le refus de Moscou d’accorder l’auto-détermination qu’il avait promise à ses satellites de l’Europe de l’Est ont amené le Canada, les États-Unis et leurs alliés européens à créer l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). En raison de leur situation géographique, le Canada et les États-Unis ont reçu l’autorisation de former le Groupe stratégique régional Canada-États-Unis (CUSRPG) pour coordonner la défense de l’Amérique du Nord dans le cadre de l’OTAN. En 1950, à la suite du programme de réarmement entrepris en réaction à la guerre de Corée, la Marine royale du Canada (MRC) a affecté un grand nombre de ses 154 navires au Commandant suprême allié de l’Atlantique (SACLANT) de l’OTAN17. La MRC s’est surtout livrée à des opérations d’escorte et de lutte anti-sous-marine18, qui l’ont naturellement amenée à coopérer étroitement et à effectuer des exercices conjoints avec la marine américaine. Les deux forces navales ont également reçu l’autorisation de mener des opérations dans les eaux territoriales de l’autre pays si elles pourchassaient des sous-marins soviétiques19. En matière de défense maritime de l’Amérique du Nord, la MRC et la marine américaine ont donc très vite tissé des liens étroits.

En 1949, un autre événement a eu une incidence sur la défense de la zone continentale de l’Amérique du Nord : l’Union soviétique a fait exploser une bombe atomique et a également déployé des bombardiers Tu-4 Bull à long rayon d’action20. La fin du monopole atomique des États-Unis rendait la défense continentale encore plus pressante. Au Canada, les déclarations faites par Mackenzie King en 1938 revêtaient une importance plus grande que jamais. Comme l’indique le mot célèbre du secrétaire d’État américain, John Foster Dulles, le Canada devenait « un bien immobilier très important »21. Washington tenait donc à mieux protéger l’espace aérien nord-américain, même si le BSP comportait des dispositions à cet effet. La National Security Council Memorandum de 1952 (NSC-159) disait explicitement : « Les programmes actuels de défense continentale sont insuffisants pour prévenir, neutraliser ou vraiment décourager les actions militaires ou clandestines que l’Union soviétique est capable d’entreprendre »22, et elle déclarait que la défense aérienne devait absolument être binationale :

Puisque l’efficacité de notre système de détection lointaine avancée et le déploiement subséquent de mesures défensives, sur le plan militaire comme sur le plan civil, dépendent de la rapidité de la coopération canadienne, il est clair que l’accord et la participation du Canada à une échelle adéquate sont essentiels pour accélérer plusieurs programmes hautement prioritaires.23

Malheureusement pour les hauts fonctionnaires américains, le gouvernement de Louis Saint-Laurent hésitait. Le coût du renforcement de la défense aérienne et l’atteinte qu’elle porterait à la souveraineté inquiétaient le premier ministre et le ministre de la Défense, Brook Claxton24. Les libéraux du gouvernement Saint-Laurent avaient déjà, sous le gouvernement de Mackenzie King, fait l’expérience de la présence américaine au Canada durant la Deuxième Guerre mondiale. Toute suggestion de la part des États-Unis de renforcer les mécanismes de défense évoquait le déploiement de soldats américains au Canada et donc une souve-raineté réduite. S’opposant au gouvernement, les chefs d’état-major canadiens ont fait valoir que l’inquiétude des Américains était légitime et leurs recommandations nécessaires25. Après que l’Union soviétique eut fait exploser une bombe thermonucléaire en 1953, les dirigeants militaires canadiens ont imploré Claxton et Saint-Laurent de ne pas se montrer aussi circonspects. En bout de ligne, Claxton a admis que la fermeté de Washington ne laissait guère d’options au Canada26. En raison de sa situation géographique et de la nature de ses relations avec son voisin, l’engagement du Canada dans la défense aérienne du continent était inévitable si les États-Unis le demandaient avec fermeté. Il valait donc mieux que le Canada négocie une structure qui lui permettrait de sauvegarder ses intérêts.

Haut de la page

En 1953, on a créé un Groupe d’études militaires du Canada et des États-Unis (MSG) qui, à la demande de Claxton, a transmis aux officiers de l’Aviation royale du Canada (ARC) des informations détaillées sur les installations radars qui étaient prévues. En retour, les membres de ce Groupe ont évalué, pour le gouvernement canadien, les infrastructures projetées pour la défense aérienne. Lorsque le rapport du MSG a été publié, en juin 1954, l’ARC, qui, depuis le BSP, collaborait étroitement avec les forces aériennes des États-Unis, a étayé et appuyé les arguments des Américains en faveur de systèmes binationaux de détection lointaine27. Le MSG notait en particulier qu’il fallait implanter un réseau de détection lointaine avancée (DEW) dans le Nord du Canada, pour que « le nouveau système de défense aérienne puisse suivre l’évolution technologique de l’Union soviétique en matière d’attaques aériennes éventuelles sur les régions vitales du Canada et des États-Unis »28. Quoique cela signifiât le déploiement de troupes américaines au Canada (en nombre minimal toutefois), le gouvernement Saint-Laurent a approuvé, en septembre 1954, la construction de ce réseau. Pour garantir la souveraineté et les intérêts de l’industrie nationale de la défense, Ottawa s’est assuré que les deux gouvernements choisiraient les sites radar de ce réseau (financés principalement par les États-Unis), qu’ils seraient construits avec du matériel canadien, et que la loi canadienne s’appliquerait sur ces sites29.

En plus des installations radar, l’ARC et les forces aériennes des États-Unis estimaient qu’il fallait un commandement opérationnel intégré pour accroître l’efficacité de leurs opérations conjointes30. Bien qu’elles aient collaboré sur le plan tactique, les deux forces aériennes jugeaient cette collaboration insuffisante devant la menace soviétique. Tant qu’elles fonctionnaient indépendamment sur le plan opérationnel, leur efficacité en souffrait. Dans une perspective militaire, une étroite coordination opérationnelle des forces de la défense aérienne s’imposait. Quoique l’entente ait été officieuse (le gouvernement conservateur de John Diefenbaker la ratifiera le 12 mai 1958), le Commandement de la défense aérienne de l’Amérique du Nord (NORAD) a été créé le 12 septembre 195731. Dirigé par un commandant en chef américain et un commandant adjoint canadien, le NORAD a été conçu de façon à donner aux deux pays une relative égalité de représentation, malgré la disproportion de leurs contributions sur le plan financier comme sur celui des ressources humaines (les États-Unis en assument la plus grande partie). Comme le NORAD était binational, son commandant en chef relevait des autorités militaires canadiennes et américaines. Par ailleurs, pour garantir la souveraineté des États concernés, il était capital que les unités militaires de chaque pays relèvent d’un commandement national. Les gouvernements canadien et américain sont également responsables de la sélection des stations permanentes, de la discipline, de la formation, du soutien logistique et de la composition des forces nationales32.

Si les années 1960 ont vu décroître l’intérêt pour la défense aérienne du continent, à la fin des années 1970, de nouvelles menaces, comme les missiles de croisière et les avions furtifs, ont accru la nécessité de maintenir et de renforcer la défense aérienne du continent33. Pour ce faire, en 1985, le NORAD (rebaptisé en 1981 Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord) a entrepris un programme de modernisation considérable incluant le remplacement du réseau DEW par un nouveau système d’alerte du Nord (NWS), le stationnement au Canada de systèmes aéroportés d’alerte et de contrôle E3 (AWACS) américains ainsi que la mise en place d’un système radar transhorizon à rétrodiffusion (OTH-B) pour surveiller les « zones mortes »34. En outre, le Canada fournit actuellement au NORAD quatre escadrons de CF-18 Hornet35.

Somme toute, depuis 1938, le Canada aborde la défense continentale avec une extrême cohérence. Avec l’Exemption de Kingston, le Canada et les États-Unis ont reconnu que leur sécurité était inévitablement liée, ce qui a donné lieu à la création de la PJBD, à laquelle s’est ajouté, après la guerre, le CCM. Cela a permis aux forces armées des deux pays de collaborer sur une grande échelle. De cette collaboration est né le BSP, le premier plan canado-américain de défense continentale, dont la composante maritime a été renforcée en 1949, par la création de l’OTAN et du CUSRPG. Mais surtout, devant le danger posé par la puissance nucléaire de l’Union soviétique, le Canada et les États-Unis ont mis au point un système de défense aérienne pour contrôler conjointement leurs forces sur le plan opérationnel. Toutefois, quand des stations radar ont été construites dans le Nord du pays, le Canada a obtenu la garantie que sa souveraineté, au sens large du terme, serait respectée. De même, lorsqu’ils ont créé le NORAD, les deux pays ont conservé la direction de leur commandement national. Il ne fait donc aucun doute que le Canada a toujours été aux côtés des États-Unis pour défendre l’Amérique du Nord. Quoique les divers gouvernements canadiens aient pris soin de préserver le plus possible la souveraineté du pays, la logique géographique tout comme la logique militaire les ont obligés à participer aux opérations de défense continentale.

LE CANADA, LE NORTHCOM ET L’UCP

Les événements du 11 septembre 2001 ont engendré chez les Américains un vif sentiment de vulnérabilité. Les États-Unis qui, depuis plusieurs dizaines d’années, redoutaient surtout des ennemis extérieurs, jugent désormais que les menaces intérieures sont prioritaires en matière de sécurité nationale. Même si, à la fin des années 1990, la défense du territoire s’est régulièrement intensifiée, la triste réalité est que seules les attaques terroristes de 2001 lui ont donné sa priorité actuelle. Militairement parlant, rien n’illustre mieux ce fait que la révision du Plan de commandement unifié (UCP).

Conçu en 1946, l’UCP a permis de coordonner au niveau mondial les responsabilités militaires des États-Unis qui devenaient une superpuissance et prenaient la tête des puissances occidentales. Il comporte deux types de commandements : régionaux et fonctionnels. Les premiers couvrent des zones géographiques; ainsi, l’Europe et une grande partie de l’Afrique sont sous l’autorité de l’United States European Command (USEUCOM). Il importe de noter que les commandements régionaux sont uniquement américains, quoiqu’ils soient chargés des opérations militaires dans la zone qui leur est assignée. Les commandants de combat peuvent mener des opérations avec des pays alliés, mais ce n’est pas sous la gouverne de l’UCP qu’ils dirigent les forces militaires étrangères. Quant aux commandements fonctionnels, ils contrôlent une branche spécifique des forces américaines. Par exemple, l’United States Strategic Command (StratCom) supervise l’arsenal nucléaire américain. Enfin, chaque commandement de l’UCP est sous la direction d’un commandant de combat qui relève de l’autorité nationale de commandement constituée du président des États-Unis et du secrétaire à la défense.

Le 17 avril 2002, on a annoncé que des modifications seraient apportées à l’UCP, dont la plus importante était la création du NorthCom. Il s’agit d’un commandement régional qui remplit deux fonctions. D’une part, il assure la défense du territoire américain et doit donc « mener des opérations pour décourager, empêcher et faire échouer les menaces et les agressions dirigées contre les États-Unis, son territoire et ses intérêts dans les zones dont il est responsable »36. D’autre part, il doit, « à la demande du président ou du secrétaire à la défense, appuyer militairement les autorités civiles, ce qui comprend des opérations de gestion des conséquences »37. La création du NorthCom a eu des répercussions sur la structure et l’organisation des forces armées, de la Garde nationale et de la Garde côtière américaines.

Haut de la page

Auparavant, la défense du territoire et l’aide aux autorités civiles relevaient de l’United States Joint Forces Command (JFCOM). La Joint Force Headquarters-Homeland Security (JFHQ-HLS) a été formée juste après les attaques du 11 septembre pour défendre le territoire et les côtes de la zone continentale des États-Unis38. Elle coordonne aussi l’aide militaire aux autorités civiles aux côtés d’agences comme la Federal Emergency Management Agency39. Deux commandements lui sont subordonnés : la Joint Task Force-Civil Support (JTF-CS), qui soutient militairement les autorités civiles, et la Joint Task Force 6, qui fournit un soutien militaire contre le narcotrafic aux organismes civils. Parmi les opérations entreprises depuis le 11 septembre, la JFHQ-HLS a entraîné des unités de réaction rapide, préparé la gestion des conséquences d’attaques biologiques et coordonné l’aide militaire à la sécurité lors du Super Bowl et des Jeux olympiques d’hiver de Salt Lake City. Depuis la révision de l’UCP, ces unités dépendent du NorthCom40. Pour sa part, le JFCOM est devenu un commandement national axé « presque exclusivement sur la transformation militaire et l’opérabilité interarmées »41.

Avec les forces qui faisaient partie de l’organisation initiale de la défense du territoire du JFCOM, le NorthCom est susceptible de se voir confier, en temps de crise, le commandement de toutes les armes. Il aura notamment l’autorisation de demander à tous les commandements « orientés vers l’Atlantique » de mener des opérations capitales pour la défense continentale42. Il s’ensuit que la flotte atlantique de la US Navy, l’Air combat command de la US Air Force, les Marine Forces Atlantic et le US Army Forces Command peuvent être placés sous la direction du commandant de combat du NorthCom43. L’opération « Noble Eagle », lancée juste après les attaques du 11 septembre, permet de saisir la manière dont ces forces pourraient être utilisées. Le JFCOM a alors placé la 26th Marine Expeditionary Unit en alerte et, pour aider le NORAD, il lui a fourni des avions tactiques du Air Combat Command et des navires équipés d’AEGIS de la flotte atlantique.

Si la défense de la zone continentale des États-Unis est confiée au NorthCom, la défense aérienne de l’Amérique du Nord demeure la responsabilité du NORAD qui, depuis le 11 septembre, joue un plus grand rôle. Il a notamment commencé à surveiller le trafic aérien de l’Amérique du Nord, avec l’American Federal Aviation Administration et Nav Canada44. Cette nouvelle responsabilité inclut également la rationalisation de règles d’engagement permettant de défendre avec plus de force l’espace aérien nord-américain45. Auparavant, le NORAD s’intéressait surtout aux menaces aérospatiales émanant de l’extérieur et au narcotrafic. Par ailleurs, afin de mieux coordonner leurs tâches qui sont reliées et mutuellement pertinentes, l’UCP a fusionné les commandements du NORAD et du NorthCom. Le Général Ralph E. Eberhart, commandant de combat du NORAD a donc assumé le commandement du NorthCom, lorsque celui-ci a été créé le 1er octobre 2002.

Les priorités du NorthCom en matière de défense du territoire et d’aide aux autorités civiles auront également une incidence sur la Garde nationale qui, jusqu’ici, a assumé trois fonctions. D’abord, en tant que milice des différents états de l’Union, elle aide les autorités civiles locales, à la demande des gouverneurs. Pour ce faire, elle déploie notamment 30 équipes de soutien aux autorités civiles en matière d’armes de destruction massive (WMD-CST)46. Puis, le concept de force totale permet d’intégrer les réservistes de la Garde nationale aux forces armées américaines lors d’opérations outremer47. Enfin, en vertu des Titres 10 et 32, l’autorité nationale de commandement peut mobiliser la Garde nationale pour qu’elle fasse « partie intégrante des moyens de défense de première intervention des États-Unis »48. Ajoutée à l’aide apportée aux autorités civiles et à ses capacités de WMD-CST, cette fonction assure l’inclusion de la Garde nationale dans la planification de la défense du territoire du NorthCom. Au reste, le département de la défense a déclaré que, en vertu du Titre 10, l’autorité nationale de commandement peut confier le commandement et le contrôle de la Garde nationale au commandant de combat du NorthCom49. De plus, comme le NorthCom est un commandement régional, il fixera les normes de formation et de préparation de la Garde nationale. Toutefois, quand le Titre 10 n’est pas appliqué, les gouverneurs des états conservent leur autorité sur la Garde nationale50. Par conséquent, quoique celle-ci représente un élément important des forces mises à la disposition du NorthCom pour défendre le territoire, les contributions qu’elle apporte aux états et au concept de force totale ne seront pas affaiblies.

Photo de l’équipe de caméras de combat des FC par le Sergent Danielle Bernier

Une équipe canado-américaine formée d’officiers et placée sous la direction du commandant en chef adjoint canadien du NORAD se consacre à l’évolution des ententes de défense aérospatiale en Amérique du Nord.

Pour sa part, la Garde côtière américaine subit actuellement des transformations organisationnelles. Avant les attaques du 11 septembre, elle dépendait du département des transports, mais l’administration Bush l’a récemment fait passer sous le contrôle du département de la sécurité intérieure dans le but de renforcer la sécurité des frontières51. L’administration américaine estime que cette mesure améliorera la communication et la collaboration entre la Garde côtière, les services de l’immigration, de la naturalisation et de la patrouille frontalière, les services de douane ainsi que l’administration de la sécurité des transports, organismes qui seront tous chapeautés par le nouveau département de la sécurité intérieure52. Le département de la défense semble toutefois concevoir différem-ment l’avenir de la Garde côtière. Les propos tenus récemment par des hauts dirigeants de la Garde côtière et des forces navales indiquent leur désir de renforcer en temps de paix les liens entre ces deux armes53. Dès septembre 1998, la Garde côtière et les forces navales ont fait une déclaration commune en faveur d’une « flotte nationale » , concept qui leur permettrait de coopérer « plus étroitement dans divers domaines, y compris l’acquisition de navires, la recherche et le développement, la planification des opérations, la logistique, la formation, les exercices et les déploiements »54. Le Quadrennial Defense Review de 2001, publié peu après les attaques du 11 septembre, adoptait une perspective plus large :

La préparation des forces pour la sécurité intérieure peut occasionner des changements dans la structure et l’organisation des forces armées. [...] De toute évidence, les forces armées américaines, y compris la Garde côtière, ont besoin de moyens, de méthodes et d’organisations plus efficaces pour accomplir ces missions. Dans cet objectif, le département de la défense étudiera la création d’un poste de commandant de combat unifié (pour la sécurité intérieure), afin d’aborder la question complexe des rapports entre différentes armes et de fournir un commandement militaire unique pour mieux centrer l’aide militaire.55

Haut de la page

Dans la même veine, l’Amiral Vernon E. Clark, qui dirige les opérations navales, a recommandé la création d’un « équivalent maritime du NORAD [...] qui relèverait de la Garde côtière et bénéficierait de l’appui de la Marine, d’autres agences fédérales et du secteur privé »56, et qui devrait « être coordonné avec le NorthCom »57. Les récentes déclarations du Général Eberhart indiquent également que le département de la défense envisage un « NORAD naval » lié au NorthCom58.

L’éventualité d’un « NORAD naval » américain, la défense du territoire et le soutien aux autorités civiles aux États-Unis n’ont pas manqué de soulever la question de la collaboration du Canada. Quoique le NorthCom soit un commandement uniquement américain qui n’intègre pas, et ne veut pas intégrer, de forces étrangères59, les impératifs de la réalité géographique font qu’il a besoin de la participation des voisins des États-Unis pour remplir sa mission. C’est pourquoi les États-Unis ont montré un vif intérêt pour la collaboration du Canada à la défense élargie du continent. Paul Celluci, l’ambassadeur américain au Canada, déclarait le 10 septembre 2002 : « Nous ne pouvons pas défendre l’Amérique du Nord tout seuls. Le Canada en occupe une très grande partie et nous avons besoin de lui pour en défendre les espaces aériens, terrestres et maritimes. »60 Le gouvernement canadien étudie avec sa prudence habituelle les nouveaux plans militaires proposés par les États-Unis.

Photo du Service d’imagerie des FC de Halifax
par le Caporal Paz Quillé

Le NCSM Montréal. Le groupe d’étude canado-américaine du Quartier général du NORAD se penchera sans doute également sur la possibilité d’établir une coordination bilatérale plus étroite quant à la défense maritime.

Le jour des attaques terroristes contre New York et Washington, le gouvernement canadien a spontanément offert d’aider le gouvernement et le peuple américain. Presque tous les avions civils à destination de villes américaines ont été détournés vers des aéroports canadiens. Le NORAD a mobilisé les chasseurs canadiens CF-18, et l’équipe d’intervention en cas de catastrophe des FC (DART) de la 8e Escadre Trenton (Ont.) était prête à se déployer aux États-Unis61. De même, dans les mois qui ont suivi, le Canada s’est allié aux États-Unis pour lutter contre le terrorisme. Le gouvernement Chrétien a voté la loi C-36, la Loi antiterroriste, et il a signé avec les États-Unis une Déclaration sur la frontière intelligente, montrant clairement sa solidarité avec les États-Unis en matière de défense continentale. Le Canada tient à renforcer la défense de l’Amérique du Nord non pas simplement parce que c’est un gage d’amitié, mais parce qu’il juge que le terrorisme est indubitablement un péril transnational.

Pour le vice-chef d’état-major de la Défense (VCEMD), le Lieutenant-général George Macdonald, les menaces asymétriques que présentent les éléments terroristes et criminels compromettent la sécurité du Canada62. Même si ces groupes ne visent pas directement le Canada, les effets destructeurs des armes de destruction massive et les perturbations des communications essentielles et de la stabilité économique ne connaissent aucune frontière. Le VCEMD a déclaré, à l’instar de MacKenzie King : « Nous ne pouvons pas permettre que le territoire canadien serve de voie d’approche pour lancer des attaques contre les États-Unis »63. Les hauts dirigeants des FC jugent donc que le Canada devrait collaborer avec les États-Unis pour protéger l’Amérique du Nord contre les éléments dangereux et les moyens asymétriques dont ils se servent.

C’est la raison pour laquelle le MDN a créé un Groupe de planification binational pour structurer l’« amélioration de la coopération canado-américaine en matière de sécurité »64. Ce Groupe, qui a un mandat initial de deux ans, travaillera aux côtés du NorthCom et du NORAD, à Colorado Springs, mais ne sera intégré ni à l’un ni à l’autre. Il a pour fonction d’améliorer « les dispositifs canado-américains de défense du continent contre des menaces principalement maritimes et [de] réagir à d’éventuelles attaques terrestres »65. Composé d’une vingtaine d’officiers et de représentants du Bureau de la protection des infrastructures essen-tielles et de la protection civile ( BPIEPC), et dirigé par le Lieutenant-général Kenneth Pennie et par un adjoint américain, le Groupe de planification ébauchera des plans d’urgence canado-américains pour garantir « une réaction conjointe et bien coordonnée aux demandes nationales d’aide militaire face à d’éventuelles menaces, attaques ou situations civiles d’urgence, au Canada ou aux États-Unis [et] coordonner la surveillance maritime et le partage du renseignement »66, pour assurer une coordination binationale entre les organisations civiles et militaires ainsi que pour préparer des programmes conjoints de formation et d’exercices.

Bien qu’il ne s’agisse pas encore d’un « NORAD naval », l’accroissement des communications entre la Marine canadienne et la Marine américaine pourrait amener le Groupe de planification à se livrer à des entreprises à plus grande échelle. Comme la coopération entre les deux marines date du CUSRPG, la défense maritime conjointe du continent ne serait pas nouvelle. En fait, comme l’interopérabilité avec la Marine américaine est un principe central de la Marine canadienne, « il est peut-être plus facile pour Washington de parvenir à un accord (maritime) avec le Canada qu’il ne lui est possible d’en obtenir un entre les diverses armes et entre les autres agences fédérales67.

Le désir des deux gouvernements d’autoriser des déploiements transnationaux en cas d’attaques nucléaires, biologiques ou chimiques est sujet à controverse. Si les forces armées canadiennes ou américaines étaient envoyées sur le territoire du voisin, elles tomberaient sous le contrôle opérationnel du pays hôte68. Selon le vice-chef d’état-major de la Défense, cette disposition permet au Canada et aux États-Unis de conserver « leur autorité sur le commandement national ainsi que leur souveraineté territoriale »69. Le MDN maintient également que les mesures seraient prises « au cas par cas et seulement avec l’approbation des deux gouvernements »70. Comme les FC sont déjà en mesure de remplir des fonctions d’aide aux civils, le MDN assure que l’UCP ne requiert pas l’affectation « de nouvelles forces permanentes à la défense continentale »71. Le gouvernement canadien semble donc vouloir améliorer la défense continentale sans avoir à utiliser à cette fin les maigres fonds destinés à financer les activités prioritaires du MDN.

Il y a eu au Canada des réactions partagées quant au regain d’intérêt pour la défense continentale. Le sénateur Colin Kenny, président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense est l’un des parlementaires qui a le plus fortement soutenu la collaboration accrue du Canada en matière de défense continentale72. Mais la probabilité d’une plus grande coopération des forces canadiennes et américaines a aussi suscité des critiques. Lorsque le MDN a communiqué à la presse des renseignements sur le Groupe de planification et sur son mandat, deux quotidiens ont souligné la possibilité d’un déploiement américain sur le territoire canadien. Les manchettes du Globe and Mail et du National Post disaient respectivement : « L’accord permettrait aux troupes américaines de mener des opérations au Canada »73 et « Lutte contre la terreur : des troupes américaines pourraient être stationnéesau pays »74.

Haut de la page

Michael Byers, professeur à Duke University, est l’un des plus ardents détracteurs d’une plus grande collaboration en matière de défense continentale. Dans son rapport, Canadian armed forces under U.S. command, il appelle à la prudence avant de s’engager plus avant dans la défense continentale aux côtés des États-Unis. Il insiste notamment sur la dégradation de la souveraineté du Canada et l’immixtion des États-Unis dans ses politiques étrangère et de défense. Selon lui, la notion de contrôle opérationnel américain des Forces canadiennes (prévu par le Groupe de planification au cas où, pour remplir des missions d’aide aux autorités civiles, il faudrait franchir la frontière) pose problème. Il juge notamment que la démarcation entre le contrôle et le commandement opérationnel est très floue. En fait, il estime qu’il s’agit d’une distinction de pure forme75. En ce qui concerne la politique étrangère, Byers prétend que les États-Unis pourraient aussi faire état des exigences de la défense continentale pour empêcher le Canada de mener des entreprises unilatérales, telles qu’un pont aérien avec Cuba, qui iraient à l’encontre de leurs aspirations politiques. En s’élevant contre une plus grande coopération canado-américaine en matière de défense, Byers et la presse canadienne expriment leur inquiétude concernant la souveraineté, réaction qui empoisonne la participation du Canada à la défense continentale depuis le début.

En bout de ligne, étant donné la réponse habituelle du Canada quand il est question de défense continentale, on a écouté les arguments de Byers et d’autres fervents nationalistes, mais on n’en a pas tenu compte. Les appréhensions concernant la souveraineté et l’indépendance du Canada ont cédé le pas aux relations étroites entre les deux pays en matière de défense, à l’argument de « la protection contre l’aide » et à l’éventualité d’une menace commune. La coopération du Canada et des États-Unis en matière de défense remonte, on l’a vu, au Plan de sécurité de base de 1946. Au reste, comme en témoignent l’OTAN et le NORAD, les menaces que la coopération militaire avec les États-Unis fait peser sur la souveraineté canadienne sont très exagérées. À vrai dire, le compromis envisagé pour la souveraineté va dans les deux sens. Comme le montre le déploiement éventuel de l’équipe DART des FC, des soldats canadiens pourraient fort bien être stationnés en sol américain. De même, les deux forces navales ont l’autorisation de patrouiller dans les eaux des deux pays, depuis la formation du CUSRPG. En outre, comme c’est le cas depuis l’Exemption de Kingston, les gouvernements canadiens sont très conscients de devoir contribuer à la défense de l’Amérique du Nord, sinon les États-Unis pourraient fort bien s’en charger tout seuls, usurpant ainsi le dernier pilier de toute souveraineté nationale : la protection du territoire. On peut donc avancer que ce n’est pas la collaboration avec les États-Unis qui menace véritablement la souveraineté canadienne, mais plutôt le défaut de collaboration. Par ailleurs, le MDN et la Gendarmerie royale du Canada considèrent que la menace que constituent les éléments criminels et terroristes, comme celle que constituait autrefois la puissance nucléaire de l’Union soviétique, est une cause d’inquiétude pour le Canada autant que pour les États-Unis. Enfin, comme le gouvernement Chrétien continue à participer à la guerre au terrorisme, il semble peu probable que le premier ministre actuel et ses successeurs ne suivront pas la même politique. Il est évident que, si poursuivre ses ennemis autour du globe s’impose, se défendre contre eux s’impose tout autant.

CONCLUSION

Il ne fait aucun doute que le NorthCom et le regain d’intérêt des États-Unis pour la défense continentale ont exercé, et continueront à exercer, une influence considérable sur la politique canadienne de sécurité nationale. Pour des raisons géographiques et politiques, il s’agit là d’une réalité incontournable. Sur bien des plans, le Groupe de planification actuel représente une évolution du BSP. Ils ont tous les deux été créés parce que se profilait une menace commune et que le Canada et les États-Unis se rendaient compte que la défense unilatérale de l’Amérique du Nord ne peut pas être efficace. Ces deux accords reconnaissaient aussi le besoin de coopérer sur terre et sur mer. Ils n’ont évidemment pas manqué de soulever des questions sur la souveraineté canadienne. Pour sa part, le BSP a survécu à la vigilance des tenants circonspects de la souveraineté canadienne. Jusqu’ici, le Groupe de planification semble avoir fait la même chose, bien que son mandat, initialement de deux ans, pourra, à cette échéance, être revu par le ministre de la Défense nationale et par celui des Affaires étrangères76.

Une dernière question mérite d’être soulevée, celle de l’éventualité de l’expansion ou de l’élargissement du Groupe de planification. Il importe de rappeler que le MSG de 1954, un groupe de planification semblable au groupe actuel, a mené à la création du NORAD, en dépit des réticences qu’a d’abord manifestées le gouvernement Saint-Laurent. En ce moment, des officiers américains hauts gradés proposent déjà de former un « NORAD naval ». Comme le Groupe de planification étudie la possibilité d’accroître la coopération en matière de défense maritime et côtière, il n’est pas inconcevable qu’un commandement maritime unifié puisse être envisagé pour effectuer cette tâche. En fait, il n’est pas impossible que les relations du NorthCom avec le Groupe de planification binational aboutissent à la création d’une version nord-américaine du Commandement allié en Europe de l’OTAN, qui mènerait sur le continent des opérations de défense aérienne, terrestre et maritime et d’aide aux autorités civiles77.

Quel que soit l’avenir du Groupe de planification, il est évident que NorthCom continuera à exister. Tant que durera l’engagement des États-Unis envers la défense du continent nord-américain, le Canada sera obligé de collaborer avec son voisin, sinon il risquera d’être exclu de décisions qui portent sur la défense de son territoire. Bien que le NorthCom soit une entreprise uniquement américaine, il a eu et aura un impact vraiment nord-américain.

Des versions antérieures de cet article ont été présentées sous forme de communication à la conférence des étudiants de cycle supérieur de la Conférence des associations de la défense et à la SMSS Conference à Calgary. L’auteur tient à remercier Joel Sokolski, Ph. D., doyen de la Faculté des arts du Collège militaire royal du Canada, pour son aide et ses conseils.

Logo RMC

Philippe Lagassé est inscrit au programme de maîtrise en Études sur la conduite de la guerre au Collège militaire royal du Canada.

Haut de la page

NOTES

1. États-Unis, Maison Blanche, département de la sécurité intérieure, http://www.whitehouse.gov, juin 2002. [TCO]

2. « Northern Command to Assume Defense Duties », American Forces Press Services, http://www.northcom.mil, 25 septembre 2002.

3. Remarques faites le 1er octobre 2002 par le sous-secrétaire d’état à la défense, Paul Wolfowitz, à la base aérienne de Petersen, Colorado Springs, Colorado, http://www.defenselink.mil/speeches/2002/s20021001-depsecdef1.html. [TCO]

4. « Northern Command to Assume », American Forces Press Service. [TCO]

5. John W. Holmes, The Shaping of Peace: Canada and the Search for World Order, 1943-1957, Toronto, University of Toronto Press, 1982, p. 291. [TCO]

6. Cité par Joel Sokolsky, « Sailing in Concert: The Politics and Strategy of Canada-US Naval Interoperability », Policy Choices, avril 2002, p. 16.[TCO]

7. ibid. [TCO]

8. Michel Fortmann et David G. Haglund, « Le Canada et la question de la sécurité du territoire : l’ « exemption de Kingston » tient-elle toujours ? », Revue militaire canadienne, printemps 2002, p. 18.

9. Peter Haydon, The 1962 Cuban Missile Crisis: Canadian Involvement Reconsidered, Toronto, Canadian Institute of Strategic Studies, 1993, p. 68.

10. Canada, ministère de la Défense nationale, « Relations de défense canado-américaines », http://www.forces.gc.ca/site/Newsroom/
view_news_f.asp?id=836
, 8 janvier 2003.

11. Joseph Jockel, « Old Fears and New: Canadian and North American Air Defense », in Stephen J. Cimbala, dir., Strategic Air Defense, Wilmington, Scholarly Resources Inc., 1989, p. 47.

12. ibid., p. 48. [TCO]

13. ibid.

14. Haydon, Cuban Missile Crisis, p. 69. [TCO]

15. ibid., p. 69-70.

16. ibid.

17. Joel Sokolsky, Sea Power in the Nuclear Age, Annapolis, Naval Institute Press, 1991, p. 54.

18. ibid.

19. Haydon, Cuban Missile Crisis, p. 83.

20. David Cox, Canada and Norad, 1958-1978: A Cautionary Retrospective, Ottawa, Canadian Centre for Arms Control and Disarmament, 1985, p. 7.

21. Sokolsky, « Sailing in Concert », p. 16. [TCO]

22. Cox, Canada and Norad, p. 7. [TCO]

23. ibid. [TCO]

24. ibid, page 8

25. ibid.

26. ibid.

27. Haydon, Cuban Missile Crisis, p. 73.

28. Joseph Jockel, No Boundaries Upstairs: Canada, the United States, and the Origins of North American Air Defence, 1945-1958, Vancouver, University of British Columbia Press, 1987, p. 82. [TCO]

29. ibid., p. 83.

30. ibid., p. 98.

31. ibid., p. 109.

32. Joseph Jockel, Security to the North: Canada-US Defense Relations in the 1990s, East Lansing, Michigan State University Press, 1991, p. 145.

33. Ashton B. Carter, « Introduction » dans Arthur Charo », Continental Air Defense: A Neglected Dimension of Strategic Defense, Maryland, University Press of America Inc., 1990, p. xiii.

34. Charo, Continental Air Defense, p. 15-17.

35. Canada, ministère de la Défense nationale, NORAD. http://www.forces.gc.ca/site/focus/canada-us/bg00.010_f.asp, 13 octobre 2002.

36. États-Unis, département de la défense, Unified Command Plan changes take effect, http://www.jfcom.mil/newslink/storyarchive/2002/pa100202.htm, 17 octobre 2002. [TCO]

37. ibid. [TCO]

38. ibid.

39. États-Unis, département de la défense, U.S. Northern Command Fact Sheets, <http://www.northcom.mil>, 16 octobre 2002.

40. États-Unis, département de la défense, Unified Command Plan changes take effect.

41. ibid.[TCO]

42. Colin Robinson, « Northern Command – Additional Details Emerging », Center for Defense Information, 20 septembre 2002, http://cdi.org/terrorism/northern-details.cfm, 16 octobre 2002

43. Actuellement, il semble que le Commandement du Pacifique continuera à assumer la défense de la côte ouest des États-Unis.

44. Le Lieutenant-général George Macdonald, ministère de la Défense nationale du Canada, « Les relations canado-américaines en matière de défense, les menaces asymétriques et le Plan du commandement unifié des États-Unis », http://www.forces.gc.ca/site/newsroom/view_news_f.asp?id=1004, 6 mai 2002.

45. Sénat des États-Unis, Armed Services Committee, Statement of General Ralph. E. Ebehart, 25 octobre 2001.

46. Jack Spencer et Larry M. Wortzel, « The Role of the National Guard in Homeland Security », The Heritage Foundation Backgrounder, 8 avril 2002, p. 4. Site Web : http://www.heritage.org/library/backgrounder/bg1532.html.

47. ibid., p. 2.

48. ibid., p. 5. [TCO]

49. États-Unis, Chambre des représentants, Committe on Armed Services, Statement of Stephen Cambone, Principal Deputy Under Secretary of Defense for Policy, 26 juin 2002.

50. ibid., p. 2.

51. Maison Blanche, Département de la sécurité intérieure, p. 2.

52. ibid.

53. En temps de guerre, la Garde côtière devient une branche de la Marine américaine.

54. Congrès des États-Unis, Service de recherche du Congrès, Homeland Security: Coast-Guard Operations – Background and Issues for Congress, 28 janvier 2002, p. 5. [TCO]

55. Département de la défense des États-Unis, Quadrennial Defense Review, 2001. Site Web : http://www.defenselink.mil, 25 septembre 2002. [TCO]

56. Tim Campbell, Madhavi Chavah, Kelly Reese, dirs, Meeting the Homeland Security Challenge: Maritime and Other Critical Dimensions, Washington, Institute for Foreign Policy Analysis, 2002, p. 80. Site Web : http://www.ifpa.org/home.htm, 16 octobre 2002. [TCO]

57. ibid. [TCO]

58. Sheldon Alberts, « U.S. General seeks closer military ties », National Post, 19 octobre 2002.

59. Remarques faites à l’université Queen’s, Kingston, Ontario, 30 septembre 2002, par Peter Verga, assistant spécial pour la sécurité intérieure, département de la défense.

60. Sheldon Alberts, « Cellucci defends army links », National Post, 11 septembre 2002. [TCO]

61. Ministère de la Défense nationale du Canada, « La participation des Forces canadiennes à la campagne internationale contre le terrorisme », http://www.forces.gc.ca/site/newsroom/view_news_f.asp?id=403, 6 mai 2002.

62. Ministère de la Défense nationale du Canada, « Les relations canado-américaines en matière de défense, les menaces asymétriques et le Plan du commandement unifié des États-Unis », http://www.forces.gc.ca/site/newsroom/view_news_f.asp?id=1004.

63. ibid.

64. Ministère de la Défense nationale du Canada, «Amélioration de la coopération Canada-États-Unisen matière de sécurité », http://www.forces.gc.ca/site/newsroom/view_news_f.asp?id=509, 9 décembre 2002.

65. ibid.

66. ibid.

67. Sokolsky, « Sailing in Concert », p. 21. [TCO]

68. Ministère de la Défense nationale du Canada, « Les relations canado-américaines en matière de défense, les menaces asymétriques et le Plan du commandement unifié des États-Unis ».

69. ibid.

70. ibid.

71. ibid.

72. Sénat du Canada, Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, Defence of North America: A Canadian Responsibility, septembre 2002.

73. Oliver Moore, « Deal would let U.S. troops operate in Canada », The Globe and Mail, édition Internet, 9 décembre 2002. [TCO]

74. Sheldon Alberts, « Terror fight may bring U.S troops here », National Post, 9 décembre 2002. [TCO]

75. Michael Byers, Canadian armed forces under U.S. command, Vancouver, Simon Centre, 2002, p. 6.

76. Ministère de la Défense nationale du Canada, « Amélioration de la coopération Canada-États-Unis en matière de sécurité ».

77. Correspondance de l’auteur avec Joel Sokolsky, Ph. D., 20 janvier 2003.