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Affaires maritimes

Un sous-marin

Défense nationale, photo HS030590m01,
du sergent Giancarlo Luca

Le NCMS Corner Brook en mer.

Retour sur les raisons d’un choix – La place des sous-marins dans la transformation des forces canadiennes

par le capitaine de frégate Michael Craven

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Introduction

La genèse de la force sous-marine canadienne moderne remonte aux études entreprises après la Seconde Guerre mondiale en vue d’améliorer la capacité de notre pays en matière de lutte anti-sous-marine. À cette époque, sous l’impulsion de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et à l’instar de l’armée et de l’aviation, notre marine connaissait une expansion rapide et, en fait, la plus importante en temps de paix de toute l’histoire militaire du Canada. Sans décrire en détail les conclusions de ces études ni le contexte de l’époque, rappelons toutefois que le Conseil de la marine a donné son aval, à sa 56e réunion tenue le 2 avril 1958, au projet de doter la Marine royale du Canada de bâtiments submersibles destinés à renforcer la lutte anti-sous-marine et à permettre à la Marine et à l’Aviation royale du Canada de suivre un entraînement plus poussé. Bien que préliminaire, cette décision ouvrait en pratique la voie à la création d’une flotte sous-marine nationale. Résultat : le 6 avril 1998, ou 40 ans plus tard presque jour pour jour, le gouvernement libéral de Jean Chrétien annonçait l’acquisition par location-achat (modalité inusitée pour une telle commande) de quatre sous-marins diesels électriques de la classe Upholder. De construction britannique, ces submersibles faisaient partie du matériel excédentaire de la Royal Navy1. Avec l’entrée en service des nouveaux bâtiments, qui appartiendraient à la classe Victoria, la marine canadienne disposait désormais de capacités modernes de guerre sous-marine et a ainsi pu désarmer les bâtiments de la première génération (classe Oberon)2. En avril 2006, le chef d’état-major des Forces maritimes a annoncé que les nouvelles acquisitions en étaient à leur capacité opérationnelle initiale.

Le présent article, qui s’appuie sur des documents d’archives et sur les témoignages d’officiers militaires en service actif ou à la retraite, s’inscrit dans le débat sur la place des sous-marins dans la transformation des Forces canadiennes. D’entrée de jeu, nous nous intéresserons à la nature même de l’arme sous-marine, à son utilité pour les États et à son rôle dans le contexte canadien. Après avoir examiné brièvement le processus utilisé pour remplacer les bâtiments de la classe Oberon et la décision annoncée en 1998 de faire l’acquisition de bâtiments de la classe Victoria, nous nous pencherons sur le concept d’opération qui s’applique actuellement aux sous-marins. Nous décrirons ensuite le rôle que les submersibles ont joué par le passé et joueront probablement à l’avenir dans la défense et la sécurité du Canada, en regardant de près le Programme de prolongation de la durée de vie des sous-marins ainsi que la situation des bâtiments de la classe Victoria, notamment leurs difficultés à atteindre leur capacité opérationnelle finale. Enfin, nous présenterons un argument en faveur du maintien d’une flotte sous-marine au sein des Forces canadiennes en pleine mutation. Ce faisant, nous passerons au peigne fin trois idées au sujet des submersibles qui, malgré leur nature légendaire, continuent de circuler dans la presse et dans les couloirs de la Défense nationale et des Forces canadiennes.

Insigne de sous-marinier

L’arme sous-marine au service des intérêts nationaux

Les sous-marins à propulsion nucléaire et les sous-marins classiques présentent des caractéristiques communes : furtivité, autonomie, polyvalence, puissance de destruction et invulnérabilité relative3. Généralement parlant, ces deux plates-formes confèrent donc pouvoir et influence. Le sous-marin à propulsion nucléaire, dont l’autonomie, le rayon d’action, la mobilité et la puissance offensive sont pratiquement illimités, représente le progrès extrême de l’arme sous-marine et le fleuron d’une flotte chargé d’assurer la dissuasion stratégique, d’imposer la maîtrise de la mer, de projeter la puissance d’un État et d’en surveiller les approches océaniques et littorales. Ces bâtiments exigent une infrastructure spécialisée tellement lourde et coûteuse que quelques pays seulement en ont les moyens.

Bon nombre des États moins fortunés mais ayant d’importants intérêts maritimes à défendre cherchent à se doter d’une capacité sous-marine crédible, constituée de bâtiments à propulsion classique. Même si ces derniers sont généralement décrits comme des « bâtiments de positionnement » (contrairement aux sous-marins nucléaires, qui sont conçus pour la manœuvre), ils procurent néanmoins des moyens d’intervention et une influence tels que presque toutes les grandes et moyennes puissances les incluent dans la dotation de leurs forces maritimes, tout comme les petits pays qui doivent défendre des intérêts régionaux en haute mer ou dans leurs eaux littorales. Toutes ces nations (à l’exception de la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne) s’efforcent de conserver une capacité sous-marine viable. Au plus fort de la guerre froide, quelque 900 submersibles étaient en service dans le monde; aujourd’hui, une quarantaine d’États possèdent environ 400 sous-marins4, qui constituent un élément clé de leur puissance maritime. Grâce à leurs capacités offensives très développées et à leur grande liberté d’action, les sous-marins procurent un degré d’influence qui compense largement les investissements initiaux et les frais de fonctionnement et d’entretien annuels.

Par ailleurs, sur ce double plan financier, les sous-marins classiques soutiennent avantageusement la comparaison avec les frégates modernes, d’autant que ces dernières exigent des équipages beaucoup plus nombreux. Il est également plus coûteux de déployer des navires de surface étant donné leur incapacité d’atteindre, sans le soutien de bâtiments logistiques spécialisés, un niveau d’autonomie comparable à celui des sous-marins. Certes, les sous-marins ont besoin d’une infrastructure d’appui et demandent un entretien particulièrement exigeant en raison de l’environnement rigoureux dans lequel ils doivent parfois agir. Malgré ces exigences, un État qui désire acquérir une force maritime crédible de première ligne peut, moyennant un coût raisonnable, atteindre cet objectif en armant des sous-marins classiques. À titre d’exemple, les quatre bâtiments de la classe Victoria coûtent environ 250 millions de dollars canadiens par année à entretenir, et leur effectif au grand complet, personnel à terre compris, n’atteint pas 500 membres. Nécessitant un équipage réduit et une consommation de carburant inférieure, un sous-marin classique coûte 30 p. 100 de moins par journée en mer qu’une frégate ou qu’un destroyer.

Un sous-marin

Collection de la Revue militaire canadienne

Un U-boot de la classe Type 214 de la marine allemande prend la mer.

Sur la quarantaine d’États ayant fait l’acquisition de sous-marins, trois (la France, la Chine et la Russie) disposent d’une flotte mixte (bâtiments à propulsion nucléaire et bâtiments à propulsion classique) et deux (les États-Unis et le Royaume-Uni) possèdent uniquement des sous-marins à propulsion nucléaire. Il est à noter que certains pays guère portés vers l’Occident, ses valeurs et ses intérêts, en l’occurrence l’Algérie, l’Iran et la Corée du Nord, disposent de l’arme sous-marine. Le Pakistan, l’Inde et la Chine possèdent chacun leur flotte de submersibles, et on sait que ces pays ne partagent pas toujours les mêmes intérêts que les pays occidentaux, ce qui cause parfois des conflits. Les six États susmentionnés possèdent près du quart des sous-marins en service dans le monde. Le Pakistan, l’Inde et la Chine ont d’ailleurs entamé des programmes de modernisation ambitieux, cette dernière ayant même entrepris de remplacer la totalité de sa flotte sous-marine au prix d’un immense effort de construction navale5. Certains commentateurs ont beau affirmer que la protection anti- sous-marine est devenue inutile, le nombre de sous-marins classiques ne cesse d’augmenter. L’entrée en service d’une série de nouveaux bâtiments en fournit la preuve : des sous-marins de la classe Amur construits en Russie pour l’exportation; la sortie de la série Scorpène des chantiers navals français; la construction de bâtiments de type 212 et 214 en Allemagne6. Tous sont dotés, ou peuvent être dotés, d’un système de propulsion anaérobie7. Les séries Scorpène et les bâtiments de type 212 et 214 se vendent particulièrement bien : le Chili vient de recevoir le premier des deux bâtiments qu’il a fait construire en France, tandis que l’Inde en a commandé six cette année, auxquels peuvent s’ajouter six autres en option. La multiplication de ces bâtiments évolués fait naître des préoccupations sur le plan de la sécurité et de la planification militaire.

Partout dans le monde, les sous-marins sont considérés comme un élément fondamental de la puissance maritime et une arme polyvalente au service des objectifs nationaux en matière de défense et de sécurité. En 1998, le gouvernement du Canada a lancé le Programme de prolongation de la durée de vie des sous-marins, lequel avait pour but de remplacer les bâtiments vieillissants de la classe Oberon. Cette annonce a été précédée d’un débat dans les milieux navals et dans l’opinion publique, qui a duré plusieurs années et a parfois soulevé la controverse dans la presse et entre certains spécialistes. Ce tapage n’a pas échappé à l’attention des États-Unis, le partenaire de défense continentale du Canada. Deux secrétaires à la Défense américains (William Perry et William Cohen) ont tenté successivement de convaincre le ministre canadien de la Défense de l’importance de moderniser notre arme sous-marine. La Commission permanente mixte de défense s’est saisie du dossier, et nos représentants à Washington (l’ambassadeur Raymond Chrétien) et à Londres (le haut-commissaire Roy MacLaren) ont ouvertement abordé la question avec leurs interlocuteurs, qui ont réagi favorablement. M. Cohen est même allé jusqu’à affirmer que la modernisation de la flotte sous-marine canadienne contribuerait directement à la défense de l’Amérique du Nord et de l’espace transatlantique. Il a mis une telle énergie à défendre son point de vue que les deux chefs de mission susmentionnés ont jugé nécessaire de renchérir8.

Le gouvernement a finalement décidé de conserver l’arme sous-marine. Cette décision était en fait la suite logique du processus entamé en 1980, lorsque les premiers projets de modernisation de la flotte de sous-marins avaient été évoqués. Tout comme les arguments qui sous-tendent les grandes missions des Forces canadiennes sont restés relativement constants depuis la fin de la guerre froide, la justification du maintien de ressources sous-marines n’a pas varié au cours des années 1990. Le projet d’acquisition de sous-marins trouve sa raison d’être dans la capacité de ces navires de remplir, tant dans les eaux territoriales du Canada que dans les déploiements extérieurs, quatre grands objectifs (nous employons les termes en usage actuellement) : l’impact stratégique, l’équilibre des forces, la surveillance au service de la souveraineté et les rôles non combattants. Nous abordons chacun de ces éléments.

Impact stratégique. Furtifs, les sous-marins donnent aux décideurs le choix de nier, d’annoncer ou de garder secrète la présence de ces bâtiments en fonction des événements. Ils ont également un énorme effet dissuasif sur presque tout adversaire en mer. Un pays peut, pour promouvoir ses intérêts, exercer une influence diplomatique, politique ou militaire en laissant croire à la présence même d’un seul sous-marin. Par exemple, au printemps 1995, le Canada, en conflit avec l’Espagne dans le dossier des pêches, a pu exercer des pressions en publiant simplement un « avis d’intention » annonçant officiellement la présence de sous-marins dans la zone concernée. On se rappelle encore l’émoi qu’a provoqué, à l’échelle de la nation, la découverte de sous-marins étrangers dans les eaux voisines de l’archipel arctique du Canada. Comme autre avantage, les sous-marins donnent au gouvernement les moyens de projeter une puissance offensive, s’il le juge à propos, afin d’exercer une influence stratégique à proximité du littoral et des points de passage obligé d’autres pays, même dans un espace de combat dominé par l’ennemi et dans lequel les forces alliées ne peuvent pénétrer autrement. Enfin, la possession de sous-marins donne au Canada un accès à des réseaux de gestion de l’espace sous-marin et d’échange de renseignements, soumis à un contrôle serré et hautement confidentiels. Lorsque le Canada a annoncé son intention de stationner de nouveau un sous-marin dans le Pacifique, par exemple, les États-Unis ont aussitôt proposé de négocier une première entente sur la gestion de l’espace marin pour la côte ouest. Dans l’Arctique, c’est le commandement maritime canadien responsable des sous-marins qui est généralement le premier informé des mouvements de submersibles étrangers au-delà du 70o de latitude Nord. La combinaison de tous ces facteurs donne aux sous-marins une importance véritablement stratégique en permettant aux décideurs qui envisagent d’utiliser la force de choisir parmi une vaste gamme de possibilités.

Des navires de la Marine

Défense nationale, photo IS2005-1328,
du sergent Roxanne Clowe, Caméra de combat

Le NCSM Windsor, un sous-marin de la classe Victoria, navigue au côté du NCMS Montréal au lever du soleil au large de la côte atlantique.

Équilibre des forces. Un pays équipé de sous-marins est en mesure de réagir progressivement mais avec détermination à l’évolution de la situation militaire en mer, aussi bien à proximité de ses côtes que sur la scène internationale. Les sous-marins multiplient la force qu’une marine est capable de déployer et ont sur tout ennemi potentiel un effet dissuasif évident au point de vue stratégique, opérationnel et tactique en l’empêchant d’établir ses plans et en l’obligeant à disperser ses forces. Les sous-marins sont considérés comme très polyvalents, mais moins que les bâtiments de surface, et ont, en compensation, la capacité de demeurer en croisière pendant plusieurs semaines sans soutien logistique et libres de toute sanction, ou presque, même s’ils manœuvrent dans un secteur sous l’autorité des forces aériennes et terrestres. Les submersibles offrent la possibilité de pousser la formation des forces de lutte anti-sous-marine. Ces bâtiments sont manœuvrés par un état-major qui a fait ses preuves dans le commandement et la conduite des opérations sous-marines, au point que d’autres pays demandent à la marine canadienne de diriger des opérations auxquelles ils participent, armés de leurs propres sous-marins nucléaires et autres submersibles. Inversement, le Canada ne se verrait plus offrir la possibilité de commander des flottes multinationales complexes si ses alliés doutaient de ses capacités en matière d’opérations sous-marines. Au sens le plus large, enfin, la possession de sous-marins permet aux Forces canadiennes d’être présentes à la fois sur le plan vertical, à tous les niveaux de l’espace marin (en profondeur, en surface et au-dessus de la mer), et sur le plan horizontal, dans toutes les modalités de la guerre maritime. Seule une marine équilibrée, c’est-à-dire une marine dotée d’un assortiment judicieux de capacités, est en mesure d’atteindre cet objectif.

Surveillance au service de la souveraineté. Les sous-marins sont particulièrement efficaces pour exercer une surveillance secrète grâce à leurs aptitudes en plongée, à leur autonomie exceptionnelle en mer et à la multiplicité de capteurs dont on peut les équiper. Nous avons indiqué précédemment que leur mode d’évolution furtif permet aux décideurs de faire connaître ou non leur présence; il s’ensuit que les sous-marins peuvent être employés pour surveiller discrètement l’évolution de la situation et, le cas échéant, prendre immédiatement une position plus agressive en vue d’obtenir l’avantage politique, diplomatique ou militaire. Ainsi, les sous-marins permettent de réagir discrètement aux menaces réelles ou appréhendées qui planent sur la souveraineté maritime du Canada et sur le continent nord-américain9. Leurs activités de surveillance et de préservation de la souveraineté contribuent à protéger les abords maritimes du pays et du continent contre diverses activités illégales. Par ailleurs, ces bâtiments peuvent participer à la protection de l’industrie canadienne de la pêche et même à des activités de surveillance menées à des fins écologiques.

Rôles non combattants. Nous disions que les sous-marins peuvent participer aux opérations à vocation non militaire. En fait, ils ont fait la preuve de leur utilité en appuyant les activités d’autres ministères et ont, en particulier, joué un rôle essentiel dans la protection de la pêche et dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Nous développerons ce thème plus loin.

Chacun de ces quatre objectifs conserve aujourd’hui la pertinence qu’il avait dans l’environnement géostratégique d’avant septembre 2001. En outre, dans la nouvelle conjoncture caractérisée par des menaces asymétriques contre le Canada et les États-Unis, les sous-marins sont en mesure de jouer un rôle de dissuasion et de riposte, notamment en participant à des opérations de renseignement, de surveillance et de reconnaissance et en transportant, à l’aller et au retour, des forces d’opérations spéciales chargées de missions antiterroristes et d’autres missions spéciales. La Russie, l’Australie, Israël, le Brésil, l’Argentine, le Chili, etc. et bon nombre des alliés du Canada au sein de l’OTAN considèrent que la participation aux opérations spéciales fait partie des tâches essentielles des sous-marins. Les bâtiments de la classe Victoria possèdent déjà les capacités requises pour mener à bien ces activités. Moyennant un équipement et une formation financièrement accessibles pour le Canada, ils pourraient jouer un rôle encore plus important dans nos eaux limitrophes ou en mission à l’étranger. À titre d’exemple, est-il tout à fait fantaisiste d’imaginer qu’un groupe, terroriste ou autre, muni d’armes à feu individuelles et de missiles antiaériens portatifs, s’approprie une importante plate-forme de forage pétrolier en mer pour exercer un chantage politique ou écologique? Comment le Canada réagirait-il alors?

Deux sous-marins

Collection de la Revue militaire canadienne

Des débuts modestes. On voit ici le CC1 (à gauche) et le CC2, des bâtiments de la marine de la Colombie-Britannique, probablement après leur arrivée sur la côte est à la fin de l’année 1917.

Aperçu historique10

C’est après la Seconde Guerre mondiale que le Canada s’est doté de sous-marins, à commencer par des bâtiments diesels électriques basés dans les arsenaux de Halifax et Esquimalt. Au début, la Royal Navy a stationné à Halifax sa 6e Escadrille de sous-marins (comportant jusqu’à trois bâtiments) et l’a mise à la disposition du Canada pour l’entraînement des forces de lutte anti-sous-marine de la Marine royale du Canada et de l’Aviation royale du Canada. En avril 1958, le Conseil de la marine, à sa 56e réunion, a donné son aval à la création d’une arme sous-marine canadienne. La Marine royale du Canada et les Forces canadiennes ont armé en tout cinq submersibles entre 1961 et 2000 : deux bâtiments datant de la Seconde Guerre mondiale, prêtés au Canada par la marine des États-Unis et basés à Esquimalt (le NCSM Grilse [SS-71] de 1961 à 1968 et le NCSM Rainbow [SS-75] de 1968 à 1974), et trois nouveaux sous-marins de la classe Oberon, achetés au Royaume-Uni et basés à Halifax de 1965 à 2000 (le NCSM Ojibwa [SS-72], le NCSM Onondaga [SS-73] et le NCSM Okanagan [SS-74]).

En 1978, c’est-à-dire quatre ans après le désarmement du vieux NCSM Rainbow, on a lancé le projet M1642 (Programme d’acquisition d’un sous-marin pour la côte ouest) dans le but de doter les forces maritimes du Pacifique d’un nouveau bâtiment submersible11. En 1980, dans le cadre du projet M1837 (Projet de remplacement des sous-marins canadiens), les Forces canadiennes ont conçu une stratégie générale de remplacement des bâtiments de la classe Oberon, qui prévoyait l’acquisition d’au moins six navires modernes dans un délai de dix ans. Le projet du Pacifique a été incorporé à ce nouveau programme. En 1985, le gouvernement conservateur de Brian Mulroney l’a rebaptisé Programme canadien d’acquisition de sous-marins et en a élargi la portée pour inclure l’éventualité d’acheter des submersibles à propulsion nucléaire. En 1987, le gouvernement a annoncé dans son livre blanc sur la défense intitulé Défis et engagements l’acquisition prochaine de 12 sous-marins nucléaires. Le projet a été une fois de plus remanié, et un chef d’acquisition de sous-marins a été nommé pour le diriger. Hélas! le projet a été purement et simplement annulé en 1989. Dans l’intervalle, les navires de la classe Oberon avaient vieilli, et le projet M2549 (Programme de sous-marins canadiens de patrouille) a été lancé en 1990. En 1992, nouveau report de deux ans. En 1994, le gouvernement libéral laissait entendre dans son livre blanc sur la défense qu’il « considère sérieusement l’achat de trois à six sous-marins diesels électriques [...] si cela s’avérait de toute évidence rentable12 ». À nouvelle échéance, nouvelle appellation : le programme porterait désormais le numéro M2549 et s’appellerait le Programme de prolongation de la durée de vie des sous-marins. Pendant ce temps, un à un, les bâtiments de la classe Oberon dépassaient leur durée de vie utile, établie à 25 ans.

Entre 1994 et l’été 1997, la Défense nationale a déployé des efforts considérables pour expliquer au Cabinet, et à la population canadienne, la nécessité d’acquérir de nouveaux sous-marins. Plusieurs notes ont été rédigées à l’intention du gouvernement, toutes reprenant les mêmes thèmes : l’importance des sous-marins pour la sécurité nationale dans le contexte de la politique de défense de 1994; leur contribution à l’exercice de la souveraineté nationale; leur rôle dans la défense du Canada et la défense collective de l’Amérique du Nord; enfin, la possibilité de leur confier, en tant que forces navales polyvalentes et aptes au combat, la tâche de protéger la sécurité et la stabilité internationales dans le cadre des opérations de l’OTAN ou d’autres opérations bilatérales ou multilatérales, notamment sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies. Une analyse classifiée transmise au gouvernement en juin 1997 signalait la nécessité de mener des opérations de surveillance à coût modique; de préserver les capacités et la crédibilité du Canada en matière de lutte anti-sous-marine dans les opérations de contingence menées par les alliés ou par d’autres partenaires internationaux; de donner à toutes les forces maritimes canadiennes la possibilité de recevoir une formation à la guerre sous-marine et d’acquérir expérience et savoir-faire dans ce domaine; enfin, de maintenir la participation du pays à l’échange de renseignements et d’information avec ses alliés.

Le 6 avril 1998, à l’issue de longues négociations intensives avec le Royaume-Uni, le gouvernement annonçait enfin que le Programme de prolongation de la durée de vie des sous-marins avait débouché sur la décision d’acheter quatre sous-marins réarmés de la classe Upholder. Après l’acquisition de chaque navire, des travaux de « canadianisation » s’étendant sur une période de six mois seraient réalisés au Canada et comprendraient une formation de base en matière de sécurité, une formation à terre, le transfert des données techniques sur les bâtiments et la conversion initiale de certaines pièces d’équipement. Initialement, il était prévu qu’à partir d’avril 2000 les sous-marins seraient expédiés au Canada à six mois d’intervalle et que tous les quatre seraient opérationnels au début de 2004, étant donné que le bureau du projet mettrait fin à ses activités en 2006-2007. Le coût du projet se chiffrait à 750 millions de dollars canadiens, mais le Conseil du Trésor a autorisé, en 2003, des dépenses supplémentaires, portant le total à 896 millions de dollars. À titre de comparaison, le Bureau du vérificateur général et le chef du Service d’examen du quartier général de la Défense nationale concluaient, dans un rapport daté de 2003, que le Canada avait acquis des bâtiments dont la valeur pouvait sans exagération être estimée à trois milliards de dollars canadiens.

Les nouveaux sous-marins canadiens porteraient le nom d’une ville : Victoria (SSK876), Windsor (SSK877), Corner Brook (SSK878) et Chicoutimi (SSK879), comme on l’avait fait pour les frégates de la classe Halifax et pour les navires de défense côtière de la classe Kingston. Le projet d’acquisition a été confié à un bureau dirigé par un sous-ministre adjoint et une direction relevant de l’état-major des Forces maritimes, structure inédite et largement simplifiée comparativement à celles créées par le passé dans le cadre des grands programmes d’achat de l’État.

Un sous-marin

Collection de la Revue militaire canadienne

Le prix de consolation dans le sweepstake des sous-marins nucléaires : on voit ici le NCSM Ojibwa, premier de trois bâtiments de la classe O dont la Marine royale du Canada a fait l’acquisition, en mer durant le mois de mai 1965.

Le concept d’opération

Avant même que l’acquisition des bâtiments de la classe Victoria ne soit annoncée, la marine avait commencé à formuler un concept d’opération actualisé pour les sous-marins, basé sur l’expérience acquise avec la classe Oberon après la guerre froide. Cette mise à jour était motivée par un constat essentiel : même si les sous-marins continuent de jouer un rôle clé au sein d’une force maritime équilibrée, les nouveaux bâtiments seraient sans doute appelés à remplir des missions nouvelles, tout aussi importantes. Le concept d’emploi provisoire de la classe Victoria voyait le jour en 1998; il a été étoffé en 2001 par des instructions opérationnelles détaillées, dont le nouveau concept d’opération circonstancié. On a modifié le document maintes fois avant d’en arriver à la version actuelle, qui décrit les missions et les modalités d’emploi des sous-marins et précise spécifiquement que ceux-ci doivent pouvoir être déployés dans les eaux canadiennes, dans les eaux nord-américaines ou à l’étranger afin de contribuer à la défense et à la sécurité nationales13.

Pour réunir les capacités nécessaires à l’accomplissement de toutes ces tâches, il faut préserver les moyens classiques de la guerre anti-sous-marine et antinavires et acquérir des compétences nouvelles exigées par la conjoncture, notamment au point de vue du renseignement, de la surveillance, de la reconnaissance et du soutien aux opérations spéciales. Compte tenu des pro-blèmes de sécurité soulevés par les nouvelles menaces asymétriques, des efforts sont déployés à l’heure actuelle pour que les sous-marins fassent partie des moyens d’opérations spéciales et de lutte antiterroriste que la Défense nationale s’emploie à acquérir. Une fois qu’on aura atteint un rythme opérationnel stable en 2011, il est prévu qu’un bâtiment sera disponible en permanence pour participer, dans un délai relativement court, à une opération de contingence d’une durée maximale de six mois au large du Canada ou ailleurs; on envisage également qu’un second sous-marin prenne la relève afin de prolonger d’autant l’opération. Toutefois, le concept d’opération ne prévoit pas doter les bâtiments de la classe Victoria de la capacité (réaliste en théorie) d’évoluer sous la banquise, vu le coût très élevé d’une modification des systèmes de propulsion et autres. Par contre, il envisage sérieusement un nombre limité de mises à jour qui permettraient aux sous-marins de manœuvrer beaucoup mieux dans les eaux du Nord, à proximité de la banquise, et d’y défendre les intérêts du Canada.

Un sous-marin

Défense nationale, photo HS030508d02, du soldat Halina Folfas, Services d’imagerie de la formation, Halifax

Le NCSM Victoria dans le port de Halifax.

Les catalyseurs

À partir de la fin des années 1960, les sous-marins de la classe Oberon des Forces canadiennes se sont régulièrement rendus au Royaume-Uni dans le cadre d’un programme structuré d’échanges de bâtiments. C’est là qu’ils ont acquis leur première expérience de la guerre froide en participant à des opérations diverses, notamment la recherche de renseignement, appelée dans le langage familier « missions mystérieuses » ou « missions sournoises ». Accaparé par la formation à la lutte anti- sous-marine, l’unique sous-marin basé dans le Pacifique n’était disponible que pour de rares missions opérationnelles, mais il a néanmoins servi à une vaste formation fort utile pour les opérations spéciales14. Au cours des années 1970, il était d’usage de mener une patrouille de surveillance annuelle dans l’Atlantique canadien. En 1980, un ordre d’opération allait officialiser les patrouilles stationnaires et faciliter, pour les dix années qui allaient suivre, une série d’opérations dirigées contre des navires de surface et des submersibles de la marine soviétique dans le secteur occidental de l’Atlantique. Les sous-marins se verraient confier, entre autres tâches, la surveillance des bâtiments consacrés au renseignement et au suivi des activités spatiales, des missions de renseignement sur les nouveaux modèles de navires soviétiques et des patrouilles de détection et de suivi des sous-marins lance-missiles balistiques soviétiques en transit vers leurs stations, dans la partie ouest de l’Atlantique. Ces patrouilles étaient souvent menées conjointement avec des avions à long rayon d’action de type Argus et Aurora, stationnés aux bases des Forces canadiennes de Greenwood et de Summerside, ou avec des appareils Orion P3 de la marine américaine, appartenant aux bases aéronavales de la côte est des États-Unis. Le Projet de révision opérationnelle des sous-marins et l’acquisition des torpilles lourdes MK-48 au milieu des années 1980 ont permis de fournir des services de patrouille plus efficaces et mieux adaptés aux besoins du moment. L’OTAN n’a pas manqué de remarquer que le Canada disposait dès lors de sous-marins pleinement opéra-tionnels, apport jugé suffisamment important pour dispenser le pays de contribuer d’autres types de plates-formes. Enfin, le Canada était parvenu à acquérir une flotte navale équilibrée, capable d’assurer une présence à tous les niveaux de l’espace maritime : en profondeur, en surface et au-dessus de la mer.

La fin de la guerre froide, loin de sonner le glas des patrouilles opérationnelles, a conduit à la réaffectation des sous-marins en fonction des nouvelles priorités. Entre 1991 et 1994, nos submersibles ont mené quatre patrouilles de soutien de grande envergure : les opérations Ambuscade et Grouse pour le compte de Pêches et Océans Canada et les opérations Jaggy et Bluebird pour le ministère du Solliciteur général. Trois d’entre elles en particulier ont permis d’obtenir des résultats notables, entre autres : la surveillance renforcée de la pêche sur le banc de Georges en 1993 afin de réprimer les infractions commises par les bateaux de pêche venus de la Nouvelle-Angleterre; la découverte d’une grande quantité de stupéfiants déversés dans les eaux, qui ont par la suite été récupérés par des plongeurs de la marine et ont servi de pièces à conviction dans une poursuite judiciaire; la surveillance des flottilles de pêche portugaise et espagnole sur les Grands Bancs en 199415. Bien entendu, d’autres patrouilles ont été menées à des fins militaires, mais cette fois sans la présence d’observateurs d’autres ministères, notamment les deux exercices de consolidation réalisés par les nouveaux sous-marins de la classe Victoria au large de la côte est du Canada. Il importe de noter que, même si la capacité opérationnelle totale n’est pas encore acquise, un sous-marin est déjà disponible en permanence pour participer aux opérations nationales et continentales au large de notre littoral atlantique. À compter de 2009, leur nombre devrait doubler, ce qui permettra d’étendre la disponibilité de la flotte aux côtes atlantique et pacifique de l’Amérique du Nord.

La mise en service des sous-marins et la concrétisation de leur capacité opérationnelle ont été et continuent d’être retardées par des difficultés de réarmement et par d’autres problèmes, dont l’incendie qui s’est déclaré à bord du NCSM Chicoutimi en octobre 2004. Devant cette situation, la marine a peine à démontrer, dans un langage clair et facile à comprendre pour les non-initiés, les avantages que seuls les sous-marins procurent. Malgré tout, le Canada a rétabli une présence sous-marine dans le Pacifique, ce qui favorise la protection de sa souveraineté et donne plus de souplesse à ses forces navales. La capacité opérationnelle initiale est acquise. Un sous-marin peut dorénavant participer en permanence à la protection de la souveraineté nationale et à la défense collective du territoire. Le soutien aux forces d’opérations spéciales est en voie d’être rétabli, et l’arme sous-marine sera utilisée pour valider le principe de la Force opérationnelle permanente de contingence, que l’on prévoit adopter à l’automne 2006. Autrement dit, ces évolutions se situent dans le droit fil du programme de transformation des Forces canadiennes. Même si la participation des sous-marins aux opérations expéditionnaires devra encore attendre, le gouvernement fédéral dispose actuellement de puissants moyens dissuasifs en cas de menace à la sécurité nationale ou à la défense collective. L’investissement important consenti pour l’acquisition des sous-marins correspond bien à l’esprit et aux objectifs de la transformation des Forces canadiennes, tout en préservant la capacité de réagir à des menaces plus classiques, comme la prolifération des sous-marins ultramodernes dans le monde.

Un sous-marin

Défense nationale, photo HS2006-0428-06, du caporal Jodie Cavicchi, Services d’imagerie de la formation, Halifax

On voit, se tenant sur le NCSM Windsor, des éclaireurs de l’Armée de terre et des journalistes du réseau CBC, à l’issue de l’exercice Joint Express 2.

Vers une certaine stabilité

L’atteinte de la capacité opérationnelle initiale des bâtiments de la classe Victoria, annoncée le 26 avril 2006 par la publication de l’Ordonnance générale 023/06, représente une étape importante. Il reste cependant beaucoup à faire pour maintenir deux sous-marins en service permanent d’ici à 2009 et mettre en disponibilité, à compter de 2010, un bâtiment au service des opérations de sécurité à l’étranger. La constitution d’équipages de sous-mariniers qualifiés présente encore des difficultés auxquelles les responsables de la planification des effectifs et de la formation navale s’efforcent ardemment de trouver des solutions. Les quatre vaisseaux doivent en priorité être capables de lancer des torpilles lourdes. Il est essentiel de réviser le cycle de fonctionnement et de mettre en place un contrat de soutien en service pendant la durée de vie des bâtiments. Il reste également à établir le coût logistique d’une telle acquisition et à prendre pleinement conscience des responsabilités inhérentes à la tutelle maritime16. Bientôt, il faudra prendre en charge des problèmes d’obsolescence et préserver à la fois la furtivité qui fait l’avantage tactique de cette classe de sous-marins, la viabilité de ses systèmes de combat et de détection et l’interopéra-bilité de son matériel de communications. La torpille lourde est sur le point d’atteindre la limite de sa durée de vie utile, et il faut planifier sa modernisation ou son remplacement. La capacité opérationnelle totale ne sera acquise que si les échéanciers techniques sont respectés et si le personnel essentiel est recruté et formé.

Investir ou désarmer?

Selon les dernières estimations, il faudrait au Programme des services de la Défense un supplément de 60 milliards de dollars sur 20 ans (ou, pour simplifier, trois milliards de dollars par an) pour répondre aux besoins des Forces canadiennes. Afin de réduire l’écart, certains ont proposé de désarmer les sous-marins. Cette mesure permettrait, en termes strictement budgétaires, d’épargner annuellement quelque 200 à 250 millions de dollars, ce qui représente un peu moins de 7 p. 100 du manque à gagner. Les économies ainsi réalisées ont peu de chance d’être réinvesties dans d’autres secteurs et elles risquent fort de contribuer au problème insoluble de l’éternelle insuffisance budgétaire de la Défense nationale. Le Canada doit-il investir dans le maintien de sa flotte sous-marine ou doit-il s’en débarrasser purement et simplement? Cette décision dépend de la réponse donnée à une première question, fondamentale, et à d’autres qui en découlent. D’abord, pourquoi avons-nous acheté des sous-marins? Pourquoi le Canada tient-il mordicus à se doter de tels bâtiments? Que lui procurent-ils? Peuvent-ils avoir un effet stratégique? Sont-ils rentables?

Nous avons déjà abordé les raisons évoquées au milieu des années 1990 pour justifier l’achat des bâtiments de la classe Victoria et nous avons aussi parlé de la modernisation de l’arme sous-marine nationale, annoncée en 1998. Pour mieux situer le problème, plaçons-nous dans l’environnement géopolitique et stratégique d’aujourd’hui et tentons de répondre aux questions que nous venons de soulever. La possession d’une flotte sous-marine est indispensable pour permettre au Canada de réaliser trois objectifs fondamentaux : l’impact stratégique, l’équilibre des forces et la souveraineté.

La présence de sous-marins à propulsion classique, comme les bâtiments de la classe Victoria, produit un impact stratégique au pays et à l’étranger. Dans certaines situations, ils sont capables à eux seuls d’influencer les décisions politiques, diplomatiques et militaires d’un adversaire. Une telle influence s’explique par leur furtivité, leur autonomie, leur mobilité, leur puissance de destruction et leur manœuvrabilité et par le fait qu’ils offrent aux décideurs la possibilité de cacher ou non leur présence et de les affecter à des opérations offensives ou défensives. Parmi les moyens dont disposent les Forces canadiennes, bien peu – s’il en est – permettent d’influencer voisins, alliés et adversaires potentiels avec autant de crédibilité et moyennant un coût aussi modique. Les sous-marins peuvent-ils avoir un effet stratégique? Absolument. Ils en ont fait la preuve par le passé et ils ont conservé cette capacité. Les sous-marins offrent une grande liberté d’action, et le prix à payer en investissement initial, en équipement et en personnel est dérisoire en comparaison. Cette raison, à elle seule, les rend indispensables.

Par ailleurs, les sous-marins, même ceux à propulsion classique, favorisent l’équilibre non seulement au sein des forces navales, mais aussi dans l’ensemble des Forces canadiennes. Grâce à leur souplesse et à leurs caractéristiques inhérentes, ils exercent un effet multiplicateur sur les forces déployées et agissent comme agents de changement. Ils assurent une présence sur le plan vertical, à tous les niveaux de l’espace de combat (en profondeur, en surface ou au-dessus de la mer, en tout lieu) et participent en même temps à toute la gamme des opérations sur le plan horizontal. Supprimer les sous-marins créerait un déséquilibre qui serait difficile à rétablir non seulement dans le secteur maritime, mais aussi à l’échelle du gouvernement. Même si l’on fait abstraction des conséquences sur la souveraineté, le désarmement aurait pour effet d’effacer à jamais, d’ici une quinzaine d’années, tout le savoir militaire acquis au sujet de la guerre sous-marine et des opérations spéciales et une bonne partie des connaissances accumulées sur la lutte anti-sous-marine.

Enfin, l’arme sous-marine est l’un des éléments essentiels à l’exercice de la souveraineté nationale. En effet, moyennant un coût minime, elle permet d’entreprendre des missions de surveillance prolongées, secrètes ou non, dans les zones de compétence canadienne de l’Atlantique et du Pacifique ainsi que dans les eaux libres de glaces des régions nordiques. Se priver de cette arme, c’est non seulement renoncer à mener de telles opérations, mais aussi s’exclure de certains réseaux importants de gestion de l’espace marin et de partage des renseignements. Enfin, cette décision montrerait clairement (même si l’intention n’y était pas au départ) que le Canada ne prend pas au sérieux l’exercice de sa souveraineté dans ses zones maritimes.

Un sous-marin

Défense nationale, photo HS035621d44

Le NCMS Victoria traverse le canal de Panama, dans une scène qui n’est pas loin de celle envisagée dans le cadre d’opérations expéditionnaires – sauf que le sous-marin ne serait pas visible.

Les propositions souvent avancées pour justifier l’abandon de notre arme sous-marine, sous le prétexte d’une rationalisation de l’arsenal des Forces cana-diennes, sont fondées sur trois idées erronées. Évoqués tantôt individuellement, tantôt collectivement, ces trois mythes persistent malgré leur fausseté :

Mythe nº 1. La lutte anti-sous-marine, et la guerre sous-marine, n’a plus de raison d’être, et il faudra attendre au moins une dizaine d’années avant qu’elle soit propulsée de nouveau au cœur du débat. Il n’est donc pas nécessaire que le Canada continue de s’y intéresser et encore moins qu’il possède des sous-marins pour la lutte anti-sous-marine ou pour la formation. Avec un enthousiasme à la mesure de leur ignorance, divers commentateurs assurent que le sous-marin, à l’instar du char d’assaut, est un vestige de la guerre froide et ne constitue plus une menace ni une nécessité dans le contexte canadien actuel.

Mythe nº 2. Les bâtiments de la classe Victoria en particulier ne se sont pas « avérés rentables » et vont d’avarie en avarie; une modernisation radicale et fort coûteuse s’impose déjà, car leurs systèmes vitaux sont dépassés. Et comme le Canada est l’unique acquéreur de tels bâtiments, il doit assurer seul l’entretien et les frais qui y sont associés.

Mythe nº 3. La marine des États-Unis, principal allié du Canada et partenaire dans la défense du continent, possède la flotte sous-marine la plus perfectionnée et la plus efficace du monde, sans parler d’une armada de porte-avions, de croiseurs, de destroyers, de sous-marins, de navires amphibies, de bâtiments de soutien logistique et de navires de transport à grande capacité, qui lui assurent la maîtrise totale des mers. Pourquoi le Canada gaspillerait-il son argent pour entretenir une minuscule et impuissante escadre de sous-marins? Le Danemark s’est débarrassé des siens, et il semble que les Pays-Bas envisagent sérieusement de lui emboîter le pas.

Trois mythes qui ne brillent ni par leur clarté ni par la justesse des analogies sur lesquelles ils sont fondés. En réalité, ces idées sont totalement fausses. Non seulement la redoutable arme sous-marine n’a-t-elle rien perdu de son actualité, mais les bâtiments classiques ultramodernes prolifèrent. En effet, au moins deux États envisagent sérieusement de se doter de sous-marins à propulsion nucléaire17. Ceux qui balayaient du revers de la main la menace sous-marine en faisant valoir la perfection du sonar après la Première Guerre mondiale ou les progrès de l’aéronavale pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale ont dû reconnaître l’inanité de leurs opinions18. Étant donné la suprématie de la marine américaine sur les mers, il serait étonnant de revivre les grandes campagnes de guerre sous-marine du XXe siècle. Cependant, une menace plane toujours sur les eaux littorales et, tant que celle-ci demeure, nous devons envisager des moyens de la neutraliser. La lutte anti-sous-marine est loin d’avoir fait son temps; au contraire, un État privé d’une liberté de mouvement sur les océans, y compris dans les eaux avoisinant les pays qui sont le théâtre d’affrontements, est très limité dans ses interventions militaires. Quant à l’analogie avec les chars d’assaut, la ressemblance est purement superficielle : les sous-marins et les blindés ont reçu leur baptême du feu pendant le premier conflit mondial et se sont considérablement perfectionnés au cours du second; ils ont également joué un rôle clé dans l’ordre de bataille de la guerre froide et sont encore aujourd’hui au service de bien des pays. Toutefois, s’il existe désormais des armes relativement peu coûteuses et efficaces contre les chars, les sous-marins ont conservé leur invulnérabilité. En tout état de cause, il serait prématuré et même dangereux de croire à la disparition imminente de l’une comme de l’autre arme.

Pour ce qui est de la rentabilité des bâtiments de la classe Victoria, les faits sont notoires. Sur le plan purement financier, l’achat de tels bâtiments demeure une bonne affaire. Il est vrai que diverses difficultés techniques et autres, en particulier le tragique incendie à bord du Chicoutimi, ont retardé leur disponibilité et ont entraîné plusieurs reports. Ce genre d’avatar est cependant courant lorsque l’on met en service des plates-formes complexes, surtout en temps de paix, période où la sécurité doit être une priorité absolue. La réussite du programme est abondamment démontrée par les résultats déjà obtenus au point de vue des opérations et de l’entretien, lesquels seront certes une source d’inspiration, notamment dans la recherche d’une solution à l’inévitable obsolescence de certains systèmes critiques. À l’instar de tout matériel militaire, les sous-marins exigent une modernisation continue, planifiée avec soin, de sorte qu’ils conservent leur pleine efficacité pendant toute leur vie utile. Comme tous les submersibles, les bâtiments de la classe Victoria sont de construction robuste. Ils reçoivent un entretien rigoureux, et il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne pourront assurer un service opérationnel efficace et sûr pendant deux ou même trois décennies. L’expérience spécialisée des principaux alliés du Canada en la matière, notamment l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, se traduira sans doute par un allégement des risques techniques.

Deux sous-marins

Défense nationale

Le NCSM Windsor et le NCSM Corner Brook rentrent à leur port à la suite d’un rendez-vous effectué en profondeur dans le cadre de l’exercice Marlant Opareas. Il s’agit du premier exercice canadien entre sous-marins à diesel depuis dix ans.

Il est vrai que les États-Unis disposent de la flotte sous-marine la plus puissante du monde; ils ont néanmoins intérêt à ce que le Canada continue de posséder sa propre arme sous-marine classique. Isolément, notre flotte de submersibles semble anodine et, en agissant seule, elle ne pourrait atteindre que des objectifs limités. En revanche, si elle est annexée aux forces sous-marines de l’Australie, de divers pays de l’OTAN, des pays scandinaves, de la Russie, du Japon et d’autres pays d’Asie et d’Amérique du Sud, elle se mêle à un assortiment de moyens diversifiés et puissants, mis à la disposition de pays partageant les mêmes intérêts. En ce qui a trait à la décision du gouvernement danois de désarmer ses sous-marins, le Canada ne peut que s’en réjouir, puisqu’il aura à présent la haute main si son allié de l’OTAN s’avisait de laisser dégénérer un différend dans les eaux arctiques. Bien que cette éventualité soit certes écartée, et même inconcevable selon certains, il n’en reste pas moins que le Canada dispose d’une force de dissuasion et, au besoin, d’une force de riposte.

Conclusion

L’arme sous-marine offre au Canada la possibilité de donner un impact stratégique à son action. En plus d’être une source d’équilibre au sein de nos forces et même dans l’ensemble de notre politique de défense et de sécurité, elle donne au gouvernement le choix entre plusieurs moyens d’intervention puissants. En profondeur comme en surface, les sous-marins sont un instrument fondamental pour assurer la protection directe de notre souveraineté nationale. Dans le cadre de nos relations avec les États-Unis, ils témoignent de notre sérieux dans l’effort de défense collective et nous valent un accès aux renseignements de nos alliés. Par ailleurs, nos voisins sont très sensibles aux dangers qui menacent, à l’échelle internationale, leurs intérêts dans l’espace sous-marin et considèrent notre flotte de submersibles comme un élément important d’une force de guerre sous-marine réunissant l’Australie, divers pays de l’OTAN et le Japon. Sur le plan financier, les avantages des submersibles dépassent largement l’investissement initial qu’exigent leur acquisition et leurs coûts annuels d’exploitation. Notre flotte sous-marine est une arme à ce point spécialisée que, si elle était supprimée, il serait extrêmement difficile de la reconstituer, et ce brillant exploit ne pourrait être accompli à brève échéance et certainement pas dans la conjoncture budgétaire actuelle et prévisible. Le Canada doit absolument conserver une capacité sous-marine pour continuer d’exercer une influence sur les États-Unis et sur la scène internationale, pour mener à bien la transformation des Forces canadiennes et pour faire respecter sa souveraineté dans ses zones maritimes.

Nous tenons à remercier M. Richard Gimblett, M. Wilfred Lund, le commodore Bob Davidson, le capitaine de vaisseau Phil Webster, le capitaine de vaisseau Laurence M. Hickey, le capitaine de vaisseau Brian Brown, le capitaine de frégate Steven Bell, le capitaine de vaisseau à la retraite Allan Dunlop et le capitaine de frégate à la retraite Lloyd Barnes.

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Le capitaine de frégate Michael Craven est sous-marinier depuis 1985 et travaille actuellement au sein de l’état-major des Forces maritimes à Ottawa.

Notes

  1. Après un long et douloureux débat interne, la Royal Navy a décidé de renoncer aux sous-marins diesels électriques au profit d’une flotte à propulsion exclusivement nucléaire. Les réductions qu’a subies le budget général de la Défense et des forces armées britanniques ont joué un rôle décisif dans cette décision. Outre le Canada, le Chili, le Portugal et l’Afrique du Sud avaient envisagé l’achat de bâtiments de la classe Upholder.
  2. Pour une analyse détaillée des événements ayant mené à la création de l’arme sous-marine canadienne moderne, en 1961, voir J. H. W. Knox, « An Engineer’s Outline of RCN History: Part II », dans James A. Boutilier (dir.), RCN in Retrospect, 1910-1968, Vancouver et Londres, University of British Columbia Press, 1982; Michael A. Hennessy, « Fleet Replacement and the Crisis of Identity », dans Michael L. Hadley, Rob Huebert et Fred W. Crickard (dir.), A Nation’s Navy: In Quest of Canadian Naval Identity, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 1996; Marc Milner, Canada’s Navy: The First Century, chapitre 12 : « Uncharted Waters 1958-64 », Toronto, University of Toronto Press, 1999.
  3. Dans le présent article, un sous-marin nucléaire désigne tout submersible propulsé par un réacteur nucléaire, tandis que le terme sous-marin classique s’applique à tous les autres types de bâtiments, quel que soit leur mode de propulsion. Dans un contexte purement canadien, le terme sous-marin sous-entend qu’il s’agit d’un submersible classique.
  4. Le chiffre exact varie inévitablement selon les programmes de construction et de remplacement. Même si le nombre de sous-marins en service a diminué d’au moins 50 p. 100 depuis la fin de la guerre froide, le nombre de pays acquéreurs est resté le même. La qualité des bâtiments s’est par ailleurs considérablement améliorée. Sur les 400 submer-si-bles en activité, une centaine environ sont en mer ou sont prêts pour un déploiement plus ou moins immédiat.
  5. La Chine construit des sous-marins nucléaires de type 093, un sous-marin nucléaire lance-missiles balistiques de type 094 et des sous-marins d’attaque à propulsion diesel de la classe Yuan (une variante locale des sous-marins russes de la classe Kilo). Elle fait l’acquisition de huit bâtiments améliorés de la classe Kilo, qui s’ajouteront à ses quatre autres sous-marins de la classe Kilo, conçus sous l’ancien modèle. Les bâtiments des classes Song et Ming, plus anciennes, seraient en voie d’être désarmés.
  6. Les bâtiments de la classe Amur (appelée Lada dans la marine russe) et ceux de type 212 et 214 sont construits pour l’exportation et pour le marché intérieur; les bâtiments allemands de type 212 sont destinés au marché intérieur et ceux de type 214, au marché étranger.
  7. La propulsion anaérobie est le présage d’un bouleversement des opérations sous-marines, puisqu’elle permettra de prolonger l’autonomie en plongée des sous-marins tout en étant beaucoup moins coûteuse que la propulsion nucléaire.
  8. Cette information est tirée de documents originaux conservés dans les archives du programme de sous-marins (grand projet de l’État nº 3) et aujourd’hui classés au bureau du directeur de la Politique, des Opérations et de l’État de préparation maritimes 4 (Sous-marins).
  9. Les archives classifiées datant du début des années 1990 ne signalent pas moins de 19 incursions possibles de sous-marins étrangers dans les eaux canadiennes ou confiées au Canada par le Commandement suprême allié de l’Atlantique et pour lesquelles aucune collaboration dans la gestion de l’espace marin n’avait pu être obtenue. Ces rapports sont basés sur le récit de témoins oculaires crédibles. Depuis la fin de la guerre froide, d’autres incursions ont été signalées, essentiellement dans l’Arctique et au large du Labrador. Dans le cas des incidents qui ont eu lieu pendant la guerre froide, l’enquête a établi presque chaque fois qu’il s’agissait de submersibles « amis », autrement dit non soviétiques.
  10. Outre les ouvrages sur les premières années de l’après-guerre, cités plus haut, l’histoire générale de la force sous-marine canadienne est relatée dans deux livres de Julie H. Ferguson : Through a Canadian Periscope: The Story of the Canadian Submarine Service (Toronto, Dundurn Press, 1995) et Deeply Canadian, New Submarines for a New Millennium (Port Moody, Beacon Publishing, 2000).
  11. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Grilse (ex-Burrfish) et le Rainbow (ex-Argonaut) ont tous deux participé aux campagnes sous-marines américaines contre le Japon. Le Canada avait espéré remplacer le Rainbow par un sous-marin de la classe Oberon, qui faisait partie du matériel excédentaire de la Royal Navy.
  12. Défense nationale, Le livre blanc sur la défense de 1994, chapitre 7 : « Mise en œuvre de la politique de défense », Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1994, p. 46.
  13. Concept d’opération applicable aux bâtiments de la classe Victoria, version 1.3 [en ligne] <http://navy.dwan.dnd.ca/english/dgmfd/dmmcp/sip/ orgchart/CONOPS%201.3.doc> (le 6 avril 2006). Seuls les utilisateurs autorisés par la Défense nationale peuvent accéder à ce lien, qui mène au site Web du chef d’état-major des Forces maritimes consacré aux sous-marins.
  14. Les États-Unis s’en servaient en particulier pour entraîner les forces des opérations spéciales de la marine et de l’infanterie de marine en prévision d’interventions en Asie.
  15. Pour obtenir des détails sur le mandat confié aux sous-marins des Forces canadiennes en ce qui concerne le resserrement de la surveillance des pêches, lire l’article du capitaine de vaisseau Laurence M. Hickey, « The Submarine as a Tool of Maritime Enforcement », International Coastal Zone Management, n˚ 1, printemps 2000.
  16. Placé sous tutelle maritime, le Canada doit, pour la première fois, prendre en charge une classe de sous-marins sans le soutien substantiel d’un autre pays. Les nombreux bâtiments de la classe Oberon ont navigué sous pavillon britannique ou ont été vendus à divers pays. De la même manière, la classe de sous-marins de construction américaine à laquelle appartenaient le Grilse et le Rainbow était l’une des plus répandues. Dans les deux cas, la marine d’origine a fourni au Canada une aide précieuse pour l’entretien des bâtiments pendant toute leur durée de vie.
  17. Il s’agit du Brésil et de l’Inde.
  18. L’acronyme ASDIC est souvent associé au nom anglais de la Commission commune franco- britannique de lutte anti-sous-marine (Anti-Submarine Detection and Investigation Committee), créée pendant la Première Guerre mondiale. Fait intéressant, au moins un historien spécialisé dans la lutte anti-sous-marine doute que cette commission ait réellement existé. Voir Willem Dirk Hackmann, Seek and Strike: Sonars, Anti-Submarine Warfare and the Royal Navy, 1914-54, Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1984.