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La transformation des Forces canadiennes

Le maréchal de l’air Miller, Paul Hellyer et Lester B. Pearson, juin 1965

Bibliothèque et Archives Canada/Duncan Cameron/PA-117109

En partant de la gauche : Lester B. Pearson, premier ministre, Paul Hellyer, ministre de la Défense nationale, et le maréchal en chef de l’air Frank Miller, en juin 1965.

Les fantômes de Hellyer : l’unification des Forces canadiennes a 40 ans – première partie

par Daniel Gosselin1

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Après une étude des plus minutieuses et des plus approfondies, le gouvernement en est arrivé à la décision qu’il n’y a qu’une seule solution satisfaisante. C’est l’intégration des forces armées du Canada sous un seul chef d’état-major de la Défense et un seul état-major de la défense. Cette décision constituera la première étape vers une seule force unifiée de défense pour le Canada. Le contrôle unifié de tous les aspects de l’organisation et des opérations devrait non seulement rendre la défense du Canada plus efficace et mieux coordonnée, mais aussi permettre de réaliser des économies considérables2.

Livre blanc sur la défense, mars 1964

Introduction

L’un des événements les plus déterminants de l’histoire militaire du Canada est survenu le 1er février 1968 avec l’entrée en vigueur d’une loi supprimant la Marine royale du Canada, l’Aviation royale du Canada et l’Armée canadienne. Ce jour-là, les trois services militaires, chacun très fier de son histoire, ont cessé d’exister. L’année 2008 marque les quarante ans d’unification des trois services en un – les Forces armées canadiennes. Depuis, divers principes dominants et parfois antagonistes ont influencé et modelé l’évolution des Forces canadiennes en tant qu’institution, mais aucun n’a eu une telle incidence, et aussi durable, que les idées que le gouvernement libéral de Lester B. Pearson et son ambitieux et résolu ministre de la Défense nationale, Paul T. Hellyer, ont exposées au printemps 1963.

C’est par la Loi sur la réorganisation des Forces canadiennes (le projet de loi C-243, communément appelé « loi sur l’unification ») que le gouvernement a modifié la Loi sur la défense nationale en vue de supprimer les trois services et de les remplacer par une force militaire unifiée. Mais ce sont les principes fondamentaux – et originaux – dont Hellyer s’est fait le défenseur au cours des trois années et demie pendant lesquelles il a été ministre, ainsi que les réformes contestées qu’il a réussi à faire accepter aux dirigeants de la Défense, qui ont radicalement transformé la force militaire canadienne, engendrant du même coup la discorde et la controverse. Ces idées ont eu de l’influence à bien des égards et ont inspiré d’autres réformes entreprises au cours des années 1970 et 1980. Comme l’affirme Douglas Bland, analyste en matière de défense et auteur de deux importantes études sur l’unification et ses conséquences : « cette politique (...) a provoqué une polémique publique immédiate et prolongée et une grande insatisfaction à l’intérieur des forces armées3. » Elle a également déclenché l’une des crises les plus profondes qu’ait connues le Canada au chapitre des relations entre civils et militaires4.

Publié en deux parties, le présent article examine les idées fondamentales qui ont conduit le ministre Hellyer à unifier les forces canadiennes et qui sous-tendaient les efforts d’intégration et d’unification des années 19605. L’article évalue également ce qu’il reste en 2008 de ces principes de base6. Les idées de Hellyer ont été publiées pour la première fois en 1964 dans le Livre blanc sur la défense du gouvernement libéral, qui contenait plusieurs concepts originaux et énonçait la philosophie de base et la justification de l’unification des forces armées. Les projets de loi C-243 et C-90 – ce dernier ayant conduit à la création du bureau du chef d’état-major de la Défense et à la formation d’un état-major de la défense unique intégré au Quartier général des Forces canadiennes – visaient tous deux la mise en œuvre sanctionnée par la loi de la décision d’orientation contenue dans le Livre blanc de 1964. Dans les exposés qu’il a présentés au Parlement en mai 1964 sur le projet de loi C-90 et en décembre 1966 sur la Loi sur la réorganisation des Forces canadiennes, Hellyer développa considérablement les idées formulées dans le Livre blanc, notamment au chapitre des avantages pour le Canada d’une structure de commandement unifiée des forces armées.7 Ces énoncés de politique correspondaient dans l’ensemble à ses idées et constituaient le fondement intellectuel d’une restructuration en profondeur de la Défense canadienne qui, pendant quarante ans, aura exercé une pression sur l’institution.

Le présent article passe en revue et évalue cinq grands thèmes qui caractérisent l’unification et les idées principales au cœur de la stratégie d’intégration de Hellyer. Nous présenterons les deux premiers thèmes dans le présent numéro et les trois suivants ainsi que la conclusion, dans le prochain. Ces grands thèmes sont donc les suivants : 1) l’obligation de doter le Canada d’une politique de défense unique et cohérente; 2) la création du bureau du chef d’état-major de la Défense afin de centraliser et de renforcer l’administration et le contrôle de la politique de défense et des Forces canadiennes; 3) la création d’un système de commandement unifié, y compris la réorganisation complète des commandements de campagne; 4) l’adoption de méthodes de gestion modernes et la suppression des fonctions faisant triple emploi dans le but de réaliser des économies; et 5) le passage à une allégeance unique aux Forces canadiennes. Hellyer n’a jamais considéré ces thèmes comme des éléments distincts, mais les a vus au contraire comme un ensemble de réformes intégrées nécessaires à la transformation radicale de la Défense canadienne. Toutefois, le fait de les examiner séparément facilitera l’évaluation de ces idées des années 1960 et de ce qu’il en reste en 2008, et permettra de comprendre l’évolution des Forces canadiennes et la base de l’organisation et de la stratégie décisionnelle au sein de l’institution.

Quartier général de Forces canadiennes – Cartier Square

Photo 698-IMG0076 du MDN

Le Quartier général de la Défense, Carré Cartier, Ottawa, en mars 1964.

Hellyer a mis de l’avant plusieurs idées progressistes et novatrices à la Défense en 1963, mais avec l’unification, il a également cherché à imposer une vision dogmatique et idéaliste de ce que devraient être les Forces canadiennes et de la façon dont elles devraient être organisées. Comme l’a montré la suite des événements, l’unification en bloc des Forces canadiennes constituait un modèle trop unidimensionnel qui, à long terme, ne s’est pas révélé viable. Depuis trois ans et demi, sous la direction du général Rick Hillier, chef d’état-major de la Défense, les Forces canadiennes connaissent d’importants changements, ce qui ne s’était pas vu depuis des décennies. Cette transformation profonde est alimentée en grande partie par la vision audacieuse de Hillier relativement au nouveau rôle que doivent jouer les Forces canadiennes dans la politique internationale du Canada, par l’engagement sérieux de deux gouvernements successifs d’investir dans la défense et de rebâtir les Forces canadiennes, ainsi que par une exigeante présence au combat dans le sud de l’Afghanistan. Quoi qu’il en soit, comme le démontrera le présent article, certaines des idées qui avaient inspiré Hellyer durant les années 1960 demeurent pertinentes après plus de quarante ans, alors que d’autres ont été mises au rancart, et pour de bon peut-être. S’il restait quelques fantômes de l’unification de Hellyer en 2005, au moment de l’accession de Hillier à la direction de l’état-major de la Défense, il y a tout lieu de croire que ceux-ci ont été exorcisés depuis.

Une politique de défense unifiée pour le Canada

Durant les années des réformes Hellyer, nombre de mesures ont été prises afin de réorganiser les forces armées; et l’on oublie aisément, à cause de la controverse suscitée par l’unification, que l’idée centrale du Livre blanc sur la défense de 1964 était l’élaboration d’une politique de défense fondée sur les besoins des Canadiens et sur les intérêts nationaux. Au moment où Hellyer arrive à la Défense, en 1963, les trois services jouent un rôle prépondérant dans l’élaboration de la politique de défense8, ce que renforce nettement le fait, d’une part, que les trois forces militaires canadiennes ont grandi au sein d’alliances avec d’autres forces étrangères et, d’autre part, les engagements continentaux et internationaux du Canada à l’égard du Commandement de la défense aérienne de l’Amérique du Nord (NORAD) et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN)9. Axés sur les services, ces engagements ne favorisaient pas l’intégration au sein de la Défense, mais encourageaient plutôt chaque service à développer ses moyens, ses structures de forces et ses plans de guerre de façon autonome, au détriment d’une véritable stratégie de défense nationale10. En continuant de se concentrer sur leur mission distincte, les trois services restaient isolés les uns des autres, ce qui contribuait encore davantage à consolider une politique de défense segmentée et inflexible11.

Hellyer a également été frappé par le manque de coordination au sommet de la structure de la Défense et « l’établissement de priorités en apparence aléatoire », ce qui l’a amené à rédiger lui-même le Livre blanc12. Le document d’orientation du gouvernement en matière de défense contient la quasi-totalité des concepts qui guideront Hellyer tout au long de son mandat de ministre. Ce dernier y examine la perspective internationale et « l’ensemble des conflits potentiels » dans lesquels le Canada pourrait s’engager et conclut que le pays a besoin de forces plus souples pour relever les défis à venir. Si Hellyer ne négligeait certainement pas la sécurité collective et la participation active dans les alliances dont le Canada faisait partie, il envisageait cependant un avenir nécessitant des opérations de maintien de la paix plus complexes et souhaitait voir la « majorité » des forces prêtes au déploiement13. À ses yeux, la solution consistait à transformer radicalement la disposition des forces armées en vue de produire des ressources plus mobiles et mieux intégrées, capables de faire face à de nouveaux engagements, notamment une force d’intervention qui soit en mesure d’opérer n’importe où14.

Toutefois, comme le souligne Bland, « une telle stratégie ne peut évidemment être mise en œuvre sans que des changements soient apportés aux engagements en matière de défense et à la structure de base des forces armées15. » Avec le concept de l’unification, Hellyer voulait faire en sorte que les militaires cessent d’aborder les problèmes et d’élaborer des politiques en se cloisonnant dans leurs services respectifs. Hellyer estimait que seule une structure de commandement unifiée soutenue par un état-major interarmées désormais plus robuste et contrôlant tous les aspects de la planification et des opérations, avec à sa tête un nouveau Conseil de la Défense présidé par le ministre, serait en mesure de réfléchir et d’agir selon une perspective nationale et de concevoir des solutions nationales cohérentes aux problèmes de la Défense canadienne16. La deuxième partie du Livre blanc porte donc sur les idées concernant la restructuration de la Défense qu’il a fait valoir en vue de réaliser ces objectifs.

Malheureusement, la mise sur pied en 1968 d’un seul service unifié au Canada, même soutenue par la création d’un Quartier général unique de la Défense nationale quatre ans plus tard, n’a pas suffi à venir à bout des allégeances divergentes. Elle n’a ni produit le résultat qu’avait escompté Hellyer avec sa restructuration, ni effacé l’image traditionnelle d’un service fort, axé sur la préservation de l’armée de terre, de la marine et de la force aérienne comme entités distinctes : un puissant vent de dissidence a donc continué de souffler sur l’institution17. L’absence de leadership politique et militaire, et le manque d’orientation de la politique des années 1970 et 1980, auxquels s’ajoutaient la poursuite d’alliances fondées sur les services et la participation aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies, n’ont fait que renforcer la planification et le développement de la force au sein de chaque service, perpétuant les conditions qui incitaient les trois services à maintenir une pensée et un fonctionnement distincts et à continuer à rivaliser entre eux pour l’attribution des rôles et des missions18.

En l’absence d’un cadre stratégique national cohérent et d’une stratégie unique, les idéaux d’unification ont vogué à la dérive au fil des ans, la notion de service fort encourageant « ... les préjugés à l’égard d’une planification conçue dans une perspective nationale19 ». Pour aggraver encore les choses, comme le souligne Bland en 1995, la politique de défense qui avait cours au Canada durant ces années résultait rarement d’une réflexion stratégique, un principe que Hellyer avait tenté d’implanter en 1964, mais découlait plutôt de la dynamique du budget fédéral annuel20. Les compressions budgétaires importantes et successives imposées durant les années 1990, de même que les pressions exercées par de puissants groupes d’intérêt en vue d’amenuiser la capacité de combat des forces armées ont également déclenché une vive réaction en faveur de la survie des services à l’intérieur de l’institution21. À défaut d’une stratégie de défense nationale ou d’une politique de défense cohérente, c’est une politique de fait favorisant le maintien d’une « force équilibrée » qui est parvenue à dominer la réflexion à l’intérieur de la Défense. On estimait qu’il était souhaitable pour le Canada de conserver au moins une capacité de combat minimale dans chaque service, donc d’adopter une approche ascendante axée sur le service pour la planification de la défense et le développement des forces22. Ce point de vue a toutefois commencé à évoluer à la suite des attaques du 11 septembre 2001, avec le général Raymond Hénault au poste de chef d’état-major de la Défense, puis plus radicalement avec l’arrivée du général Rick Hillier à ce même poste en février 2005.

La profonde influence de Hillier sur l’élaboration de la politique de défense du Canada en 2005 ne s’est jamais vue au pays23. À l’exemple du ministre Hellyer qui, en 1964, était d’avis que les « exigences de la conduite de la guerre moderne » nécessitaient une politique de défense unique au Canada et une restructuration des Forces canadiennes, le nouveau chef d’état-major de la Défense croyait fermement que les forces militaires devaient être renouvelées et subir d’importantes transformations pour être en mesure de faire face à la réalité du monde de l’après-11 septembre, dans lequel elles devenaient un instrument plus important de la politique étrangère24. En 2004, le premier ministre Martin s’était engagé à adopter une position plus ferme en matière de défense afin de se distinguer de son prédécesseur, mais l’absence de toute orientation précise à ce chapitre comme à celui de la politique étrangère de la part du gouvernement a fourni à Hillier l’occasion de devenir l’architecte de la politique de défense du Canada25.

Bgén Fraser, M. David Sproule, Gén Hillier, MDN O’Connor et PM Stephen Harper

photo IS2006-1040 du MDN

En partant de la droite : Stephen Harper, premier ministre, Gordon O’Connor, ministre de la Défense nationale, le général Rick Hillier, chef d’état-major de la Défense, David Sproule, ambassadeur du Canada en Afghanistan, le brigadier-général David Fraser, commandant du commandement de la région sud, s’adressant aux médias à l’aéroport de Kandahar lors de la première visite officielle du Premier ministre et du ministre de la Défense nationale en Afghanistan, le 12 mars 2006.

La vision de Hillier s’harmonisait presque parfaitement à celle du Premier ministre. Le nouveau chef d’état-major de la Défense était convaincu que, pour permettre au Canada de mieux se positionner sur le plan stratégique, une transformation radicale des Forces canadiennes s’imposait : ces dernières devaient devenir une force capable d’opérer depuis les zones littorales et de mener des activités terrestres ciblées afin de faire face aux problèmes que posent les états en déliquescence ou fragiles où s’engageront vraisemblablement les forces canadiennes à l’avenir26. Le premier ministre Martin et le ministre de la Défense Bill Graham ont cédé à Hillier une influence et un contrôle sans précédent en l’autorisant à rédiger un nouvel énoncé de politique en matière de défense, qui favorisait les politiques, perspectives et objectifs relatifs aux structures de forces et aux approvisionnements établis par le chef d’état-major de la Défense27. Tout comme le Livre blanc de Hellyer en 1964, l’énoncé de politique en matière de défense de 2005 était le reflet du point de vue de Hillier sur le renouvellement des Forces canadiennes.

Les idées de Hillier en matière de défense étaient uniques, nouvelles et audacieuses pour le Canada et ses forces armées. À certains égards, elles ressemblaient parfois beaucoup, sur le plan intellectuel, à celles qu’avait défendues Hellyer quarante ans auparavant, compte tenu du contexte international différent de ces deux périodes (voir Figure 1 – Transformation des Forces canadiennes, à la page suivante). D’abord, le chef d’état-major de la Défense offrait au gouvernement une solution spécifiquement canadienne – et axée sur les intérêts nationaux du pays – en réponse aux problèmes posés au Canada et à l’étranger par l’après-11 septembre. Hillier présentait au gouvernement une vision complète et unifiée. Ensuite, les forces militaires canadiennes se devaient d’être plus centrées et plus sélectives quant à leurs objectifs, et les engagements expéditionnaires devaient changer pour tenir compte des nouvelles réalités. Selon Hillier, plutôt que de s’engager dans une suite de missions de faible envergure disséminées en divers points du globe, le Canada tirerait un bien plus grand profit du travail des Forces canadiennes si ces dernières concentraient leurs efforts et leurs ressources sur un nombre d’opérations plus restreint, comme c’est actuellement le cas en Afghanistan. Le pays bénéficie ainsi de sa propre zone à l’intérieur du théâtre d’opérations, d’une autorité accrue auprès des organismes stratégiques décisionnaires et de l’affectation de supérieurs plus nombreux au commandement opérationnel au sein de la coalition : il s’agit là de facteurs essentiels pour asseoir l’influence du Canada et assurer la protection des intérêts nationaux.

La vision du général Hillier pour la transformation des Forces canadiennes

Figure 1 – Transformation des Forces canadiennes : la vision de Hillier en 200528

[Version agrandie]

Enfin, les changements que Hillier proposait d’apporter à la capacité et à la structure de forces (création d’un groupe opérationnel des forces spéciales, mise sur pied d’une force opérationnelle de contingence et acquisition d’hélicoptères moyens et d’hélicoptères de transport lourds) mettaient davantage l’accent sur la constitution d’une capacité intégrée rapidement déployable semblable à celle qu’imaginait Hellyer lorsqu’il a demandé à la Marine royale du Canada en 1963 de formuler un plan pour la flotte canadienne qui correspondrait au concept du US Marine Corps et aussi lorsque, en 1965, il a formé la Force mobile, premier commandement sol-air interarmées du Canada.29

La vision de Hillier et les changements qu’il souhaitait apporter à la structure des forces suscitaient certainement la controverse au sein de certains éléments, dans la mesure où ils bouleversaient le concept depuis longtemps admis d’une force équilibrée en lui préférant une approche « centrée sur la terre » pour les opérations futures et en mettant davantage l’accent sur les capacités toutes armes à l’appui des opérations terrestres30. En privé, les critiques de Hillier soutenaient que le chef d’état major de la Défense ne faisait que saisir l’opportunité que lui offrait son poste pour promouvoir une vision qui favorisait pleinement l’armée, afin de s’assurer que celle-ci redevienne le service dominant au sein des forces militaires canadiennes, tout en reléguant la marine et l’aviation à des rôles de soutien. En revanche, la réorganisation du commandement opérationnel qu’il a entreprise (quatre nouveaux commandements opérationnels et un état-major interarmées stratégique) a reçu un appui solide parce qu’elle a accentué la suprématie opérationnelle et renforcé la chaîne de commandement unifiée, en particulier pour la conduite des opérations nationales, continentales et internationales. Finalement, à la façon de Hellyer, qui avait personnellement pris en charge le processus d’unification en 1964, c’est le chef d’état-major de la Défense – et non les chefs d’état-major des éléments – qui a procédé à la mise en œuvre de la transformation des Forces canadiennes.

À l’origine, l’unification avait pour but de créer une institution militaire dont la réflexion et les actions seraient orientées selon une perspective nationale. Hellyer serait sans doute rassuré par la vision et les initiatives de Hillier, en particulier par l’élaboration d’une politique de défense unifiée tenant compte des intérêts nationaux des Canadiens, mais il serait probablement inquiet de voir que la politique de défense de 2005 a été rédigée en grande partie par le chef d’état-major de la Défense et non par le ministre. En 1963, Hellyer ne voulait absolument pas confier aux militaires l’établissement de la politique de défense. Il cherchait un chef d’état-major de la Défense solide afin de neutraliser l’influence des chefs des trois services, de centraliser l’administration et le contrôle des Forces canadiennes et de faire en sorte que le gouvernement et lui-même puissent s’appuyer sur une politique coordonnée et cohérente en matière de défense. Il n’a sans doute jamais envisagé que le bureau du chef d’état-major de la Défense créé en août 1964 deviendrait à ce point puissant qu’il représenterait un jour une figure dominante dans l’élaboration de la politique de défense du Canada.

Un chef d’état-major de la Défense et un état-major unifié

La substitution des postes de président du Comité des chefs d’état-major, chef d’état-major de la marine, chef d’état-major général et chef d’état-major de la Force aérienne par un seul nouveau poste de chef d’état-major de la Défense a constitué, selon Hellyer, « la première et peut-être la principale mesure prise en vue d’intégrer les forces armées sous un seul état-major de la Défense31 ». Cette mesure a d’ailleurs représenté la pierre angulaire du plan d’unification de Hellyer. La réforme fondamentale de la structure militaire canadienne qui, en 1964, annonçait résolument le changement, a entraîné une série d’importantes transformations organisationnelles qui conduiront à la suppression des services en février 1968.

La mise sur pied du bureau du chef d’état-major de la Défense a été grandement tributaire de la nécessité politique de remédier aux faiblesses répétées de l’administration de la politique de défense et aux défaillances dans les mécanismes de contrôle et de coordination des activités des forces armées. Hellyer était convaincu que la réforme à la tête de la structure de commandement par la centralisation du contrôle et de l’administration sous la direction d’un seul chef d’état-major de la Défense, la création d’un seul état-major de la Défense unifié et la formation d’un nouveau Conseil de la Défense constituait le meilleur moyen de restructurer les mécanismes du contrôle civil des forces militaires canadiennes. Les années 1957 à 1963 ont été marquées par un bouleversement de la politique de défense canadienne. Derrière toutes les réformes de Hellyer, il y avait le besoin pressant qu’éprouvait le gouvernement de renforcer le contrôle civil des forces militaires à la suite des turbulentes années du gouvernement Diefenbaker et de la crise des missiles de Cuba en octobre 1962, au sujet de laquelle certains ont estimé que les services avaient rempli unilatéralement les engagements pris dans le cadre de l’alliance32. D’après Bland, « le chef d’état-major de la Défense était le produit d’un acte politique visant à combler les failles des relations entre civils et militaires canadiens »33.

L’étape initiale de la mise en œuvre eut lieu en août 1964 avec la nomination du maréchal en chef de l’Air Frank Miller au poste de premier chef d’état-major de la Défense, permettant ainsi à Hellyer de centraliser rapidement la prise de décision à la Défense et de prendre la direction de l’ensemble des questions liées à la défense34. La création du bureau du chef d’état-major de la Défense s’est accompagnée de la réorganisation de l’état-major de la Défense par la fusion des trois quartiers généraux des services en un seul Quartier général des Forces canadiennes. Selon le système précédent, chaque chef de service pouvait communiquer directement avec le ministre et ainsi faire valoir ses opinions en l’absence de ses collègues et sans que son plan fasse l’objet d’un examen détaillé du personnel des services centraux. Seul un état-major unifié en un Quartier général des Forces canadiennes serait en mesure d’assurer la cohérence de la politique, d’améliorer la coordination, de réduire le gaspillage et les frais généraux et, finalement, de réaliser de plus grandes économies sur le plan administratif35. La création du Quartier général des Forces canadiennes en 1964 a permis d’atteindre bon nombre de ces objectifs.

Non seulement la structure établie par Hellyer dans les années 1960 a-t-elle influencé le développement de la politique de défense, mais, au fil des ans, elle a également insufflé un dynamisme au bureau du chef d’état-major de la Défense. En 1964, on considérait toujours Miller comme un coordonnateur du personnel et c’est le général Jean-Victor Allard, officier de l’armée et chef d’état-major de la Défense de 1966 à 1969, qui a le premier affermi l’autorité du bureau en adoptant l’attitude d’un commandant et non plus celle d’un coordonnateur36. Au début de son mandat comme chef d’état-major de la Défense, Allard a également établi le Conseil des Forces armées, un comité supérieur comprenant les chefs des groupes principaux du Quartier général des Forces canadiennes et les commandants des commandements fonctionnels, créant ainsi un forum essentiel pour les généraux et amiraux seniors des Forces canadiennes.37 Après 1969, toutefois, cette autorité s’est peu à peu érodée, le phénomène s’accélérant avec la fusion du Quartier général des Forces canadiennes et du département de la Défense au début des années 1970, puis avec la résurgence des services au cours des décennies 1980 et 199038. Chaque réorganisation du Quartier général de la Défense nationale et des Forces canadiennes se répercutait sur l’autorité du chef d’état-major de la Défense.

MDN Paul Hellyer et le général Jean Victor Allard

photo 287-IMG0025 du MDN

Paul Hellyer, ministre de la Défense nationale, et le général Jean Victor Allard, chef d’état-major de la Défense, devant un CT-114 Tutor sortant des usines de Canadair

Durant les années 1970 et 1980, on a assisté, à la Défense, à une centralisation accrue et à un déplacement du pouvoir vers les civils. En effet, durant cette période, les fonctionnaires civils ont progressivement exécuté plus de tâches liées à la défense et gagné en influence. Si la création du Quartier général de la Défense nationale en 1972 a largement contribué à encourager le personnel militaire et civil à travailler en plus étroite collaboration et de façon mieux coordonnée, elle a également suscité une tendance à l’intégration entre les militaires et les civils et donné lieu à un changement de culture qui allait se poursuivre pendant près de trente ans39. Les chefs d’état-major de la Défense ont déploré le fait que ce nouvel arrangement donnait aux fonctionnaires « un degré d’autorité sur les affaires militaires, sans la responsabilité qui incombe aux militaires quant à la reddition de comptes et au rendement », ce qui a contribué à « brouiller la chaîne de responsabilité et l’obligation de rendre des comptes » à l’intérieur du Quartier général de la Défense40. Au début des années 1990, la chaîne de commandement était perturbée, et la structure intégrée du Quartier général de la Défense nationale a permis aux fonctionnaires civils de s’immiscer dans le processus décisionnel au plus haut niveau, limitant la possibilité pour les militaires de donner leur avis en qualité de professionnels. L’influence militaire sur les questions opérationnelles s’est graduellement amoindrie, entraînant une dégradation des priorités au Quartier général, dans la mesure où des sous-ministres influents intervenaient dans la chaîne de commandement militaire et avaient tendance à dominer intellectuellement le chef d’état-major de la Défense41. Cette tendance à transférer les pouvoirs à des civils a toutefois commencé à s’inverser à la suite de l’enquête sur la Somalie et de la parution du Rapport au Premier ministre sur le leadership et l’administration dans les Forces canadiennes, lesquels ont donné lieu, dans les deux cas, à des observations critiques et à des recommandations relativement à la chaîne de commandement des Forces canadiennes et au partage des responsabilités à l’intérieur du Quartier général de la Défense nationale42.

Malgré l’influence grandissante des civils au sein du ministère, les chefs des services ont progressivement repris une partie des pouvoirs et de l’influence dont ils jouissaient avant l’unification des Forces, en particulier à la suite du retour des commandants des commandements au Conseil des Forces armées au début des années 1980. En 1988, le Conseil avait rejeté une proposition visant à renforcer le personnel des services centraux et le rôle du Quartier général de la Défense nationale dans les situations de crise et de guerre43. Cette décision a constitué « une défaite pour l’unification », selon Bland. Elle donnait en effet aux commandants des commandements un statut quasi équivalent à celui du chef d’état-major de la Défense. Plus encore : elle élevait leur commandement et leur état-major à un poste d’autorité en matière de formulation de la politique de défense44. Cette tendance fortement axée sur le service s’est maintenue dans les années 1990 avec la réinstallation à Ottawa des commandants de l’armée de terre, de la marine et de la force aérienne et de leurs états-majors respectifs. Un important transfert d’autorité visant à harmoniser les autorités et les ressources avec les responsabilités des commandants, notamment en confiant aux chefs d’état-major des armées le contrôle d’un imposant budget de fonctionnement, a encore renforcé leur influence et leur autonomie et donné aux trois chefs d’état-major un quasi-droit de veto sur la majorité des principaux enjeux intéressant les Forces canadiennes45. Ces facteurs, ajoutés à la structure de gouvernance léthargique du Quartier général de la Défense nationale, ont entraîné la paralysie du processus décisionnel. Mais avec l’arrivée de Hillier au poste de chef d’état-major de la Défense, des changements fondamentaux se préparaient: de manière décisive, il allait immédiatement prendre en main toutes les affaires militaires.

Com Canada COMSOCAN
COMFOSCAN COMFEC

La primauté des opérations, élément central de la transformation entreprise par Hillier en 2005, incluait une prise en compte accrue des questions opérationnelles dans toute décision prise au Quartier général de la Défense nationale. La vaste expérience des opérations que possédait Hillier et l’engagement du Canada dans une opération de haute intensité et à risque élevé dans le sud de l’Afghanistan l’ont amené à réformer la gouvernance militaire du Quartier général de la Défense nationale dans l’année qui a suivi son entrée en fonction. Il a ainsi formé un état-major unifié et plus solide qui a collaboré à la mise en œuvre de la transformation des Forces canadiennes et a conseillé le gouvernement. À la fin de la décennie 1990 et au début des années 2000, on a mis davantage l’accent sur « l’élément interarmées », ce qui a permis au sous-chef d’état-major de la Défense de jouer un rôle d’unification de premier plan, en particulier dans les secteurs du développement des forces, de la doctrine et des opérations interarmées46. Même s’il existait à l’intérieur de son groupe un état-major unifié des services centraux qui conseillait le chef d’état-major de la Défense sur les opérations interarmées, celui-ci était restreint, fonctionnait à l’intérieur d’une matrice, présentait une capacité limitée de planification à temps plein et possédait en conséquence une autorité et une influence très relatives à l’intérieur du Quartier général de la Défense nationale47. Le personnel responsable du développement des forces et de la planification stratégique à l’intérieur du groupe du vice-chef d’état-major de la Défense n’avait lui aussi que peu de pouvoir, les trois services menant souvent leurs activités de développement des forces indépendamment les uns des autres48.

Bon nombre de changements organisationnels entrepris au sein du Quartier général de la Défense nationale ont eu lieu de 2005 à 2007, mais trois décisions fondamentales de Hillier se sont révélées essentielles pour lui permettre de faire évoluer la vision des Forces canadiennes. D’abord, le chef d’état-major de la Défense s’est chargé de développer les forces en consolidant la branche du vice-chef d’état-major de la Défense et en rétablissant sur des bases solides un service central unifié du chef du développement des forces, dont la tâche consistait à exécuter les quatre principales lignes d’opérations liées à la transformation des Forces canadiennes (vision, structure, capacités et personnel). Il a également créé le commandement du personnel militaire, qui relevait du chef d’état-major de la Défense, et donné à son nouveau commandant plus d’autorité sur toute question relative au personnel49. C’est toutefois la dissolution du groupe du sous-chef d’état-major de la Défense et la mise sur pied d’un état-major interarmées stratégique fort et unifié relevant immédiatement de son autorité qui ont constitué les changements les plus significatifs de la réorganisation du Quartier général de la Défense nationale. Quoique plusieurs critiques puissent prétendre que l’état-major stratégique interarmées ne fonctionne pas en 2008 au niveau stratégique qu’Hillier avait envisagé à l’origine, il n’en demeure pas moins que dans les deux années et demie qui ont suivi son établissement, l’état-major interarmées stratégique a considérablement transformé la dynamique de la prise de décision sur le plan opérationnel en rétablissant l’influence militaire sur les questions touchant les opérations des Forces canadiennes50.

Certains critiques estiment cependant que ce nouvel état-major, la personnalité autoritaire de Hillier et d’autres changements profonds liés à la gouvernance dont le Quartier général de la Défense nationale a fait l’objet durant cette période ont dangereusement miné l’équilibre traditionnel entre le personnel civil et le personnel militaire et ont affaibli l’influence des hauts fonctionnaires51. Ces craintes sont exagérées. Il reste au Quartier général de la Défense nationale un groupe sous-ministériel très solide qui participe à la gestion des forces armées, qui appuie le ministre et lui fournit les avis requis. L’état-major interarmées stratégique veille quant à lui à ce que le personnel civil n’exerce pas de fonctions qui soient du ressort du personnel militaire et à ce que le chef d’état-major de la Défense puisse assurer un commandement efficace des Forces canadiennes52.

Vice-maréchal de l’air V.S.Milland, MDN Paul Hellyer et le vice-amiral H.S. Rayner

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Au podium lors du défilé commémorant la bataille de l’Atlantique, devant l’hôtel Elgin à Ottawa, le dimanche 3 mai 1964. En partant de la droite : le vice-maréchal de l’air V. S. Milland, Paul Hellyer, ministre de la Défense nationale, et le vice-amiral H. S. Rayner.

En 1964, Hellyer souhaitait que le chef d’état-major de la Défense prenne sous sa responsabilité l’ensemble des intérêts et des besoins des services et qu’il offre au ministre et au gouvernement une perspective nationale cohérente sur les questions entourant la défense. Il voulait également que le chef d’état-major de la Défense ait l’autorité de dominer et de contrôler les services. Même si les chefs d’état-major d’armée ont sans doute retrouvé un pouvoir et une autorité considérables sur les activités des Forces canadiennes au cours des années 1980 et 1990, le leadership, la personnalité dynamique et l’image publique incomparable de Hillier ont éclipsé les trois chefs des éléments terre, mer, air et renversé une tendance qui persistait depuis trente ans. Le soutien sans faille qu’a accordé le gouvernement au chef d’état-major de la Défense a également contribué dans une large mesure à empêcher toute critique ou dissension qui aurait pu poindre.

Le rôle d’avant-plan qu’a joué Hillier dans l’élaboration de la politique de défense, la présentation convaincante des enjeux de la Défense au public canadien et l’exercice du commandement des Forces canadiennes ont considérablement accru l’influence du bureau du chef d’état-major de la Défense. Le pouvoir et l’autorité sans précédent dont jouit à présent le chef d’état-major de la Défense dans les Forces canadiennes ne sont pratiquement jamais contestés par les services et leurs composantes. La formation d’un état-major solide et unifié, le tournant eu égard au pouvoir institutionnel qu’exerce le sous-ministre sur les questions opérationnelles et le déclin de l’influence des chefs d’état-major des armées ont permis au chef d’état-major de la Défense de se situer bien en vue au rang de conseiller militaire exclusif du gouvernement, consolidant du même coup le contrôle civil des forces militaires53. Le bureau du chef d’état-major de la Défense correspond en 2008 à tout ce qu’avait souhaité Hellyer en 1964. Mais mieux encore : comme le fait remarquer Bland, en quarante ans d’unification, les chefs d’état-major de la Défense, y compris le général Hillier, ont « exercé leur autorité légitime et implicite de manière très nuancée et responsable, essentiellement parce qu’ils soutenaient sans réserve le principe selon lequel il appartient en dernier ressort à l’autorité civile de contrôler et de diriger les Forces canadiennes et la défense nationale du Canada54 ». En ce sens, la vision de Hellyer se trouve pleinement concrétisée.

Note de la rédaction : la deuxième partie du présent article paraîtra dans le prochain numéro de la Revue militaire canadienne.

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Notes

  1. Le major général Daniel Gosselin, CMM, CD, est actuellement commandant de l’Académie canadienne de la Défense. Parmi ses affectations les plus récentes figurent celles de directeur général, Politique de sécurité internationale au Groupe des politiques du Quartier général de la Défense nationale, chef d’état-major de l’équipe de Transformation des Forces canadiennes en 2005-2006, et commandant du Collège des Forces canadiennes à Toronto. Titulaire de diplômes d’études supérieures en génie civil, en administration publique et en études sur la conduite de la guerre, il a entrepris un doctorat à temps partiel en histoire militaire à l’Université Queen’s et sa recherche porte sur le commandement national du Canada.
  2. Gouvernement du Canada, Livre blanc sur la Défense, Ottawa, 1964, dans Douglas Bland, Canada’s National Defence Volume 1 Defence Policy, Kingston : Université Queen’s, School of Policy Studies, 1997, p. 92.
  3. Livre blanc, ibid., p. 93. Les ouvrages de Bland sur la période de l’unification et ses conséquences sont les suivants : The Administration of Defence Policy in Canada: 1947 to 1985, Kingston : Ronald P. Frye & Company, 1987; et Chiefs of Defence: Government and the Unified Command of the Canadian Armed Forces, Toronto : The Canadian Institute of Strategic Studies, 1995.
  4.  Les lecteurs qui s’intéressent aux origines et aux causes de la crise pourraient consulter mon article : « The Storm over Unification of the Armed Forces: A Crisis of Civil-Military Relations, » dans Howard Coombs, dir., The Insubordinate and the Noncompliant: Case Studies of Canadian Mutiny and Disobedience, 1920 to Present, Toronto : Dundurn Press, 2007, p. 309-343; et R. B. Byers, « Canadian Civil-Military Relations and Reorganization of the Armed Forces: Whither Civilian Control? » dans Hector J. Massey, dir., The Canadian Military: A Profile, Toronto : Copp Clark Publishing, 1972, p. 197-228.
  5. Le terme intégration désigne la fusion des quartiers généraux, des commandements et des centres de soutien des trois services, mais les services eux-mêmes sont préservés en tant qu’institutions distinctes. On entend par unification la mise sur pied d’un seul service militaire remplaçant l’armée de terre, la marine et la force aérienne et l’intégration complète des fonctions de tous les services. Pour Hellyer, l’unification représentait l’ultime objectif d’une évolution logique. Bien que l’on considère parfois l’intégration et l’unification comme les termes d’une alternative, donc deux solutions fondamentalement distinctes, elles ne constituent en fait que des étapes différentes du même processus. Intégration était en fait le terme qui désignait les premières étapes de l’unification des Forces armées canadiennes. Après 1972, toutefois, on l’a utilisé plus fréquemment pour faire référence à la restructuration du ministère de la Défense nationale en tant qu’entité unique, avec l’intégration du Quartier général des Forces canadiennes au Quartier général de la Défense nationale. Hellyer, « Address on the Canadian Forces Reorganization Act, » 7 décembre 1966, Debates, p. 10827.
  6.  Il y a trois ans, quelque neuf mois après le début de la transformation des Forces canadiennes, Craig Stone, Ph. D., et moi avons publié un article dans cette revue afin d’expliquer les principales différences entre l’unification des Forces canadiennes et la transformation entreprise par le général Hillier en février 2005. Nous avions surtout mis l’accent sur les deux stratégies de mise en œuvre. Le présent article porte en revanche strictement sur l’héritage que constituent les idées fondamentales exprimées en 1963 par Hellyer concernant la Défense et ne se penche pas sur la stratégie de mise en œuvre qu’il a utilisée. Les lecteurs qui s’intéressent à cette question pourront consulter l’article « Du ministre Hellyer au général Hillier, » Revue militaire canadienne, vol. 6, no 4 (hiver 2005-2006), p. 5-15.
  7. L’exposé de Hellyer sur la Loi sur la réorganisation des Forces canadienne dura près de deux heures dans la Chambre des communes lors de la deuxième lecture de la loi C-243. Cet exposé présente certainement les meilleurs arguments pour justifier l’unification. Voir Debates, pp. 10817-47. Hellyer a également présenté son point de vue lors de réponses aux questions dans la Chambre des communes et durant plusieurs comités parlementaires sur la défense. Il a également publié un article : « Canadian Defence Policy » Air University Review, vol. 19, no 1 (novembre/décembre 1967). Ses mémoires sur l’unification, Damn the Torpedoes : My Fight to Unify the Canadian Forces, Toronto: McClelland & Stewart, 1990 sont également utiles, même si ceux-ci furent complétés près de vingt ans après son départ comme ministre de la défense.
  8. Bien qu’il soit entendu qu’il n’existe légalement qu’un seul service au Canada, les Forces armées canadiennes, et trois éléments traditionnels (Mer, Terre et Air), le terme service est utilisé dans le présent article pour désigner spécifiquement le traditionnel noyau – armée de terre, force aérienne et marine – qui compose les Forces armées canadiennes. Tout au long de l’article, le terme chefs d’état-major est employé indifféremment pour désigner les chefs d’état-major des services ou les chefs d’état-major des armées (Armée de terre, Force aérienne, Force maritime), selon le contexte de l’analyse présentée.
  9. Cette expression vient du titre du quatrième volume de James Eayrs de la série In Defence of Canada : Growing Up Allied, Toronto, University of Toronto Press, 1980. Le NORAD a été rebaptisé Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord.
  10. Pour une analyse plus complète, voir en particulier Bland, Administration of Defence Policy, p. 33-55, et Chiefs of Defence, p. 63-71.
  11. Bland, Canada’s National Defence Volume 1, p. 59; Hellyer, Damn the Torpedoes, p. 33; et Air Marshal F. R. Sharp, Minutes of Proceedings and Evidence, exposé présenté au Comité permanent de la Défense nationale, 7 février 1967, p. 452.
  12. Hellyer, Damn the Torpedoes, p. 34, et J. L. Granatstein, « Unification: The Politics of the Armed Forces, » dans Canada 1957-1967: The Years of Uncertainty and Innovation, Toronto : McClelland and Stewart, 1986, p. 223.
  13. Livre blanc, dans Bland, Canada’s National Defence Volume 1, p. 83.
  14. Granatstein, « Unification », p. 225. La terminologie employée risque de créer beaucoup de confusion, en particulier si l’on compare les écrits et les discours produits entre 1963 et 2008. Pour Hellyer, « intégré » signifiait la fusion de deux ou plusieurs fonctions de service (armée de terre, force aérienne et marine) en une seule (comme dans les expressions « Quartier général intégré » ou « forces intégrées »), également appelée « interarmées » dans le contexte de la doctrine opérationnelle d’aujourd’hui. Hellyer n’a pas employé le terme « interarmées » (apparu plus tard), mais disait plutôt « combinées » pour désigner les opérations de plus d’un service.
  15. Bland, Canada’s National Defence Volume 1, p. 60.
  16. Bland, Chiefs of Defence, p. 87-88.
  17. Pour une analyse plus détaillée sur la lutte acharnée entre les tenants de l’unification et ceux des trois services forts, consulter mon article « Unification and the Strong-Service Idea: A 50-Year Tug of War of Concepts at Crossroads » dans Allan English et coll., dir., Operational Art: Canadian Perspectives – Context and Concepts, Kingston : Canadian Defence Academy, 2005. La meilleure analyse sur la personnalité, l’identité et le comportement de chaque service demeure l’étude de Carl H. Builder, The Masks of War, Baltimore : John Hopkins University Press, 1989, p. 1-45.
  18. Concernant le manque de leadership politique,voir général G. C. E. Thériault, « Reflections on Canadian Defence Policy and its Underlying Structural Problems », Canadian Defence Quarterly, juillet 1993, p. 8.  Concernant le manque de leadership militaire, voir Douglas Bland, « Canada’s Officer Corps: New Times, New Ideas », présentation au quinzième colloque de l’institut de la Conférence des Associations de la Défense, Ottawa, 1999, sur le site http://www.cda-cdai.ca/seminars/1999/99bland.htm, consulté le 15 août 2008.
  19. Douglas Bland et Sean Maloney, Campaigns for International Security, Kingston : School of Policy Studies, Université Queen’s, 2004, p. 82.
  20. Bland, Chiefs of Defence, p. 158.
  21. Un groupe puissant du nom de Canada Council 21 a fortement préconisé que les Forces canadiennes soient équipées pour mener des opérations de maintien de la paix, fournir de l’aide humanitaire, protéger la souveraineté du Canada et aider le pouvoir civil. L’évolution de la politique de défense du Canada est clairement expliquée dans l’ouvrage suivant : Brian W. Tomlin, Normal Hillmer et Fen Osler Hampson, Canada’s International Policies: Agendas, Alternatives and Politics, Toronto : Oxford University press, 2008, p. 132-154. 
  22. Pour une analyse plus complète de la question, consulter Bland, Chiefs of Defence, p. 268-272.
  23. L’influence de Hillier sur la politique de défense faisait déjà couler de l’encre alors qu’il était encore au bureau. Voir notamment Tomlin, Hillmer et Hampson, Canada’s International Policies, p. 131 et p. 150-154; Janice Gross Stein et Eugene Lang, The Unexpected War: Canada in Kandahar, Toronto : Penguin, 2007, p. 34-39.
  24. Stein et Lang, Unexpected War, p. 147-148. Le général Hillier avait formulé ces idées dans une lettre alors qu’il était chef d’état-major de l’Armée de terre en 2003 : « Strategic Capability Investment Plan – Land Effect », lettre 3136-5 (CEMAT), datée du 26 juin 2003. Cette note est également étudiée dans Stein et Lang, « Too Few Hilliers », p. 34.
  25. La vision de Paul Martin a d’abord été énoncée dans un document intitulé Marquer l’histoire : la politique de la réussite, publié en prévision du congrès à la direction du parti Libéral de novembre 2003, et a été renforcée dans son discours du 14 avril 2004 à la base des Forces canadiennes de Gagetown. Voir Kevin Cox, « Martin boosts defence spending », Globe and Mail, 15 avril 2004, p. A4. Sur l’absence d’une orientation précise, voir Douglas Bland, « Hillier and the New Generation of Generals: the CDS, the Policy and the Troops », Policy Options, mars 2008, p. 58.
  26. Canada, A Role of Pride and Influence in the World: Defence (Ottawa, 2005), especially pp. 7-13, and the CDS Transformation brief, “The Way Ahead for the Canadian Forces,” (Ottawa, National Defence HQ, 2005).
  27. Gouvernement du Canada, Fierté et influence : notre rôle dans le monde, Ottawa, 2005, en particulier p. 7-13, et la présentation du chef d’état-major de la Défense sur la transformation, « The Way Ahead for the Canadian Forces », Ottawa, Quartier général de la Défense nationale, 2005.
  28. « The Way Ahead for the Canadian Forces », ibid, diapositive 27 sur 32.
  29. Suite à l’annulation du Programme des frégates, Hellyer avait demandé à la marine canadienne de développer un nouveau plan pour la flotte. Marc Milner, « Hard Lying, 1964-1968 », Canada’s Navy : The First Century, Toronto : University of Toronto Press, 1999, p. 244.
  30. Par exemple, les hélicoptères de moyen tonnage et les hélicoptères de transport lourds, les bâtiments amphibies transportant la Force opérationnelle permanente de contingence, la croissance des Forces spéciales et l’acquisition de nouveaux CC-130 pour les opérations tactiques.
  31. Hellyer, Debates, 8 mai 1964, p. 3065.
  32. Pour plus de détails, consulter Jon McLin, Canada’s Changing Defence Policy 1957-1963: The Problem of a Middle Power in Alliance, Baltimore : John Hopkins Press, 1967; J. L. Granatstein, « The Defence Débâcle, 1957-1963 », dans Canada 1957-1967, p. 101-138; et sur la crise des missiles de Cuba, la meilleure analyse reste celle de Peter T. Haydon, The 1962 Cuban Missile Crisis: Canadian Involvement Reconsidered, Toronto : The Canadian Institute of Strategic Studies, 1993.
  33. Bland, Chiefs of Defence, p. 64.
  34. Debates, 8 mai 1964, p. 3065. Étonnamment, le Livre blanc n’avait pas fait mention de la question du contrôle civil en soi, mais de toute évidence, le projet de loi C-90 portait sur le contrôle civil des forces militaires, un thème qui revenait constamment dans les propos du ministre lorsqu’on le questionnait à la Chambre de communes en 1964.
  35. Hellyer, Damn the Torpedoes, p. 33-34. 
  36. Bland, Chiefs of Defence, p. 87 et p. 167-168.
  37. Jean V. Allard, The Memoirs of General Jean V. Allard, avec Serge Bernier, Vancouver: UBC Press, 1988, p. 256
  38. Bland, Chiefs of Defence, p. 92.
  39. Ibid, p. 80-121 et p. 161-165.
  40. L’amiral Falls, cité par Bland, ibid, p. 161-162; Gerry Thériault, « Democratic Civil-Military Relations: A Canadian View », dans Jim Hanson et Susan McNish, dir., The Military in Modern Democratic Society, Toronto : The Canadian Institute of Strategic Studies, 1996, p. 9-10. 
  41. David Bercuson, Significant Incident, Toronto: Clelland & Stewart, 1996, p. 74. Concernant le sous-ministre et le CÉMD, voir Jack Granatstein, Who Killed the Canadian Military? Toronto: HarperCollins, 2004, p. 86-90; et Bland, “Canada’s Officer Corps.” Également, sur l’éthos et les valeurs militares, voir Peter C. Kasurak, « Civilianization and the Military Ethos: Civil-Military Relations in Canada », Canadian Public Administration, vol. 25, no 1 (printemps 1982), p. 108-129.
  42. Douglas Young, Report to the Prime Minister on the Leadership and Management of the Canadian Forces, 25 mars 1997, sur le site : http://www.forces.gc.ca/site/minister/eng/pm/mnd60.html, consulté le 15 août 2008.
  43. Il s’agit officiellement de la directive d’étude S1/88 du QGDN, Les fonctions et l’organisation du Quartier général de la Défense nationale en temps de crise et de guerre, qui porte le nom de ses auteurs, le major-général E. Little et D. P. Hunter, fonctionnaire. Le rapport sur l’étude est reproduit dans Bland, Canada’s National Defence Volume 2, p. 417-509.
  44. Bland, Chiefs of Defence, p. 191-197.
  45. Granatstein, Who Killed Canada’s Military, p. 92-93, et Gosselin, «Unification and the Strong-Service Idea », p. 168-171.
  46. Pour une analyse de « l’élément interarmées » dans les Forces canadiennes, voir E. Sharpe et Allan D. English, Principles for Change in the Post-Cold War Command and Control of the Canadian Forces, Kingston : Canadian Forces Leadership Institute, 2002, p. 47-50, et Gosselin, « Unification and the Strong-Service Idea », p. 172-177.
  47. Presque tous les gens qui travaillaient à la matrice occupaient un double emploi : à leur fonction régulière au Quartier général de la Défense nationale s’ajoutaient des responsabilités qui n’avaient souvent aucun rapport avec les opérations. Au moment de la planification ou du lancement d’une opération, le personnel de la matrice endossait son deuxième rôle, qui consistait à soutenir le sous-chef d’état-major de la Défense.
  48. Sur cette question, voir le site Web du chef actuel du développement des forces, http://www.cfd-cdf.forces.gc.ca/sites/page-fra.asp?page=5180, consulté le 15 août 2008. Le poste de chef du développement des forces avait été supprimé au milieu des années 1990 et fusionné à celui de directeur général de la planification stratégique.
  49. Le commandement du personnel militaire a remplacé le poste de sous-ministre adjoint (Ressources humaines – Militaires), indiquant clairement que l’élaboration et la mise en œuvre des politiques ayant trait au personnel des Forces canadiennes relevaient davantage du chef d’état-major de la Défense que du sous-ministre.
  50. En 1995, Bland avait prévu cette possibilité. « Si le chef d’état-major de la Défense avait sous son seul contrôle un état-major unifié solide, un Quartier général des Forces canadiennes (…) où l’autorité militaire pourrait être concentrée et s’il pouvait compter ses commandants subordonnés parmi ses alliés, alors la règle de la ‘‘civilianisation’’ imposée par les fonctionnaires, ce phénomène tant redouté par les militaires, ne pourrait vraisemblablement pas prévaloir. »Chiefs of Defence, p. 171.
  51. Lawrence Martin, « In Defence, the civilian side is on the slide », The Globe and Mail, 7 septembre 2006, p. A21. Stein et Lang abordent également ce thème dans « Too Few Hilliers », p. 37-38.
  52. Ironiquement, Hellyer avait lancé un avertissement sur cette question précise à la Chambre des communes en 1964, lorsqu’il a déclaré qu’« en formant un groupe de personnel civil solide pour appuyer le ministre au contrôle et à la gestion des forces armées, il faudrait toutefois veiller à ce que le personnel civil n’exerce pas les fonctions dont le personnel militaire a besoin pour contrôler efficacement les forces militaires et s’acquitter de ses responsabilités militaires. »Hellyer, Debates, 8 mai 1964, p. 3068.
  53. Je fais ici référence aux critères vagues qu’énumère Bland dans Chiefs of Defence, p. 171
  54. Bland, « Hillier and the New Generation of Generals », Options, mars2008, p. 56.

Quartier général de la Défense nationale

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Le Quartier général de la Défense nationale, 101, promenade du colonel By à Ottawa.

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