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Histoire

tableau du MCG

MCG 19710261-1626

Private Roy, par Molly Lamb Bobak

Les impressions artistiques de la guerre

par Raina-Clair Gillis

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Ce qui fait la valeur des représentations artistiques de la guerre, c’est qu’elles captent la réalité d’une manière extraordinaire. Le sujet d’une toile témoigne de ce qu’un artiste a vu ou plutôt de ce qu’il a perçu. L’artiste dépeint ce qu’il perçoit, ce qu’il imagine, ce qu’il ressent. La représentation picturale de la guerre, étant donné la sombre réalité du sujet et la prise de conscience qu’il provoque concernant l’humanité (ou le manque d’humanité), est l’une des formes d’expression artistique les plus puissantes.

L’étude de la production artistique sur la guerre au cours des siècles montre que les sujets et les artistes sont de sexe masculin : la guerre est avant tout l’affaire des hommes. Toutefois, si des femmes ont été appelées à soigner des soldats, à travailler dans les usines de munitions et, en général, à soutenir l’effort lié à la guerre livrée à l’étranger, d’autres ont été conviées, relativement tôt dans l’histoire de l’art canadien, à dépeindre la guerre, mais elles n’ont pas été envoyées dans les zones de combat. Durant la Seconde Guerre mondiale, le Canada a envoyé des femmes outre-mer pour qu’elles dépeignent la guerre.

L’arrivée des femmes

Molly Lamb Bobak et Pegi Nicol MacLeod, deux des principales artistes de guerre canadiennes de 1943 à 1946, ont été des artistes militantes, à cette époque et par la suite. Molly Lamb, dans son journal de guerre, qui s’intitule simplement W110278, d’après son numéro matricule, dépeint sous forme de croquis son expérience dans le Corps féminin de l’Armée canadienne. Ses mémoires récentes, Wild Flowers of Canada, complètent son journal et éclairent divers tableaux, notamment VJ Day Celebrations (1945), Canteen (1945) et Private Roy (1946). De même, les mémoires de Pegi MacLeod, Daffodils in Winter, explicitent ses tableaux, notamment WRCNs in Dining Room (1944) et Beauty Parlor (1944). Bien entendu, il faut étudier l’œuvre de ces artistes dans le contexte de la scène artistique canadienne des années 1940, car elle s’inscrit dans le programme d’un groupe assez restreint d’artistes de sexe masculin et de politiciens qui ont fraternisé et façonné l’art « officiel » du pays.

Au début des années 1940, le Canada a manifesté un regain d’intérêt pour les arts grâce à un artiste de Kingston, André Biéler, qui enseignait les beaux-arts à l’université Queen’s et voulait cultiver et promouvoir à l’échelle nationale et internationale l’œuvre des artistes canadiens de l’époque1. Le congrès qu’il a organisé à Kingston en 1941 était le premier du genre au Canada2; 150 artistes, critiques d’art et professeurs de beaux-arts venus du pays tout entier se sont réunis pour parler de l’art canadien et de son avenir3. Le congrès a surtout porté sur le rôle et la fonction de l’art et de la démocratie et, plus précisément, sur le mécénat du gouvernement4. Les participants ont jugé qu’il fallait créer un comité permanent, qui sera connu sous le nom de Fédération canadienne, pour les artistes dont l’œuvre ne répondait pas au goût des mécènes, qui formaient une aristocratie assez soudée. À ce comité, présidé par André Biéler, ont siégé des artistes connus, dont A. Y. Jackson et Arthur Lismer. Le programme de la Fédération était le précurseur du « rapport culturel » canadien. La Fédération demandait notamment que l’on effectue des recherches « sur la culture du Canada, sur le rapport entre l’art et l’opinion publique ainsi que sur le statut économique de l’artiste5 ».

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WRCNs in Dining Room, par Pegi Nicol MacLeod

La naissance de la Fédération marque un tournant important dans le système de parrainage. À l’époque, le gouvernement ne parrainait que certains artistes. La Fédération permettait à des artistes auparavant marginalisés de s’exprimer et de faire connaître leurs œuvres. Dans une lettre adressée à Biéler en juillet 1941, Pegi MacLeod, qui s’était invitée au congrès, aborde le nouveau type de parrainage : « André, quand je dors, je ressasse encore les idées discutées durant le congrès et j’espère que c’est le cas pour tout le monde. Ce congrès a été un bel exercice de démocratie. Bravo! [...] Quelqu’un a dit que la [Fédération canadienne] avait besoin d’une transfusion sanguine. Je suis d’accord avec ça6. » La création de la Fédération annonçait une ère nouvelle pour l’art canadien.

Pegi MacLeod a noté que la possibilité d’un programme d’art militaire ouvert était la manifestation tangible de l’évolution du parrainage : « Je crois en une collection d’œuvres commémoratives de la guerre. [...] Si des artistes ont envie de prendre la guerre pour sujet, pourquoi pas? [...] J’ai sans doute l’esprit trop démocratique, mais je ne vois aucun avenir pour une aristocratie de peintres7. » Ces remarques montrent que Pegi MacLeod sait qu’elle n’a pas le profil que l’on attend d’un artiste national. Les observations qu’elle fait à Biéler concernent tout autant la problématique homme-femme de l’époque que la position sociale. Dans son monde, l’« aristocratie des peintres » ne comprendrait certainement que des hommes. Néanmoins, il ne faut pas oublier ou juger moins convaincantes les entreprises d’hommes influents, tels que Vincent Massey, qui a catalysé l’évolution des arts et de la culture au Canada8.

Des mécènes influents

Le très honorable Vincent Massey a été l’un des gouverneurs généraux les plus progressistes, mais, avec le temps, son rôle et son influence sur le début de la création artistique au Canada lui ont valu sa réputation. Son nom est associé au rapport Massey mais aussi à la mise sur pied du programme de parrainage d’art militaire. Massey a été l’un des principaux mécènes des artistes de la Première Guerre mondiale, tels que David Milne, et des membres du Groupe des Sept comme Lawren Harris et A. Y. Jackson9. En qualité de haut-commissaire du Canada au Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale, il a eu l’occasion de nouer des liens avec le conservateur de la British National Gallery, Kenneth Clark10. Les initiatives de la British National Gallery et le succès du programme d’art militaire qu’elle a créé durant la première année des bombardements allemands ont incité Massey à faire pression sur le gouvernement canadien pour qu’il monte un programme similaire. Le rôle actif de Massey en tant que président du conseil d’administration de la British National Gallery, de 1943 à 1946, ses liens politiques avec le Canada, ses rapports étroits avec le premier ministre Mackenzie King et ses relations avec de célèbres artistes canadiens et avec les directeurs de la Galerie nationale du Canada lui donnaient suffisamment de « poids », socialement et politiquement parlant, pour qu’il défende la cause des artistes canadiens dépeignant la guerre.

Eric Brown et H. O. McCurry, alors directeurs de la Galerie nationale du Canada, ont soutenu Massey et sont devenus des personnes-ressources clés pour les artistes qui se sont enrôlés dans les forces armées. Lors d’une entrevue réalisée en 2000, Molly Lamb évoque les efforts qu’elle a faits pour attirer l’attention de McCurry dans l’espoir de devenir peintre de guerre : « Je faisais du stop jusqu’à Ottawa, je me rendais à la Galerie nationale et là, je me mettais pratiquement à genoux devant M. McCurry, le suppliant de faire de moi une peintre de guerre11. » Une autre artiste, Patricia MacLeod, entretenait avec Brown et McCurry des liens étroits dont font état des lettres datant de 1934. Au début, elle parle surtout de l’Observatory Art Centre, qu’elle fondera à Fredericton en 1940, mais, par la suite, elle donne son point de vue sur la production et les expositions d’autres artistes. Le 17 février 1942, elle fait succinctement part à McCurry de ses réactions à l’exposition itinérante, Art of the Auxiliary Fire-Fighters of London, parrainée par le Metropolitan Museum of Art de New York : « [L’]exposition était très bien. [...] Vive l’art militaire12! »

Avant que Mackenzie King et ses ministres n’approuvent, en 1942, le programme d’art de la guerre, la section historique du quartier général de la Défense nationale a reçu des centaines de lettres de personnes demandant à devenir peintres de guerre officiels13. Les rapports que Molly Lamb et Pegi MacLeod entretenaient avec Biéler, Massey, Brown et McCurry ont sans doute aidé les deux femmes à être « officiellement » chargées de dépeindre les Canadiens qui faisaient la guerre.

Molly Lamb Bobak et Pegi Nicol MacLeod

Les mémoires de Molly Lamb montrent l’importance de ses relations avec A. Y. Jackson, qu’elle appelait souvent affectueusement « oncle Alex » : « Une fois installée dans les casernes du Service féminin de l’Armée canadienne, à l’angle de la rue St. Clair et de l’avenue Road, j’ai écrit à A. Y. Jackson pour lui demander si je pouvais lui rendre visite dans son studio et lui montrer mon journal de guerre illustré [...]. [N]ous nous sommes pris d’affection dès cette première rencontre14. » À titre de conseiller du comité de l’art commémoratif de la guerre, A. Y. Jackson recommandait des artistes manifestement aptes à capter et à rendre sur une toile l’essence canadienne15. Il écrit dans une lettre adressée à McCurry que les dessins de Molly Lamb sont « d’une très grande qualité [...]. Je ne connais aucune autre artiste au Canada qui puisse faire ce qu’elle fait dans ce genre de conditions. Elle pourrait se rendre à divers endroits si seulement on lui en donnait la moindre chance16 ». Molly Lamb pense qu’il est sans doute intervenu en sa faveur : « Je tenais à être peintre de guerre [...], lorsque je le suis devenue. Je suis sûre que Jackson a eu quelque chose à voir là-dedans17. » Dans un dessin figurant dans W110278, l’artiste offre un bouquet de fleurs à Jackson, qui, d’après la légende, lui remet en retour une « lettre de recommandation adressée à Vincent Massey18 ».

Le journal de Molly Lamb est remarquable, et la qualité des illustrations est exceptionnelle. Les croquis représentent des êtres saisissants, dont la personnalité est palpable. L’artiste dépeint des scènes d’un réalisme absolu, auxquelles de petits détails donnent un caractère particulier. Plusieurs œuvres dépeignent des voyages, ce qui n’est pas surprenant, car l’artiste a traversé plus d’une fois le continent en service commandé et elle aimait parcourir le pays quand elle était en vacances. Elle a quitté la Colombie-Britannique pour participer à un camp d’instruction à Vermilion, en Alberta, puis elle a été affectée au Collège MacDonald, à Montréal. À Toronto, elle a suivi brièvement des cours de dessin et a été chargée de peindre des scènes à l’exposition de l’Armée. Elle a été à l’école des métiers à Hamilton et a reçu à Kitchener une formation sur l’art commémoratif de la guerre. Lorsqu’elle était en congé, elle notait les aventures qu’elle avait vécues en faisant du stop (ce qui était inhabituel à l’époque et pour une femme) pour se rendre à Ottawa, Niagara Falls ou New York.

Une circulaire du Service féminin de l’Armée canadienne, parue en juin 1945, témoigne de l’exactitude avec laquelle Molly Lamb rapporte l’expérience collective de ce service : « Une fois la guerre reléguée à l’histoire et les carrières militaires devenues choses du passé, l’album du lieutenant Lamb devrait être mis à la disposition de tous les membres du Service [...] pour qu’elles puissent revivre dans ces pages [...]. C’est l’histoire que nous avons toutes vécue, racontée par l’une d’entre nous19. »

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Beauty Parlor N o 1, par Pegi Nicol MacLeod

La vie de caserne, d’après Molly Lamb, tournait autour des exercices répétitifs d’artillerie, de l’uniforme et de la mode, des aliments et de leur préparation, des tours joués durant les heures creuses et des congés. Un certain nombre d’entrées portent sur des réalisations de l’artiste, par exemple, sur sa première publication dans la revue New World, le 30 août 194320. Dans un article daté de mars 1944, « Triumph Issue », l’artiste se dit heureuse d’avoir gagné le concours d’art militaire organisé par la Galerie nationale. L’expérience palpitante que représentait le fait d’être convoquée à Ottawa pour recevoir un prix en présence de la princesse Alice a grandement encouragé et inspiré le travail de cette artiste de 23 ans. Elle consacre une page entière de son journal à cet honneur21. Il est intéressant de noter que, plus tard, elle a souligné l’aspect politique de la cérémonie et a fait allusion à la chance qu’elle avait eue de connaître des personnes influentes. Dans Wild Flowers of Canada, on apprend que les juges avaient d’abord rejeté son travail22.

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VJ Day Celebrations, par Molly Lamb Bobak

Molly Lamb a dûment noté dans son journal son grade et les marques de reconnaissance ou les promotions qu’elle a obtenues durant son service, car c’étaient des moyens d’atteindre son objectif ultime : devenir peintre de guerre. Le 24 décembre 1942, elle écrit : « [i]ls m’ont donné un manteau orné d’un galon sur la manche. Je me suis aussitôt sentie supérieure et j’ai trouvé que mes dessins étaient réussis23. » Trente mois s’écouleraient jusqu’à l’annonce du 24 mai 1945 : « L’annonce a été officielle ce matin. Après deux ans et demi d’espoir, le sous-lieutenant (incroyable mais vrai) [...] (caporal suppléant et, avant cela, caporal suppléant rétrogradé) Lamb a appris [...] qu’elle partait outre-mer d’ici trois ou quatre semaines24! » Molly Lamb était ravie et espérait vivre de grandes aventures en Europe. Son affectation tombait à point nommé. À ce moment-là, le programme d’art de la guerre avait été officiellement créé.

Les directives du comité de l’art commémoratif de la guerre guidaient depuis toujours la représentation artistique de la guerre25. Les artistes étaient censés suivre ces instructions tout en adoptant un style personnel. Les historiens de l’art ont classé les peintres de guerre canadiens dans deux catégories : les réalistes et les impressionnistes. Chaque école avait ses partisans. D’après Kristy Robertson, la spécialiste en la matière, Mackenzie King, le colonel A. Fortescue Duguid et l’ensemble des Canadiens appuyaient les artistes dont l’objectif principal était une extrême fidélité26. McCurry et Massey appuyaient ceux qui cherchaient à transmettre des sentiments et des émotions. D’après McCurry, « les œuvres ultraréalistes étaient trop horribles pour être traduites en mots27. » Ailleurs, il note que, si la Galerie nationale n’avait pas sélectionné de « meilleurs » artistes, sa réputation serait « ternie pour les générations futures28 ». Comme le financement du programme était en jeu, on a soutenu que les peintres de guerre avaient tendance à satisfaire les goûts du principal mécène, le gouvernement, que dirigeait Mackenzie King. Le point de vue de McCurry et de Massey a pourtant assuré la crédibilité d’artistes dont le style aurait pu être jugé « trop désinvolte et insuffisamment recherché29 ». A. Y. Jackson a admis avoir adopté une technique impressionniste dans les tableaux qu’il a peints durant la Première Guerre mondiale30. Étant donné ses rapports avec Molly Lamb, il n’est pas surprenant que le style de cette artiste soit représentatif de l’impressionnisme.

Molly Lamb et Pegi MacLeod semblent s’être inspirées du style postimpressionniste des « anciens », notamment des maîtres de la peinture à l’huile du XIXe siècle que sont Paul Cézanne et Paul Gauguin31. Ainsi, dans le tableau de Molly Lamb, VJ Day Celebrations, la forme est totalement au service du sens. On sent la grande excitation et le grand soulagement de la foule dans le rythme intense des petits coups de pinceau. Les personnages dont on voit le visage n’ont pas d’identité, car leurs traits ne sont pas détaillés. Beauty Parlor, de Pegi Nicol MacLeod, vise le même but que VJ Day Celebrations. Le tableau insiste ouvertement sur les « obligations » de l’officier de sexe féminin en temps de guerre, bien qu’il représente une femme sous un séchoir à cheveux. Celle-ci continue à faire du travail de secrétariat tout en soignant son apparence. Les œuvres de ce genre, qui sont « dépersonnalisées », sont propres à la collection de la Seconde Guerre mondiale32. De même, le tableau de Pegi MacLeod représentant des femmes en uniforme évoque « un aspect négligé par les artistes officiels du programme d’art de la guerre33 ». Le débat sur la façon acceptable de représenter les combattants canadiens date de la Première Guerre mondiale. Le critique d’art Hector Charlesworth aurait dit, par exemple, après une exposition d’art militaire : « Qui peut dire si les tableaux dont l’horreur nous semble gratuite ne feront pas mieux ressentir aux générations futures ce que les Canadiens ont enduré durant la Grande Guerre que certaines œuvres dont la noblesse de traitement est manifeste34? » Dans un article que Pegi MacLeod a publié quand elle travaillait encore à la Galerie nationale, l’artiste reprend l’argument de Charlesworth. Les œuvres dépeignant la guerre ont été créées pour les générations futures et il faut représenter les deux sexes35.

Private Roy, de Molly Lamb, est une œuvre d’art inusitée, surtout en raison de son sujet, une jeune noire. C’est le portrait d’une personne que l’artiste a rencontrée. Les nombreux portraits de jeunes tahitiennes peints par Gauguin ont peut-être amené l’artiste à considérer que la représentation de ce soldat transcendait son sujet; ou peut-être l’artiste était-elle simplement consciente de la réalité multiculturelle du Canada. Une entrée de son journal datée de mars 1943 s’ouvre sur ces mots : « Le voyage de retour [en Colombie-Britannique] d’un groupe de Canadiens français, de Noirs, de Chinois [...] et de femmes de l’armée canadienne se transforme en fête [...]. Ici, W110278 donne un nouvel aperçu de la fraternité des êtres humains36. » La vaste majorité des tableaux de guerre canadiens ne représentent pas des membres d’une minorité visible jouant un rôle actif dans la guerre. Private Roy capte deux éléments importants de la nouvelle culture du pays : le rôle des femmes dans la guerre et l’origine ethnique des Canadiens prenant part à la guerre.

Les œuvres du Groupe des Sept ont récemment fait l’objet d’études portant sur la représentation inadéquate des membres des minorités visibles. Il est difficile d’évaluer l’effet de ces œuvres sur la conscience collective. Néanmoins, cette absence de représentation est révélatrice; l’exclusion raciale et la discrimination se remarquent même dans l’art du pays. Dans une lettre adressée à une amie, Pegi MacLeod exprime sa frustration devant la partialité de la représentation de la guerre, au moins jusqu’en 1945, année où Molly Lamb est partie en Europe en tant qu’artiste de guerre : « Je trouve les peintres de guerre du Canada très décevants; j’aimerais avoir la chance de jouer ce rôle37! »

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Salmon in the Galley, par Pegi Nicol MacLeod

Les tableaux Salmon in the Galley et WRCNs in Dining Room illustrent la conception artistique de Pegi MacLeod : « Ma peinture, quel qu’en soit le sujet, est au mieux la quête d’une beauté essentielle dans la réalité, quand on ne trouve rien de tel dans un musée38. » Salmon in the Galley et WRCNs in Dining Room sont des tableaux impressionnistes d’un art consommé, où l’utilisation spectaculaire de la couleur détermine la forme. Ces œuvres importantes ont pourtant un sujet prosaïque : l’alimentation. Salmon in the Galley montre quatre femmes préparant du poisson sur une grande cuisinière. Ces femmes portent une toque et un tablier. Elles semblent satisfaites de leur travail, diligentes et prévenantes. Si l’on peut supposer qu’elles préparent le repas des membres du Service féminin de la Marine royale du Canada, rien n’indique leur grade. WRCNs in Dining Room montre une mer de têtes penchées sur de longues tables qui s’étirent de la base au sommet de la toile. Toutes les femmes sont en train de manger, hormis celles qui sont à l’avant-plan : l’une lit un livre; les quatre autres, présentées de profil ou de trois quarts, regardent dans diverses directions, apparemment sans s’intéresser à ce qui se passe dans la salle à manger. À la différence de Salmon in the Galley, les cinq femmes à l’avant-plan ont manifestement un grade, comme l’indique leur coiffure; mais, malgré leur dimension et leur aspect intime, ces cinq portraits ne sont pas personnalisés, comme dans Beauty Parlor. Les couleurs artificielles de ces visages s’inscrivent dans la tradition des Fauves, qui choisissaient des couleurs symboliques pour exprimer les sentiments et les émotions de leurs sujets. La femme du coin inférieur droit est peut-être quelqu’un que Pegi MacLeod connaissait, et l’artiste a peut-être voulu traduire l’émotion intense de cette personne en peignant son visage en rouge.

Étant donné les techniques impressionnistes qu’utilisent Molly Lamb et Pegi MacLeod, les sentiments et les émotions que reflètent leurs toiles sont remarquables. Elles ne peignent pas de scènes sanglantes, sans doute parce qu’elles n’ont jamais mis les pieds sur un champ de bataille actif, mais elles expriment des émotions et des sentiments en se basant sur leur expérience et sur leur conception de la vie.

Conclusion

Les œuvres d’art réalisées par des femmes durant la Seconde Guerre mondiale sont remarquables. Molly Lamb et Pegi MacLeod ont ouvert la voie à un mouvement artistique progressiste qui a fleuri au Canada dans les années 1960. Elles étaient poussées par leur ambition de devenir peintres de guerre dans un milieu dominé par les hommes. En peignant des sujets nouveaux sous l’angle du sexe et de l’origine ethnique, elles ont aidé à élaborer un nouveau langage artistique canadien. Bien que de récentes études prétendent que la peinture canadienne a été façonnée par une classe hégémonique, Molly Lamb et Pegi MacLeod ont bouleversé les choses. La grande valeur de leurs œuvres tient au fait qu’elles présentent un visage différent de la guerre en faisant entrevoir le quotidien et les activités paisibles qui se déroulent derrière les scènes d’horreur et les souffrances du front.

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Raina-Clair Gillis a récemment obtenu un baccalauréat ès arts avec spécialisation en histoire et en histoire de l’art, à l’université Queen’s de Kingston, en Ontario. Mme Gillis, qui se destine à l’enseignement, a aussi obtenu cette année un baccalauréat en éducation.

Notes

  1. Jeffrey Brison, Cultural Interventions: American Corporate Philanthropy and the Construction of the Arts and Letters in Canada, 1900-1957, Queen’s University Press, Kingston, 1998, p. 231.
  2. Paul Litt, The Muses, the Masses and the Massey Commission, University of Toronto Press, Toronto, 1992, p. 22.
  3. Ellen Poole, Sixty Years Later, [en ligne]. www.artists.ca/FCA-7cm.html (le 5 avril 2004).
  4. Maria Tippett, Making Culture: English-Canadian Institutions and the Arts Before the Massey Commission, University of Toronto Press, Toronto, 1990, p. 164. [TCO]
  5. ibid., p. 166. La Fédération demandait aussi « d’unir tous les artistes canadiens, les personnes œuvrant dans le domaine artistique et les amateurs d’art pour qu’ils se soutiennent et fassent valoir des objectifs communs, dont le principal est de faire des arts un facteur créatif dans la vie nationale du Canada et de l’artiste une partie intégrante de la société ». [TCO]
  6. Pegi Nicol MacLeod, Daffodils in Winter: the Life and Letters of Pegi Nicol MacLeod, 1904-1949, Joan Murray (dir.), Penumbra Press, Moonbeam, 1984, p. 161-162. [TCO]
  7. ibid., p. 162.
  8. Pegi MacLeod a habité chez les Massey en 1936 et a donné à Hart Massey des cours particuliers de peinture. Apparemment, les Massey donnaient des dîners très animés auxquels assistaient notamment Will Ogilvie, qui est devenu un artiste de la Seconde Guerre mondiale, et nul autre que Mackenzie King. ibid., p. 33.
  9. Dean Frederick Oliver et Laura Brandon, Canvas of War: Painting the Canadian Experience, 1914 to 1945, Douglas & McIntyre, Vancouver, 2000, p. 156-157.
  10. ibid.
  11. Canvas of War: the Art of World War II, Michael Ostroff, vidéocassette distribuée par la Sound Venture Productions et le Musée canadien de la guerre, Ottawa, 2000.
  12. MacLeod, op. cit., p. 178. [TCO]
  13. Oliver et Brandon, op. cit., p. 158.
  14. Molly Lamb Bobak, Wild Flowers of Canada: Impressions and Sketches of a Field Artist, Pagurian Press, Toronto, 1978, p. 44.
  15. Oliver et Brandon, op. cit., p. 159.
  16. Molly Lamb Bobak, Double Duty: Sketches and Diaries of Molly Lamb Bobak, Canadian War Artist, Carolyn Gossage (dir.), Dundurn Press, Toronto, 1992, p. 63.
  17. Bobak (1978), op. cit., p. 44. [TCO]
  18. Bobak (1992), op. cit., p. 132. [TCO]
  19. ibid., p. 10.
  20. ibid., p. 80.
  21. ibid., p. 98.
  22. Bobak (1978), op. cit., p. 56.
  23. Bobak (1992), op. cit., p. 38. [TCO]
  24. ibid., p. 130. [TCO]
  25. « Vous avez pour tâche de dépeindre et d’interpréter de façon vivante et véridique, d’après votre sens artistique : 1) l’esprit et le caractère, l’apparence et l’attitude des hommes, individuellement ou en groupe, du service auquel vous êtes attachés; 2) les instruments et les machines qu’ils utilisent; 3) l’environnement dans lequel ils travaillent. L’objectif est que vos productions soient dignes des plus hautes traditions culturelles du Canada, qu’elles rendent justice à l’histoire et qu’elles méritent en tant qu’œuvres d’art d’être exposées n’importe où et n’importe quand. » Oliver et Brandon, op. cit., p. 158. [TCO]
  26. Kristy M. Robertson, We Stand on Guard for Thee: Protecting Myths of Nation in Canvas of War, Kingston, 2001, p. 61.
  27. Cité dans ibid., p. 60.
  28. Cité dans ibid., p. 60
  29. Cité dans ibid., p. 61.
  30. Oliver et Brandon, op. cit., p. 131.
  31. MacLeod, op. cit., p. 186.
  32. Robertson, op. cit., p. 37.
  33. Pegi Nicol MacLeod, « Recording the Woman’s Services », Canadian Art 2, décembre 1944, p. 51.
  34. Robertson, op. cit., p. 50.
  35. ibid., p. 48.
  36. Bobak (1992), op. cit., p. 60.
  37. Bobak (1978), op. cit., p. 211.
  38. MacLeod (1984), op. cit., p. 186.