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Histoire

Drapeau de la Royal Navy

Le pavillon blanc de la Royal Navy.

Drapeau du Japon

Le drapeau du Soleil levant du Japon impérial.

Leonard Birchall et le raid japonais sur Colombo

par Rob Stuart

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Introduction

Le commodore de l’air Leonard Joseph Birchall est réci-piendaire de nombreuses distinctions et récompenses honorifiques : l’Ordre du Canada, l’Ordre de l’Ontario, l’Ordre de l’Empire britannique (grade d’officier), la Croix du service distingué dans l’Aviation, la Décoration des Forces canadiennes et la Légion du mérite des États-Unis (grade d’officier). Il est décédé en septembre 2004 à l’âge de 89 ans. La majorité des quotidiens du Canada ont annoncé son décès, et aucun n’a manqué de citer son surnom : le « sauveur du Ceylan ». Il avait été ainsi surnommé pour avoir signalé l’approche de la flotte japonaise au large du Ceylan (aujourd’hui le Sri Lanka), alors qu’il patrouillait à bord d’un hydravion Consolidated Catalina du 413e Escadron de l’Aviation royale du Canada, le 4 avril 1942. Il est toutefois dommage que peu de récits des exploits de Birchall offrent un résumé complet des opérations de combat sur lesquelles son message a eu un effet déter-mi-nant. Dans le présent article, nous tenterons de placer le message de Birchall dans le contexte des opérations qui se sont déroulées au large et dans l’espace aérien du Ceylan entre le 26 mars et le 9 avril 1942.

Historique

Les navires que Birchall a aperçus appartenaient à la première flotte aéronavale, soit le même groupement tactique qui avait attaqué Pearl Harbor. Sous le commandement du vice-amiral Chuichi Nagumo, la flotte se composait de cinq porte-avions (l’Akagi, le Hiryu, le Soryu, le Shokaku et le Zuikaku), de quatre cuirassés (le Kongo, le Haruna, le Kirishima et le Hiei), de deux croiseurs lourds (le Chikuma et le Tone), d’un croiseur léger et de huit destroyers. Il s’agissait d’une force puissante dotée d’équipages chevronnés et pourvue de plus de 300 avions de combat modernes, parmi lesquels un bon nombre de chasseurs redoutables de la classe Mitsubishi A6M (mieux connu sous le nom de Zero). Pour le Japon, l’opération C visait principalement à protéger le flanc ouest de ses forces en neutralisant les forces britanniques aériennes et navales réunies dans l’océan Indien. Le deuxième objectif était de perturber le transport maritime dans la baie de Bengale et d’appuyer le mouvement pour l’indépendance de l’Inde, dont l’intention était de soustraire l’Inde aux efforts de guerre. Il s’agissait donc d’un raid, et non pas d’une invasion du Ceylan1.

Les Britanniques ne s’étaient pas encore remis d’une série de désastres qui venaient de frapper. Hong Kong, la Malaisie, Singapour, Bornéo et une grande partie de la Birmanie étaient tombés, et les forces japonaises s’approchaient de la frontière orientale de l’Inde. Pour enrayer leur avance, il fallait envoyer tous les renforcements dispo-nibles en Extrême-Orient. C’est ainsi qu’à la fin février le 413e Escadron, alors stationné à Sullom Voe dans les îles Shetland, a reçu l’ordre, comme d’autres contingents, de se relocaliser au Ceylan. À la mi-mars, ses quatre Catalina ont donc quitté l’Europe, suivis du personnel de piste, qui empruntait la voie maritime2.

Leonard Birchall

Collection de la Revue militaire canadienne

Leonard Joseph Birchall, dans la cabine de son appareil Catalina.

Le 26 mars 1942, l’amiral James Somerville prend le commandement de la flotte orientale de la Grande-Bretagne, assemblée dans les eaux territoriales du Ceylan. Cette nouvelle flotte se compose de deux porte-avions modernes (l’Indomitable et le Formidable), du porte-avions léger Hermes, de cinq cuirassés (le Warspite, le Resolution, le Ramillies, le Royal Sovereign et le Revenge), des croiseurs lourds Dorsetshire et Cornwall, de cinq croiseurs légers et de quatorze destroyers. C’est là une force considérable, mais, comme elle venait d’être constituée, elle n’avait encore fait aucun exercice en tant que flotte opérationnelle. Les quatre cuirassés de la classe R sont de vieux bâtiments lents, dont le rayon d’action est limité; certains des croiseurs et des destroyers ont, quant à eux, dépassé leur durée de vie utile. Qui plus est, les deux porte-avions n’ont à leur bord que 80 appareils au total, dont aucun bombardier en piqué; les 45 avions lance-torpilles sont des Fairey Albacore, biplans démodés et peu maniables. Parmi les 35 chasseurs, on compte 14 Grumman Martlet ou Wildcat, leur appellation américaine d’origine, 9 Hawker Sea Hurricane et 12 biplaces Fairey Fulmar. Tous sont inférieurs au Zero, en particulier le Fulmar3. Peut-être les auteurs de l’édition 2005 du livre The World’s Worst Aircraft exagèrent-ils légèrement en classant l’Albacore et le Fulmar parmi les pires avions jamais construits, mais il n’en demeure pas moins que la Royal Navy doit alors se contenter d’avions plutôt médiocres, même pour l’époque4.

Cependant, les Britanniques possèdent certains avantages, comme le radar, absent de l’arsenal japonais. La flotte orientale est aussi bien équipée pour la surveillance aérienne, la surveillance de surface et le tir au radar5. La majorité des Albacore sont munis d’un radar aéroporté de détection de bâtiments de surface, le Mark IIN, qui peut détecter la présence d’un navire de tonnage moyen à une distance pouvant aller jusqu’à 15 milles (24 kilomètres)6. Enfin, les Britanniques bénéficient d’une zone de mouillage secrète dans l’atoll d’Addu, situé à l’extrémité sud des îles Maldives, à quelque 600 milles (965 kilomètres) au sud-ouest du Ceylan. La guerre durant, les Japonais n’en soupçonneront jamais l’existence.

L’amiral Nagumo

Collection de la Revue militaire canadienne

L’amiral Chuichi Nagumo.

Somerville sait que les Japonais l’emporteront s’ils lui opposent leur force de frappe principale. Cependant, il est convaincu qu’il peut tenir tête à un détachement limité et que, de nuit, il a l’avantage. Pour éviter tout risque d’engagement dans des conditions défavorables, l’amiral doit pouvoir être informé sans délai dès que toute force japonaise s’engage dans l’océan Indien. Sa principale source d’information est le centre de renseignement oriental interallié. Cette unité du renseigne-ment électromagnétique recueille les transmissions radio captées régulièrement par les stations d’interception situées dans tout l’Extrême-Orient et dans le Pacifique, dont une se trouve d’ailleurs à Esquimalt, en Colombie-Britannique7.

À l’époque, le centre de renseignement oriental interallié, avec l’aide des centres de rensei-gnement électromagnétique de la marine des États-Unis, avait déjà infiltré le dispositif de chiffrement de la flotte principale du Japon, connu dans les services alliés sous l’appellation « JN-25 ». En mars 1942, ses spécialistes parviennent à recons-truire le JN-25B, la dernière version de ce dispositif en service depuis décembre 1941, de sorte qu’il leur est maintenant possible de déchiffrer assez rapidement de longs fragments de messages. Avant la fin du mois, les chiffreurs américains peuvent établir que les porte-avions japonais sont sur le point de pénétrer dans l’océan Indien, et Colombo en est immédiatement averti. Le centre de renseignement oriental interallié a également pu comprendre qu’une opération imminente serait menée par un détachement de porte-avions dans le secteur « D » et qu’une attaque aérienne dans le secteur « DG » était prévue le 1er ou le 2 avril. Le sens de ces indicateurs géographiques, correspondant peut-être à un code double, n’est pas clair, mais il semblerait que le secteur « D » désigne l’Inde ou le Ceylan8. Fort heureusement, certains Japonais ne saisissent pas non plus le sens précis de « DG », et c’est pourquoi, le 28 mars, un de leurs opérateurs informe un collègue dans un message chiffré par JN-25B et intercepté par le centre de renseignement oriental interallié qu’il s’agit de Colombo9. Somerville en est avisé le jour même et apprend également que les Japonais doivent lancer au moins deux porte-avions, accompagnés de croiseurs, de destroyers et peut-être de cuirassés rapides de la classe Kongo10. Comme on le sait aujourd’hui, ils allaient en fait lancer cinq porte-avions accompagnés de quatre Kongo.

Somerville suppose que les Japonais attaqueront simultanément les deux principaux ports du Ceylan, Colombo et Trincomalee. Il estime que leur attaque partira d’un point défini par les coordonnées 5° 20’ N et 80° 53’ E (ou à peu près), soit à une centaine de milles (environ 160 kilomètres) au sud-est du Ceylan et à une distance de 180 à 200 milles (de 290 à 320 kilomètres) des deux ports. Il envoie donc des patrouilles de surveillance à l’endroit où les Catalina balaient un secteur qui peut s’étendre jusqu’à 420 milles (675 kilomètres) de Colombo, entre les azimuts de 110° et 154°, soit la direction d’où l’on attend l’ennemi11. En réalité, les Japonais envisagent uniquement de frapper Colombo, dans une première attaque, et leur point de lancement se trouve beaucoup plus à l’ouest que l’endroit indiqué par Somerville.

Au départ, seulement six Catalina sont mis en service12. Chaque patrouille doit durer jusqu’à 32 heures et, par conséquent, on ne peut lancer quotidiennement que la moitié des appareils13. Cela signifie que chacun des trois avions doit couvrir un arc d’environ 15 degrés. En comparaison, deux mois plus tard, la marine des États-Unis enverra 22 Catalina depuis l’île de Midway pour couvrir un arc de 180 degrés à la recherche de la force opérationnelle japonaise, dont l’approche a été prédite par les services du renseignement électromagnétique; cela représente un arc de recherche de seulement 8 degrés par avion14. Cet écart illustre les contraintes imposées à la force de reconnaissance dont dispose Somerville.

L’arrivée opportune du petit contingent de l’Aviation royale du Canada est une bonne nouvelle. Le premier appareil du 413e Escadron, piloté par le capitaine d’aviation Rae Thomas, DFC, de la Royal Air Force, se pose le 28 mars; trois jours plus tard, il effectue sa première mission. Birchall, alors commandant de l’escadron, arrive le 2 avril à bord du deuxième appareil15.

L’amiral Somerville

Photo A24959, IWM

L’amiral Sir James Somerville inspecte le personnel féminin de la marine.

Somerville passe à l’action

Le 30 mars, Somerville donne à la flotte orientale l’ordre de prendre le large. Partis de Colombo, de Trincomalee et de l’atoll d’Addu, ses navires se regroupent le lendemain à 16 h, à 80 milles (130 kilomètres) au sud du Ceylan. Après avoir examiné le groupement pour la première fois, il observe : « C’est donc ça, la flotte orientale? Eh bien, il est dit qu’on peut faire du bon vin même dans des vieilles bouteilles16! »

L’amiral a groupé la flotte en deux divisions. La force A, sous son commandement, comprend le Warspite, l’Indomitable, le Formidable, le Cornwall, le Dorsetshire, deux croiseurs légers et six destroyers. La force B, plus lente, compte quatre cuirassés de la classe R, le Hermes, trois croiseurs légers et huit destroyers.

Vu que Londres a enjoint l’amiral Somerville de préserver la flotte orientale avant d’assurer la défense du Ceylan17, on aurait pu penser qu’il éviterait de diriger ses navires vers une passe dangereuse. Pourtant, il fait tout autrement, et cela, pour deux raisons. Il y a tout d’abord son caractère batailleur. De son propre aveu, il a envie de donner « une bonne raclée » à l’ennemi18. Ce n’est pas pour rien que sa biographie sera intitulée Fighting Admiral (un amiral bagarreur). La seconde raison, c’est que les renseignements à sa disposition le portent à croire que les conditions d’un engagement seront en sa faveur. Il sait quand l’ennemi arrivera et croit qu’il ne fera peut-être face qu’à deux porte-avions. Or, les services de renseignement des forces navales britanniques ont sous-estimé la puissance des porte-avions japonais. Par exemple, ils ont estimé que le Shokaku et le Zuikaku ne porteront chacun qu’une soixantaine d’appareils. En réalité, chaque porte-avions a une capacité de 72 avions, plus 12 appareils de relève19. Par ailleurs, on a aussi sous-évalué la performance des avions japonais. Malgré le fait que des Zero avaient participé à l’attaque du 8 décembre dans les environs de Manille, soit à 450 milles (725 kilomètres) des bases japonaises de Formose (aujourd’hui Taïwan), personne ne semble en avoir tiré la conclusion que cet avion jouit d’un rayon d’action considérable. Cette carence est due en partie au fait que les divers commandements alliés n’ont pas l’habitude de partager immédiatement les comptes rendus opérationnels avec leurs collègues, ce qui leur a nui à tous20.

L’opération C

Collection de la Revue militaire canadienne

Déclenchement de l’opération C, le 26 mars 1942 : le bâtiment Akagi quitte la baie Staring. Il sera suivi par le Soryu, le Hiryu, les navires de guerre Hiei, Kongo, Kirishima et Haruna, puis les porte-avions Shokaku et Zuikaku. Il faut noter que le Akagi et le Hiryu ont des structures de pont à bâbord.

Somerville estime que la force aérienne japonaise attaquera probablement à la faveur du clair de lune – la pleine lune tombe le 1er avril – pour rentrer à leurs porte-avions à l’aube, vers 6 h. Selon ce plan, Nagumo atteindrait son point de lancement aux environs de 2 h. Somerville décide de lui tendre une embuscade. Si, pendant la nuit, ses radars détectent la présence de Nagumo qui, lui, n’a pas de radar, il pourra alors frapper la flotte japonaise avec ses avions torpilleurs. Le 31 mars, il maintient donc sa position loin à l’ouest du rayon d’action des patrouilleurs de Nagumo, jusqu’à la tombée de la nuit. Puis, il fonce directement sur le point de lancement estimé de la force japonaise, où il arrive à 2 h 30.

Toutefois, Nagumo n’est pas au rendez-vous cette nuit-là, et l’amiral se retire vers le sud-ouest pour rester hors de portée des patrouilles de jour ennemies, au cas où les Japonais arriveraient soudainement dans le secteur. Il retourne la nuit suivante au point où il estime que Nagumo lancera son attaque et, le 2 avril avant l’aube, il se retire encore une fois en direction sud-ouest. À la tombée de la nuit le 2 avril, soit la troisième nuit, il lance une fois de plus ses recherches vers l’est.

À 21 h le 2 avril, n’ayant vu aucune trace des Japonais depuis trois jours, Somerville en conclut que l’attaque a été annulée. Il ne peut d’ailleurs pas maintenir sa flotte en mer plus longtemps, car ses quatre cuirassés de la classe R produisent juste assez d’eau douce pour y demeurer à peine quelques jours de plus. La flotte met donc le cap sur l’atoll d’Addu, d’abord parce que la majorité des navires auxiliaires s’y trouvent déjà et ensuite pour garder une distance, au cas où la flotte japonaise ferait une apparition tardive près de Colombo. Somerville doit toutefois y envoyer deux bâtiments : le Cornwall, pour escorter un convoi de troupes, et le Dorsetshire, pour y poursuivre des travaux en radoub. Il envoie aussi le Hermes et le Vampire à Trincomalee, en pré-vision de l’occupation de Madagascar, alors sous l’autorité du gouvernement français de Vichy, dans le cadre de l’opération Ironclad21.

Cependant, l’opéra-tion C n’a pas été annulée. Elle se déroule en fait exactement comme l’ont prédit les services de renseignement électro-magnétique, mais n’a lieu ni le 1er ni le 2 avril. D’après certains renseignements, Nagumo aurait décidé d’attendre le 5 avril, soit le dimanche de Pâques, dans l’espoir de surprendre les Britanniques en rade le jour saint22. Selon d’autres, on doit noter qu’entre le 11 et le 16 mars le Shokaku et le Zuikaku ont pris la mer, contre toute prévision, pour intercepter un porte-avions américain et son escorte, qui étaient censés s’approcher des côtes du Japon. Ce n’est que le 24 mars que les deux bâtiments rejoignent la première flotte aéronavale à Staring Bay, au large de Kendari, sur l’île connue aujourd’hui sous le nom de Sulawesi (autrefois Célèbes)23. C’est de là que Nagumo lance l’opération C le 26 mars, sans trop savoir s’il s’agit de la date prévue à l’origine ou s’il y a eu ajournement pour l’une des deux raisons mentionnées ci-dessus.

Le 4 avril à 16 h, Birchall et son équipage aperçoivent la première flotte aéronavale à 360 milles (580 kilomètres) de Dondra Head, point situé à l’extrême sud du Ceylan, suivant un cap de 155 degrés24. On se souviendra qu’ils sont arrivés au Ceylan le 2 avril, s’attendant à prendre 24 heures de repos après dix jours de traversée depuis leur départ de Sullom Voe. Cependant, avant même d’avoir eu le temps de s’acclimater à leur nouveau secteur d’opération, ils reçoivent l’ordre de partir à la recherche de Nagumo. Le 4 avril avant l’aube, ils décollent donc du lac Koggala, où se trouve la base des appareils Catalina sur le littoral sud du Ceylan, pensant rentrer le 5 avril après la tombée du jour.

Birchall arrive à son secteur de patrouille au lever du soleil. Pendant des heures, le Catalina quadrille la mer, parcourant des lignes de vol de 150 milles de longueur (240 kilomètres), d’est en ouest, à 50 milles d’intervalle (80 kilomètres), à une altitude de 2 000 pieds (610 mètres) au-dessus de l’océan. Tandis que se termine la tranche finale de leur mission, l’adjudant Onyette, navi-gateur et seul autre Canadien à bord, remarque qu’une passe de plus permettrait de confirmer leur position réelle d’après la lune, qui vient de se lever. Puisqu’ils doivent rester en vol jusqu’à l’aube, Birchall donne son accord25.

Le secteur confié à l’équipage de Birchall se situe à la limite sud de la zone de recherche. Tandis qu’ils achèvent leur dernière passe et s’approchent du point le plus au sud de leur périmètre de patrouille, des navires apparaissent soudainement à l’horizon sud. Si les Japonais s’étaient trouvés plus au sud ou si l’équipage du Catalina n’avait pas franchi cette passe additionnelle, sans doute la flotte ennemie aurait-elle échappé à toute détection jusqu’à ce que ses appareils survolent Colombo le lendemain matin. Voici comment Leonard Birchall décrit les événements qui se produisent alors :

« En nous approchant suffisamment pour repérer le premier navire, nous avons tout de suite compris ce que nous avions sous les yeux. Plus nous nous approchions, plus il y avait de navires. Il nous fallait continuer jusqu’à ce que nous puissions tous les identifier et les compter. Une fois cela fait, notre sort en était jeté. »

Une douzaine de Zero attaquent alors le Catalina.

« La seule chose à faire, c’était de plonger, ce qui nous donnait une vitesse d’environ 150 nœuds. Nous avons immédiatement chiffré un message et avons commencé à le transmettre [...]. Nous étions au milieu de notre troisième transmission réglementaire quand un obus a pulvérisé la radio. L’opérateur a été gravement blessé. Nous étions alors la cible d’attaques incessantes. Sous les tirs, nos réservoirs internes ont pris feu; nous avons réussi à étouffer les flammes, mais un autre foyer s’est déclaré et l’avion a commencé à se désintégrer. Notre altitude était trop basse pour sauter en parachute, mais j’ai réussi à poser l’avion sur l’eau avant que l’empennage se détache26. »

Personnel de piste

Collection de la Revue militaire canadienne

Le personnel de piste, membres du 413e Escadron de l’Aviation royale du Canada, fait l’entretien d’un hydravion à coque Consolidated Catalina à Ceylan, printemps 1943.

Le combat, opposant des forces inégales, ne dure que sept minutes. Bêtement, les Zero mitraillent le Catalina et le coulent peu après son amerrissage, perdant du coup toute chance de le fouiller et de saisir tout objet d’intérêt pour les services de renseignement japonais. Leurs rafales tuent aussi deux survivants blessés, maintenus à flot grâce à leur gilet de sauvetage, alors qu’ils auraient pu être capturés et interrogés. Les six membres survivants de l’équipage sont repêchés par le destroyer Isokaze.

Les Japonais veulent savoir si l’équipage est parvenu à transmettre un rapport de repérage. Toutefois, leur mode d’interrogation consiste à administrer une succession de raclées aux prisonniers. Les aviateurs maintiennent qu’ils n’ont pas eu le temps de transmettre l’information avant de se faire abattre, mais les Japonais interceptent bientôt un message venant de Colombo, qui demande au Catalina de répéter son rapport. Heureux de cette intercep-tion, apparemment le seul succès de l’opération C sur le plan du renseignement, les Japonais en concluent qu’ils n’ont pu compter sur le facteur surprise – et décident de tabasser une fois de plus l’équipage du Catalina27.

Il n’est effectivement plus question d’attaque surprise. Le message de Birchall a eu un effet tonique sur les commandants britanniques. L’ordre est alors donné à la garnison de Colombo et aux unités de la Royal Air Force stationnées dans l’île de se tenir en alerte à partir de 3 h le lendemain matin et de faire sortir tous les navires de guerre et les navires marchands du port. L’avertissement reçu le 28 mars permet de mettre ce jour-là 60 navires à l’abri et 25 autres le lendemain, dont le Cornwall et le Dorsetshire. Deux destroyers, un sous-marin, un bâtiment-base pour sous-marins, un croiseur marchand armé et vingt et un navires marchands, jugés inaptes à la navigation, restent amarrés dans le port28.

Catalina

Défense nationale

Un appareil Catalina appartenant à un escadron non identifié de l’Aviation royale du Canada.

Somerville, qui vient d’arriver à l’atoll d’Addu, se trouve maintenant dans une fâcheuse position. Selon ses propres notes : « Maudit! J’ai l’impression que je me suis fait avoir [...]. Me voilà à je ne sais quelle distance et dans l’incapacité de frapper29. » Finalement, l’amiral se joint à la force A une fois que celle-ci a été réapprovisionnée, passé minuit, et met le cap tout droit sur les Japonais. La force B suivra quelque huit heures plus tard.

Dans les forces opérationnelles japonaises accompagnant les porte-avions, les patrouilles de reconnaissance et de lutte anti-sous-marine sont confiées aux hydravions embarqués sur les cuirassés et les croiseurs d’escorte. Cela permet notamment de réserver le maximum d’appareils à bord des porte-avions pour des opérations offensives. À l’aube du 5 avril, les Japonais lancent plusieurs hydravions dans des opérations de recherche. Peu après, 127 avions décollent du pont de leurs porte-avions à destination de Colombo. La force opérationnelle est sous les ordres du commandant Mitsuo Fuchida, qui a dirigé l’attaque de Pearl Harbor.

La défense de Colombo est assurée par 42 chasseurs. Au terrain d’aviation de Ratmalana se trouvent les 22 avions Hurricane du 30e Escadron ainsi que six Fulmar, qui représentent la totalité de la flotte aérienne des 803e et 806e Escadrons. Le 258e Escadron compte 14 Hurricane stationnés à l’hippodrome de la localité, où une piste a été improvisée à l’insu des Japonais. Plusieurs Canadiens sont au nombre des pilotes. Les dispositifs de défense de Colombo comprennent aussi 18 canons antiaériens lourds et 25 légers, et Ratmalana dispose de 4 canons antiaériens lourds et 12 légers30.

Bien qu’environ 16 heures se soient écoulées depuis l’alerte de Birchall, la majorité des chasseurs sont encore au sol et quelques pilotes prennent leur petit déjeuner quand l’attaque japonaise se déclenche un peu avant 8 h. Selon l’historique du 30e Escadron que l’on peut consulter dans Internet, les contrôleurs d’interception locaux avaient sous-estimé le rayon d’action des appareils Zero et ne s’attendaient pas à une attaque ce matin-là. Pourtant, la première flotte aéronavale n’était qu’à 360 milles (580 kilomètres) de l’île quand Birchall l’a aperçue. Même si les Zero étaient aussi limités que les Britanniques le supposaient, Nagumo aurait eu le temps de gagner une position d’où ils auraient pu facilement atteindre Colombo le matin du 5 avril. On lit aussi dans cet historique que, à ce moment-là, le radar de Colombo était vacant ou en cours de révision. Or, le radar n’avait même pas encore été installé. Lorsque le 413e Escadron a reçu l’ordre de se relocaliser au Ceylan, la Royal Air Force a expédié de toute urgence huit radars de surveillance aérienne à destination de l’île. Celui de Trincomalee était déjà en service quand les Japonais sont arrivés, mais celui de Colombo ne l’était pas encore31.

Au lieu de lancer des chasseurs au-devant des Japonais pour obtenir un avantage tactique, les Britanniques ont permis à ces derniers d’occuper l’espace aérien. Et cette erreur va coûter cher à la défense. Près de la moitié des avions de la force sont abattus, soit quatre Fulmar, 15 Hurricane ainsi que six avions lance-torpilles Fairey Swordfish du 788e Escadron venus de Trincomalee. En fait, les pilotes de Swordfish sont tellement sûrs que tout chasseur survolant Colombo est un allié qu’ils font des signaux pour indiquer leur allégeance britannique alors que les appareils japonais Zero foncent droit sur eux. Les attaquants coulent également un vieux destroyer et un croiseur marchand armé, endommagent plusieurs autres navires et infligent des dommages aux installations côtières. Sept avions japonais sont abattus et quinze autres, endommagés. Entre-temps, la flotte japonaise échappe aux dix bombardiers légers Bristol Blenheim du 11e Escadron, partis de Ratmalana à 8 h 30 justement pour l’attaquer32.

Les défenseurs de Colombo ne sont pas les seuls à avoir sous-estimé les capacités des Japonais et à en subir les conséquences. Après avoir pris connaissance du rapport de Birchall, le Cornwall et le Dorsetshire quittent Colombo le 4 avril à 22 h. Au lieu de mettre le cap à l’ouest pour se placer hors de portée des avions de Nagumo, ils reçoivent l’ordre de se rendre à l’atoll d’Addu, en direction sud-ouest. Le capitaine Agar, récipiendaire de la Croix de Victoria et commandant du Dorsetshire, est l’officier supérieur en mer. Cette nuit-là, ayant été enjoint par Somerville de se rallier à la force A, il change de cap à 7 h pour se diriger vers le sud, restant ainsi beaucoup plus longtemps à la portée de Nagumo33.

À midi, un hydravion du Tone signale la présence des croiseurs britanniques, et Nagumo lance immédiatement 88 bombar-diers en piqué Aichi D3A Val. Les appareils attaquent à 13 h 38 et, après un bombar-dement d’une efficacité remarquable, le Dorsetshire et le Cornwall coulent tous les deux dès 13 h 55.

Leonard Birchall a donné l’alerte dans un délai qui, en temps normal, aurait dû suffire à éviter la perte de ces bâtiments précieux. Cependant, à cause de la faiblesse du renseignement sur la performance des avions japonais, les navires ont commis l’erreur de manœuvrer trop près des forces de Nagumo. Comme l’explique le capitaine Agar :

« Le point qui a échappé à tout le monde, c’est le rayon d’action des avions embarqués japonais, leur efficacité [...]. Nous croyions qu’ils avaient une performance semblable à celle de nos appareils, mais nous nous sommes rendu compte par la suite que nous les avions nettement sous-estimés. Ils étaient en réalité presque deux fois plus performants. Il n’est donc pas surprenant que le lendemain [le 5 avril], quand nous avons aperçu le premier éclaireur japonais derrière nous à l’horizon, nous étions loin de penser qu’ils pourraient nous rattraper de si loin. Autrement, nous aurions fixé le rendez-vous avec Somerville encore plus à l’ouest34. »

Cependant, on note aussi un certain manque d’initiative de la part de l’équipage des avions de recherche japonais. Apparemment, il ne leur vient pas à l’esprit que les croiseurs britanniques qu’ils observent ont rendez-vous avec d’autres navires. D’après ce que l’on peut comprendre, les hydravions qui ont décelé la présence des navires de Agar s’efforcent avant tout de ne pas les perdre de vue, sans chercher à connaître leur destination. C’est une bonne chose pour Somerville, car la force A n’est qu’à 84 milles (135 kilomètres) des croiseurs quand les Val passent à l’attaque. On peut déterminer cette distance avec précision d’après la position que les Val occupent sur le radar du Warspite35. Dans une situation comparable, deux mois plus tard, un groupe de bombardiers en piqué de la marine des États-Unis ne manqueront pas d’initiative, eux, quand ils surprendront un destroyer japonais solitaire qui poursuit une mission indéterminée. Changeant de cap pour explorer sa destination apparente, les appareils américains découvriront alors les porte- avions Akagi et Kaga et les couleront. C’est ainsi que la bataille de Midway sera une grande victoire américaine. Ironie du sort, on pourrait traduire initiative par le terme anglais « Enterprise », qui est justement le nom du porte-avions36.

Raid japonais

Données fournies par ESRI Corp. 2007.
Cartographie de C.E. (Terry) Warner

Illustration du raid japonais sur Ceylan.

(image plus grande)

Pourtant, le soir du 5 avril, Somerville se trouve dans une position étonnamment favorable, malgré la perte inexcusable de ses croiseurs lourds. Dans l’après-midi, il s’est approché à moins de 200 milles (320 kilomètres) de Nagumo sans que celui-ci ne détecte sa présence et ne braque sur lui son armement supérieur. Il pense maintenant pouvoir lancer une attaque de nuit avec ses torpilleurs Albacore. Étant donné que les porte-avions japonais demeurent inactifs de nuit, la seule défense de la force opération-nelle se limiterait aux canons antiaériens, et une riposte ne viendrait qu’à l’aube. Somerville aurait alors pris le large.

Malheureusement, Somerville a été mal renseigné sur les déplacements de Nagumo. Après avoir reçu le rapport de repérage transmis par Birchall le 4 avril, qui, semble-t-il, n’indique pas combien de porte-avions accompagnent la flotte de Nagumo, d’autres appareils Catalina s’envolent à la recherche de ce dernier. Dès 7 h le lendemain matin, Somerville lance des patrouilles de recherche aériennes en avance de la force A. Plusieurs équipages signalent la présence de l’ennemi, mais leurs rapports manquent de détail, se contredisent, arrivent trop tard ou, dans bien des cas, sont carrément faux. Cela se comprend facilement, quand on songe qu’un avion de recherche est une cible particulièrement vulnérable face aux Zero, qui ont abattu un appareil Catalina de la Royal Air Force le matin même et un Albacore de l’Indomitable dans l’après-midi37. Voici les événements relatés par le copilote du Catalina, qui a retrouvé Nagumo le matin du 5 avril :

« On avait une tactique de survie toute simple, inventée au pied levé. On volait au ras des vagues et, à un moment précis, le pilote s’élançait à une centaine de mètres d’altitude pendant que tous les membres de l’équipage restaient à l’affût. Si aucun Japonais n’était repéré, on redescendait à zéro d’altitude et on filait vers l’horizon. Une fois là, on répétait le même exercice. C’est ainsi qu’on a pu repérer les navires japonais et les suivre, sans chercher à voir davantage que la pointe de leurs mâts38. »

Il en ressort que Somerville ignore longtemps la position de Nagumo. Finalement, à 18 h 17, on l’informe que cinq vaisseaux japonais, dont deux porte-avions, ont été vus faisant cap nord-ouest à une distance d’environ 120 milles (195 kilomètres). Somerville change alors de direction et met cap nord-ouest pour se maintenir à portée de tir. Sans aucun autre renseignement, il maintient ce cap toute la nuit, pendant que des Albacore équipés de radar patrouillent les secteurs nord et nord-est. Ils ne trouvent rien.

Si les cinq navires japonais se dirigeaient vers le nord-ouest à 16 h, c’est seulement qu’ils avaient dévié temporairement de leur cap moyen. Au moment où Somerville prend la direction nord-ouest, Nagumo vient de mettre le cap sur le sud-est et se trouvera bientôt hors de portée39.

L’amiral Somerville continue de pourchasser Nagumo dans les eaux au sud-ouest du Ceylan, jusqu’à son retour à l’atoll d’Addu le 8 avril. Il peut alors s’entretenir avec ses officiers supérieurs, dont les capitaines du Cornwall et du Dorsetshire, qui ont été repêchés. C’est alors que Somerville prend pleinement conscience de la supériorité écrasante des forces ennemies. Il se rend à l’évidence que ses chasseurs ne seront pas capables de repousser des attaques aussi intenses que celle qui a coulé ses croiseurs lourds, que ses bâtiments de la classe R constituent un handicap et que ni Colombo, ni Trincomalee, ni même l’atoll d’Addu n’offrent de bases sûres. Somerville décide alors de renvoyer la force B vers les côtes d’Afrique, où elle pourra participer à la protection des couloirs maritimes du Moyen-Orient. Prenant lui-même le commandement de la force A, il met le cap sur Bombay40. La flotte orientale ne retournera au Ceylan qu’en septembre 1943.

Des pilotes

Gracieuseté de Bill Whelan

Des pilotes membres du 30e Escadron de l’Aviation royale. Ils ont tous les sept survécu à l’attaque du 5 avril menée contre Colombo.

La suite des événements

Le reste de l’opération C se résume rapidement. L’amiral Nagumo se maintient hors de portée des Catalina, contourne le Ceylan par l’est et attaque Trincomalee le 9 avril 1942. De bien des façons, les choses s’y déroulent comme à Colombo. À 15 h 17 le 8 avril, un Catalina de la Royal Air Force observe la force de Nagumo. L’ordre est donné à tous les vaisseaux présents dans le port de Trincomalee, y compris le Hermes, de prendre la mer. Les Japonais disparaissent jusqu’au lendemain. Le 9 avril à 7 h 6, le poste de radar de Trincomalee détecte l’approche d’avions à une distance de 91 milles (145 kilomètres). Les chasseurs affectés à la défense de l’île prennent l’air à temps, mais ils ne sont que 23, soit 17 Hurricane et 6 Fulmar, contre 132 appareils japonais. Au total, les avions et les batteries antiaériennes de l’île ne parviennent à abattre que quatre avions ennemis et subissent de lourdes pertes, dont huit Hurricane et un Fulmar. Le bombardement cause des dégâts importants au poste de la Royal Air Force et aux quais, le monitor Erebus est endommagé et un navire marchand prend feu41.

Le bilan de l’attaque de Trincomalee n’est pas brillant pour les Japonais, mais, à peine est-elle terminée qu’un hydravion du Haruna signale la présence du Hermes et de son seul escorteur, le Vampire. À bord des porte-avions japonais, 80 Val maintenus en alerte décollent immédia-tement et atteignent leurs cibles à 10 h 35. À 10 h 55, les deux bâtiments britanniques ont sombré et les Val qui n’ont pas largué toutes leurs bombes se lancent contre les autres navires encore dans les parages. Ils coulent la corvette Hollyhock, le navire auxiliaire Athelstone, le pétrolier British Sergeant et le cargo Norviken. Les Fulmar, qui arrivent après la perte du Hermes, détruisent quatre Val, mais deux d’entre eux se font abattre42.

Tandis que des bombardiers japonais s’approchent du Hermes, des bombardiers britanniques attaquent un porte-avions japonais. À 10 h 25, neuf Blenheim du 11e Escadron, sans aucune escorte, bombardent l’Akagi. Les vigies japonaises ne voient les Blenheim qu’au moment où ceux-ci larguent leurs bombes. C’est la première attaque sur un navire de la première flotte aéronavale depuis le début de la guerre. Quelques bombes tombent près de l’Akagi, mais aucune ne l’atteint directement. Le Blenheim est un avion particulièrement fragile et quatre se font abattre. Les cinq autres parviennent à s’échapper, mais ont le malheur de rencontrer des Zero qui reviennent d’attaquer le Hermes. Un cinquième avion britannique se fait abattre, mais les autres Blenheim parviennent à descendre deux Zero43.

Un autre appareil du 413e Escadron est perdu le 9 avril. Il s’agit du Catalina piloté par le capitaine d’aviation Thomas, de la Royal Air Force, qui vient de signaler la présence des Japonais vers 7 h 16. Sa transmission est interrompue avant que son rapport ne soit complètement transcrit et on suppose, comme on le vérifiera par la suite, qu’il s’est fait abattre. Il n’y a aucun survivant44.

Dès que les avions qui ont coulé le Hermes réintègrent le porte-avions, l’amiral Nagumo met le cap sur le Japon. Au cours de l’opération C, il a détruit un porte-avions, deux croiseurs lourds, deux destroyers, une corvette, cinq autres navires et 45 avions. Simultanément, une autre escadre comprenant le porte-avions léger Ryujo et plusieurs croiseurs coule 21 navires marchands lors d’une expédition dans la baie de Bengale; six sous-marins participant à l’opération en coulent cinq autres45. Les Japonais ne perdent que 17 avions, et aucun de leurs navires n’a subi le moindre dommage.

Conclusion

Maintenant que nous avons fait un survol de l’opération C, examinons les conséquences que le rapport de repérage de Birchall a eues pour la force de l’amiral Nagumo, ce 4 avril 1942. Selon l’historique du 413e Escadron, disponible en ligne46, Birchall est reconnu comme ayant sauvé l’île. Par ailleurs, un auteur du Sri Lanka déclare que, le 5 avril 1942, le Ceylan a échappé à une invasion japonaise47. Enfin, l’historien Leslie Roberts affirme, dans son ouvrage sur l’Aviation royale du Canada intitulé There Shall Be Wings, qu’« un seul appareil Catalina et son équipage canadien [...] ont permis d’éviter un second Pearl Harbor48. »

C’est une erreur de dire que Birchall a sauvé le Ceylan pour la simple raison que les Japonais n’avaient nullement l’intention d’envahir ni d’occuper l’île à cette époque. Comme on l’a vu précédemment, l’opération C n’était qu’un raid.

Par contre, on ne peut nier complètement le fait que Birchall a permis d’éviter un second Pearl Harbor, même si l’essentiel de la flotte orientale, principal objectif des Japonais, se trouvait alors à l’atoll d’Addu et non pas à Colombo. C’est grâce à son rapport de repérage que le Cornwall et le Dorsetshire ont pu faire leur sortie avant l’attaque, et leur perte ultérieure est en fait attribuable à une erreur de jugement et à la sous-estimation des forces aériennes japonaises. C’est à des causes semblables et à l’absence de radars que l’on doit par ailleurs la destruction des chasseurs qui devaient défendre Colombo avant même qu’ils ne décollent.

Grâce à l’avertissement de Birchall, 25 navires marchands ont pu sortir du port de Colombo et prendre le large. C’est aussi grâce à lui que Somerville a pu quitter l’atoll d’Addu huit heures avant le raid sur Colombo, puis lancer une attaque aérienne sur Nagumo dans la nuit du 5 au 6 avril. Il se fourvoiera cependant à la tombée de la nuit à cause d’un rapport erroné.

On a souvent attribué à Churchill le surnom de « sauveur du Ceylan », mais cette provenance est sans fondement. D’après le troisième volume du Official History of the RCAF, ouvrage qui fait autorité, c’est la presse canadienne qui a décerné cette distinction à Birchall49. Il est vrai toutefois que Churchill a reconnu à Birchall « une des plus grandes contributions à la victoire », mais il ne témoignera pas sa reconnaissance avant 194650, époque à laquelle les Britanniques maintenaient encore que Nagumo avait perdu plus de 50 avions et que le Japon entendait envahir l’île. Toutefois, Churchill ne répète pas le compliment dans ses mémoires, rédigés vers 1950. Le nom de Birchall ne figure même pas dans le passage consacré à l’opération C, et son avion y est simplement mentionné comme étant un Catalina51.

Dans le présent article, nous n’avons pas voulu établir une perspective révisionniste des actions de Birchall le 4 avril 1942. Celui-ci a bel et bien fait tout ce qu’on lui attribue et mérite sans aucun doute toute la reconnaissance qui lui a été exprimée. Cependant, comme nous l’avons soutenu, son rapport de repérage n’a pas eu l’effet de sauver le Ceylan de l’envahisseur japonais. Il n’est donc pas strictement juste, historiquement parlant, de l’appeler le « sauveur du Ceylan ». Néanmoins, selon moi, il mérite ce titre. Un surnom n’est pas le produit d’un raisonnement logique. Peut-être qu’au lieu de porter un titre qui résulte d’une seule journée de combat dans le Pacifique, laquelle lui a valu la Croix du service distingué dans l’Aviation, Birchall aurait-il dû en recevoir un autre, un qui évoquerait son courage et sa constance de caractère en tant qu’officier supérieur pendant les trois années et demie qu’il a passé dans les camps de prisonniers japonais (après quoi il a reçu l’Ordre de l’Empire britannique avec la mention, rarement accordée, de bravoure devant l’ennemi). Il serait regrettable et futile d’attendre de ses nombreux admirateurs, aux rangs desquels nous nous comptons, qu’ils ne voient en lui que le « héros du Ceylan » ou tout autre qualificatif juste mais prosaïque. Leonard Birchall mérite que l’on se souvienne de lui pour son héroïsme et il demeurera certainement à jamais le « sauveur du Ceylan » aux yeux de la majorité de ceux et celles qui l’ont connu directement ou indirectement.

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Rob Stuart, B. A., B. Éd., CD, a été membre de la Force régulière et de la Force de réserve de 1975 à 1991; il servait alors au sein de la Branche des communications et de l’électronique, où il a atteint le grade de capitaine. Depuis 1989, il travaille au Centre de la sécurité des télécommunications.

Notes

  1. David A. Thomas, Japan’s War at Sea: Pearl Harbor to the Coral Sea, Londres, André Deutsch, 1978, p. 101-102. La marine japonaise avait envisagé d’occuper le Ceylan, mais sa défaite à Midway en juin a mis fin à une telle entreprise. Voir Toshikazu Ohmae, « Japanese Operations in the Indian Ocean », dans David C. Evans (dir.), The Japanese Navy in World War II, deuxième édition, Annapolis, Naval Institute Press, 1986. Voir également C. B. 3303 (2) Naval Staff History: War with Japan, Volume II, Londres, Admiralty Historical Section, 1954, p. 120-121. Cette dernière source s’appuie en partie sur une enquête menée à Tokyo en 1948 pour tenter de déterminer si le Japon avait prévu envahir le Ceylan.
  2. Brereton Greenhous et al., Histoire officielle de l’Aviation royale du Canada, tome 3 : Le creuset de la guerre, 1939-1945, Ottawa, Centre d’édition du gouvernement du Canada, 1999, p. 384-385; voir aussi T. W. Melnyk, Canadian Flying Operations in South East Asia 1941-1945, Ottawa, Défense nationale, 1976, p. 26-27.
  3. Thomas, op. cit., p. 93; J. D. Brown, Carrier Operations in World War II, Volume 1: The Royal Navy, Londres, Ian Allan, 1968, p. 120; Christopher Shores et Brian Cull (avec la collaboration de Yasuho Izawa), Bloody Shambles, vol. 2, The Defence of Sumatra to the Fall of Burma, Londres, Grub Street, 1993, p. 384-386. On note quelques contradictions en ce qui concerne le nombre de Martlet à bord du Formidable. On obtient 14 en comptant les 16 Martlet indiqués par Shores et ses collaborateurs, desquels on soustrait les 2 membres du personnel qui se trouvaient au sol aux fins d’instruction avant le raid japonais.
  4. Jim Winchester, The World’s Worst Aircraft, From Pioneering Failures to Multimillion Dollar Disasters, Londres, Amber Books, 2005, p. 28-29 et p. 32-33.
  5. J. F. Coales et J. D. S. Rawlinson, « The Development of UK Naval Radar », dans Russell Burns (dir.), Radar Development to 1945, Londres, Peter Peregrinus Ltd, 1988; Derek Howse, Radar at Sea, The Royal Navy in World War 2, Annapolis, Naval Institute Press, 1993, p. 63, p. 112 et p. 160.
  6. Shores et Cull, op. cit., p. 386; Howse, op. cit., p. 308. Selon Melnyk (op. cit., p. 38), le radar aéroporté de détection de bâtiments de surface Mark IIN avait une portée de 12 à 24 milles (de 20 à 40 kilomètres).
  7. Peter Elphick, Far Eastern File: The Intelligence War in the Far East, 1930-1945, Londres, Hodder and Stoughton, 1997, p. 339-347; Jozef Straczek, « The Empire Is Listening: Naval Signals Intelligence in the Far East to 1942 », Journal of the Australian War Memorial, [en ligne]. <http://www.awm.gov.au/journal/j35/straczek.htm>
  8. John Prados, Combined Fleet Decoded: The Secret History of American Intelligence and the Japanese Navy in World War II, New York, Random House, 1995, p. 274.
  9. Michael Smith, The Emperor’s Codes: The Breaking of Japan’s Secret Ciphers, New York, Arcade, 2000, p. 128-129.
  10. Résumé de bataille no 15, « Naval Operations off Ceylon 29th March to 10th April, 1942 », Division de l’instruction et des services d’état-major de l’amirauté, 1943, p. 2.
  11. Ibid.
  12. D’après plusieurs sources, il y avait six Catalina en service à la fin mars (auxquels s’ajoute, selon certains, un appareil de relève). Il est cependant difficile de confirmer ce chiffre, car deux autres sources estiment qu’il n’y avait que cinq Catalina de la Royal Air Force. Quatre Catalina hollandais étaient également présents dans l’île, mais leur état de service est incertain. Voir Shores et Cull, op. cit., p. 390-391; Michael Tomlinson, The Most Dangerous Moment, Londres, William Kimber, 1976, p. 68-69 et p. 79. On peut arriver à un total de six en incluant l’un des appareils hollandais; cependant, il est possible que le sixième Catalina était, en réalité, l’avion du 413e escadron, arrivé le premier sur les lieux, c’est-à-dire à la fin mars.
  13. Melnyk, op. cit., p. 16.
  14. H. P. Willmott, The Barrier and the Javelin, Annapolis, Naval Institute Press, 1983, p. 311-312 et p. 359.
  15. Melnyk, op. cit., p. 27; Greenhous et al., p. 386-387; Dennis Baker, A History of 413 Squadron, Burnstown, General Store Publishing, 1997, p. 15-16.
  16. Donald MacIntyre, Fighting Admiral, The Life of Admiral of the Fleet Sir James Somerville, GCB, GBE, DSO, Londres, Evans Brothers, 1961, p. 186.
  17. Ibid., p. 178.
  18. Michael Simpson (dir.), The Somerville Papers, Oxford, Scolar Press, 1995, p. 398.
  19. Arthur J. Marder, Old Friends, New Enemies: The Royal Navy and the Imperial Japanese Navy: Strategic Illusions, 1936-1941, Oxford, Oxford University Press, 1981, p. 300.
  20. Willmott (op. cit., p. 301) cite le cas du chef des opérations navales des États-Unis, l’amiral King, qui a omis de transmettre des renseignements sur la bataille de la mer de Corail à ses collègues de la Royal Navy et des forces armées des États-Unis.
  21. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 2-4; C. B. 3303 (2), op. cit., p. 124-125.
  22. Thomas, op. cit., p. 104.
  23. John Parkinson, « Vice-Admiral Nagumo in the Indian Ocean: April 1942 », résumé dans Newsletter No. 357, Kwazulu-Natal Branch, The South African Military History Society, juin 2005, [en ligne]. <http://samilitaryhistory.org/5/d05junne.html>; voir aussi le tableau des mouvements des Shokaku, Ise, Hyuga et Kiso, [en ligne]. www.combinedfleet.com
  24. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 4.
  25. Baker, op. cit., p. 15-17.
  26. Ibid.; voir aussi Shores et Cull, op. cit., p. 394.
  27. Shores et Cull, op. cit., p. 395; Baker, op. cit., p. 17.
  28. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 5.
  29. Simpson, op. cit., p. 399.
  30. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 6.
  31. Commandant d’escadre John Barras, « The Battle of Ceylon – 1942 », [en ligne]. http://www.raf.mod.uk/history_old/ceylon2.html; Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 6; Henry Probert, The Forgotten Air Force: The Royal Air Force in the War Against Japan, 1941-1945, Londres, Brassey’s, 1995, p. 98-99.
  32. Thomas, op. cit., p. 109; Shores et Cull, op. cit., p. 403-405; Paul S. Dull, A Battle History of the Imperial Japanese Navy, 1941-1945, Annapolis, Naval Institute Press, 1978, p. 108.
  33. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 7.
  34. Augustus Agar, Footprints in the Sea, Londres, Evans Brothers, 1959, p. 304, cité dans Arthur J. Marder, Mark Jacobsen et John Horsfield, Old Friends, New Enemies: The Royal Navy and the Imperial Japanese Navy, vol. 2: The Pacific War, 1942-1945, Oxford, Oxford University Press, 1990.
  35. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 11.
  36. Willmott, op. cit., p. 419-420.
  37. Résumé de bataille no 15, op. cit., plan no 4, p. 6 et p. 11; Shores et Cull, op. cit., p. 405.
  38. Tomlinson, op. cit., p. 115.
  39. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 11-12.
  40. Ibid.
  41. Ibid., p. 13-14; Shores et Cull, op. cit., p. 412-421.
  42. Shores et Cull, op. cit., p. 422-429.
  43. Ibid., p. 425-426.
  44. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 13; Melnyk, op. cit., p. 30; Baker, op. cit., p. 18.
  45. Résumé de bataille no 15, op. cit., p. 24.
  46. http://www.airforce.forces.gc.ca/14wing/squadron/413hist_f.asp
  47. Gamini de Silva, April 5, 1942 the Day Ceylon Escaped Japanese Occupation, [en ligne]. http://www.lankalibrary.com/geo/japan2.htm
  48. Leslie Roberts, There Shall Be Wings, Toronto, Clarke, Irwin and Company, 1960, p. 150-151.
  49. Greenhous et al., op. cit., p. 386.
  50. Tomlinson, op. cit., p. 20-21.
  51. Winston S. Churchill, The Hinge of Fate, Boston, Houghton Mifflin, 1950, p. 178-179.