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Critiques de livres

Général Dollard Ménard, de Dieppe au Référendum

par Pierre Vennat Les Éditions Art Global, Montréal, 2004,
340 p.

Compte rendu de Béatrice Richard, Ph. D.

Des lendemains de guerre qui déchantent

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Une couverture de livreRares sont les biographies de chefs militaires canadiens-français1. Et pour cause! C’est seulement à partir de la Seconde Guerre mondiale que ceux-ci constituèrent une masse critique suffisante pour obtenir le grade de général. Ce fut le cas notamment des Bernatchez et Allard, qui gagnèrent leurs galons sur les fronts européens. Par conséquent, les officiers francophones atteignirent le plus souvent le seuil des états-majors pendant la guerre froide, une période peu propice aux faits d’armes spectaculaires, contrairement aux Currie, McNaughton ou Simonds, qui assurèrent de hauts commandements pendant les deux guerres mondiales2.

Dans sa récente biographie du général Dollard Ménard, le journaliste Pierre Vennat tente de corriger le tir. Ce faisant, l’auteur s’attaque à un personnage complexe et très controversé. Le héros du raid de Dieppe ne fit-il pas sensation en prenant position en faveur du « oui » au référendum de 1980?

Le général Ménard fut le commandant des Fusiliers Mont-Royal, l’unique unité francophone ayant pris part à l’opération Jubilee, lancée le 19 août 1942 sur le port français de Dieppe, et l’un des quelques officiers rescapés du massacre... Rappelé au Canada, il devint la figure de proue d’une propagande avide de héros de guerre à une période critique du conflit. Pendant que les alliés reculaient sur tous les fronts, cette débâcle militaire risquait d’être rapidement condamnée par une opinion publique désabusée. Néanmoins, il y avait peut-être pire : presque quatre mois auparavant, le Québec francophone avait voté massivement contre la conscription. Comme en 1917, la politique de guerre divisait les deux peuples fondateurs. Le Bureau de l’information de guerre n’avait pas d’autre option que de maquiller le désastre en assaut héroïque. Dans ce contexte, que Ménard soit canadien-français s’avérait une « aubaine ». Qui, sinon lui, pourrait raviver le patriotisme des habitants de la Belle Province? Blessé cinq fois au combat, le commandant des Fusiliers Mont-Royal devint ainsi une véritable « star » médiatique, que l’on promena aux quatre coins du Canada pour faire mousser la vente des bons de la Victoire... tout en minimisant le désastre de Dieppe.

L’ouvrage de Vennat présente, et là réside son principal intérêt, l’« avant » et l’« après » de cette campagne échevelée et inégalée dans l’histoire de la propagande de guerre au Canada. Comment devient-on un « héros de guerre »? Quels sont les « pertes et profits » d’une telle gloire? L’auteur tente de répondre à ces questions en s’appuyant sur des entrevues qu’il a eues avec Dollard Ménard de son vivant et sur le journal personnel de ce dernier. Il retrace ainsi le cheminement du futur général, depuis son entrée au Collège militaire royal du Canada jusqu’à son décès, survenu en 1997, en passant par son expérience d’officier dans l’armée des Indes, où il combattait des tribus rebelles à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan. Cet épisode en particulier permet d’entrevoir pourquoi Ménard fut l’un des élus du raid de 1942 : les opérations combinées exigeaient des hommes aguerris pour former rapidement des troupes de choc (en l’occurrence, quatre mois s’écoulèrent entre la première approbation du plan et sa réalisation).

L’« après-Dieppe » constitue sans doute l’aspect le plus poignant de l’ouvrage. Pour des raisons évidentes, on a plutôt tendance à braquer les projecteurs sur les généraux lorsqu’ils sont dans le feu de l’action. Dans le cas présent, on suit surtout Ménard dans les dédales sans gloire de la bureaucratie militaire. Vennat décrit en fait une descente aux enfers. Après Dieppe, Ménard, mal remis de ses blessures, est envoyé libérer l’île de Kiska à la tête du régiment de Hull. La mission s’avère sans éclat puisque les occupants japonais avaient déserté le terrain au moment du débarquement des troupes canadiennes. Fin de l’épopée.

La carrière subséquente de Ménard fut une longue suite de déceptions, à commencer par les séquelles de ses blessures qui le retinrent loin du front jusqu’à la fin de la guerre. Ces problèmes de santé eurent bien sûr une incidence directe sur ses promotions... qui tardèrent à venir. En filigrane, on découvre à quel point le militaire qui cesse de combattre traverse des moments difficiles. Vennat montre fort bien combien le retour à la grisaille et aux tracasseries administratives est dur pour le héros qui a vécu l’intensité du théâtre opérationnel puis a été porté aux nues par la propagande. À cela s’ajoutait la difficulté d’être un francophone dans l’armée, surtout en temps de paix. Comme d’autres officiers francophones de sa génération, Dollard ne cessait de dénoncer la discrimination à l’égard des siens. Pour sa part, il parvint tout de même à occuper un poste d’attaché militaire à Paris après la guerre, puis de chef d’état-major des Nations unies au Cachemire, en 1950-1951. Pour le reste, il mena une carrière assez terne, compliquée par l’alcoolisme et la dépression, qui, on le devine, empoisonnèrent ses relations interpersonnelles. Il retourna à la vie civile en 1965, neuf ans après avoir été promu brigadier général, mais se vit confronté à de sérieux problèmes de réintégration professionnelle.

Amer, désabusé, Dollard Ménard fit de nouveau les manchettes mais dans la controverse, notamment lorsqu’il intenta un procès en diffamation aux généraux Jean-Victor Allard et Jacques Dextraze après la campagne du référendum de 1980. Raillé par ses compagnons d’armes à cause de ses prises de position en faveur du « oui », le vieux guerrier montra les dents et obtint finalement des excuses publiques. Une autre controverse éclata à l’occasion du 50e anniversaire de Dieppe. Cette fois-ci, le héros de Jubilee s’indigna de ne pas avoir été invité aux commémorations.

Par ces anecdotes, Pierre Vennat brosse un portrait humain et touchant, quoique sans complaisance, d’un homme qui, après avoir tout donné à son pays, s’est senti abandonné. À tort ou à raison? C’est la question que se pose le lecteur à toutes les pages de cette biographie. Certes, l’auteur observe ici les règles du métier de journaliste, laissant largement la parole à son héros sans pour autant gommer ses faiblesses ou ses mesquineries. Cette approche a le mérite de laisser le lecteur exercer son jugement. Toutefois, l’historien « professionnel » ne trouvera peut-être pas son compte dans ce récit linéaire qui prend souvent la forme d’un « patchwork » d’entrevues, de coupures de presse et d’extraits de journaux personnels. Cela donne parfois de très longs passages entre guillemets dont on finit par oublier la source au fil de la lecture. Il en résulte que l’on ne sait plus trop qui s’exprime : Pierre Vennat, le général Ménard ou encore un autre auteur cité? Bref, la forme est parfois brouillonne, mais ce livre relate une bonne histoire et dépeint un personnage attachant, dont le destin fait réfléchir sur les lendemains de guerre qui déchantent.

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Béatrice Richard, titulaire d’un doctorat en histoire, enseigne au CMR, à Kingston.

notes

  1. L’exception qui confirme la règle : Jean V. Allard, Mémoires du général Jean V. Allard, avec la collaboration spéciale de Serge Bernier, Éditions de Mortagne, Boucherville, 1985, 533 p.
  2. Bernd Horn et Stephen Harris, Chefs guerriers. Perspectives concernant les militaires canadiens de haut niveau, Dundurn Press, Toronto, 2002, 412 p.

Collection de la RMC

La plage de Dieppe après le raid.