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Politique de défense

Un soldat

Collection de la RMC

Cette période se caractériserait par d’importantes missions de maintien de la paix, y compris un très long déploiement à Chypre.

L’incidence du contexte sur le livre blanc sur la défense de 1964

par le lieutenant-colonel Ross Fetterly

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Introduction

Le Livre blanc sur la défense de 1964 était un énoncé de politique crucial à une époque où l’on révisait les politiques et les postulats de la guerre froide. La politique qu’il préconisait tranchait sur celles qui avaient été adoptées après des conflits, à des époques où le budget de la défense avait subi d’énormes compressions et demeurait modeste. L’influente Commission royale d’enquête sur l’organisation du gouvernement disait succinctement en 1962 que les dépenses du gouvernement fédéral avaient beaucoup augmenté au cours des années précédentes en raison de « la multiplication des services sociaux et l’aménagement sur une échelle sans précédent d’une organisation de la défense en temps de paix1 ». Le Livre blanc sur la défense de 1964 insistait pour que la politique canadienne s’insère dans le système d’alliance occidentale et reconnaissait que, aux chapitres de la mise au point et de la production de systèmes d’armes avancés, la contribution du Canada à la communauté internationale ne pourrait être que modeste. C’était aborder d’un point de vue pragmatique et réaliste l’énigmatique politique canadienne de défense.

Le Livre blanc de 1964 est un document important parce qu’il préconisait une politique de défense très différente de celles que le Canada avait suivies après un conflit, et ce, depuis la fin de la guerre de Corée. Selon le rapport du Comité spécial sur la politique de défense de 1963, depuis 1959, « s’il y a un consensus national, c’est que les politiques de défense canadiennes sont totalement inefficaces et doivent être révisées2. » Le Livre blanc sur la défense de 1964 reflétait la volonté du gouvernement fédéral de moderniser la politique de défense. Les détails de ce document ayant fait l’objet de nombreuses analyses, le présent article adopte une démarche différente. Il porte sur le contexte dans lequel le Parti libéral au pouvoir devait prendre des décisions. Il tentera aussi de montrer la complexité des nombreux facteurs influant sur les décisions que prend le gouvernement en matière de défense. Il débutera par un survol historique de la politique étrangère et de défense du Canada de 1945 à 1963 afin de présenter le contexte des prises de décisions gouvernementales en 1964. Les conclusions du rapport sur le budget de la défense du Canada de 1963, que le président du Comité spécial sur la politique de défense, R. J. Sutherland, a remis à Paul Hellyer, ministre de la Défense, étaient pessimistes. Le présent article examinera en profondeur les principales conclusions. Il donnera également une vue d’ensemble du contexte stratégique, il étudiera les affaires intérieures et la situation financière du gouvernement fédéral et il décrira les difficultés auxquelles se heurte la défense. Le gouvernement canadien n’a pas souvent publié de livres blancs. Une étude attentive des circonstances dans lesquelles celui de 1964 a été rédigé permettra aux Canadiens de mieux comprendre les facteurs qui influent sur l’élaboration d’une nouvelle politique de défense.

Couverture de livre

Collection du CMR

Livre blanc de 1964.

Le contexte historique

Après la Seconde Guerre mondiale, l’objet principal de la défense était la démobilisation. En 1947, la réorganisation, l’entraînement des officiers et de la force de réserve, la recherche et l’organisation industrielle étaient prioritaires. En 1949, les forces armées canadiennes n’étaient plus sur le pied de guerre; elles assumaient leurs fonctions habituelles en temps de paix. La politique nationale a toutefois pris une nouvelle orientation le 21 juillet 1950, jour où le gouvernement s’est engagé à fournir un escadron de transport aérien au Commandement des Nations Unies en Corée. C’était la fin de l’isolationnisme, et cela créait un précédent : « Il n’est désormais plus question de rester sur la touche en cas de crise internationale3. » Au reste, en 1953, le Canada avait déjà engagé des forces importantes dans l’Atlantique occidental, dans le Nord-Ouest de l’Europe et dans la défense aérienne de l’Amérique du Nord. Il s’agissait, ce qui est révélateur, de « forces disponibles et non d’un potentiel de mobilisation; en termes stratégiques, cela équivalait à vendre des titres pour avoir de l’argent liquide4 ». À cette époque également, « aux stocks de la Seconde Guerre mondiale que recevait l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a commencé à s’ajouter un équipement moderne5. » Le changement d’orientation de la défense entre 1949 et 1963 a été spectaculaire. Pourtant, le gouvernement n’a pas publié de livre blanc au cours de cette période de changements rapides. En 1963, le premier ministre, Pearson, a reconnu l’importance d’un examen officiel de la défense. Dans ce contexte dynamique et changeant, le gouvernement a attentivement étudié la question et, sous la direction d’un ministre de la Défense énergique et ambitieux, il a proposé une nouvelle politique en 1964.

Le contexte stratégique

Au début des années 1960, la sécurité du Canada dépendait en grande partie de facteurs extérieurs, comme c’était le cas depuis 1814. La raison de ce paradoxe apparent était que, pour les Canadiens, « la sécurité nationale n’avait pas grand-chose à voir avec la politique canadienne de défense6. » Cela est dû au fait que, ce qui constituait un danger pour le Canada, c’étaient les conséquences de la division idéologique, politique et militaire entre l’Est et l’Ouest, division qui caractérisait la guerre froide. Le pays comptait sur ses forces militaires, sur la protection des forces militaires stratégiques américaines et sur l’Alliance de l’Atlantique Nord, l’objectif des forces militaires de l’Est et de l’Ouest étant de recourir à la dissuasion pour se tenir mutuellement en échec. Enfin, il y avait la politique d’endiguement occidentale. Les forces soviétiques traditionnelles étant une menace pour l’Europe occidentale, le Canada et les États-Unis ont décidé de concourir à la défense de l’Europe occidentale, politique que le Canada avait pratiquée durant les deux guerres mondiales. Cependant, l’acquisition d’armes nucléaires par les Soviétiques menaçait directement l’Amérique du Nord. En dépit de l’échelle internationale de la menace qui planait sur le Canada, la politique de défense était fortement influencée par certains invariants, dont « la géographie, le potentiel économique et les intérêts généraux de la nation7 ». Le Livre blanc sur la défense faisait état de ces invariants, mais portait surtout sur la nouvelle « nature et magnitude du danger pour la paix et la sécurité et le perfectionnement des armes et de la technologie des armes8 ». De 1945 à 1963 sont survenus « de rapides changements de politiques stratégiques, en raison principalement des progrès révolutionnaires de la technologie militaire et de la conjecture politique9 ». Ces changements, qui ont naturellement entraîné l’obsolescence de la stratégie et de l’équipement militaires, préoccupaient gravement les gouvernements occidentaux. Au début des années 1960, le moteur du changement a été la doctrine de Kennedy-McNamara, qui comportait le principe de la riposte graduée et qui visait à réglementer la guerre en général et le contrôle des armements. La riposte graduée était une solution de rechange à une attaque nucléaire, qui permettait aux Américains de réagir de manière traditionnelle à une attaque soviétique traditionnelle en Europe occidentale. Quoique celle-ci n’ait jamais entièrement approuvé la riposte graduée, elle a fini par la considérer comme un compromis politique et par l’accepter vers la fin de la décennie. Devant l’importance accrue des forces traditionnelles, l’une des mesures prises a été la création des forces mobiles du Commandement allié en Europe, annoncée par le Commandant suprême des forces alliées en Europe en mai 1961. Ces forces seraient tenues en réserve pour envoyer du renfort aux forces de première ligne de l’OTAN, le cas échéant. Cela inciterait plus tard le gouvernement libéral à miser sur la mobilité des forces.

Les bombardiers soviétiques à long rayon d’action et, plus tard, les missiles balistiques intercontinentaux constituaient un danger réel pour le continent nord-américain, ce qui a amené les gouvernements canadien et américain à avoir plus d’interactions en matière de défense. Ces interactions remontaient à la Seconde Guerre mondiale, où les militaires canadiens, d’abord sous les ordres des Britanniques, étaient passés peu à peu sous ceux des Américains. L’accord de l’Agence norvégienne de développement international, signé le 12 mai 1958, était la preuve la plus évidente de cet alignement, mais l’étroite collaboration entre les marines canadienne et américaine a été la plus manifeste pendant la période qui a précédé la crise des missiles de Cuba, en 1962. L’accord de l’Agence norvégienne de développement international, qui avait été signé pour protéger l’agent de dissuasion américain contre une première frappe, renforçait la crédibilité des capacités de contre-frappe nucléaire des États-Unis. La crise des missiles de Cuba a également montré que, si la coopération entre le Canada et son voisin était étroite, celui-ci ne reculerait devant rien pour se protéger dans une situation d’urgence.

La sécurité de l’Europe demeurait une question importante, vu la gravité du danger que le Pacte de Varsovie faisait planer sur l’Europe occidentale. Selon le Livre blanc sur la défense, les forces canadiennes resteraient en Europe, et l’OTAN était la clé de voûte de la politique de défense. Pourtant, dès 1963, l’économie des États européens membres de l’OTAN, émergeant des ruines de la Seconde Guerre mondiale, était florissante. En fait, la guerre froide avait apporté une certaine stabilité à un environnement stratégique international fondamentalement incertain. Les planificateurs de la défense de l’OTAN savaient en quoi consistait la menace soviétique et pouvaient donc envisager des mesures assez méthodiques et ciblées. La menace soviétique jouait un rôle de premier plan dans les politiques des États-Unis et de l’Europe occidentale; au Canada, les affaires intérieures prédominaient.

Le terrorisme

Collection de la RMC

Les troubles intérieurs étaient également une préoccupation pour la politique de défense. Le Front de Libération du Québec, formé en mars 1963, a mené pendant sept ans une campagne terroriste pour l’indépendance du Québec.

Les affaires intérieures

En 1964, les affaires intérieures les plus importantes étaient l’économie et les programmes sociaux. La fragilité de l’économie du pays depuis 1957 et le fait que les Canadiens demandaient des programmes sociaux plus complets pesaient sur le financement de la Défense et sur celui d’autres ministères. Entre 1955 et le milieu de 1957, l’expansion du secteur des ressources financières et l’augmentation des mises de fonds dans les secteurs privé et public avaient fait croître l’économie. En 1957, la baisse de 6 % de la production industrielle et l’augmentation du taux de chômage, qui a atteint 7,5 %, laissaient présager six années de faible rendement économique10. Durant cette période, le système économique du Canada s’est radicalement transformé, ce qui a donné lieu à une inflation et à un chômage élevés. Dans une large mesure, ce ralentissement économique reflétait l’anémie de l’économie américaine, mais il témoignait aussi de la sensibilité du Canada à l’économie mondiale. Malgré la reprise économique, en 1961, et la diminution progressive du chômage, le taux d’inflation demeurait élevé, ce qui a eu de graves répercussions sur la défense. Tout cela a eu une incidence sur le rapport sur le budget de la défense, publié en août 1963 par le Comité spécial chargé d’étudier la défense, et sur la préparation du Livre blanc sur la défense de 1964.

Au Canada, la redistribution du revenu à la population par l’intermédiaire de programmes sociaux fédéraux est devenue une caractéristique de l’État providence moderne. Les Canadiens bénéficient directement du vaste système de programmes sociaux instauré au XXe siècle. Certaines politiques gouvernementales, dont celle de la défense, touchent indirectement la majeure partie de la population, mais les programmes sociaux la concernent directement. C’est pourquoi « aucun autre aspect de la politique gouvernementale n’a une incidence aussi directe et aussi importante sur les Canadiens11 » que ces programmes. Plusieurs facteurs expliquent le soutien grandissant aux programmes sociaux financés par le gouvernement au milieu du XXe siècle, notamment les effets de l’extension de l’industrialisation, le plus grand désir de résorber la pauvreté et la transformation des valeurs sociales. L’augmentation du nombre et des coûts de ces programmes et la concurrence qu’ils faisaient aux programmes fédéraux en vigueur ont attiré l’attention des citoyens et des gouvernements sur le coût élevé de la défense. En réalité, les déficits qui ont commencé à augmenter en 1958-1959 étaient dus à la croissance importante de programmes qui n’avaient rien à voir avec la défense, tandis que les dépenses de cette dernière sont demeurées à peu près constantes au début des années 1960.

Les Canadiens ont commencé par demander un régime de prestations pour enfants pendant la Première Guerre mondiale, lequel est devenu un programme universel d’allocations familiales pendant les années 1940. Il en a été de même pour le régime de pensions, grâce à l’adoption en 1927 de la Loi sur les pensions de vieillesse, aux termes de laquelle on donnait une petite pension subordonnée à la vérification des ressources. Ce régime a été remplacé en 1952 par le Programme de la sécurité de la vieillesse. À cette législation sociale s’est ajoutée en 1940 la Loi sur l’assurance-emploi, destinée à donner à certaines catégories de Canadiens une assurance contre la perte temporaire de leurs revenus au cours de périodes de chômage d’une durée déterminée. Toutefois, la législation sociale n’était pas coordonnée. Il a fallu attendre les années 1960 pour que le Parti libéral adopte un programme de politique sociale plus organisé afin de mettre en place l’État providence. Ce programme remonte à la défaite électorale du Parti, le 10 juin 1957. Vers la fin des années 1950, les plans de relèvement du Parti libéral étaient axés sur la politique sociale, car c’était « la question qui suscitait les adhésions12 » dans ce parti. La conférence de Kingston en septembre 1960 et la réunion électorale de 1961 ont renforcé cette tendance. Toutefois, en dépit de son importance, le programme social des libéraux n’était pas l’élément essentiel de l’élection fédérale du 8 avril 1963. L’une des questions prédominantes était l’acquisition d’armes nucléaires pour les forces canadiennes.

La situation financière du gouvernement fédéral

Il y avait déjà des pressions pour réduire les frais de défense avant le Livre blanc sur la défense de 1964. En 1963, le budget de la défense représentait la plus grande part des dépenses fédérales non législatives. À cet égard, le ministre de la Défense a déclaré que « le gouvernement était très conscient de la situation financière dans laquelle il se trouvait. Une série de déficits importants a augmenté notre dette nationale et les coûts annuels de son amortissement13. » Néanmoins, à l’automne 1963, il a négocié avec le ministre des Finances « un crédit pour la défense d’environ 1,5 milliard de dollars, assorti d’une augmentation annuelle de 2 % pour l’inflation, et le gouvernement a autorisé ce montant pour les trois prochaines années14 ». Le comité spécial chargé d’étudier la défense a présenté son troisième rapport à la Chambre des communes le 17 décembre 1963; il remarquait avec inquiétude que « le gouvernement fédéral a du mal à répondre aux exigences budgétaires qui ne cessent d’augmenter15. » Le rapport comportait un tableau montrant le pourcentage important des dépenses fédérales consacrées à la défense. La pression financière ne s’est pas atténuée et s’est également fait sentir au sein du Cabinet durant la rédaction de l’ébauche du Livre blanc sur la défense. Le 21 février 1964, au cours d’une réunion officieuse du Comité du Cabinet sur la défense portant sur l’ébauche de ce document, le ministre des Finances « a suggéré de diminuer les frais de la défense de 500 millions de dollars et de verser l’argent aux provinces16 ».

La Défense se trouvait dans une situation précaire, car elle subissait des pressions extérieures pour réduire son financement et des pressions internes aussi intenses pour l’accroître. Il incombait à Paul Hellyer de « résoudre la quadrature du cercle ». Celui-ci a créé, en 1963, des groupes d’étude ministériels pour examiner la défense du Canada dans le cadre de l’élaboration d’une nouvelle politique de défense. Le plus important de ces groupes était le Comité spécial sur la politique de défense, qui a rédigé plusieurs rapports. Celui qui s’intitulait The Canadian Defence Budget revêtait une importance particulière, car certaines de ses conclusions étaient dramatiques. D’abord, il faudrait augmenter rapidement le budget de la défense pour maintenir le statu quo pendant l’exercice financier de 1964-1965. Ensuite, étant donné le coût des services et du matériel, un budget de base de 1,6 milliard de dollars forcerait le gouvernement à faire des choix difficiles dans un avenir immédiat : soit il réduisait considérablement le personnel afin de financer l’achat d’équipement, soit il maintenait l’effectif, ce qui ne ferait qu’accélérer la réduction de l’acquisition de l’équipement. En cas de compression de personnel, il faudrait réduire considérablement le nombre d’engagements; dans le cas contraire, l’équipement deviendrait obsolète de plus en plus rapidement. Enfin, même si le rapport ne couvrait pas la période de 1967-1968, voici ce qu’on y notait :

« Il semble toutefois que, si le Canada veut poursuivre ses engagements au-delà de cette période, il devra acheter beaucoup de nouvel équipement, notamment remplacer le char Centurion, le CF-104 et probablement le CF-101. Il est donc évident que les budgets de la défense devraient être plus importants après 1968 si les forces canadiennes maintiennent alors leurs engagements17. »

Des documents internes du Ministère indiquaient en 1963 que le budget devrait augmenter considérablement pour financer les engagements et régler l’arriéré croissant de l’acquisition de matériel et qu’il fallait prendre rapidement des décisions au sujet de l’avenir. Le gouvernement ne pouvait tout simplement pas reporter les décisions importantes qui auraient une incidence à long terme. Les chiffres du tableau 1 sont ceux du rapport sur le budget de la défense rédigé par le Comité spécial sur la politique de défense18. Ils montrent l’importance des prévisions budgétaires à très court terme faites par le ministère de la Défense nationale.

Dépenses

1958-1959

1959-1960

1960-1961

1961-1962

1962-1963

1 662 $

1 530 $

1 521 $

1 633 $

1 576 $

Prévisions

1963-64

1964-65

1965-66

1966-67

1967-68

1 671 $

1 868 $

1 986 $

2 006 $

1 990 $

Tableau 1. Comparaison entre les dépenses des années précédentes et les prévisions du ministère de la Défense

Exercice financier

Total des dépenses budgétaires (M$)

Surplus ou déficit fédéral

Dépenses budgétaires en matière de défense (M$)

Pourcentage consacré à la défense

1949-1950

2 449 $

132 $

385 $

15,7 %

1950-1951

2 901 $

211 $

782 $

27,0 %

1951-1952

3 733 $

248 $

1,415 $

37,9 %

1952-1953

4 337 $

23 $

1,882 $

43,4 %

1953-1954

4 351 $

46 $

1,806 $

41,5 %

1954-1955

4 275 $

(152 $)

1,666 $

39,0 %

1955-1956

4 433 $

(33 $)

1,750 $

39,5 %

1956-1957

4 849 $

258 $

1,759 $

36,3 %

1957-1958

5 087 $

(39 $)

1,668 $

30,5 %

1958-1959

5 364 $

(609 $)

1,425 $

26,6 %

1959-1960

5 703 $

(413 $)

1,515 $

26,6 %

1960-1961

5 958 $

(340 $)

1,518 $

25,5 %

1961-1962

6 521 $

(791 $)

1,626 $

24,9 %

1962-1963

6 570 $

(692 $)

1,575 $

23,9 %

1963-1964

6 845 $

(585 $)

1,629 $

23,8 %

Tableau 2. Dépenses en matière de défense pour les exercices financiers de 1949-1950 à 1963-1964

Le rapport sur le budget de la défense d’août 1963, que le Comité spécial sur la politique de défense a remis au ministère de la Défense nationale le 4 septembre 1963, montrait également le pourcentage des dépenses du gouvernement fédéral en matière de défense et notait la récurrence du déficit fédéral19.

Le gouvernement a été confronté à un dilemme. En 1949-1950, avant le début de la guerre de Corée, les dépenses en matière de défense ne représentaient que 15,7 % des dépenses fédérales. En août 1963, les engagements de défense avaient pris énormément d’ampleur, les frais de rééquipement augmentaient bien plus rapidement que l’inflation, le gouvernement avait un déficit important et les coûts de la défense représentaient environ un quart des dépenses fédérales.

Des soldats

Photo du MDN PA-204970

La souveraineté nationale est aussi devenue une question de défense importante et l’on a envoyé plus de militaires dans le Nord.

Les problèmes qui se posaient

Malgré le programme social ambitieux du Parti libéral et les pressions financières qu’il faisait subir au gouvernement fédéral, la défense nécessitait des fonds importants, et il fallait résoudre la question. Le remplacement de l’équipement périmé dans des délais raisonnables était prioritaire, car le Canada s’était procuré un nombre réduit de systèmes d’armes depuis 1957. Le rapport sur le budget de la défense du Comité spécial résume ainsi la question :

« La réduction des dépenses pour l’équipement au cours des cinq dernières années a donné lieu à un arriéré d’achat d’équipement de l’ordre de 500 millions de dollars. Les dépenses actuelles pour l’équipement ne suffisent pas pour couvrir la dépréciation et l’obsolescence. L’équipement en dotation devient donc de plus en plus inadéquat20. »

Il était difficile de remplacer l’équipement en temps opportun, étant donné le coût extraordinairement élevé des nouveaux systèmes d’armes ainsi que la complexité et le coût grandissants de la technologie de pointe. C’est pourquoi la liste du nouvel équipement était longue. Paradoxalement, l’augmentation du coût de la main-d’œuvre incitait à remplacer le personnel par des machines.

Quand les gouvernements financent la défense, ils doivent penser à allouer des ressources aux forces disponibles et à celles de l’avenir. Ces considérations sont importantes du point de vue stratégique, mais les contraintes budgétaires imposent des choix. La décision de financer les opérations en cours ou, au contraire, celles à venir, a des répercussions sur les forces militaires. Financer le personnel et les coûts de fonctionnement revient à soutenir la force existante au détriment des futures opérations. Consacrer une part importante du budget à l’acquisition de l’équipement, c’est soutenir les futures opérations au détriment des opérations en cours.

Les gouvernements démocratiques n’ont généralement qu’un mandat de cinq ans au plus, si bien que les contrats d’acquisition de matériel qu’ils signent ne bénéficient qu’au gouvernement suivant. Pour des raisons politiques, ils ont donc tendance à opter pour les forces existantes aux dépens des forces de l’avenir. Lorsque les dépenses ont favorisé les forces existantes pendant plusieurs années, l’âge moyen de l’équipement a augmenté, les coûts d’entretien se sont multipliés et l’arriéré de l’équipement nécessaire s’est accumulé. Le gouvernement se trouvait dans cette situation au début de 1964. Le rapport sur le budget de la défense relevait ce problème : « en dollars constants, les fonds prévus pour l’équipement en 1963-1964 ne représentaient que le quart de la somme dépensée pour l’équipement en 1952-195321. » Dans les faits, le gouvernement avait hypothéqué l’avenir pour financer les opérations du moment, mais, dans le contexte de la guerre froide, l’importance stratégique et politique de la participation du Canada aux opérations en cours n’était pas négligeable.

On peut résumer ainsi les problèmes qui se posaient à l’époque : réduction constante et considérable du pouvoir d’achat du dollar de défense et augmentation rapide des coûts de l’équipement. L’inflation et l’augmentation des coûts signifiaient que, « en termes de pouvoir d’achat, cinq dollars en 1952-1953 n’équivalaient plus qu’à trois dollars en 1962-196322. » Au cours de cette période, les coûts du personnel, des opérations et de l’entretien sont passés de 45 % à 77,6 %, et les conséquences de la réduction des fonds consacrés à l’équipement et de l’augmentation des prix, qui ont en fait réduit de 75 % la capacité d’acheter de l’équipement, étaient plus alarmantes encore23.

La réduction des dépenses pour le nouvel équipement s’ajoutait aux inégalités de l’attribution des fonds à l’armée de terre, à la marine et à l’aviation. L’armée de terre en particulier était la plus touchée parce que le pourcentage des fonds qui lui étaient alloués pour l’achat d’équipement était inférieur à dix depuis 1957. Les chiffres du tableau 3, communiqués au Comité spécial sur la politique de défense le 2 juin 1964, montrent ce déséquilibre24.

Le déséquilibre entre les achats pour les trois services est encore plus prononcé quand on l’étudie sur une période plus longue. Entre 1950 et 1963, le ministère de la Défense nationale a dépensé 5,5 milliards de dollars pour acheter de l’équipement25 (les principales dépenses figurent au tableau 4). Les dépenses pour les aéronefs représentaient à elles seules plus de la moitié de cette somme. Cela était dû en partie à la décision prise au début des années 1950 de se concentrer sur la puissance aérienne, notamment dans les théâtres européens et nord-américains. Cependant, les aéronefs étaient fabriqués au Canada, ce qui constituait un stimulant économique supplémentaire.

Mesurées en dollars constants, les dépenses pour le personnel, les opérations et l’entretien étaient relativement stables depuis 1955, mais, si l’on ne tenait pas compte du coût d’indexation, elles augmentaient tous les ans. Le fait que les dépenses pour la masse salariale représentaient les deux tiers des coûts du personnel, des opérations et de l’entretien en 1963-1964 a attiré l’attention. Or, si le montant des rémunérations était plus élevé depuis 1952-1953, c’était surtout en raison de l’augmentation des soldes et des salaires et non de l’augmentation des effectifs. En ce qui concerne le matériel et l’approvisionnement, les dépenses avaient été réduites, et les achats étaient dorénavant basés sur les besoins du moment, ce qui risquait de peser lourdement sur le budget de la défense à moyen terme. La rationalisation de la flotte et la réduction du nombre des divers aéronefs opérationnels de l’armée de l’air avaient diminué le coût de l’entretien de l’équipement26.

Exercice financier

Armée de terre

Marine

Armée de l'air

1954-1955

20,2 %

46,5 %

44,2 %

1955-1956

14,2 %

49,0 %

34,6 %

1956-1957

11,1 %

45,3 %

23,8 %

1957-1958

6,1 %

37,4 %

27,0 %

1958-1959

9,2 %

29,2 %

32,4 %

1959-1960

6,0 %

21,8 %

26,5 %

1960-1961

6,7 %

17,7 %

26,3 %

1961-1962

6,2 %

21,5 %

28,1 %

1962-1963

6,0 %

21,6 %

20,8 %

1963-1964

10,4 %

26,1 %

18,2 %

Tableau 3. Pourcentage des dépenses en matière de défense par armée pour le gros équipement, de 1954 à 1964

Genre d’équipement

Dépenses (M$)

Aéronefs

2 985 $

Navires

654 $

Munitions

516 $

Communications et radars

440 $

Armement

262 $

Véhicules

242 $

Tableau 4. Achat d’équipement militaire de 1950 à 1963

Conclusion

Les politiques présentées par les gouvernements canadiens à la Chambre des communes sont l’aboutissement d’un long processus décisionnel auquel participent des membres du gouvernement, le public, les forces, le ministère de la Défense nationale, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et divers groupes d’intérêt. En temps de paix, et même pendant la guerre froide et les guerres contre le terrorisme, le financement de la défense est en concurrence avec celui de divers programmes sociaux populaires. Le Livre blanc de la défense de 1964 a été rédigé dans des circonstances exceptionnelles, comme c’est souvent le cas pour ce genre de document. Un examen contextuel permet cependant de voir que, en 1964, divers facteurs ont présidé à la formulation d’une politique de défense différente.

Les facteurs importants qui ont influé sur le Livre blanc de la défense de 1964 incluent un contexte de sécurité internationale dominé par l’antagonisme de la guerre froide entre les Américains et les Soviétiques, le soutien croissant aux programmes sociaux du Canada, la participation à un système de défense collective, la montée vertigineuse des coûts, une conception plus réaliste et plus modeste des objectifs de la défense et l’adoption d’un système plus structuré de programmation et de budgétisation de la défense. Ce livre blanc est un document historique d’autant plus important qu’il proposait d’unifier les forces armées pour améliorer l’efficacité de l’administration et d’allouer davantage de fonds à l’achat de nouveaux systèmes d’armes. Devant la menace réduite mais directe qui planait sur la sécurité du Canada, le gouvernement devait maintenir des forces militaires non pour défendre le territoire national mais, paradoxalement, pour renforcer la diplomatie canadienne et la participation du Canada aux activités de l’Agence norvégienne de développement international, de l’OTAN et des Nations Unies. Manifestement, l’intégration de l’Amérique du Nord avec les États-Unis était une dimension extrêmement importante pour le gouvernement canadien. Pour toutes ces raisons, le gouvernement a décidé d’allouer à la défense un budget assez élevé en temps de paix et de maintenir des forces militaires assez importantes. Il y est parvenu en révisant l’effectif un peu à la baisse et en planifiant un financement relativement stable. Bien que le financement de la défense ait été plus élevé que ne l’auraient souhaité les partisans d’une augmentation des dépenses pour les programmes sociaux, le gouvernement a fait un compromis en définissant clairement les rôles et les priorités de la défense, en acceptant un financement de base moins élevé et en créant un mécanisme qui permet d’allouer aux dépenses en capital les fonds économisés dans le secteur administratif. La situation est différente en 2004, mais les Canadiens demandent toujours au gouvernement de financer divers programmes sociaux. Les livres blancs sur la défense sont le résultat d’un long processus auquel participent une multitude d’intervenants. La connaissance du contexte dans lequel les gouvernements élaborent les politiques de défense permettra au public canadien de mieux comprendre pourquoi et comment les décisions sont prises. Étant donné que la politique de défense sera sans doute mise à jour sous peu, l’examen des circonstances dans lesquelles les derniers livres blancs sur la défense ont été préparés pourrait être utile au processus.

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Le colonel Fetterly est directeur des Finances et de l’Établissement des coûts (Stratégie) au quartier général de la Défense nationale, à Ottawa.

Notes

  1. Commission royale d’enquête sur l’organisation du gouvernement, Report 20: Department of National Defence, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1962, p. 61. [TCO]
  2. Ministère de la Défense nationale, Rapport du Comité spécial sur la politique de défense, Ottawa, le 30 septembre 1963, p. 23. [TCO]
  3. Herbert Fairlie Wood, Strange Battleground: the Operations in Korea and their Effects on the Defence Policy of Canada, ministère de la Défense nationale, Ottawa, 1966, p. 258. [TCO]
  4. Rapport du Comité spécial sur la politique de défense, op. cit., p. 22. [TCO]
  5. Ministère de la Défense nationale, The Canadian Defence Budget, rapport du Comité spécial sur la politique de défense, Ottawa, août 1963, p. 11. [TCO]
  6. Jon B. McLin, Canada’s Changing Defense Policy, 1957-1963: The Problem of a Middle Power in Alliance, John Hopkins Press, Baltimore, 1967, p. 213.
  7. R. J. Sutherland, « Canada’s Long Term Strategic Situation », International Journal, vol. 17, no 3, été 1962, p. 201. [TCO]
  8. Ministère de la Défense nationale, Livre blanc sur la défense, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1964, p. 5. [TCO]
  9. Rapport du Comité spécial sur la politique de défense, op. cit., p. 14. [TCO]
  10. Lawrence H. Officer et Lawrence B. Smith, « Stabilization in the Postwar Period », dans Lawrence H. Officer et Lawrence B. Smith (éd.), Canadian Economic Problems and Policies, McGraw-Hill, Toronto, 1970, p. 9.
  11. Keith Banting, The Welfare State and Canadian Federalism, 2e édition, McGill-Queen’s University Press, Kingston, 1987, p. 27. [TCO]
  12. P. E. Bryden, Planners and Politicians: Liberal Politics and Social Policy, 1957-1968, McGill-Queen’s University Press, Montréal, 1997, p. 29. [TCO]
  13. House of Commons Special Committee on Defence, Minutes of Proceedings and Evidence, No. 1, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1964, p. 11. [TCO]
  14. R. L. Raymont, Report on Integration and Unification 1964-1968, ministère de la Défense nationale, Ottawa, 1962, p. 26-27. [TCO]
  15. House of Commons Special Committee on Defence, Minutes of Proceedings and Evidence, No. 22, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1964, p. 798. [TCO]
  16. Paul Hellyer, Damn the Torpedoes: My Fight to Unify Canada’s Armed Forces, McClelland and Stewart, Toronto, 1990, p. 46. [TCO]
  17. The Canadian Defence Budget, op. cit., p. iii. [TCO]
  18. ibid., annexe 27.
  19. Lettre de R. J. Sutherland, président du Comité spécial sur la politique de défense, au ministre de la Défense nationale. Cette lettre, datée du 4 septembre 1963, accompagnait le rapport The Canadian Defence Budget d’août 1963. Dans le rapport, on précise que le montant du budget fédéral de 1963-1964 est une estimation et que le budget de la défense inclut les prévisions du ministère de la Défense, les prestations supplémentaires et une augmentation de la solde des militaires.
  20. The Canadian Defence Budget, op. cit., p. ii. [TCO]
  21. ibid., p. 5. [TCO]
  22. Rapport du Comité spécial sur la politique de défense, op. cit., p. 28. [TCO]
  23. ibid., p. 28-29.
  24. House of Commons Special Committee on Defence, Minutes of Proceedings and Evidence, No. 3, Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1964, p. 83-85.
  25. The Canadian Defence Budget, op. cit., p. 7.
  26. ibid., p. 6.