AvertissementCette information est archivée à des fins de consultation ou de recherche.

Information archivée dans le Web

Information identifiée comme étant archivée dans le Web à des fins de consultation, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’a pas été modifiée ni mise à jour depuis la date de son archivage. Les pages Web qui sont archivées dans le Web ne sont pas assujetties aux normes applicables au Web du gouvernement du Canada. Conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada, vous pouvez la demander sous d’autres formes. Ses coordonnées figurent à la page « Contactez-nous »

Le Grand Nord

Une carte

collection de la RMC

La zone de responsabilité du Secteur du Nord des Forces canadiennes.

« Le grand jeu dans le Grand Nord » : remise en question de la souveraineté du Canada dans l’Arctique

par le capitaine de corvette Guy Killaby

Imprimer PDF

Pour plus d'information sur comment accéder ce fichier, veuillez consulter notre page d'aide.

Introduction et contexte

Comme le gouvernement canadien le fait parfois, il a manifesté ostensiblement son attachement à la souveraineté dans l’Arctique en 2005. En juillet, deux visites des forces canadiennes dans l’île Hans ont déclenché un incident diplomatique. L’île Hans est un tas de cailloux s’étendant sur un peu plus d’un kilomètre carré, à califourchon sur la médiane séparant le Groenland et l’île d’Ellesmere, dans le détroit de Nares. L’exercice Frozen Beaver était manifestement une réaction aux visites que la marine danoise fait tous les ans depuis 2002. Après avoir mis une plaque et remplacé le drapeau danois par le drapeau canadien, les Rangers et les membres de la mission ont construit un inukshuk, un marqueur en pierres qu’utilisent les Inuit.

Le ministre de la Défense, l’honorable Bill Graham, qui était présent lors de la seconde visite, a déclaré qu’il faisait simplement la tournée des installations canadiennes dans le Grand Nord. De son côté, le gouvernement danois a revendiqué l’île et a rapidement adressé une note de protestation à l’ambassadeur du Canada à Copenhague. Cependant, à la mi-août, le risque d’autres inspections, qui auraient entraîné une escalade de l’affaire, était écarté, et les deux gouvernements étaient prêts à poursuivre les négociations afin de régler la question de la propriété de l’île.

À première vue, ces négociations portent uniquement sur la propriété de l’île Hans, possession sans importance en soi, et des 1 000 mètres d’eaux qui l’entourent. L’accord conclu en 1973 entre le Canada et le Danemark sur la délimitation du plateau continental entre les îles canadiennes de l’Arctique de l’Est et le Groenland laissait cette question en suspens1. Cependant, 30 ans plus tard, en raison des changements tectoniques survenus dans le contexte économique et stratégique, la petite île a acquis une plus grande valeur sur les plans symbolique et juridique.

Le Danemark, qui a la responsabilité de la défense du Groenland et de sa zone économique exclusive, aurait beaucoup à gagner à exploiter les ressources naturelles de la région. Si l’or, les diamants et l’eau des icebergs présentent un intérêt certain, le Danemark s’intéresse encore plus aux réserves de pétrole et de gaz du plateau continental du Groenland2. Le Service géologique du Danemark et du Groenland, financé par le ministère danois de l’Environnement, a mené beaucoup de recherches sur la dorsale Lomonosov, une chaîne de montagnes sous-marine longue de 1 450 kilomètres, dans l’intention présumée de prouver qu’il s’agit d’une extension géologique de la masse continentale du Groenland. Comme l’a noté le New York Times, les Danois pensent que, en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, une telle preuve pourrait étayer leur revendication sur une vaste région du Grand Nord, comprenant le pôle Nord3.

Le droit de la mer n’aide pas seulement à délimiter les frontières maritimes, il exerce aussi une influence importante sur les opérations navales. De même que le paragraphe 2(4) et l’article 51 de la Charte des Nations Unies limitent l’usage de la force, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer contient de nombreuses dispositions (sur les détroits internationaux, le passage archipélagique, le passage en transit, etc.) restreignant les opérations navales. Les flottes militaires d’États côtiers comme le Canada savent par expérience que l’effet de ces restrictions peut se faire sentir très loin du littoral.

L’incidence du droit sur les opérations navales canadiennes dans l’Arctique continuera d’être considérable. Le Canada a longtemps fondé ses droits sur les îles de l’Arctique en invoquant ses droits historiques, qui lui ont permis de baser ses revendications successivement sur la théorie des secteurs, les eaux historiques et, plus récemment, les lignes de base droites, conformément à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Ainsi, la prétention à l’île Hans repose sur « l’usage non contesté » de l’île par le passé et sur le fait que cette île devait être intégrée à l’archipel que les Britanniques ont cédé au Canada en 18674.

Si les Canadiens sont habitués depuis longtemps aux querelles qui les opposent aux États-Unis lorsqu’il est question du droit de propriété sur les territoires et les eaux du Nord, la souveraineté dans l’Arctique pourrait poser des problèmes bien plus graves que les légers différends causés par l’entrée Dixon sur la côte du Pacifique et la délimitation du plateau continental dans la mer de Beaufort. Le Grand Nord, y compris la région que le Canada a toujours considérée comme lui appartenant, est rapidement en train de devenir un enjeu mondial important, et nous ne pourrons bientôt plus nous offrir le luxe de nous chamailler avec nos voisins. Les éternels concurrents du Canada dans l’Arctique, la Russie, le Danemark, la Norvège et les États-Unis, n’ont jamais laissé leurs litiges « sortir » de la région. Néanmoins, compte tenu de deux nouveaux facteurs, l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer en 1994 et le besoin en ressources énergétiques de nouvelles et lointaines puissances économiques et militaires, le Canada aura d’autres rivaux.

La conjugaison de ces deux facteurs a amené les analystes à penser que les puissances mondiales vont bientôt manœuvrer pour avoir accès à l’Arctique et influer sur cette région. Un analyste de l’énergie, Christopher Weafer, a déclaré dans le New York Times que l’accroissement de l’activité dans la région est devenu « le grand jeu dans le Grand Nord5 ». Que cet emprunt à Kipling soit justifié ou non, il y a apparemment lieu de penser que les revendications historiques du Canada dans l’Arctique poseront de nouveaux problèmes. En outre, les nouveaux concurrents du Canada seront mus par des besoins stratégiques et seront soutenus par un régime juridique international qui pourrait ne pas être totalement favorable aux revendications du Canada.

Un insigne

Le statut juridique de l’Arctique nord-américain

L’une des choses les plus difficiles à comprendre lorsqu’il est question du Grand Nord, c’est son éloignement, son immensité et son caractère inhospitalier. Malgré des désaccords sur de petits détails, il est généralement admis que la partie de l’océan s’étendant dans le cercle polaire arctique (66º 33’ 40”) constitue l’océan Arctique6, qui comprend les mers de Norvège, de Barents, de Beaufort, de Tchoukotka, de Sibérie orientale, de Laptev, du Groenland et de Kara, la baie de Baffin et les eaux des îles canadiennes de l’Arctique. L’océan Arctique couvre une superficie d’environ 14 millions de kilomètres carrés, dont environ 5,2 millions sont couverts de glace pendant l’été et 11,7 millions, pendant l’hiver. L’épaisseur moyenne de la banquise (glace qui n’a pas fondu pendant au moins deux ans et qui n’est pas rattachée à la terre) est de trois mètres à trois mètres et demi. Le plateau continental autour du bassin océanique occupe un peu plus de la moitié de la zone océanique; cette proportion est bien plus élevée que pour n’importe quel autre océan.

L’archipel Arctique, le plus grand groupe d’îles du monde, couvre une superficie de 1,3 million de kilomètres carrés. Les trois principales îles sont la terre de Baffin, l’île de Victoria et l’île d’Ellesmere. Les îles plus petites, comme le plateau continental adjacent, sont presque toutes formées de roches sédimentaires qui renferment d’importants gisements de pétrole et de gaz7.

Selon les estimations, l’Arctique renferme entre 100 et 200 milliards de barils de pétrole extractible et environ 2 000 trillions de pieds cubes (56,6 trillions de mètres cubes) de gaz naturel8. Environ 50 milliards de barils de ce pétrole pourraient se trouver dans l’Arctique nord-américain. On estime qu’entre 4 et 12 milliards de barils de pétrole et entre 13 et 63 trillions de pieds cubes de gaz (entre 0,37 et 1,78 trillion de mètres cubes) sont exploitables commercialement dans la mer de Beaufort9 et que les réserves de pétrole dans le delta du Mackenzie et sous la mer de Beaufort représentent plus de 10 % des réserves totales du Canada10.

La localisation du pétrole et du gaz et l’acheminement de ces ressources jusqu’aux marchés coûteront cher, mais ne posent pas de problèmes technologiques insurmontables. Bien que le site de Mukluk demeure le puits sec le plus coûteux de l’histoire, l’exploitation des gisements de pétrole et de gaz de l’Arctique intéresse de plus en plus les investisseurs.

Cet intérêt grandissant est aussi dû au fait que de plus en plus de scientifiques soutiennent que le changement climatique fait fondre les glaces à une vitesse supérieure à ce que l’on avait prévu. Alors que, dans les années 1990, la communauté scientifique estimait que la glace perdait environ 3 % de son volume tous les 10 ans, des études récentes indiquent qu’elle en perd plus de 10 %11. Bien que le lien entre la vitesse de la fonte des glaces et l’augmentation de la navigation libre soit sujet à controverse12, il est prouvé qu’il y a un accroissement de l’intérêt commercial. Ainsi, ces dernières années, des entreprises ont profité des plus longues saisons libres de glace pour fréquenter davantage le port de Churchill, dans la baie d’Hudson.

L’exercice de la souveraineté sur les parties que le Canada revendique a posé des problèmes aux gouvernements canadiens. L’attrait de l’Arctique a toujours fait partie de la mythologie nationale, mais n’a pas suscité un intérêt suffisamment profond ou impérieux pour donner lieu à une stratégie à long terme ou à un investissement important. Au lieu d’agir, ou même de préparer un plan utile, les Canadiens ont préféré admirer l’Arctique de loin, dans les œuvres littéraires ou cinématographiques. Comme le remarque le juriste Douglas M. Johnston, « l’éloignement et l’immensité de ces territoires nous ont légué un malaise politique, juridique et militaire13. » On retrace une partie de ce malaise dans l’histoire des revendications du Canada dans l’Arctique.

Des soldats

Photo du MDN 2005-0114-42a prise par le caporal David McCord, centre d’imagerie interarmées des Forces canadiennes

Le 13 juillet 2005, le caporal Manasie Kaunak (à gauche), le sergent Jeffery Qaunaq (au centre) et le Ranger Jimmy Nungqaq (à droite), appartenant tous trois au 1er Groupe de patrouilles des Rangers canadiens, à Grise Fiord, passent derrière un inukshukqu’ils viennent d’ériger sur l’île Hans. Au second plan, le mât danois et le drapeau canadien.

La région arctique de l’Amérique du Nord est devenue propriété britannique en 1763 grâce au traité de Paris, selon lequel la France cédait à la Grande-Bretagne toutes ses possessions en Amérique du Nord, à l’exception des petites îles de Saint-Pierre-et-Miquelon au large de la côte atlantique. Par la suite, le nouveau Dominion du Canada a revendiqué les territoires et les eaux de l’Arctique en invoquant deux transferts de propriété du gouvernement britannique. Toutefois, l’incertitude créée par ces décrets datant de 1870 et de 1880 a incité le gouvernement canadien à délimiter les frontières de son district le plus septentrional, en 1897 :

« Le district de Franklin (situé dans la partie grise de la carte ci-jointe) comprend : les péninsules de Melville et de Boothia; les îles de Baffin, d’Ellesmere, de North Somerset; les îles North Devon, Grant, Prince-de-Galles, Victoria, Wollaston, Prince-Albert et Banks; ainsi que les îles Parry et toutes les terres et îles comprises entre le 141e méridien de Greenwich de longitude Ouest à l’ouest et le détroit de Davis, la baie de Baffin, le détroit de Smith, le passage Kennedy et le détroit de Robeson à l’est, qui ne font pas partie d’un autre district provisoire14. »

Au siècle suivant, le Canada revendiquera la souveraineté sur le territoire arctique, le plateau continental et les eaux adjacentes sur trois bases juridiques : la théorie des secteurs, les eaux historiques et les lignes de base droites. Les principes sous-tendant ces approches sont distincts, mais, pour les faire valoir, on doit d’abord prouver que le Canada a des « droits historiques » sur l’archipel et les eaux adjacentes. Ceux qui, depuis presque un siècle, tentent d’établir ces droits de manière irréfutable n’ont jamais eu la tâche facile.

Aurore boréale

Photo de Jan Curtis. www.geo.mtu.edu

La délimitation des frontières dans l’Arctique : la théorie des secteurs, les eaux historiques et les lignes de base droites

En 1907, Pascal Poirier a déposé une résolution devant le Sénat afin que le Canada reconnaisse officiellement la possession des terres et des îles s’étendant jusqu’au pôle Nord. Les historiens s’accordent pour dire que c’était la première fois qu’un représentant public mentionnait que le Canada revendiquerait un secteur de l’Arctique. Poirier a déclaré que le Canada pouvait désormais revendiquer « toutes les terres qui se trouvent dans les eaux situées entre une ligne s’étendant depuis l’extrémité est du Nord et une ligne s’étendant depuis l’extrémité ouest du Nord15 ».

Le Canada s’est appuyé plus ou moins fortement sur la théorie des secteurs jusque dans les années 1980. La plus haute autorité qu’il a invoquée à l’appui de cette théorie est le droit international coutumier. Selon l’alinéa 38(1)(b) du Statut de la Cour internationale de Justice, cette dernière applique « la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant le droit ». Comme l’indique le jugement rendu dans les affaires concernant le plateau continental de la mer du Nord, deux conditions sont nécessaires pour prouver l’existence d’une coutume internationale : il doit s’agir d’une pratique observée par la majorité des États, et cette pratique doit être respectée parce que les États jugent être légalement tenus de le faire.

En ce qui concerne la revendication du Canada, en dépit des efforts déployés par les gouvernements, les arguments avancés n’ont pas été jugés suffisamment probants. Après la courte et préjudiciable prétention à l’île Wrangel, au nord de la Russie, en 1926, le gouvernement du Canada a créé la réserve des îles arctiques et a décrit ses possessions du Nord en utilisant la terminologie de la théorie des secteurs. Après avoir autorisé les États-Unis à établir une station météorologique dans l’Arctique canadien, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, Lester Pearson, alors ambassadeur du Canada à Washington, a écrit dans un article publié en 1946 :

« Une grande partie de la région arctique est canadienne. Il reste à déterminer ce qu’elle comprend exactement. Elle inclut non seulement la partie continentale du Nord canadien mais aussi les îles et la mer gelée allant du nord de la partie continentale, entre les méridiens de ses frontières est et ouest, jusqu’au pôle Nord16. »

Si les revendications du Canada ont été fondées sur la théorie des secteurs jusque dans les années 1980, les autres nations arctiques n’ont pratiquement jamais été en faveur de cette théorie. Bien que le Traité de 1959 sur l’Antarctique se fonde sur cette théorie, les gouvernements soviétique, danois, norvégien et américain ont toujours refusé de l’appliquer à la délimitation de l’Arctique.

En l’absence d’un argument décisif, basé sur le droit international coutumier, le Canada a tenté d’invoquer les dispositions figurant dans les anciens traités de frontières, qui avaient établi les limites du Nord. La recherche d’éléments probants dans ces accords historiques s’est également révélée insatisfaisante. Le traité de frontières de 1867, en vertu duquel la Russie cédait l’Alaska aux États-Unis17, adoptait la description figurant dans un traité de frontières conclu en 1825 entre la Russie et la Grande-Bretagne18. En particulier, la ligne de démarcation entre les possessions russes et britanniques dans le Nord-Ouest devait :

« monter vers le nord le long du chenal appelé la passe Portland jusqu’au point du continent où elle rencontre le 56e degré de latitude Nord; à partir de ce point, la ligne de démarcation suivra le sommet des montagnes parallèles à la côte jusqu’au point d’intersection du 141e degré de longitude Ouest (du même méridien); enfin, à partir dudit point d’intersection, la méridienne du 141e degré, dans le prolongement jusqu’à l’océan gelé, formera la frontière entre les possessions russes et britanniques sur le nord-ouest du continent américain19. »

La tristement célèbre sentence rendue par le Tribunal de la frontière de l’Alaska en 1903 a montré le risque que comporte l’application d’un texte rédigé avant qu’un territoire ait été bien exploré. Les Canadiens et les Américains fondaient leurs revendications sur ce qu’était une frontière qui « suivait le sommet des montagnes ». L’interprétation des Américains, adoptée par le commissaire britannique Lord Alverstone (ce qui a donné gain de cause aux Américains), séparait de la mer une bonne partie de la Colombie-Britannique.

Cependant, pour la frontière est de l’Alaska, la terminologie était que la frontière le long du 141e méridien suivait « le prolongement jusqu’à l’océan gelé ». Le gouvernement canadien a interprété ces termes très largement, étendant cette frontière dans la mer de Beaufort jusqu’au pôle Nord. Bien que cette interprétation ait pu susciter un certain scepticisme, au cours de la première moitié du XXe siècle, il y avait peu de raisons de contester la revendication du Canada dans l’Arctique.

Après la Seconde Guerre mondiale, la présence canadienne dans les eaux arctiques a continué d’être occasionnelle et minimale. En 1948, le porte-avions canadien Magnificent et ses escorteurs ont été les premiers navires de guerre à entrer dans la baie d’Hudson20. En 1954, la marine a armé le NCSM Labrador, un brise-glace de 6 700 tonnes, mais elle l’a cédé à la Garde côtière en 1957. Malgré la traversée sous la glace du Nautilus américain en 1957, la marine canadienne n’est retournée dans les eaux arctiques qu’en 1970, réagissant temporairement au fait que les États-Unis contestaient la revendication du Canada dans la région.

Au cours des étés 1969, 1970 et 1985, la menace pesant sur la souveraineté dans l’Arctique a fait sortir de ses gonds une partie de la population canadienne. La présence des navires américains, le Manhattan et le Polar Sea, dans le passage du Nord-Ouest a provoqué un mouvement d’opinion qui a contraint le gouvernement à réagir rapidement. Après le premier voyage du Manhattan, en 1969, il n’y a eu que des déclarations parlementaires, mais, après le second, l’année suivante, le gouvernement a légiféré. La Loi sur la prévention de la pollution des zones des eaux arctiques contiguës au continent et aux îles de l’Arctique canadien21 étend la compétence canadienne afin de faire respecter les normes écologiques sur une zone de 100 milles nautiques à partir du niveau de basse mer des eaux arctiques jusqu’aux îles arctiques à l’est et au 141e méridien à l’ouest. De plus, en vertu d’un amendement à la Loi sur la mer territoriale et la zone de pêche22, la superficie des eaux territoriales revendiquées par le Canada est passée de 3 à 12 milles nautiques (près de 20 kilomètres). Bien entendu, cette extension a augmenté la portion du passage du Nord-Ouest incluse dans les eaux canadiennes et donc soumises à la compétence du pays.

Cependant, le Canada a demandé en même temps que cette loi ne soit pas soumise à la compétence obligatoire de la Cour internationale de Justice, ce qui témoignait d’un manque de confiance dans l’éventuelle issue d’une contestation23 et a atténué l’effet des interventions du Parlement. En outre, le gouvernement ne fondait plus vraiment ses politiques sur la théorie des secteurs. Quoiqu’il n’ait fait aucune déclaration publique à ce sujet, après avoir examiné la question, il a accepté le principe voulant que les eaux arctiques soient considérées comme des « eaux intérieures », sur une base historique24.

Il est important de saisir les nuances entre la revendication du droit de propriété historique sur les terres et les îles et celle du droit de propriété sur les eaux adjacentes. Selon le droit international, lorsqu’un pays revendique des îles éloignées, les normes de contrôle sont moins rigides que s’il s’agit d’eaux ou d’un territoire. Dans la sentence arbitrale de l’île de Palmas (ou Miangas) rendue en 1928, la Cour permanente de justice internationale a conclu que, pour établir le titre de propriété d’une petite île inhabitée et éloignée, on devait démontrer que « l’autorité de l’État s’exerçait de manière continue et pacifique » ouvertement et publiquement25. Les voyages des explorateurs canadiens A. P. Low et J.-E. Bernier avant la Première Guerre mondiale et, plus tard, les expéditions de la Garde côtière et de la Gendarmerie royale dans l’Arctique de l’Est ont permis de consolider les prétentions à l’archipel Arctique. Cependant, la question des eaux adjacentes et du plateau continental sous-marin n’est pas résolue, ce qui n’a pas empêché le Canada de réduire la présence de sa marine et de son aviation dans la région. Au début des années 1980, les voyages maritimes de soutien et les vols de reconnaissance effectués après l’affaire du Manhattan avaient totalement pris fin26.

Le passage en transit du navire de la garde côtière américaine, le Polar Sea, en 1985 a fait couler beaucoup d’encre éditoriale, et, une fois encore, le gouvernement a invoqué ses droits historiques. Il a annoncé son intention d’exercer une souveraineté totale au-dessus et au-dessous des eaux de l’archipel Arctique en enfermant celui-ci dans des lignes de base droites27, et de faire appliquer la Loi sur la prévention de la pollution des zones des eaux arctiques contiguës au continent et aux îles de l’Arctique canadien à l’intérieur des nouvelles limites. Cependant, il y a une différence entre l’intention d’exercer une compétence et l’exercice réel de celle-ci. Une fois encore, les nouvelles capacités annoncées en 1985, incluant l’augmentation de la surveillance aérienne et de l’activité navale ainsi que la construction d’un brise-glace de classe polaire 8 pour la Garde côtière, n’ont jamais été concrétisées.

Cependant, en 1994, le régime international régissant les océans a subi un changement important après l’entrée en vigueur de la convention de 1982, appelée Troisième Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Si le Canada a finalement ratifié le traité le 7 novembre 2003, il indique dans sa lettre de ratification qu’il ne reconnaît pas les procédures obligatoires de résolution des différends relatifs à la délimitation des zones maritimes, aux droits de propriété ou aux baies historiques, aux activités militaires, aux mesures d’application de la loi liées à l’exercice de droits souverains ou à la compétence de la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins et, enfin, aux différends mettant en jeu le Conseil de sécurité des Nations unies28. Si l’on admet que le droit international est une extension des politiques, on pourrait également conclure que le Canada a l’intention de conserver une marge de manœuvre en ce qui concerne les revendications maritimes et l’application des lois.

Cette prudence reflète l’inquiétude suscitée par des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui pourraient avoir une incidence sur les prétentions du Canada aux eaux adjacentes de son archipel arctique. Ainsi, l’article 7 stipule que la méthode des lignes de base droites peut être employée « là où la côte est profondément échancrée et découpée, ou s’il existe un chapelet d’îles le long de la côte, à proximité immédiate de celle-ci ». Le fait que les lignes de base droites utilisées par le Canada enferment une extension archipélagique a provoqué des protestations de la part des États-Unis et de la Communauté européenne, ce qui a compromis la fiabilité de cet élément fondamental29.

Les parties de la Convention qui portent sur les « détroits internationaux » et les « eaux archipélagiques » créent également un malaise. Si le passage du Nord-Ouest était un « détroit international » selon l’article 37 ou si les eaux adjacentes aux îles du plus grand archipel du monde étaient des « eaux archipélagiques » conformément à l’article 47, les États maritimes auraient des droits de navigation qui iraient à l’encontre de la revendication selon laquelle les lignes de base droites enferment les « eaux intérieures » du pays. Bien que le passage du Nord-Ouest relie manifestement une partie de la haute mer à une autre ou une zone économique exclusive à une autre (un élément fondamental pour être un « détroit international »), la preuve de son utilisation pour la navigation internationale reste inégale, car la première traversée pouvant être qualifiée à juste titre de « commerciale » n’a eu lieu qu’en 1976. Néanmoins, une fois encore, les efforts déployés par le gouvernement pour réglementer les passages en transit donnent des résultats mitigés, puisque la Loi sur la prévention de la pollution des zones des eaux arctiques contiguës au continent et aux îles de l’Arctique canadien est respectée sur une base volontaire et que le pays n’a toujours qu’une capacité purement symbolique pour appliquer la législation.

Enfin, lors de la préparation de la Convention, le Canada a tout fait pour que le texte définitif reprenne l’article 234 de la loi contre la pollution, autorisant les États côtiers à adopter et à faire appliquer « des lois et règlements non discriminatoires afin de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les navires dans les zones recouvertes par les glaces et comprises dans les limites de la zone économique exclusive ». Bien que l’article 234 fasse la distinction entre les « zones recouvertes par les glaces » et les zones océaniques présentant un environnement moins sensible, il ne conforte pas la position canadienne, car cette disposition est simplement « fonctionnelle », puisqu’elle permet à tous les États côtiers d’adopter et de faire appliquer des lois non discriminatoires pour lutter contre la pollution.

Finalement, la revendication du Canada sur les eaux situées à l’intérieur des lignes de base droites pourrait reposer (aussi inconfortablement que la théorie des secteurs ou les « eaux historiques ») sur la mince preuve du « contrôle exclusif » exercé depuis longtemps. C’est dans cette optique qu’il faut examiner les deux litiges sur les frontières maritimes avec les États-Unis et l’issue d’un troisième litige. La difficulté posée par les litiges relatifs à l’entrée Dixon sur la côte du Pacifique et à la frontière de l’Alaska et du Yukon dans la mer de Beaufort est que les arguments qu’avance le Canada pourraient entrer en contradiction avec ses principaux intérêts stratégiques.

Une carte

carte de la NASA. www.earthobservatory.nasa.gov

Une situation préoccupante. Itinéraire du navire américain Healy dans l’Arctique canadien à l’été 2005.

Les litiges frontaliers entre le Canada et les États-Unis

En 1977, le Canada et les États-Unis ont étendu leurs pouvoirs afin de faire appliquer leurs règlements de pêche dans la zone des 200 milles nautiques (320 kilomètres). Ils revendiquaient des zones qui se chevauchaient dans le golfe du Maine; dans le détroit de Juan de Fuca et à l’entrée Dixon sur la côte du Pacifique; et dans la mer de Beaufort sur la côte arctique. L’application des règlements de pêche dans le détroit de Juan de Fuca a été résolue par la négociation, mais les autres zones font toujours l’objet de contestation.

Nous l’avons dit, la frontière séparant l’enclave alaskienne et la Colombie-Britannique a fait l’objet d’une sentence en 1903. Le tribunal a établi une ligne de démarcation, connue sous le nom de ligne A-B », reliant le cap Muzon sur l’île Dall, en Alaska, et l’entrée de la passe Portland afin de séparer le territoire terrestre. Après la décision impopulaire du tribunal, le gouvernement canadien a revendiqué des pouvoirs sur le détroit de Hecate et les eaux de l’entrée Dixon, au sud de la ligne établie par la sentence de 1903.

Doutant de la légitimité de la revendication du Canada, les Britanniques ont reporté leur décision afin de préserver les relations plus cordiales qu’ils avaient avec les États-Unis. La question était périodiquement soulevée, et des propositions ont été échangées au fil des ans, mais la solution judiciaire n’était pas jugée prioritaire, puisque les autorités canadiennes demandaient rarement aux navires américains d’appliquer leurs règlements de pêche. Cependant, l’arrivée de navires russes et japonais au milieu des années 1960 a contraint le gouvernement à éloigner des eaux contestées les flottes de pêche étrangères. Ce qui a peut-être été plus déterminant, c’est que le Canada avait commencé à vendre des concessions de pétrole et de gaz dans la région. En juin 1973, le gouvernement américain a proposé de saisir la Cour internationale de Justice, mais le gouvernement canadien a refusé, si bien que les discussions sont toujours en cours.

Le litige sur la délimitation du plateau continental dans la mer de Beaufort est aussi dû à une différence d’interprétation du traité de frontières de 1825. Nous l’avons vu, le Canada affirme que, selon ce traité, la frontière de 200 milles nautiques (320 kilomètres) dans la mer de Beaufort est une extension de la frontière terrestre et se poursuit le long du 141e méridien. Cet argument serait étayé par deux principes : la « revendication historique », fondée sur les traités, et la théorie des secteurs de la délimitation arctique. De leur côté, les Américains maintiennent que ce traité s’appliquait seulement à la frontière terrestre et n’est pas valide au-delà de cette frontière. Ils se basent sur la méthode de l’équidistance pour délimiter les eaux et le plateau continental en l’absence de circonstances spéciales dans la région et lorsque la frontière ainsi établie est conforme aux principes d’équité. La zone contestée (65 kilomètres carrés, soit quatre blocs délimités) se situe entre deux lignes frontalières revendiquées par les deux pays, qui, ces dernières années, ont montré qu’ils étaient déterminés à exploiter les ressources pétrolières et gazières de la région. En 2003, le département américain de l’Intérieur a annoncé son intention de vendre des droits de prospection pour 1 800 blocs de fonds sous-marins dans la mer de Beaufort, totalisant 36 900 kilomètres carrés. Cependant, les investisseurs se sont bien gardés de faire une offre pour les quatre blocs contestés, et, comme pour l’entrée Dixon, les négociations visant à résoudre le litige se poursuivent30.

Le seul litige à avoir été jugé récemment au sujet de l’établissement d’une frontière maritime entre les deux nations est l’affaire du golfe du Maine. Ce litige à propos des délimitations maritimes et sous-marines a été porté devant la Cour internationale de Justice en 198431. La décision du tribunal a d’ailleurs contribué à créer l’impasse qui empêche la résolution des deux autres litiges. Le gouvernement canadien avait invoqué le principe de l’équidistance, tandis que les Américains avaient plaidé en faveur de l’application d’un système plus complexe, une ligne perpendiculaire à l’orientation générale de la côte, mais « ajustée de manière à tenir compte des spécificités de la région, c’est-à-dire sans diviser les bancs de pêche en deux32 ». En rendant sa décision, la Cour a déclaré qu’elle n’adoptait ni la position canadienne ni la position américaine. Cependant, l’application du principe « équidistance – circonstances spéciales » a aussi servi à rejeter l’argument américain relatif aux « droits historiques ».

Cette issue n’a encouragé ni le Canada ni les États-Unis à présenter leurs litiges à une instance judiciaire. Le Canada est particulièrement gêné par le manque de tolérance envers l’argument des « droits historiques », sur lequel il base sa revendication de souveraineté dans l’Arctique.

Bien que le Canada ait accepté sous condition la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, les dispositions pertinentes de l’article 74 (Délimitation de la zone économique exclusive entre États dont les côtes sont adjacentes ou se font face) et de l’article 83 (Délimitation du plateau continental entre États dont les côtes sont adjacentes ou se font face) ne fournissent aucune autre orientation que celles de l’affaire du golfe du Maine.

Bien que les États-Unis n’aient pas ratifié la Convention et que, nous l’avons vu, le Canada ne se considère pas tenu de respecter certaines dispositions de la partie XV relative aux procédures d’arbitrage, certains membres de la communauté internationale en sont venus à considérer la Convention comme un élément important de leurs politiques étrangère et de défense.

Un bateau

Photo de la garde côtière américaine. www.uscg.mil

Le Healy en mer. Basé à Seattle, c’est le plus long et le plus lourd garde-côte américain.

Les futurs problèmes de la souveraineté dans l’Arctique

Le Canada et les États-Unis, qui ont des territoires arctiques adjacents et un appétit insatiable pour les produits pétroliers, seront poussés par de nombreux électeurs influents à surmonter leur rivalité et à résoudre leurs litiges territoriaux à l’avantage des deux nations. Ainsi, le groupe de travail trilatéral, parrainé par le Conseil des relations internationales, un groupe prestigieux d’analystes américains, a dressé « un plan en faveur d’une zone franche à l’échelle continentale suivant une approche commune en matière de commerce, d’énergie, d’immigration, d’application de la loi et de sécurité, qui permettrait pratiquement d’éliminer les frontières nationales existantes33 ». Bien que ce plan, comme on pouvait s’y attendre, ait été critiqué par les ultranationalistes, pour lesquels il représente un abandon inutile de souveraineté, nombre de ses propositions, surtout en matière de sécurité, ont reçu une large approbation.

L’importance que revêtent actuellement les intérêts communs du Canada et des États-Unis en matière de sécurité pourrait fournir l’occasion de résoudre les différends dans l’Arctique. Cependant, pour parvenir à une entente à propos des revendications fondées sur le principe des lignes de base droites, on devra surmonter l’inertie du programme américain sur la liberté de navigation. Créé par le gouvernement Carter en 1979 afin de tirer parti des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui était alors en cours de négociation, ce programme continue d’être le fondement de la politique étrangère américaine34. Comme l’a réaffirmé le président Reagan en 1983 :

« La politique des États-Unis a toujours été d’affirmer et d’exercer ses droits et sa liberté de navigation et de survol à l’échelle mondiale en respectant l’équilibre des intérêts reflété dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Cependant, les États-Unis n’accepteront pas que d’autres États tentent unilatéralement de restreindre les droits et les libertés de la communauté internationale en ce qui concerne la navigation, le survol et les usages connexes en haute mer35. »

Ce qui complique les choses, c’est que ni la revendication du Canada dans l’Arctique ni le programme américain sur la liberté de navigation ne peuvent être considérés comme de simples désagréments bilatéraux. L’internationalisation du droit de la mer et l’exploitation des ressources énergétiques de l’Arctique constituent un important casse-tête juridique et politique, et le Canada devra adapter sa politique afin de résoudre les problèmes que posent des pays autres que les États-Unis et le Danemark.

Le fait que, depuis quelques années, la Chine consomme et importe beaucoup de pétrole pourrait illustrer ce type de problème et les tensions que pourraient causer les revendications dans l’Arctique. Bien que les prévisions sur le prix du pétrole varient, il ne fait aucun doute que la Chine devra rivaliser avec d’autres pays pour trouver de nouvelles sources de pétrole et de gaz. Ce problème ne fera que s’amplifier. La consommation mondiale est de 84 millions de barils par jour : l’Amérique arrive en première position avec 21 millions de barils, suivie actuellement par la Chine (6,4 millions de barils). Selon les prévisions, la demande chinoise devrait doubler d’ici 202036. De plus, on estime que, au cours des 25 prochaines années, la Chine importera deux fois plus de pétrole et que ces importations représenteront 80 % de sa consommation totale37.

Quoique le Canada puisse être fier d’entretenir de bonnes relations avec les économies émergentes, la Chine, qui a ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, considère les dispositions protégeant les droits de navigation comme un pilier de sa politique étrangère. Comme elle dépend de plus en plus des importations de pétrole, elle a donné la priorité à la protection de ses voies maritimes passant par les détroits de Malacca et de Taïwan. En outre, sa marine protège activement ses intérêts dans d’autres litiges qui l’opposent à des pays avec lesquels elle entretient de bonnes relations économiques. Elle est actuellement engagée dans un litige avec la Corée du Sud et le Japon à propos de la délimitation de zones gazières dans la mer de Chine méridionale. Comme l’a rapporté le New York Times, les trois pays interprètent différemment la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et ne délimitent donc pas de la même manière leur zone économique exclusive. La distance entre Okinawa et la Chine est d’environ 400 milles nautiques (640 kilomètres). Le Japon a proposé de séparer les deux zones économiques exclusives par une ligne médiane, mais la Chine affirme que la limite de sa zone économique exclusive doit être calculée à partir de l’extension est de son plateau continental, ce qui la situe à seulement 50 milles (80 kilomètres) à l’ouest de l’archipel d’Okinawa38.

Les Chinois et les Japonais ne se contentent pas d’échanges diplomatiques pour se départager, loin de là :

« Les navires des garde-côtes chinois traitent les évaluateurs comme des espions, leur demandent par radio de quitter les lieux et suivent le bateau pendant toute la durée de sa mission. Une fois, ils ont failli entrer en collision avec le bateau. Le ministre japonais du Commerce a mené une inspection ostentatoire à bord d’un avion des garde-côtes, survolant la plateforme d’exploitation gazière jaune vif que la Chine construit à un mille [1,6 kilomètre] à l’ouest des eaux revendiquées par le Japon39. »

Ce n’est pas la rivalité entre les États-Unis et la Chine qui menace le plus les revendications du Canada dans l’Arctique mais la détermination de ces deux pays à défendre la liberté de navigation. Comme le note un article récent :

« Il est dans l’intérêt de Washington et de Pékin de protéger les voies maritimes ouvertes afin que les navires de charge puissent passer sans entrave. Le fait que les deux gouvernements veulent la stabilité dans les détroits de Malacca et de Taïwan ne les dresse pas l’un contre l’autre, bien au contraire40. »

À court terme, le Canada devra évaluer le statut juridique de sa revendication dans l’Arctique et il devra soit corriger ses faiblesses, soit réévaluer avec justesse le maintien de la mythologie du Nord. Il devra montrer qu’il est prêt à faire davantage que s’abandonner à la beauté captivante des immenses terres et eaux arctiques. Sans doute est-il longtemps parvenu à maintenir sa position juridique à la convenance, ou à la souffrance, de ses voisins dans l’Arctique. Il reste à déterminer si sa nouvelle politique étrangère permettra de prendre les mesures nécessaires pour résister aux forces mondiales qui cherchent à faire de la région de l’Arctique qu’il revendique l’arène du prochain « grand jeu ».

Logo RMC

Le capitaine de corvette Guy Killaby est un avocat de la force régulière auprès du cabinet du Juge-avocat général. Les vues exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles du ministère de la Défense nationale, des Forces canadiennes ou celles du cabinet du Juge-avocat général.

Notes

  1. Département d’État des États-Unis, Bureau du renseignement et de la recherche, « Limits of the Seas No 72, Continental Shelf Boundary: Canada-Greenland », publié par le Geographer, le 4 août 1976.
  2. Dianne DeMille, « Denmark “Goes Viking” in Canada’s Arctic Islands. Strategic Resources of the High Arctic Entice the Danes », Canadian American Strategic Review, In Detail, mars 2005, [en ligne]. [www.sfu.ca/ casr/id-arcticviking1.htm]
  3. Clifford Krauss, Steven Lee Myers et al., « As Polar Ice Turns to Water », The New York Times, le lundi 10 octobre 2005.
  4. Tim Naumetz, « Canada Builds Hans Island Case: A Flag Is a Flag », National Post, le samedi 6 août 2005.
  5. Krauss et al., op. cit.
  6. David Larson, Security Issues and the Law of the Sea, University Press of America, Lanham, 1994, p. 169.
  7. Robert M. Bone, The Geography of the Canadian North: Issues and Challenges, 2e édition, Oxford University Press, Toronto, 2003, p. 26.
  8. Oran R. Young, « The Age of the Arctic », Foreign Policy, no 61, hiver 1985-1986, p. 169.
  9. Todd Wilkinson, « Alaskan Oil Battle May Shift Offshore: Environmentalists Warn of Oil Exploration in Beaufort Sea », The Christian Science Monitor, le 6 mai 2003.
  10. Bone, op. cit., p. 33.
  11. Ron Huebert, « The Shipping News, Part II: How Canada’s Arctic Sovereignty Is on Thinning Ice », International Journal, vol. 58, no 3, été 2003, p. 295 et p. 298. Huebert cite Richard A. Kerr, « A Warmer Arctic Means Change for All », Science, vol. 297, le 30 août 2002, p. 1490-1492.
  12. Franklyn Griffiths, « The Shipping News: Canada’s Arctic Sovereignty Not on Thinning Ice », International Journal, vol. 58, no 2, printemps 2003, p. 258.
  13. D. M. Johnston, « The Northwest Passage Revisited », Ocean Development and International Law, vol. 33, 2002, p. 146. [TCO]
  14. Décret du Conseil, le 18 décembre 1897; Gazette du Canada, le 14 mai 1898, p. 2613. [TCO]
  15. Débats du Sénat canadien, le 20 février 1907, p. 271, cité dans Donat Pharand, Canada’s Arctic Waters in International Law, Cambridge University Press, Cambridge, 1988. [TCO]
  16. Lester B. Pearson, « Canada Looks Down North », Foreign Affairs, vol. 24, no 4, juillet 1953, p. 639. [TCO]
  17. Il a été signé à Washington le 30 mars 1867.
  18. Ce traité portait sur les limites des possessions des deux pays sur la côte nord-ouest de l’Amérique et sur la navigation dans l’océan Pacifique. Il a été signé à Saint-Pétersbourg, le 16 février 1825 (75 C.T.S. 96).
  19. Ibid. [TCO]
  20. Nathanial French Caldwell, Arctic Leverage: Canadian Sovereignty and Security, Praeger, New York, 1990, p. 42.
  21. Gouvernement du Canada, Loi sur la prévention de la pollution des zones des eaux arctiques contiguës au continent et aux îles de l’Arctique canadien, c. 47, 1969-1970, L.C. 653 (1970).
  22. Gouvernement du Canada, Act to Amend the Territorial Sea and Fishing Zones Act, c. 68, 1969-1970, L.C. 1243 (1970).
  23. Déclaration du Canada relative à la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice, reproduite dans 9 I.L.M. 598 (1970).
  24. Lettre du 17 décembre 1973 du ministère des Affaires extérieures, Direction générale des affaires juridiques, « Canadian Practice in International Law During 1973 as Reflected Mainly in Public Correspondence and Statements of the Department of External Affairs », Canadian Yearbook of International Law, vol. 12, p. 272 et p. 279 (comp. Edward G. Lee, 1974).
  25. The Island of Palmas (Miangas), le 4 avril 1928, réédité dans American Journal of International Law, vol. 22, 1928, p. 867 et p. 909. [TCO]
  26. Kenneth C. Eyre, « Forty Years of Military Activity in the Canadian North, 1947-87 », Arctic, vol.40, no 4, décembre 1987, p. 298.
  27. Gazette du Canada, partie II, vol. 111, no 5, DORS/77-173, p. 652, le 9 mars 1977.
  28. Gouvernement du Canada, Lettre de ratification du Canada, [en ligne]. [www.un.org/french/law/los/convention_declarations/ convention_declarations.htm] (date de consultation).
  29. Ashley Roach et Robert W. Smith, Limits of the Seas, vol. 23, no 36, 7e rév., département d’État américain, 1995. Le gouvernement américain a contesté la méthode des lignes de base droites employée par le Canada en 1985 et en 1986.
  30. Michael Byers, « We Can Settle This: Let’s Trade Oil for Fish », Globe and Mail, le vendredi 11 mars 2005.
  31. Cour internationale de Justice, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine, arrêt du 12 octobre 1984, p. 246.
  32. Ibid., par. 77, p. 287. [TCO]
  33. Robert Fife, « “NAFTA-plus” Talks Aim for Security Pact: Continental Customs, Energy, Immigration Policies on Agenda of Group Co-Chaired by Manley », CanWest News Service, le 16 octobre 2004. [TCO]
  34. George Galdorisi, « The United States Freedom of Navigation Program: A Bridge for International Compliance with the 1982 United Nations Convention on the Law of the Sea », Ocean Development and International Law, vol. 27, 1996, p. 401.
  35. Politique océanique des États-Unis, déclaration du président, Weekly Compilation of Presidential Documents, le 10 mars 1983, p. 19. [TCO]
  36. Robert J. Samuelson, « A New Era for Oil », Washington Post, le mercredi 30 mars 2005. Cette prévision se base sur une étude du Centre d’études stratégiques et internationales réalisée par Anthony Cordesman, The Changing Balance of US and Global Dependence on Middle Eastern Energy Exports, Washington, révisée le 20 mars 2005, [en ligne]. [www.csis.org/media/csis/pubs/050320_energymeast[1].pdf]
  37. James Brooke, « Drawing the Line on Energy », New York Times, le mardi 29 mars 2005, p. C1.
  38. Ibid., p. C7.
  39. Ibid., p. C1. [TCO]
  40. David Zweig et Bi Jianhai, « China’s Global Hunt for Energy », Foreign Affairs, vol. 84, no 5, septembre-octobre 2005, p. 37. [TCO]

Des glaces