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Sociologie militaire

Soldat

photo par Sylvia Pecota

Un soldat canadien en exercice.

La Société canadienne
et son armée de terre

par Donna Winslow

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L’affaire de Somalie, la crise d’Oka, l’aide au pouvoir civil pendant les inondations de la rivière Rouge, les tempêtes de pluie verglaçante dans l’Est de l’Ontario et au Québec, les morts tragiques en Afghanistan, tous ces événements dramatiques ont sans doute amené les Canadiens à mieux connaître leur armée de terre, mais les ont-ils vraiment conduits à mieux la comprendre? Je me hasarde à affirmer que les exploits des Britanniques et des Américains pendant la seconde guerre du Golfe ont permis aux Canadiens de se familiariser avec les opérations militaires mais, tandis qu’ils voyaient à CNN les chars américains traverser le désert, savaient-ils que nous nous apprêtions à nous débarrasser des quelques chars encore en service dans notre armée? S’intéressent-ils vraiment à ce qui se passe tant que leur armée fait des actions charitables et défend les valeurs du Canada dans des pays lointains? Les opérations militaires ne sont-elles devenues rien d’autre qu’un sport commercial?

Le présent article se propose d’analyser le rapport entre la société canadienne et son armée de terre. Étant donné l’ampleur du sujet1, les généralisations sont inévitables. J’espère pourtant étudier le paradoxe fondamental de la nouvelle armée de terre : les citoyens accepteront probablement plus son caractère distinctif, mais peu d’entre eux choisiront d’en faire partie.

Je commencerai par deux facteurs importants qui ont une incidence sur l’armée de terre canadienne : les opérations de paix et le transfert des tâches à des civils. Je traiterai ensuite le sujet en me basant sur le modèle à trois dimensions dont je me sers actuellement pour analyser le rapport entre le système régimentaire et l’éthique de l’armée canadienne. Il s’agit d’une approche pluraliste s’inspirant des travaux de Frost, Martin et Meyerson2, qui permet d’étudier ces rapports complexes sous différents angles. Les trois niveaux de l’analyse (intégration, différenciation et fragmentation) vont de la macroanalyse à la microanalyse. L’approche intégrationniste (macro) aborde à grands traits les questions principales concernant l’armée, qui est censée faire partie intégrante de la société. L’approche différentielle donne un aperçu de la réaction de l’armée à l’inté-gration et de son « désir d’être différente ». Enfin, l’approche fragmentée donne une idée de la société canadienne postmoderne et des conséquences éventuelles du postmodernisme sur les rapports entre la société et l’armée de terre.

Nous verrons que, depuis l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne, au cours des années 1980, le Canada cherche à se conformer aux principes de cette loi de manière consensuelle et cohérente (intégration). Une partie de l’armée de terre a réagi comme une sous-culture ayant une idée différente de ce qui est important et de ce qu’on devrait lui demander, vu la particularité de ses impératifs opérationnels (différenciation). En même temps, la société s’est transformée et a vu apparaître de nombreux systèmes de valeurs (fragmentation), qui ont engendré une société postmoderne ambiguë dont les valeurs fondamentales ne correspondent pas à celles qu’a toujours eues l’armée. Chaque perspective révélera donc à sa manière un aspect de la réalité canadienne. En combinant et en multipliant les niveaux d’analyse, nous pouvons mieux comprendre les rapports entre l’armée de terre et la société où elle puise ses ressources matérielles et humaines. Nous étudierons en particulier les effets réciproques de l’homogénéité sociale, des conflits et de l’ambiguïté.

Les Opérations de paix : protection des valeurs canadiennes à l’étranger

Après des décennies de réductions budgétaires et un éventail apparemment toujours plus large de missions, il est inévitable que le grand public s’interroge sur la pertinence et l’objet de l’armée de terre. Militairement parlant, le Canada n’a jamais été directement menacé et il a décidé, semble-t-il, de donner la priorité aux rôles non combattants en participant à des opérations de paix et en aidant militairement les opérations humanitaires, par exemple. Quoique nous ayons envoyé des troupes participer à une opération très intensive en Afghanistan, les « opérations hors guerre » demeurent fondamentales.

Le Canada continuera sans doute à laisser les États-Unis s’intéresser surtout aux systèmes de défense continentale, ce qui lui permettra de consacrer davantage de ressources au maintien de la sécurité internationale plutôt que nationale, même si les questions de sécurité nationale sont plus complexes3. Depuis le 11 septembre, il est manifeste que la sécurité intérieure sera peut-être plus menacée par des actes ou des activités économiques, criminels, environnementaux, terroristes ou touchant à l’information que par des actions militaires traditionnelles4. Cela dit, la lutte contre le terrorisme international fait intervenir des ressources qui sont à la périphérie des institutions militaires et relèvent plutôt des forces de police, du Federal Bureau of Investigation, de la Central Intelligence Agency et d’autres agences mieux équipées pour se mesurer à des réseaux non conventionnels. Le rôle principal de l’armée sera sans doute de protéger ou de transmettre les valeurs canadiennes à l’étranger5. Cela signifie que l’armée participe à des opérations hors guerre.

Soldat avec un enfant

photo ISD01-0024a du MDN par la caporale-chef Danielle Bernier

Un membre du 2e Bataillon du Régiment royal canadien servant auprès de la mission de paix de l’ONU en Éthiopie et en Érythrée rencontre un jeune garçon pendant une patrouille du côté érythréen de la zone de sécurité provisoire, en janvier 2001.

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Le maintien de la paix6 s’assortit certainement bien avec l’idée que les Canadiens se font d’eux-mêmes et avec leur altruisme et leur générosité (assistance portée à ceux qui souffrent, etc.). Pour le grand public, soutenir militairement des opérations de paix est plus noble, moins menaçant, moins agressif ou moins exigeant que les opérations militaires traditionnelles7. À bien des égards, le maintien de la paix a contribué à la formation d’une identité canadienne sur la scène internationale. Il symbolise le multiculturalisme, la tolérance et le respect de la loi. « Le maintien de la paix était devenu un miroir reflétant les plus grandes qualités que les Canadiens associaient à leur société et à leur identité nationale8. » Cela influe sur la politique. Comme le fait remarquer Orff :

« La générosité des Canadiens sur le plan international ne fait pas seulement partie de la mythologie nationale mais aussi de notre politique étrangère. Le Canada est l’un des rares pays qui inclut toujours le maintien de la paix dans la défense nationale; la politique internationale d’aucun autre pays n’accorde au maintien de la paix un rôle aussi défini. C’est notre code génétique national9. »

Le maintien de la paix cadre également bien avec la politique étrangère du Canada, pays qui se voit comme une « puissance moyenne ». Sa participation aux opérations de paix témoigne de son engagement envers les Nations Unies (ONU). Le désir d’être représenté et consulté en matière d’affaires internationales est au cœur de sa politique étrangère. Le maintien de la paix contribue à préserver dans le monde son image et son influence en tant qu’acteur indépendant et souverain et lui donne aussi une certaine influence dans les forums internationaux. Selon Henry Wiseman, il a « affermi la réputation de puissance moyenne du Canada [et contribué] à l’importance et à l’influence du Canada à l’ONU10 ». En faisant participer des groupes tactiques à diverses opérations de maintien de la paix, notre pays espérait avoir un rôle à jouer sur le plan international et son mot à dire au cours des forums de prise de décisions11.

Si importante que soit la participation, la question est de savoir si nous avons les ressources et les capacités nécessaires pour respecter tous nos engagements. Les forces armées ne sont pas une institution nationale importante pour les Canadiens, qui n’ont généralement pas été favorables aux dépenses pour la défense. Comme l’écrit Martin Shadwick : « nombre [de Canadiens] semblent vouloir que le Canada et ses forces armées jouent un rôle dans la sécurité mondiale et dans la sécurité humaine, mais sont sujets à une crampe incurable quand il s’agit de signer les chèques nécessaires au maintien d’un établissement militaire crédible12. » Il remarque qu’une grande partie de la population (88 p. 100) pense qu’il est important d’avoir des forces armées puissantes, à l’échelle internationale, mais que le maintien de la paix nécessite des forces prêtes au combat (94 p. 100) et que le pays a besoin d’une force moderne et apte au combat. Devant un choix à somme nulle, les Canadiens ont accordé des fonds supplémentaires à l’industrie cinématographique au lieu d’améliorer la défense, dont les dépenses venaient au dernier plan.

L’insistance sur la « puissance douce » a coïncidé avec des réductions draconiennes du budget de la défense13 et a entraîné une diminution du « pouvoir assertif ». Au début des années 1990, la quatrième brigade a été démantelée, et nous avons retiré nos troupes d’Allemagne.

Le nouvel ordre mondial des années 1990 a mis fin au rôle traditionnel des forces modernes. Tandis que s’estompait la possibilité d’une autre guerre mondiale, de petits conflits sordides ont proliféré sans règles et avec une ignoble prédilection pour l’assassinat de civils. Des casques bleus ont été envoyés dans le monde entier pour étouffer ces révoltes et faire régner l’ordre dans les États voyous. Au cours de ces années, le Canada a envoyé dans le monde de nombreux soldats portant le béret bleu, comme il l’avait fait à Lahr, à la chute du mur de Berlin14.

Le nouveau mot à la mode était sécurité humaine, un concept cher à Lloyd Axworthy :

« Selon la notion de sécurité humaine, les droits de la personne et les libertés fondamentales, la primauté du droit, une bonne gouvernance, un développement durable et l’égalité sociale sont aussi importants pour la paix mondiale que le contrôle des armes et le désarmement. Il s’ensuit que, pour restaurer et maintenir la paix dans des pays en proie à des conflits, il faut garantir la sécurité humaine tout autant que la sécurité militaire. C’est là qu’intervient l’édification de la paix : c’est un ensemble de mesures prises pour renforcer et solidifier la paix en instaurant une infrastructure durable de sécurité humaine. L’édification de la paix a pour but d’imposer les conditions minimales dans lesquelles un pays peut assumer son avenir et se développer socialement, politiquement et économiquement15. »

Même si Lloyd Axworthy n’est plus ministre des Affaires étrangères, la sécurité humaine16 demeure au cœur de la politique étrangère du Canada. Pour le gouvernement actuel, elle signifie l’absence de menaces omniprésentes contre les droits, la sécurité ou la vie de la population, et la politique étrangère comporte cinq priorités :

  1. Protection des civils, consistant à mobiliser la communauté internationale et à renforcer les normes et la capacité de réduire le coût humain des conflits armés.

  2. Opérations de soutien de la paix, consistant à augmenter les moyens de l’ONU et à répondre aux demandes de plus en plus exigeantes et complexes relatives au déploiement de personnel compétent, y compris des Canadiens, pour ces missions.

  3. Prévention des conflits, consistant à renforcer la capacité de la communauté internationale de prévenir ou résoudre les conflits et à apprendre aux autorités locales à les gérer sans violence.

  4. Gouvernance et responsabilité, consistant à encourager les organismes publics et privés à mieux faire respecter les principes démocratiques et les droits de la personne.

  5. Sécurité du public, consistant à créer une expertise, des capacités et des dispositifs internationaux pour contrer les menaces grandissantes que pose l’escalade du crime organisé transnational17.

Cela fait intervenir de nombreux éléments, des opérations de paix à l’aide humanitaire, l’aide à l’étranger, la surveillance des élections, l’instauration de la démocratie, le rétablissement de l’infrastructure et des institutions sociales après un conflit et la diplomatie préventive. Cela signifie également que l’on s’éloigne des opérations de paix, qui sont essentiellement militaires, et que l’on s’associe aux organisations non gouvernementales, gardiens de la paix civils, observateurs chargés de veiller au respect des droits de la personne, etc. Il est donc très difficile de déterminer le rôle que l’armée de terre devrait jouer à l’avenir.

Le Canada n’a pas dit clairement s’il veut que ses forces restent « interopérables », ce qui sous-entend d’importants investissements dans les opérations interarmées avec les Américains et les alliés de l’OTAN, ou s’il veut qu’elles jouent le rôle de gardiens de la paix. Cette dernière option comporte le risque que le soldat ne soit plus un combattant comme autrefois mais un « travailleur mondial sur le terrain18 ». Les documents officiels reflètent cette ambiguïté. On présente toujours comme une possibilité réaliste des « forces aptes au combat et polyvalentes », telles que les décrit le Livre blanc sur la défense de 1994. Selon Sur la voie de l’avenir dans un monde en changement : Une stratégie pour l’an 2020, ce seront des forces « hautement qualifiées, aptes au combat, adaptées à leurs tâches, interopérables et rapidement déployables19 ». On lit cependant dans Réalisations de la Défense et perspectives 2000 qu’elles sont également censées faire progresser le programme de sécurité humaine, qui inclut la capacité de « lutter pour protéger les droits fondamentaux de la personne et les valeurs auxquelles les Canadiens et la communauté internationale souscrivent [...] [et] maintenir la paix une fois qu’elle a été établie20 ».

Le Livre blanc sur la défense de 1994 insistait également sur le maintien de la sécurité internationale et l’intervention en cas de catastrophe pour l’humanité. C’est pourquoi on demande constamment à l’armée de participer à des opérations de soutien de la paix outre-mer. En outre, l’acquisition récente de matériel tel que le LAV III21 et l’importante réduction du nombre de chars indiquent que le Canada est moins axé sur les opérations de haute intensité, quoique l’armée continue à s’entraîner pour ces missions (par exemple, le récent exercice Resolute Warrior de la deuxième brigade en avril 2003) et que le Camp Wainwright doive devenir un centre d’entraînement aux manœuvres d’ici 2006. Il ne faut pas oublier que les budgets ne peuvent simplement pas suivre l’augmentation vertigineuse des coûts des nouvelles armes.

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Le Transfert de tâches à des civils : un combat sans espoir?

La distinction entre institutionnel et professionnel est devenue l’un des modèles les plus utilisés en sociologie militaire. Elle repose sur les travaux de Morris Janowitz22, qui estime que les changements technologiques ont modifié la configuration des combats et donc le comportement organisationnel des forces armées. Plus la technologie de la guerre est complexe, plus les différences entre organismes militaires et civils s’estompent23. L’armée de terre et la société convergeront donc davantage au fil du temps et à mesure que la technologie prendra une plus grande place. Selon Janowitz, les officiers acquièrent des compétences et des habitudes qui sont courantes chez les administrateurs civils et même chez les dirigeants politiques24. L’accroissement du nombre de civils travaillant pour l’armée semble engendrer des tensions et un paradoxe car les valeurs institutionnelles traditionnelles (souvent liées aux rôles de combattant) s’opposent aux nouvelles valeurs individualistes et professionnelles (souvent liées aux postes de gestion)25.

L’engagement de civils dans les forces remonte à la Loi sur la réorganisation des Forces canadiennes du 1er février 1968, appelée communément « l’unification ». Les trois services armés ont alors été fondus en un seul, les forces canadiennes (FC). Cette loi, qui a suscité une certaine opposition et entraîné la démission de nombreux officiers supérieurs26, visait à rationaliser et à simplifier l’administration des forces. Au dire de C. Cotton, « L’unification des trois forces représentait l’application in extremis du principe de rationalité de la gestion à l’organisation sociale de la défense27. » En 1972, le gouvernement Trudeau a institué un nouveau quartier général de la Défense nationale (QGDN) afin de créer une organisation qui regrouperait les civils et les militaires, donnerait des conseils en matière de politique de défense, administrerait cette politique et gérerait les FC. L’unification et l’établissement du QGDN étaient censés faciliter les choses, mais passent pour avoir contribué à la bureaucratisation accrue des forces. En 1980, le major général canadien Jack Vance remarquait que les FC traversaient une crise d’éthique parce que « les normes et les valeurs civiles remplaçaient les normes et les valeurs militaires qui avaient fait leurs preuves, érodant ainsi la fibre fondamentale de la société militaire canadienne28. »

Troupes 3e bataillon du PPCLI

photo APD02-5000-141 du MDN par le caporal Lou Penney

Des troupes lourdement chargées du 3e Bataillon du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, s’apprêtent à monter à bord des hélicoptères qui les transporteront dans les montagnes de l’Est de l’Afghanistan, où elles effectueront des opérations contre les terroristes d’al-Qaïda et des talibans, en mars 2002.

Tandis que les forces se bureaucratisaient, se répandait le concept de « culture organisationnelle », qui propageait encore plus d’idées civiles. Les experts pensaient qu’on pouvait traiter les forces comme n’importe quel autre organisme pour prédire et analyser leur efficacité et appliquer les méthodes des entreprises. Les militaires ont acquis les valeurs des entreprises civiles : rentabilité, gestion du personnel, centralisation des promotions, informatisation, contrôle des salaires, etc. La rentabilité a commencé à avoir autant d’importance que la préparation opérationnelle. Les forces se sont mises à utiliser « le jargon des affaires » et le ministère de la Défense nationale a commencé à se qualifier « d’équipe ». D’autres tendances du secteur commercial, comme la décentralisation des budgets et de la comptabilité, la communication par courriel, etc., ont suivi. Tous ces changements forcent les officiers à passer une grande partie de leur temps au bureau devant un ordinateur, si bien qu’ils se différencient très peu des employés de bureau civils.

Il est intéressant d’observer les parallèles frappants entre les moteurs du changement dans l’armée de terre et dans le secteur privé29. Premièrement, la disparition d’une menace directe et immédiate pour la souveraineté nationale et l’in-stabilité de la paix et de la sécurité dans le monde actuel ont leur équivalent dans la pénurie de marchés stables pour les entreprises. Deuxièmement, l’effectif de l’armée n’a presque jamais été aussi bas depuis la Seconde Guerre mondiale. Les réductions de personnel effectuées par les entreprises depuis les années 1980 sont un processus parallèle. Troisièmement, l’armée doit mener toutes sortes de missions qui ne sont pas liées à un conflit majeur. Ainsi, elle participe à des opérations multinationales pour assurer la paix et la stabilité internationales. L’envoi de forces dans le monde à partir d’une base d’affectation rappelle la manière dont les entreprises doivent réagir à des marchés de plus en plus mondiaux. Quatrièmement, l’armée doit envisager la possibilité d’appliquer les modèles des entreprises, comme la sous-traitance, la restructuration des hiérarchies, etc., processus similaires à la délégation des responsabilités et à la restructuration des entreprises. Cinquièmement, les organismes militaires et civils doivent relever les défis sociaux et culturels d’une société en mutation qui est plus individualiste (par exemple, les gens veulent avoir leur mot à dire dans leur vie professionnelle et s’attendent à ce que les employeurs respectent leurs obligations personnelles et familiales), égalitaire, individualiste et litigieuse. Sixièmement, les organismes civils et militaires cherchent à tirer le meilleur parti des nouvelles technologies de l’information afin d’avoir un avantage sur leurs concurrents. Cela est évident dans tous les services des organismes, depuis ceux du personnel (gestion des salaires, dossiers individuels et autres) jusqu’aux secteurs opérationnels, surtout dans les dimensions offensive et défensive de « la guerre de l’information30 ».

Exercice militaire

photo par Sylvia Pecota

Exercice d’hiver au camp Wainwright.

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Comme le soulignent Verdon, Okros et Wait, les répercussions les plus importantes de la révolution de l’information se font cependant moins sentir dans le domaine de la technologie que dans la structure et la culture organisationnelles. Les armes de haute technologie complexifient la logistique, la doctrine, le commandement et le contrôle. Les moteurs du changement dans la structure de l’armée de terre sont donc à la fois stratégiques et sociétaux.

« Les deux révolutions [dans les affaires commerciales (RAC) et dans les affaires militaires (RAM)] ont pour moteur des progrès techniques semblables et un milieu opérationnel qui évolue en conséquence. La RAC ne transforme pas seulement le secteur commercial et ses méthodes; c’est aussi une force considérable qui accélère les changements sociaux, culturels et politiques dans le monde (et influe donc sur les motivations et les possibilités de conflits). La RAM exercera une grande influence sur l’exploitation des possibilités de conflits et sur la complexité de ces derniers, en particulier sur leur déroulement. Les causes et le déroulement d’un conflit n’étant plus les mêmes, la guerre, les conflits et la sécurité se transformeront31. »

L’armée de terre, qui est un organisme institutionnel, devra aussi décider dans quelle mesure elle pourra, sans compromettre son efficacité opérationnelle, utiliser des méthodes commerciales comme la privatisation, la soustraitance et la création d’agences dans les secteurs de la logistique et du soutien. Elle doit examiner ses activités essentielles et déterminer lesquelles elle pourrait sous-traiter afin de réduire les coûts sans toutefois sacrifier la qualité. Outre la soustraitance32, le transfert de tâches, qui consiste à remplacer les militaires par des civils, pourrait se généraliser. Au reste, des civils assurent maintenant de nombreux services dans les opérations à l’étranger33.

Les civils jouent un rôle très important en Afghanistan, qui est sans doute la plus grosse opération à laquelle participe l’armée canadienne depuis la guerre de Corée. Dans le cadre du Programme de soutien contractuel des Forces canadiennes, l’entreprise SNC-Lavalin PAE34 assure tous les services de restauration et de blanchisserie. Elle a entièrement construit le camp. Elle fournit le logement, les installations de douche et l’électricité et exécute tous les travaux de construction nécessaires. Elle traite les eaux usées et alimente les troupes en eau douce. Elle gère aussi le centre d’assistance informatique. Il y a donc un grand nombre de travailleurs civils dans le camp : 250 personnes en tout, parmi lesquelles des cuisiniers népalais, des employés de cuisine35, des nettoyeurs et des préposés au blanchissage, des gestionnaires néo-zélandais, des ingénieurs sud-africains et autres. Il y a également les employés des économats, des femmes pour la plupart. J’ai entendu maintes récriminations : les civils étaient trop nombreux, ils seraient un fardeau en cas d’attaque, ils étaient là uniquement pour l’argent, ils remplissaient les mess où les soldats ne pouvaient plus s’attarder, les soldats devaient assurer la sécurité, qui serait l’affaire de tous s’il n’y avait que des militaires. Dans l’ensemble, j’ai pourtant eu l’impression que tout se passait bien et que l’entente entre les civils et les militaires était satisfaisante. Le camp a été construit en trois mois seulement, ce qui est surprenant, la nourriture est excellente et les logements sont vraiment luxueux par rapport aux autres camps en Afghanistan.

En plus d’appliquer les meilleures méthodes du milieu des affaires, l’armée doit s’adapter à un contexte socioculturel qui correspond moins aux caractéristiques fondamentales de la culture militaire traditionnelle et qui accorde plus de valeur à l’individualisme et à l’égalité sociale. Habitués au « blâme » et à la « compensation », les Canadiens sont plus enclins à faire valoir leurs droits auprès des tribunaux civils ou à s’adresser à l’ombudsman qu’à passer par le régiment ou la chaîne de commandement.

Les familles connaissent aussi des changements. Depuis quelques années, la collectivité militaire est de moins en moins rassemblée, mais les effets de ce phénomène sur l’efficacité des opérations ne sont toujours pas clairs36. Il est probable qu’elle sera désormais en grande partie dispersée dans la société civile et que les logements militaires seront surtout réservés aux jeunes familles. Jessup montre que le bien-être des familles relèvera bientôt autant de la collectivité civile que des forces armées37. Cela dépend bien sûr du lieu de travail. Ceux qui travaillent à Ottawa vivent dans la collectivité comme les autres fonctionnaires, mais, dans les régions plus éloignées comme Wainwright ou Shilo, les familles sont plus isolées et doivent s’entraider.

Dans l’ensemble de la société, les deux parents ont tendance à travailler, et davantage d’employés demandent des congés de longue durée et une plus grande flexibilité; les employeurs doivent aussi tenir compte des familles monoparentales, de plus en plus nombreuses. Cela signifie que l’armée doit offrir des conditions de travail plus souples et reconnaître que les femmes ne sont plus prêtes à sacrifier leur carrière à celle de leur conjoint militaire. Par exemple, la décision de délocaliser le deuxième bataillon du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry a provoqué de vives réactions de la part des épouses, qui ne veulent pas quitter une grande ville, Winnipeg, pour aller à Shilo. Cela peut avoir des répercussions sur la conservation du personnel.

Il y a un autre problème : les longues séparations des soldats, de leur femme et de leur famille, qu’engendrent certaines affectations ou la participation constante à des missions. Les militaires que j’ai vus récemment à Wainwright, au cours d’une séance d’entraînement d’une brigade qui durait un mois, n’avaient que peu de temps à passer avec leur famille avant de se préparer à partir en Bosnie ou en Afghanistan. Il y a des services téléphoniques en Afghanistan et l’accès à Internet, ce qui rend la séparation un peu moins difficile. Les militaires ont aussi fait des vidéos le jour du Souvenir et les ont envoyées au Canada. Il n’en reste pas moins que le conjoint ou la conjointe doit avoir de la trempe pour supporter les exigences de la vie militaire et leurs répercussions sur la famille et pour accepter les liens affectifs se créant entre les membres d’une mission, qui semblent parfois plus étroits que ceux qui unissent un couple. Par ailleurs, les femmes font carrière dans les forces, et il faudra tenir compte de leur cycle de vie, leur accorder des congés de maternité et leur permettre de reprendre ensuite leur carrière. En outre, le problème des couples dont les deux membres sont militaires a un effet sur la conservation du personnel quand leurs affectations ou leurs missions les séparent trop souvent. Nombre d’entre eux peuvent être attirés par la stabilité de la vie civile.

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La Perspective intégrationniste : comment combler l’écart

Dans une perspective intégrationniste, les forces armées doivent être réceptives à la société en évolution qu’elles défendent, qui les paie et sans laquelle elles ne peuvent pas faire grand-chose38. Elles sont donc censées renforcer ses caractéristiques générales et cohérentes et mettre l’accent sur un ensemble stable d’idées, de valeurs et de normes qui caractérisent la société canadienne en général.

Dans cette perspective, il y a, du moins devrait-il y avoir, une cohérence entre les diverses composantes de la société, un consensus sur la culture canadienne et une compréhension de cette dernière (culture signifie souvent « valeurs fondamentales »). Dans ce sens, on s’attend à une grande conformité entre l’armée de terre et la société. Comme d’autres forces militaires occidentales, l’armée canadienne a dû adhérer à des valeurs et à des opinions qui reflètent celles de la société39, l’intégration des femmes et des minorités ethniques et l’acceptation de l’homosexualité, par exemple. Je vais maintenant me pencher sur la question de la diversité.

L’Armée de terre, reflet de la société canadienne

La représentation et la diversité sociales posent un défi à l’armée de terre. Étant donné que le recrutement des femmes se poursuit40, la question de l’égalité des chances dans les forces est désormais liée à l’origine raciale et ethnique.

Le Canada se diversifie rapidement, car les immigrants viennent de moins en moins de pays européens. Selon leur politique, les FC doivent faire partie intégrante de la société qu’elles servent et non s’isoler; c’est pourquoi elles doivent refléter la diversité de la population. Par exemple, on lit dans la déclaration de l’armée sur le leadership dans une force diversifiée : « Une armée de terre efficace plus représentative du Canada inspirera confiance à tous les Canadiens41. » Encourager la diversité signifie qu’il faut une base de recrutement plus large et « une organisation ayant plus de compétences et de liens avec toutes les couches de la société canadienne42 ». L’État entend d’ailleurs bien faire respecter cet idéal43. En décembre 2002, l’armée de terre a été officiellement assujettie à la Loi sur l’équité en matière d’emploi et elle a pris une série de mesures pour encourager la diversité44.

La question clé est de savoir s’il est possible d’atteindre l’objectif, qui est de combler l’écart entre l’armée et la société. La représentativité peut s’interpréter d’au moins deux façons. D’abord, on peut parler d’un accord sociodémographique entre les forces et la société. Dans ce cas, la composition des forces devrait refléter le profil statistique de la population. Cet objectif peut être atteint en ciblant la population, voire en fixant des quotas. Comme le note Michael Howard, c’est une valeur très américaine45. Ensuite, on peut dire que l’armée devrait respecter les valeurs fondamentales de la société telles que l’égalité des chances, la bienséance, l’équité et l’ouverture des carrières à tous.

Des commentateurs ont présenté plusieurs arguments en faveur de l’égalité des chances, du point de vue de l’efficacité opérationnelle46. Tout d’abord, cela permet de recruter dans un bassin plus vaste, étant donné que les forces armées font concurrence aux entreprises civiles dans un pays où la quantité et la qualité de la force active sont faibles. Il y a deux fois plus de jeunes de moins de 15 ans que de personnes de 65 ans et plus, mais, d’ici 2030, ces dernières seront plus nombreuses. Cette tendance va de pair avec le déclin du taux de fécondité, si bien que l’immigration est le seul moyen de maintenir ou d’augmenter la population47. Le nombre d’im-migrants pourrait dépasser celui des personnes nées au Canada, et les immigrants pourraient être la principale source de recrues, alors qu’actuellement les Blancs d’origine européenne prédominent dans les forces.

Le général Ray Henault avec un soldat du RRC

photo KA2003-A469D du MDN par le caporal-chef Brian Walsh

Le général Ray Henault, chef d’état-major de la défense (à droite), lors d’une patrouille à pied avec un membre du 3e Bataillon du Régiment royal canadien, lorsqu’il s’est rendu auprès des troupes canadiennes en service en Afghanistan, le 25 décembre 2003.

Il y a de nombreux arguments en faveur de l’intégration totale des minorités ethniques dans les forces. Tout d’abord, certains groupes ethniques voient dans l’éducation un moyen d’améliorer leur situation sur le marché du travail, ce qui donne à l’ar-mée un bassin supplémentaire de main-d’œuvre qualifiée. L’armée profiterait des compétences et des origines diverses que fournirait un bassin de recrutement plus diversifié. Comme il faudra sans doute plus de militaires intelligents et souples, cette diversité sera probablement un atout. L’armée aurait également avantage à être considérée comme un employeur pratiquant l’égalité des chances. Elle pourrait jouir ainsi d’une plus grande popularité dans les communautés ethniques minoritaires, mais elle doit absolument conserver sa légitimité et, par là même, la considération du grand public.

L’armée gagnerait à recruter plus de membres dans les communautés ethniques minoritaires qu’elle ne le fait actuellement, et celles-ci en tireraient également profit. En se basant sur le travail de Cynthia Enloe48, le lieutenant-colonel Crawford soutient que, à en juger par l’expérience américaine, le service militaire peut donner à ces communautés le sentiment qu’elles sont des éléments valables du système politique et social. Leurs membres sont et se sentent inclus et non le contraire; ils acquièrent des compétences qui augmentent leur mobilité socioéconomique et de nombreuses compétences en leadership, qu’ils peuvent utiliser dans leur communauté. Ces trois éléments semblent être les volets du processus d’acquisition de la citoyenneté.

Il faut donc cultiver des liens positifs entre l’armée et la société. Cela ne doit pas affaiblir les forces, mais peut en fait les raffermir. Dans une démocratie solide, il est essentiel que les forces armées ne soient pas trop isolées de la société qu’elles ont pour mission de défendre. Après tout, c’est elle qui les finance et leur confère leur légitimité; c’est également là qu’elles recrutent leur personnel et que les militaires poursuivent leur vie active quand ils quittent les forces.

L’armée pourrait rendre compte assez aisément du décalage entre son profil et celui de la société en expliquant qu’il n’est pas dû à l’absence d’un programme efficace d’égalité des chances mais à la tendance de groupes particuliers à choisir certains types de métiers, militaires ou civils49. Certains immigrants viennent de pays ravagés par la guerre et ne veulent rien avoir à faire avec les forces armées. Ils encouragent leurs enfants à faire des études et à occuper des postes lucratifs dans le civil. La distance séparant de nombreuses bases des centres urbains, où les immigrants ont de solides réseaux de soutien, entre également en jeu. Étant donné les différentes propensions des groupes sociaux, il est peu probable que les forces pourront atteindre leur objectif de représentation dans le sens premier du terme. Pour ce faire, il faudrait des programmes d’action positive, ce qui est illégal au Canada. Toutefois, l’armée de terre pourrait devenir un créneau pour les Canadiens d’origine britannique et française, qui marcheraient sur les traces de leurs pères50.

La Perspective différentielle : le désir d’être différent

La perspective différentielle repose sur l’hypothèse qu’il existe des sous-cultures organisationnelles et qu’elles sont liées à des variables particulières telles qu’un ministère ou une fonction. Les groupes évoluent dans divers contextes ou ont divers modes d’interaction, si bien que la compréhension collective diffère d’un groupe à l’autre51. Les membres du groupe partagent donc une sous-culture, un ensemble particulier de significations, de compréhension, de valeurs et de comportements.

Les sous-cultures érigent des barrières sociales pour les autres groupes auxquels elles peuvent s’opposer ou avec lesquels elles peuvent avoir fait des compromis. Du point de vue différentiel, il y a consensus mais seulement dans les limites de la sous-culture. Ainsi, l’armée de terre peut s’opposer aux autres services (marine ou armée de l’air), au ministère de la Défense nationale, au Cabinet ou à la société en général. L’ambiguïté est contenue afin qu’elle ne nuise pas à la clarté qui règne dans la sous-culture (armée de terre). Si l’ambiguïté et le conflit font l’objet d’une discussion, c’est dans l’interface entre l’armée de terre et les autres parties de la société canadienne. On parle alors de « nous » et d’ « eux ».

Des Rapports difficiles

Dans une perspective différentielle, l’armée de terre est vue comme une société à l’intérieur d’une société et devrait conserver une certaine originalité. Sous cet angle, on comprend les raisons qu’elle donne pour expliquer son désir d’être différente52. Par exemple, les conservateurs américains ne veulent généralement pas adapter la culture militaire aux changements survenus dans la société. Ils croient que les institutions militaires perdraient leur « âme institutionnelle », ancrée dans le combat53. L’armée de terre estime que sa culture la démarque et la rend unique et, comme elle semble être remise en question et menacée d’extinction, il faut la préserver, la renforcer, l’empêcher de s’éroder, etc. Certains se demandent donc pourquoi les forces devraient consacrer tellement d’attention à l’égalité des chances, qu’il s’agisse des minorités ethniques ou des femmes. Cela engendre une perception de conflit « à somme nulle » entre les impératifs fonctionnels et sociétaux. Tenter de parvenir à l’égalité des chances (objectif « politiquement correct ») nuit à l’efficacité opérationnelle et empêche de se concentrer sur des objectifs plus importants, notamment les plates-formes ou l’équipement. L’égalité des chances peut aussi être considérée comme un facteur minant la cohésion de la communauté de l’armée de terre, qui repose sur l’homogénéité. Pour certains, demander à l’armée de respecter des normes politiquement correctes est un autre moyen de l’utiliser pour réaliser une « expérience sociale » plutôt que pour défendre le pays54.

De plus, la réduction des effectifs, le surmenage et le manque de personnel ont donné aux troupes l’impression que le gouvernement ne veut pas leur fournir les moyens requis pour faire leur travail, ce qui provoque une certaine frustration et un sentiment de trahison qui accuse l’opposition entre le « nous » et le « eux ». J’ai noté cette réaction au cours de ma recherche. Pour nombre de militaires, le gouvernement semble prêt à prendre des décisions allant à l’encontre des conseils qui lui sont donnés, ce qui montre qu’il ne fait confiance ni au haut commandement ni à ses conseils.

Cela coïncide avec l’impression que les officiers supérieurs ont aussi abandonné les troupes. Je crois que cette impression est née après l’enquête sur la Somalie. En 1998, par exemple, au cours d’une conférence intitulée The Soldier and the Canadian State, les intervenants ont soulevé une question importante : « Les soldats et les officiers subalternes n’avaient confiance ni dans l’intégrité ni dans le leadership des officiers supérieurs [...] Ceux-ci semblaient vouloir plaire aux dirigeants politiques et avancer dans leur carrière au lieu de veiller aux intérêts de leurs subordonnés55. » Je pense que cette impression se dissipe lentement et que les troupes recommencent à faire confiance aux officiers supérieurs, mais cela prendra du temps.

Ce sentiment de trahison de la part des dirigeants politiques va de pair avec le fait que les Canadiens ne savent pas grand-chose des forces, notamment dans les centres urbains. Des recherches récentes confirment que la société (les prescripteurs comme le grand public) est de moins en moins au courant des affaires militaires. L’expérience directe et l’appréciation des forces ont considérablement décliné au cours des 20 dernières années, tant chez l’élite politique que dans la population. La plupart des gens entendent parler des forces par les médias. C’est le résultat de la réduction à long terme des établissements militaires, qui entraîne une diminution du nombre de militaires et d’anciens militaires dans la société. De plus, la fermeture des bases signifie que « l’empreinte » des militaires dans la société s’est amenuisée. Shilo, Wainwright et Petawawa ne sont pas proches des centres urbains où vit une grande partie des Canadiens. La réduction des effectifs et de la visibilité et l’augmentation des déploiements outre-mer entraînent une diminution des interactions avec les civils.

Le nombre de ceux qui peuvent parler en connaissance de cause de l’armée de terre, en particulier les prescripteurs, a diminué au cours des dernières décennies. Peu de députés ont été membres des forces56. D’après une enquête effectuée par Douglas Bland (Ph. D.) du Centre for Defence Management Studies de l’université Queen’s, les députés qui doivent approuver 9,5 milliards de dollars par an pour les dépenses militaires ne savent souvent pas grand-chose des besoins et des objectifs de la défense. Bland fait l’observation suivante sur les résultats de son étude : « La défense est la seule politique gouvernementale en vertu de laquelle le gouvernement est prêt à sacrifier délibérément des vies pour en arriver à ses fins. S’il est prêt à envoyer des citoyens se faire tuer, on s’attendrait à ce qu’il réfléchisse à la question57. » Tous les soldats, sous-officiers et officiers que j’ai interrogés se sentent mal compris par le gouvernement et la société.

Le fait que les civils ne savent pas grand-chose des militaires se reflète dans l’aversion de nombreux officiers pour la politique, qui passe pour un domaine civil avec lequel ils ne devraient rien avoir à faire. Cette attitude est confortée par une certaine préférence pour les compétences techniques ou relatives au combat. Ainsi, une élève de quatrième année en génie au Collège militaire royal, fille d’un officier en service actif, a expliqué à David Last (Ph. D.) qu’elle n’avait jamais voté et ne voterait jamais : elle ne comprenait pas la « politique » et ne la jugeait pas importante58. En fin de compte, il pourrait y avoir trop peu d’officiers supérieurs comprenant le fonctionnement du gouvernement auquel ils ont affaire. Last dit qu’un sousministre adjoint de la Défense nationale, à qui on a demandé quel élément il faudrait changer dans l’éducation d’un officier, a répondu que les officiers devraient suivre un cours d’instruction civique afin de comprendre le fonctionnement du gouvernement59.

De nombreuses études reprennent ce thème. Par exemple, McCormick60 parle du « privé » par opposition aux « bottes boueuses » de l’armée de terre des États-Unis. L’armée américaine passe pour être divisée en sous-groupes : « Dans un service, des généraux soignés aux uniformes repassés et aux souliers reluisants se préparent à se battre pour des budgets et des effectifs au Capitole. Dans un autre, des capitaines portant des tenues de corvée froissées et des bottes de combat poussiéreuses préparent leurs unités surmenées pour des missions incertaines dans des endroits inconnus61. » Ce thème est aussi développé au Canada, où des « ambitieux » font tout ce qu’il faut pour asseoir leur réputation et avancer dans leur carrière. De même, les généraux et autres employés du ministère de la Défense nationale semblent détachés de la réalité et des besoins de la troupe. Nombre de personnes auxquelles j’ai parlé n’ont pas confiance dans le Ministère et espèrent que la nouvelle vague d’officiers, qui aura acquis de l’expérience au combat au cours d’opérations hors guerre, effectuera les changements que les « guerriers de la guerre froide » ont été incapables d’apporter, fera renaître la confiance et équipera et dotera l’armée de terre de manière qu’elle puisse participer aux combats du XXIe siècle62.

Réparation d’un hélicoptère Griffon

photo IS2003-1254a de l’équipe de caméras de combat des FC
par le caporal-chef Paul MacGregor

Réparation d’un hélicoptère Griffon appartenant au 408e escadron tactique, lors du premier grand exercice de combat à simple action du XXIe siècle mené par l’armée en avril 2003 au camp Wainwright.

La Perspective fragmentée : une armée de terre postmoderne?

D’après l’approche fragmentée, la culture est un système peu structuré et partiellement partagé qui se forme au fur et à mesure que les Canadiens se découvrent mutuellement et apprennent ce qui se passe dans leur pays et dans le monde. Le travail de Adams sur la nature changeante des valeurs canadiennes le démontre. Nous verrons que les opinions sont aujourd’hui multiples par rapport à ce qu’elles étaient il y a deux générations. En même temps, les opinions, valeurs et formations symboliques complexes qui définissent fondamentalement la culture militaire ressortissent toujours de la guerre63. Or la société canadienne postmoderne ne prise guère cette éthique.

Le Canada postmoderne

Si nous nous référons à l’enquête de Adams64, nous voyons que la société s’est profondément transformée depuis le milieu des années 1950. La plus grande différence, au dire de Adams, c’est que « la richesse relative, l’accès à l’éducation, les voyages et l’information ont permis à un plus grand nombre de Canadiens de transcender les catégories démographiques traditionnelles de l’âge, du sexe, de la religion, du milieu social et de l’origine ethnique et de se définir de nouvelles façons65. » Un système de valeurs égocentrique, basé sur l’individualisme et l’hédonisme a largement remplacé le système de valeurs allocentrique, basé sur l’ouverture, la tradition, l’esprit communautaire et la morale. Les jeunes canadiens rejettent l’autorité et veulent plus d’autonomie, de plaisir et de satisfaction spirituelle. Le respect et la loyauté ne vont plus de soi66. Cela signifie que les religions organisées et les institutions telles que l’armée de terre et même l’État-nation revêtent moins d’importance.

Adams divise les Canadiens en 12 « tribus » en fonction de leurs valeurs. Il les répartit en trois tranches d’âge : les personnes de plus de 50 ans, les boomers qui ont de 30 à 49 ans et la génération X des moins de 30 ans, puis subdivise chacun de ces groupes. En général, les personnes plus âgées croient à l’autorité, à la discipline, à la morale judéochrétienne et à la règle d’or. Elles croient en un monde où les rôles sont clairement définis. Les boomers rejettent les stéréotypes en matière de sexe et de cycle de vie. Ils croient au choix individuel et à la possibilité de forger leur avenir. À la différence d’absolument toutes les autres générations, la génération X n’est plus motivée par la crainte, la culpabilité et le devoir. La recherche de Adams montre que ce sont « les jeunes canadiens qui se détournent des valeurs traditionnelles67. » Le fossé qui les sépare des personnes âgées est plus profond que toute séparation linguistique ou régionale. La pluralité des identités qu’expriment les jeunes est particulièrement importante. Il n’est plus possible de dresser un stéréotype assez bien défini de ce qu’est aujourd’hui un Canadien. Nous sommes vraiment une nation postmoderne caractérisée par des rôles, une conception de soi et une légitimité en mutation, par l’érosion des modèles organisationnels traditionnels, par l’imprévisibilité et par le multiculturalisme.

Silhouette d’un soldat sur un LAV III

photo de l'équipe de caméras de combat des FC par le sergent Frank Hudec

Silhouette d'un soldat du Régiment royal canadien debout sur un transport de troupes blindé LAV III, au camp de la Force internationale d'assistance à la sécurité, à Kaboul, le 27 juillet 2003.

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L’Éthique de l’armée de terre et le canada postmoderne

L’éthique de l’armée canadienne comporte quatre préceptes clés : devoir, intégrité, discipline et honneur. Elle est présentée ainsi :

Dans l’armée de terre canadienne, l’éthique militaire est aussi amplifiée et appliquée d’une manière qui tient compte de la fonction et du rôle uniques de l’armée de terre, résumés à leur plus simple expression : que les soldats engagent le combat face à face et vainquent l’en-nemi. Par voie de conséquence, l’éthique militaire est en partie un code du combattant; dans l’ensemble, il s’agit d’une philosophie et d’une culture morale militaires globales qui dérivent des impératifs du professionnalisme militaire, des exigences du champ de bataille et de la guerre sur le caractère des individus. L’interprétation que fait l’armée de terre de l’éthique militaire est ancrée dans quatre préceptes que tout soldat, quel que soit son grade, doit faire siens, à savoir :

  • Devoir. Le sens du devoir se manifeste dans la responsabilité et le dévouement à l’égard du Canada; la loyauté envers ses supérieurs, pairs et subalternes; le courage, la détermination et la compétence d’exécuter ses fonctions; la recherche de la connaissance et de l’autoperfectionnement professionnels; l’esprit d’initiative; le jugement, l’intelligence et l’esprit de décision; et la subordination de soi à la mission en tout temps. Dans le cas des chefs, le devoir demande aussi qu’ils soient attentifs et répondent aux besoins de leurs subalternes.

  • Intégrité. Faire preuve d’intégrité consiste à veiller à ce que ses normes personnelles reflètent les valeurs de sa profession et à s’engager à respecter ces valeurs. L’intégrité se traduit donc par un comportement éthique et de principe; la transparence des actions; l’honnêteté et la franchise dans ses paroles et ses actes; la recherche de la vérité quelles qu’en soient les conséquences; l’engagement fervent envers l’équité et la justice; la force morale; et plus que tout, une conduite toujours irréprochable.

  • Discipline. La discipline renvoie d’abord et avant tout à la discipline personnelle. Il s’agit d’un état d’esprit qui inspire la maîtrise de soi et qui, en situation de combat, arme le soldat contre les effets déconcertants de la peur. La discipline se reflète dans l’obéissance immédiate aux ordres et instructions légitimes; une haute norme personnelle de comportement et de tenue; et la manifestation quotidienne de fortitude [sic], d’endurance et de ressaisissement dans l’adversité. La discipline est cruciale au succès des opérations et est donc exigée aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif en toutes situations. Comme elle constitue le nerf de la cohésion et la base de l’excellence professionnelle, une haute norme de discipline est la qualité la plus importante chez un soldat.

  • Honneur. L’honneur se reconnaît à la preuve de loyauté envers son unité et ses camarades; à l’offre du gîte à un adversaire et au respect intégral du droit des conflits armés, y compris le traitement humanitaire et la protection des ennemis capturés et des non-combattants; au respect des valeurs professionnelles et au maintien des traditions militaires; ainsi qu’à un comportement et une démarche de tous les jours caractérisés par la galanterie, la courtoisie, la dignité et la magnanimité68.

On pourrait penser que ces préceptes reflètent les valeurs canadiennes mais, selon Adams69, ils ne reflètent que celles des générations plus âgées. Pour 80 p. 100 des plus de 50 ans, le respect de la tradition, de l’autorité et des institutions, le devoir et la gratification différée sont des valeurs clés, qui coïncident bien avec l’éthique militaire. Le respect des institutions traditionnelles, la famille, la collectivité et le devoir n’attirent que 34 p. 100 des boomers de 30 à 49 ans. Pour la génération X (moins de 30 ans), aucune de ces valeurs n’est désirable. La gratification instantanée, l’indépendance et l’hédonisme semblent être prioritaires, ce qui pose certains problèmes.

Les valeurs fondamentales de la culture de l’armée de terre sont la subordination de l’individu au groupe et le sacrifice : chacun doit être prêt à se soumettre au bien commun (l’équipe et la tâche commune) et à sacrifier sa vie pour l’équipe en temps de paix comme de guerre, sinon la force armée risque d’être vaincue. Une société plus individualiste accorde moins d’impor-tance aux valeurs communautaires et à la subordination de l’individu à l’équipe. Nous pouvons dire que le Canada n’est pas une société militariste et a peu de chances de le devenir. Le patriotisme, qui consiste à « servir fièrement son pays », n’est pas répandu.

Les changements sociaux, culturels et juridiques ne renforcent guère les valeurs fondamentales de la culture militaire. En fait, la vague de recrues éventuelles a du mal à accepter certaines exigences. Le respect des instances supérieures a disparu; l’autorité doit s’acquérir et ne va plus de soi. Cela pose des problèmes pour l’armée de terre, où la hiérarchie est très structurée. Elle ne suivra sans doute pas l’exemple de l’Europe, où les militaires ont tendance à former des associations de type syndical. Les militaires canadiens estiment toutefois qu’ils devraient avoir le droit de faire des griefs sans passer par la chaîne de commandement officielle. Ainsi, le bureau de l’ombudsman ne relève pas de la chaîne de commandement militaire, qui a donc perdu de sa rigidité et permet un système de commandement et de consultation plus proche de celui des organismes civils et plus axé sur les droits individuels.

De plus, de nombreux jeunes sont moins en forme qu’auparavant; il faudra donc sans doute dépenser davantage pour entraîner les recrues qui ne sont pas au niveau. Il sera également difficile de faire accepter les préceptes traditionnels selon lesquels le code moral des militaires devrait être plus exigeant que celui des civils en ce qui concerne l’honnêteté, l’intégrité, le comportement sexuel, la consommation de drogues douces et autres.

Il sera désormais très important d’être attentif aux besoins individuels tant pour le recrutement que pour le maintien du personnel. Ainsi, l’armée de terre devra « tenir compte, dans la mesure du possible, des aspirations de chacun à la stabilité familiale70 » pour les affectations, tout en donnant la priorité aux exigences opérationnelles. Des mesures importantes ont déjà été prises pour améliorer la qualité de vie et la solde des membres des FC mais uniquement après des années de négligence.

L’Incidence du changement et la culture militaire

L’hétérogénéité de la population et de l’armée de terre elle-même71 a aussi une incidence sur la culture militaire et sur les tentatives en cours pour la modifier. Les Canadiens qui entrent en contact avec l’armée découvrent également ses normes vestimentaires, ses règlements, ses méthodes, ses règles implicites de comportement, les rituels, les tâches, les systèmes de rémunération, le jargon et les plaisanteries que seuls les initiés comprennent, et ainsi de suite. Quand les recrues interprètent la signification de tout cela, leurs perceptions, leurs souvenirs, leurs opinions, leurs expériences et leurs valeurs se modifient, si bien que leurs interprétations changent, même celles du même phénomène72.

Dans les perspectives intégrationniste et différentielle, les échelons supérieurs peuvent être le moteur du changement. Les organisations ou leurs sous-cultures sont considérées comme des entités intégrées, de petites sociétés stables et consensuelles. Elles modifient leur culture pour établir, maintenir ou retrouver la stabilité. Les dirigeants d’une organisation peuvent donner le ton en matière de changement. Si l’approche intégrationniste prévaut, ils partent du principe que le changement sera plus ou moins systématique dans toute l’organisation une fois mis en place les mécanismes et les politiques nécessaires. Si l’approche différentielle prévaut, ils supposent que le changement entraînera des conflits ou de l’ambiguïté et ils doivent cerner les problèmes et les éliminer. Les problèmes disparaîtront lorsque la plupart des membres de l’organisme comprendront les raisons des changements et les accepteront.

En la matière, le rôle des dirigeants est clair. Ils décident du changement fondamental ou sont chargés de l’effectuer. Ils en sont le moteur et tirent les leviers. L’organisation est vue comme une sorte de système mécaniste où la haute direction se fixe un objectif (prévision ou état final), puis mène l’organisation dans la bonne direction tout en gérant les différentes étapes73. Cette approche sous-entend que le changement est un processus linéaire et que la prévision ou le nouvel état final sont déterminés et connus de tous.

Dans la perspective fragmentée, il est difficile de prévoir les résultats quand on essaie d’introduire des changements. En fait, les dirigeants ne peuvent peut-être pas émettre des signaux clairs parce que tout ce qu’ils feront sera involontairement interprété et réinterprété de manière inattendue. Leur rôle est moins central et moins efficace que dans les perspectives intégrationniste et différentielle parce que leur influence est tributaire des interprétations et de l’effet de ces dernières sur le comportement. Les membres de l’organisation n’acceptent pas passivement les changements culturels; ils appliquent avec créativité les idées de leurs supérieurs. L’une des conséquences de la perspective fragmentée est qu’elle rend problématiques les stratégies de changement des dirigeants74.

L’une des manières d’aborder le changement par la méthode fragmentée semble être de dialoguer. Les dirigeants peuvent donc établir les paramètres du dialogue, même s’ils ne peuvent en contrôler les résultats75. Leurs messages peuvent infléchir les réactions de l’organisation. On peut ainsi changer les choses en s’adaptant, en négociant et en faisant des compromis. Le changement sera négocié en permanence. Comme les détenteurs du pouvoir auront davantage d’influence, ce qu’ils proposeront prévaudra plus ou moins76. Si nous devions récapituler l’approche fragmentée, il faudrait utiliser le terme émergence, qui sous-entend que le changement culturel de l’organisme découlera du dialogue entre ses membres. Cela coïnciderait bien avec le désir des jeunes canadiens de jouer un rôle plus actif dans les décisions relatives à leurs conditions de travail.

Troupe au crépuscule

photo par Sylvia Pecota

Crépuscule.

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Conclusions

La culture de la société imprégnera et déterminera inévitablement de nombreuses valeurs qui peuvent être celles de groupes organisationnels tels que l’armée de terre. Nous avons vu que la société canadienne est pluraliste et dynamique et qu’elle adhère à nombre d’opinions et de valeurs différentes de celles que des organisations telles que l’armée pourraient adopter. Les forces armées peuvent donc puiser dans l’environnement que fournit la société tout comme elles y puisent des ressources matérielles. Les valeurs guerrières traditionnelles peuvent être plus ou moins bien acceptées dans la culture canadienne. Si elles ne sont pas bien acceptées, je pense qu’il sera de plus en plus difficile de justifier certaines acquisitions, certaines méthodes d’entraînement et autres.

En revanche, la société canadienne postmoderne pourrait en fait mieux tolérer le fait que l’armée de terre a besoin d’être différente. Comme le remarque Bernard Boëne77, sociologue militaire français et commandant de Saint-Cyr, les valeurs militaires fonctionnelles qui s’écartent de la norme pourraient ne plus poser de problème à une société postmoderne. Dans un Canada postmoderne, où chaque groupe peut suivre ses penchants et cultiver son mode de vie sans subir de pressions de la part d’une culture dominante, l’armée de terre pourrait bien être adoptée comme une « tribu parmi d’autres », à la seule condition qu’elle « ménage les vies humaines quand elle fait appel à la force et qu’elle soit ouverte à la diversité78 ». Il reste à savoir, bien sûr, si quelqu’un voudra être membre de cette tribu.

Je pense que les problèmes entre la société canadienne et l’armée de terre découlent en partie des contradictions dues au fait que les trois perspectives sont adoptées en même temps ou que divers intervenants choisissent des perspectives différentes. Le gouvernement, par exemple, pourrait suivre une perspective intégrationniste pour certaines choses, tandis que l’armée adopterait une perspective différentielle. Cela montre la nécessité de s’entendre et de comprendre le point de vue de l’autre partie. Il faut accepter les différences et les comprendre. Il faut absolument établir une bonne communication entre toutes les strates de l’organisme, ce qui n’est possible que quand la confiance règne. La crise de Somalie a énormément contribué à l’érosion de la confiance dans le leadership, à tous les points de vue, et entre l’armée de terre et la société canadienne. Il faut regagner et restaurer la confiance; le processus est en cours, mais il sera long. Je veux toutefois insister sur le fait que la confiance et la communication sont essentielles pour que les différentes couches de la société canadienne, le gouvernement et l’armée de terre puissent se comprendre et collaborer.

Je voudrais terminer en disant que ce fut pour moi un privilège d’avoir pu découvrir l’armée de terre canadienne grâce à ma recherche. J’ai fait du chemin depuis le moment où, il y a huit ans, je me demandais pourquoi les militaires portaient des bérets de différentes couleurs. Je sais gré à ces hommes et à ces femmes de rendre mon monde plus sûr.

Je souhaite que d’autres Canadiens puissent connaître cette expérience et j’encourage l’armée de terre à prendre plus de mesures pour « se vendre ». L’expression est peut-être choquante, mais je crois que c’est capital. Le général Mike Jeffrey, ancien commandant de l’armée de terre, a demandé à l’armée de tendre la main aux Canadiens, et je ne peux que dire la même chose. L’ignorance est néfaste. Faut-il que des soldats meurent pour attirer l’attention? Les Canadiens ont besoin de mieux comprendre leur armée de terre, son fonctionnement et ses besoins, sinon elle restera utile mais périphérique : elle fera parfois l’objet d’un reportage, sera un spot sur l’écran politique ou une tribu à tolérer. La présence de journalistes « rattachés » aux troupes pendant l’opération en cours en Afghanistan a grandement contribué à sensibiliser les Canadiens aux dangers de la mission. C’est un excellent début pour nouer des relations à long terme avec les citoyens canadiens.

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Donna Winslow, Ph. D., ancienne coordonnatrice du Programme de recherche sur la paix, la sécurité et la société à l’Université d’Ottawa, est directrice du département d’anthropologie sociale et culturelle à la Vrije Universiteit à Amsterdam, aux Pays-Bas.

Notes

Cette recherche a été présentée à la conférence intitulée Canada’s Army in the 21st Century, qui a eu lieu à Kingston, en Ontario, les 8 et 9 mai 2003. Elle a été financée par Recherche et Développement pour la défense Canada de Toronto dans le cadre d’un projet plus vaste sur la culture régimentaire. Je tiens à remercier Carol McCann, Ph. D., et le colonel Mike Captstick de m’avoir inspirée par leur leadership et d’avoir coordonné ce projet.

  1. Comme le remarque Peter Haydon, les rapports entre civils et militaires se réfèrent à l’interaction entre l’autorité civile (le gouvernement) d’un État et l’établissement militaire en tant que profession. Ils comportent deux dimensions : une dimension politique, celle de l’interaction entre les dirigeants politiques et militaires, et une dimension sociale, celle du rapport entre les forces armées en tant que communauté distincte et les autres citoyens. Pour Haydon, il faut tenir compte de ces deux facteurs au moment d’évaluer les rapports actuels des civils et des militaires canadiens. Voir p. Haydon, « The Changing Nature of Canadian Civil-Military Relations in the Aftermath of the Cold War », The Soldier and the Canadian State: A Crisis in Civil Military Relations?, D. A. Charters et J. B. Wilson (éd.), Centre for Conflict Studies, université du Nouveau-Brunswick, Fredericton, p. 47.
  2. P. J. Frost, L. F. Moore, M. R. Louis, C. C. Lundberg et J. Martin, Reframing Organizational Culture, Sage, London, 1991; J. Martin, Cultures in Organizations. Three Perspectives, Oxford University Press, Oxford, 1992; J. Martin et D. Meyerson, « Organizational Cultures and the Denial, Channeling and Acknowledgment of Ambiguity », Managing Ambiguity and Change, John Wiley and Sons, L. Pondy, R. Boland et H. Thomas (éd.), New York, 1988.
  3. On peut donc se demander pourquoi il faudrait continuer à utiliser des ressources rares pour maintenir une machine de guerre de haute intensité, essence de l’identité culturelle distincte des forces. Par exemple, la révolution dans les affaires militaires et l’acquisition d’une technologie de pointe et de systèmes d’information sophistiqués coûteront très cher et exigeront un renouvelle ment et une mise à jour permanents ainsi qu’un personnel très spécialisé (y compris des salaires compétitifs), ne serait-ce que pour continuer à travailler avec les militaires américains.
  4. J. Verdon (capitaine), N. A. Okros et T. Wait, « Some Strategic Human Resource Implications for Canada’s Military in 2020 », communication présentée à l’Inter-University Seminar on Armed Forces and Society en octobre 1999 à Baltimore, MD (États-Unis), 1999, p. 21.
  5. La journée de réflexion intitulée Thinkers’ Retreat on Security Challenges, parrainée par l’honorable Bill Graham, député, ministre des Affaires étrangères, tenue en septembre 2002, concluait : « quelle que soit la pression exercée par les États-Unis, le Canada devrait continuer à mener une politique étrangère basée sur les valeurs nationales, notamment le respect des droits de la personne, le contrôle des armements, le désarmement et le respect du droit international. Cela dit, il ne devrait pas céder à l’intimidation et devenir membre d’une alliance pour attaquer l’Irak. Il devrait plutôt pouvoir parler avec franchise aux États-Unis afin de défendre les valeurs et les principes canadiens que véhicule notre politique étrangère. » [TCO]
  6. Il ne faut pas oublier la différence entre le maintien de la paix, qui renvoie aux opérations des casques bleus de l’ONU, et le soutien de la paix, qui peut également signifier la collaboration aux opérations de l’OTAN menées par les casques verts.
  7. Pour un bon tour d’horizon de la participation du Canada au maintien de la paix, voir David Last, « Almost a Legacy », Forging a Nation. Perspectives on the Canadian Military Experience, Bernd Horn (éd.), Vanwell Press, St. Catharines, p. 367-392.
  8. A. G. Sens, « The Decline of the Committed Peacekeeper », communication présentée à la conférence intitulée Canadian Security and Defence Policy: Strategies and Debates at the Beginning of the 21st Century, à l’université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. [TCO]
  9. C. Orff, The Lion, the Fox and the Eagle, Random House of Canada Ltd., Canada, p. 2. [TCO]
  10. Henry Wiseman, « United Nations Peacekeeping and Canadian Policy: A Reassessment », Canadian Foreign Policy, volume 1, numéro 3, automne 1993, p. 138. [TCO]
  11. Last (« Almost a Legacy », p. 371) note que le nombre de militaires canadiens participant à des missions de maintien de la paix n’est pas élevé. Le Canada n’a déployé une compagnie ou une formation plus importante que pour 10 missions sur 66 entre 1947 et 2000, ce qui est très rentable pour des coûts relativement minimes et des risques peu élevés.
  12. M. Shadwick, « Les Canadiens et la Défense », Revue militaire canadienne, volume 1, numéro 2, été 2000, p. 109.
  13. Le budget est passé de 12 milliards de dollars en 1994 à 9,25 milliards en 1999, ce qui représente une réduction de 25 p. 100 des dépenses et s’est traduit par une réduction des forces. Entre 1989 et 1999, les forces ont été réduites de 30 p. 100. Leur effectif est passé de 126 000 en 1962 à 100 000 en 1968, 80 000 en 1975 et 60 600 en 1999. À la fin du siècle, les forces terrestres comptaient 20 900 membres. (Sens, « The Decline of the Committed Peacekeeper », p. 19.)
  14. Orff, The Lion, the Fox and the Eagle, p. 22.
  15. Lloyd Axworthy, « Building Peace to Last: Establishing a Canadian Peacebuilding Initiative », notes pour une allocution de l’honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères, université York, le 30 octobre 1996, p. 2. [TCO]
  16. La notion de sécurité humaine traduit un changement fondamental en matière de sécurité au XXIe siècle. Comme l’a montré la campagne de bombardement au Kosovo, l’intégrité et la souveraineté territoriales peuvent être subordonnées aux droits de la personne. Pendant la guerre froide, l’intégrité territoriale primait sur ces droits, mais l’évolution du monde les a rendus prioritaires, apparemment.
  17. Voir le site Web du ministère canadien des Affaires étrangères.
  18. W. von Bredow, « Global Street Workers? War and the Armed Forces in a Globalizing World », Defence Analysis, volume 13, numéro 2, p. 169-180.
  19. Canada, ministère de la Défense nationale, Sur la voie de l’avenir dans un monde en changement : Une stratégie pour l’an 2020, Ottawa, p. 7.
  20. Canada, ministère de la Défense nationale, Réalisations de la Défense et perspectives 2000 : la contribution de la défense au Canada et à l’étranger, Ottawa, p. 3-5.
  21. Si je comprends bien, le LAV III est une excellente pièce d’équipement, en particulier pour les opérations hors guerre, mais il ne pourrait pas résister au feu nourri d’une force ennemie.
  22. M. Janowitz, Political Conflict: Essays in Political Sociology, Quadrangle Books, Chicago. Également, « From Institutional to Occupational: The Need for Conceptual Clarity », Armed Forces and Society, volume 4, p. 51-54.
  23. Janowitz, Political Conflict: Essays in Political Sociology, p.143.
  24. Ibid., p. 130.
  25. Pour une présentation détaillée de l’application du modèle institutionnel et professionnel aux FC, voir D. Winslow, The Canadian Airborne Regiment in Somalia. A Socio-Cultural Inquiry, ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada, Ottawa.
  26. J. Granatstein, le 16 avril 1996, entrevue.
  27. C. A. Cotton, « The Cultural Consequences of Defence Unification in Canada’s Military », communication présentée à l’Inter-University Seminar on Armed Forces and Society, Chicago, IL. [TCO]
  28. J. Vance, Groupe devant étudier le rapport du groupe de travail chargé d’étudier l’unification des Forces canadiennes, min istère de la Défense nationale, Ottawa, p. 18. [TCO]
  29. Cet argument est tiré de Christopher Dandeker, « Building Flexible Forces for the 21st Century », Handbook of the Sociology of the Military, de G. Carforio (éd.), Kluwer Academic/Plenum Publishers, New York, p. 412.
  30. L’électronique, les ordinateurs, les microprocesseurs, la technologie de l’information, l’intelligence artificielle, la robotique, les télécommunications, le matériel spécialisé, les armes de précision, la conception et la fabrication assistées par ordinateur et l’évolution des transformations chimiques figurent tous sur la liste des progrès importants. Voir B. Boëne, « The Military as a Tribe Among Tribes », Handbook of the Sociology of the Military, G. Carforio (éd.), Kluwer Academic/Plenum Publishers, New York, p. 170.
  31. J. Verdon (capitaine), N. A. Okros et T. Wait, « Some Strategic Human Resource Implications for Canada’s Military in 2020 », p. 2. [TCO]
  32. La sous-traitance peut consister à privatiser une fonction ou à accorder un contrat d’une durée déterminée afin de fournir un service de substitution. Elle va souvent de pair avec une étude du marché qui soumet une activité à la concurrence, c’est-à-dire qu’un fournisseur interne doit, pendant un certain temps, donner un service concurrentiel avec l’offre du secteur privé.
  33. Cette tâche incombait auparavant aux militaires, qui pouvaient se servir d’une arme pour se défendre, le cas échéant. Désormais, il faut protéger les civils en cas de danger. Les opérations de soutien de la paix peuvent poser problème en raison de la différence des cultures organisationnelles civiles et militaires.
  34. PAE signifie Pacific Architect Engineering. Deux entreprises de génie, SNC-Lavalin et PAE, se sont associées pour créer une entreprise qui fournit des services en Bosnie et en Afghanistan.
  35. SNC-Lavalin PAE a sous-traité les services de restauration à une entreprise d’Edmonton, la PTI. Celle-ci a engagé des travailleurs népalais bon marché qui vivent à l’écart dans des tentes et n’ont de contacts avec les autres que quand ils vont jouer au mess des caporaux et des soldats.
  36. Voir l’excellent document de C. Jessup, Breaking Ranks: Social Change in Military Communities, Brassey’s, London.
  37. Jessup, Breaking Ranks: Social Change in Military Communities, p. 180.
  38. Pour une étude de ces traditions, voir B. Boëne, « How Unique Should the Military Be? A Review of Representative Literature an Outline of Synthetic Formulation », Journal of Sociology, volume 31, numéro 1, p. 3-59.
  39. Le public demande également davantage de transparence et de responsabilité à son égard. Pour plus de détails, voir p. Kasurak, Legislative Audit for National Defence. The Canadian Experience, School of Policy Studies, université Queen’s, Kingston (Ontario).
  40. Pour plus de détails sur l’intégration des femmes dans les FC, voir D. Winslow et J. Dunn, « Women in the Canadian Forces: Between Legal and Social Integration », Current Sociology, volume 50, numéro 5, p. 641-647.
  41. Armée de terre canadienne, Leadership in a Diverse Army – The Challenge, the Promise, the Plan, ministère de la Défense nationale, Ottawa, polycopie et première ébauche, p. 1. [TCO]
  42. Ibid. [TCO]
  43. Plusieurs lois importantes concernent les FC, notamment : la Loi canadienne sur les droits de la personne (1978); l’article sur l’égalité (article 15) de la Charte canadienne des droits et libertés entrée en vigueur le 17 avril 1985 et la Loi sur l’équité en matière d’emploi (1996), qui stipule que chaque citoyen a le droit de travailler et d’être promu sans discrimination et que les services publics doivent tenter d’être représentatifs de la société.
  44. Par exemple, dans le cadre de la Journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, l’armée de terre a organisé une activité dans le foyer du quartier général, à laquelle ont participé le chef d’état-major de la Défense et le commandant de l’armée. Les participants pouvaient non seulement écouter des discours et visiter les stands d’information mais aussi écouter de la musique ethnique et goûter des mets internationaux. On présentait aussi Honour Before Glory, un documentaire sur un bataillon de militaires noirs qui a combattu au cours de la Première Guerre mondiale. Les couloirs étaient cou verts d’affiches célébrant des événements tels que la Black History Week.
  45. Sir Michael Howard, « Armed Forces and the Community », RUSI Journal, volume 141, numéro 4, p. 10.
  46. En Angleterre, le travail du lieutenant-colonel S. Crawford dans ce domaine est particulièrement remarquable. Voir S. Crawford, « Racial Integration in the Army – An Historical Perspective » D:\Program Files\Activity Logger\Logs\ urbeingrecorded British Army Review, volume 111, p. 24-28.
  47. J. Verdon (capitaine), N. A. Okros et T. Wait, « Some Strategic Human Resource Implications for Canada’s Military in 2020 », p. 11 et 12.
  48. C. H. Enloe, Ethnic Soldiers: State Security in Divided Societies, University of Georgia Press, Athens. Voir aussi C. Moskos et J. S. Butler, All That We Can Be: Black Leadership and Racial Integration the Army Way, Twentieth Century Fund Book, Basic Books, New York.
  49. Cela soulève des questions épineuses et complexes. Ainsi, dans quelle mesure le refus de faire carrière dans les forces armées est-il dû aux pratiques discriminatoires, réelles ou non, de l’éventuel employeur?
  50. Bien que ma source soit anecdotique, j’ai été surprise du nombre de militaires de l’armée canadienne qui m’ont dit qu’ils étaient entrés dans les forces parce que leur père ou un membre de leur famille proche était militaire.
  51. J. van Maanen et S. Barley, « Cultural Organization: Fragments of a Theory », Organizational Culture, de p. J. Frost, L. F. Moore, M. R. Louis, C. C. Lundberg et J. Martin (éd.), Sage, Beverly Hills, p. 48.
  52. Pour de plus amples renseignements à ce sujet au Royaume-Uni et au Canada, voir D. Winslow et C. Dandeke, « On the Need to be Different. Recent Trends in Military Culture », Backbone of the Army. Non Commissioned Officers of the Future Army, Douglas Bland (éd.), McGill Queen’s University Press, Montréal, p. 47-67.
  53. J. Hillen, « Must US Military Culture Reform? », Orbis, volume 43, numéro 1, p. 43.
  54. Certains membres des armées britanniques partagent cet avis, que le chef d’état-major de la Défense britannique, le général Charles Guthrie, a critiqué avec véhémence lors d’une conférence parrainée par le ministère de la défense, Equal Opportunities: Learning from Experience, qui a eu lieu à la Royal Society of Arts, à Londres, le 10 novembre 1998.
  55. D. A. Charters et J. B. Wilson (éd.), « Summary of Syndicate Findings », The Soldier and the Canadian State, p. 65. [TCO]
  56. Ceci n’est pas propre au Canada; aux États-Unis, la Chambre des représentants comptait 320 anciens combattants en 1970 mais moins de 130 en 1994. En 1997, pour la toute première fois, ni le secrétaire à la défense, ni le conseiller national pour la sécurité, ni le secrétaire d’État, ni leurs remplaçants n’avaient porté l’uniforme. (Hillen, « Must US Military Culture Reform? », p. 54). Voir aussi M. Shields, « When Heroes Were Ordinary Men », Washington Post, le 3 août.
  57. Cité dans N. Ovenden, « MPs Know Nothing about Defence : Study », The Ottawa Citizen, le 5 novembre, p. A4. [TCO]
  58. David Last, « Educating Officers: Post-Modern Professionals to Control and Prevent Violence », document de travail soumis au chef d’état-major de la Défense, 1999, p. 17.
  59. Ibid.
  60. D. McCormick, The Downsized Warrior. America’s Army in Transition, New York University Press, New York.
  61. Ibid., p. 21. [TCO]
  62. Il en est souvent question dans les études d’organisation. Selon la perspective différentielle, le changement peut résulter d’une lutte entre groupes ayant plus ou moins le pouvoir d’imposer le changement ou de s’y opposer (Martin, Cultures in Organizations. Three Perspectives, p. 10). Des groupes différents tenteront de placer leurs représentants à des postes stratégiques; gérer le processus de promotion est un moyen de contrôler le changement : les partisans d’une nouvelle culture peuvent ainsi monter en grade jusqu’à ce qu’ils occupent des postes importants dans l’organisation. La culture peut également changer naturellement quand de nouvelles générations occupent des postes importants dans l’organisation (voir W. Murray, « Does Military Culture Matter? », Orbis, volume 45, numéro 1, p. 30; D. A. MacGregor, Breaking the Phalanx. A New Design for Landpower in the 21st Century, Praeger, Westport, CT, p. 42).
  63. Comme l’écrit Boëne, « Le caractère unique des forces armées [...] réside dans les limites de la rationalité instrumentale au cours des combats et dans la transgression des normes sociales habituelles (en particulier du tabou qu’est le fait de tuer un être humain). » Boëne, « How Unique Should the Military Be? A Review of Representative Literature an Outline of Synthetic Formulation », p. 29. [TCO]
  64. M. Adams, Sex in the Snow, Canadian Social Values at the End of the Millennium, Penguin Books, Toronto.
  65. Ibid., p. 9. [TCO]
  66. Ibid., p. 6 et 9. [TCO]
  67. Ibid., p. 103. [TCO]
  68. Canada, ministère de la Défense nationale, L’Armée de terre du Canada, Nous protégeons nos foyers et nos droits, Ottawa, p. 37 et 38.
  69. Adams, Sex in the Snow, p. 203-217.
  70. [TCO] Les familles des militaires apprécient les permissions et le fait qu’on communique mieux avec elles.
  71. Ma recherche actuelle montre que l’armée est formée de sous-groupes professionnels tels que les blindés, l’artillerie, l’infanterie et le génie et qu’ils ont tous leur modus operandi. Même à l’intérieur de ces groupes, il y a de grandes différences entre régiments, voire entre bataillons. L’armée est aussi, semble-t-il, une collection hétérogène de groupes qui travaillent en équipe, qu’il s’agisse d’équipes de combat ou d’équipes relevant de plusieurs unités.
  72. Martin, Cultures in Organizations. Three Perspectives, p. 3.
  73. A. J. DiBella, « Culture and Planned Change in an International Organization: A Multi-Level Predicament », International Journal of Organizational Analysis, volume 4, numéro 4, p. 370.
  74. A. Bryman, « Leadership in Organizations », Handbook of Organization Studies, S. R. Clegg, C. Hardy et W. R. Nord (éd.), Sage, London, p. 286.
  75. M. Alvesson et p. O. Berg, Corporate Culture and Organizational Symbolism, Walter de Gruyter, New York, p. 168; Bryman, « Leadership in Organizations », p. 285 et 287.
  76. S. Fineman, « Organizing and Emotion: Toward a Social Construction », Towards a New Theory of Organizations, J. Hassard et M. Parker (éd.), Routledge, London et New York, p. 81.
  77. Boëne, « The Military as a Tribe among Tribes », p. 167-186.
  78. Ibid., p. 180. [TCO]