AvertissementCette information est archivée à des fins de consultation ou de recherche.

Information archivée dans le Web

Information identifiée comme étant archivée dans le Web à des fins de consultation, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’a pas été modifiée ni mise à jour depuis la date de son archivage. Les pages Web qui sont archivées dans le Web ne sont pas assujetties aux normes applicables au Web du gouvernement du Canada. Conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada, vous pouvez la demander sous d’autres formes. Ses coordonnées figurent à la page « Contactez-nous »

LES OPINIONS

QUI A TUÉ VON RICHTHOFEN?

par le lieutenant-colonel David Bashow

Imprimer PDF

Il aurait été mon ami le plus cher que je n'aurais pas pu avoir plus de peine.

Arthur Roy Brown, devant les restes
de Manfred von Richthofen

La controverse resurgit à nouveau autour d'un affrontement aérien épique remontant à la Première Guerre mondiale. Elle porte cette fois sur le Rittmeister Manfred Freiherr von Richthofen, le légendaire Baron rouge, et sur sa mort pendant la bataille du 21 avril 1918 sur le front occidental. Un récent documentaire de la télévision a minimisé le rôle joué dans cet engagement par le Capitaine Arthur Roy Brown que beaucoup croient avoir été celui qui a abattu von Richthofen. À la suite de la présentation de ce documentaire, la famille, les amis et les partisans de Roy Brown se sont dits outragés, trahis et déçus par le peu d'importance que le reportage accorde, selon eux, à ce titulaire de dix victoires, originaire de Carleton Place (Ont.). Pilote de chasse et historien, je m'intéresse depuis long-temps à ce combat aérien controversé, et j'en ai parlé en détail il y a plusieurs années dans un livre qui rendait hommage aux exploits des pilotes de chasse canadiens au cours de la Première Guerre mondiale. L'identité de celui qui a vraiment tué von Richthofen est au cœur de cette controverse.

Avec la permission de l'artiste

The Red Baron’s Last Flight, tableau de Stephen Quick.

À la mi-avril 1918, l'opération « Michael », nom de code de l'offensive désespérée que le général Erich von Ludendorff avait lancée au printemps sur le front occidental, avait fait long feu. Bien que le secteur d’Amiens connût une nette accalmie, il était évident pour les services du renseignement des alliés que les Allemands se préparaient à tenter encore une fois de s’emparer de cette ville stratégique. Aussi, le 21 avril, l’escadron de Roy Brown, le 209e Escadron, basé dans le petit village de Bertangles, reçut-il pour mission de patrouiller, au-dessus de la Somme, le secteur australien du front entre Harbonnières et Albert. À 12 000 pieds d’altitude, les Sopwith Camel de reconnaissance de cet escadron devaient couvrir si nécessaire les avions de reconnaissance alliés dans le voisinage. Cet escadron comprenait trois escadrilles de cinq avions chacune et était commandé par Brown qui était aussi à la tête de l’escadrille « A ». Un des quatre jeunes lieutenants que Brown avait sous sa gouverne ce jour-là était un ancien camarade d’école d’Edmonton, le sous-lieutenant Wilfred « Wop » May, qui n’en était qu’à son troisième vol de patrouille de la guerre. « Brown avait averti May de rester à l’écart de tout combat aérien qui pourrait survenir, d’adopter une position d’ “observation et apprentissage” et de se dégager rapidement vers Bertangles s’il était menacé. L’ironie du sort a voulu que Manfred von Richthofen donne les mêmes instructions à son cousin novice Wolfram, qui faisait partie de sa formation en ce jour fatidique. »1

Vers 10 h 30, de l’autre côté des lignes à Cappy, environ à 35 kilomètres à l’est de Bertangles, Manfred von Richthofen et les pilotes de sa Jagdgeschwader 1 ont été avertis que des avions britanniques s’approchaient de leur secteur d’opérations. Peu de temps après, sous les ordres de von Richthofen, neuf triplans Fokker Dr.1 en deux formations se sont lancés à la rencontre des avions britanniques dans un ciel partiellement éclairci. Quinze minutes plus tard, von Richthofen et le lieutenant Weiss se sont détachés de la formation allemande pour livrer, à 7500 pieds au-dessus de Hamel, un match nul à deux avions d’observation biplaces RE8 du 3eEscadron duAustralian Flying Corps. La riposte courageuse et efficace des aviateurs australiens a repoussé les deux Allemands. Toutefois, comme le triplan de Weiss avait visiblement été endommagé, il s’ensuivit une revendication provisoire de victoire sur von Richthofen lorsque s’est répandue plus tard dans la journée la rumeur qu’il avait été abattu. Cette revendication a ensuite été rejetée parce qu’elle ne concordait pas avec le moment réel de la mort du Baron.

Après ce bref affrontement, von Richthofen a rejoint sa formation pour la mener peu après à l’attaque de l’escadron de Roy Brown qui se trouvait alors au sud de Hamel. Une mêlée s’ensuivit, et le jeune Wilfred May n’a pas pu résister à la tentation d’y participer brièvement. Malheureusement, ses mitrailleuses se sont enrayées rapidement, le laissant sans défense. Comme le lui avait prescrit Roy Brown, il a alors piqué rapidement à l’ouest vers la sécurité des lignes alliées.

Ce décrochage rapide a attiré l’attention tant de Roy Brown que de Manfred von Richthofen dont l’instinct de chasseur a flairé une facile 81e victoire aérienne. May, poussé par un fort vent arrière d’est, a mis plein gaz vers l’ouest, en rase motte au-dessus de la vallée de la Somme; von Richthofen, qui s’était lancé à sa poursuite, s’est rapidement retrouvé à portée de tir. Roy Brown, a immédiatement compris l’extrême danger que courait son jeune protégé; alliant l’énergie potentielle que lui procurait son altitude supérieure à une prédiction judicieuse des tracés de vol, il a plongé à folle allure et à 45 degrés sur les positions de May et de von Richthofen. Ce piqué était en soi un geste incroyablement courageux. En fait, Roy Brown a poussé son Camel jusqu’à près de 190 milles à l’heure dans cette manœuvre offensive désespérée et a placé le chasseur dans un domaine de vol où l’appareil présentait, même pour un pilote expérimenté, des caractéristiques notoirement dangereuses. Brown ne s’est pas préoccupé de s’approcher selon le meilleur angle de tir puisqu’il cherchait avant tout à distraire von Richthofen de sa poursuite de May en tirant une longue rafale rapprochée pour l’obliger à prendre au sérieux la menace provenant de ses arrières.

Haut de la page

C’est exactement ce qui s’est passé. Toutefois, bien que Brown ait tiré sur le Baron de l’arrière, d’en haut et de la gauche, von Richthofen n’a pas réagi de la façon habituelle en amorçant un brusque virage sur sa gauche en direction de la menace, mais a rompu sur sa droite et s’est éloigné de Brown. L’angle et la position du soleil à ce moment, qui ne permettaient guère à von Richthofen de discerner ni le Camel de Brown ni le sol qui se rapprochait rapidement sur sa gauche, explique sans doute cette manœuvre. Quoi qu’il en soit, par cette réaction, le Baron s’est éloigné de sa trajectoire de poursuite de May et s’est rapproché de l’artillerie du Australian Corps qui l’attendait au sol. Environ 90 secondes après la rafale de Brown, Manfred von Richthofen, qui venait de redresser sa trajectoire vers l’est, s’est écrasé dans un champ de betteraves à sucre et il expirait lorsque l’artilleur Ernest Twycross de la Royal Garrison Artillery s’est approché de la carcasse de son triplan rouge. Après avoir prononcé quelques mots, von Richthofen, qui avait reçu une balle à la poitrine, est mort.

La dépouille de von Richthofen a été soumise à deux autopsies et un médecin militaire haut gradé a effectué par la suite une inspection de vérification. Brown et l’un des pilotes des RE8 de la Autralian Air Force qui avaient engagé plus tôt le combat avec le Baron ont revendiqué tous deux la victoire sur l’as allemand, tout comme l’ont fait plusieurs soldats du Australian Corps. Après un examen préliminaire fait à la hâte, un second examen officiel a permis de constater que la balle qui avait tué von Richthofen avait pénétré par le côté droit de la poitrine « environ au niveau de la neuvième côte [...] juste devant la veine axillaire postérieure. La balle semble avoir traversé la poitrine en oblique vers l’arrière, avoir frappé la colonne vertébrale pour ricocher vers l’avant et ressortir par le côté gauche de la poitrine environ deux pouces plus haut que son point d’impact sur la droite et à peu près en travers de la veine axillaire antérieure. »2 La trajectoire de la balle est importante puisque, compte tenu de ses points d’entrée et de sortie, Brown n’a certes pas pu frapper mortellement son adversaire en tirant de l’arrière, d’en haut et de la gauche, une position de tir dont a été témoin le Capitaine Oliver LeBoutillier, un membre crédible de l’escadron de Brown3. En outre, Brown avait de bonnes raisons de penser qu’il était le vainqueur du Baron. En effet, la première autopsie, la seule dont Brown était au courant pendant très longtemps, suggérait « une large blessure causée par plusieurs projectiles entrant par le côté gauche de la poitrine de von Richthofen avec, selon les apparences, plusieurs points de sortie au bas et à droite de la zone abdominale »4. Cette première autopsie a encouragé davantage la RAF à croire que Roy Brown était le vrai vainqueur, ce qu’elle a ensuite confirmé officiellement. Lorsque des experts ont examiné plus tard les débris du triplan rouge du Baron, son entoilage distinctif avait été vandalisé par des chasseurs de souvenirs, ce qui a pu faire disparaître les marques des dommages qu’aurait causés Brown. Toutefois, le seul trou bien visible se trouvait sur le côté droit du fuselage, juste au-dessous du bord du cockpit. On n’a trouvé aucun impact de balle sur le côté opposé du fuselage, et il n’y en avait pas sur le revêtement à l’arrière du cockpit ni au travers du siège du pilote.

Brown, May et d’autres membres du 209e Escadron n’ont apparemment été mis au courant de la vraie nature et de la localisation des blessures d’entrée et de sortie que de nombreuses années après l’événement. Roy Brown, qui était un homme modeste et affable, ne s’est pas réjoui de son rôle dans la disparition de von Richthofen. Il n’a jamais non plus cherché à s’attribuer de façon certaine le coup mortel; beaucoup d’autres l’ont fait à sa place. Il n’a cessé de répéter fermement pour le restant de ses jours qu’il avait tiré sur la gauche. En 1927, le journaliste américain Floyd Gibbons a publié des articles puis un livre intitulé The Red Knight of Germany. Ignorant que Brown avait déclaré avoir visé von Richthofen sur sa gauche et cherchant comment expliquer les blessures et la trajectoire des balles qu’on connaissait alors, il a déclaré que Brown avait tiré à droite. Un article publié plus tard dans le magazine américain Liberty sous le titre « My Fight with Richthofen » reposait vaguement sur une entrevue avec Brown et s’inspirait énormément du livre de Gibbons de sorte les deux textes semblaient tirer les mêmes conclusions. Brown était cité à tort comme l’auteur de cet article5. De plus, « à cause de Gibbons, la plupart des peintures et des dessins produits dans le monde depuis 1928 montrent Brown attaquant à droite; et cela est devenu une croyance populaire erronée. Le mythe de l’attaque à droite était né et allait se perpétuer des années durant sous la plume de beaucoup d’historiens réputés. »6 Le temps passant, et bien qu’il n’ait jamais changé d’avis, à savoir qu’il avait mitraillé le Baron par l’arrière, d’en haut et à gauche, Roy Brown s’est enfermé dans le mutisme sur toute cette affaire et a refusé d’en débattre ou d’apporter des éclaircissements additionnels jusqu’à sa mort en 1944.

Il faut donc en revenir à la question initiale et se demander qui a tué von Richthofen. En 1997, les historiens Norman Franks et Alan Bennett ont publié The Red Baron’s Last Flight; cet ouvrage présente avec objectivité et clarté ce qui est, à mon avis, la chronologie définitive des derniers moments de la carrière, brève mais illustre, de l’as au combat que fut Manfred von Richthofen. À bien des égards, c’est Manfred von Richthofen qui a tué Manfred von Richthofen, car il a violé plusieurs de ses principes de combat fondamentaux en poursuivant le pilote novice May jusqu’au-dessus des lignes ennemies sans l’appui aérien de pilotes de son escadron et en adoptant un itinéraire de vol prévisible, autant de péchés capitaux contre les règles du combat aérien en de telles circonstances. Cela étant, Franks et Bennett affirment que celui qui a probablement tué Manfred von Richthofen, c’est le sergent C.B. Popkin de la 24th Australian Machine Gun Company; immédiatement après que le Baron eut amorcé son virage à l’est, Popkin, avec sa mitrailleuse Vickers, a tiré en direction du flanc droit du Fokker une rafale qui avait peu de chance d’atteindre la cible à 750 ou 800 mètres de distance7. Si la balle qui, par un coup de chance, a tué Richthofen n’a pas été tirée par Popkin, elle l’a été par n’importe lequel des fantassins qui se trouvaient alors dans le voisinage.

Malgré ces révélations et clarifications ultérieures, il ne fait aucun doute que, à part Manfred von Richthofen lui-même, c’est Roy Brown qui a été le personnage central de ce drame. L’attaque très courageuse et exceptionnellement risquée qu’il a lancée à grande vitesse a plus que probablement sauvé la vie de Wilfred May et a certainement forcé von Richthofen à se mettre à portée de tir des artilleurs australiens au sol. Par ses actions en cette lointaine matinée du 21 avril 1918, Arthur Roy Brown a pleinement mérité la barrette qu’on a ajoutée à sa Croix du service distingué. À cause du courage et de la ténacité de Roy, « Wop » May a eu la vie sauve et a pu continuer à se battre; en fait, il a reçu la Croix du service distingué dans l’Aviation et, à la fin de la guerre, il avait 13 victoires aériennes à son actif. Entre les deux guerres, May a connu une illustre carrière de pionnier de l’aviation de brousse dans le Grand Nord canadien, région qu’il a contribué à ouvrir. Mais il s’agit là d’une tout autre histoire.

Le Lieutenant-colonel David L. Bashow est professeur adjoint au département d’histoire du Collège militaire royal du Canada.

NOTES

1. David L. Bashow, Knights of the Air – Canadian Fighter Pilots in the First World War, Toronto, McArthur and Company, 2000, p. 166. [TCO]

2. Résultats de la deuxième autopsie (officielle) de la dépouille, tels que publiés dans Norman Franks et Alan Bennett, The Red Baron’s Last Flight, Londres, Grub Street, 1997, p. 91. [TCO]

3. Ibid., p. 45.

4. Résultats de la première autopsie de la dépouille, Ibid., p. 91. [TCO]

5. Alan Bennett, Lettre à l’auteur, 8 octobre 1999.

6. Franks et Bennett, p. 129. [TCO]

7. Ibid., p. 103.