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La sécurité internationale

Combattants du Hamas en Palestine

Reuters RTR1R0JL

Des combattants du Hamas montent la garde devant la résidence de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, à Gaza, le 21 juin 2007.

Le terrorisme, un crime international1

par Michael Lawless

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Introduction

À ce jour, le XXIe siècle a été marqué par une forte augmentation du nombre d’États non viables et en déliquescence ainsi que par une multiplication tout aussi notable des actes de terrorisme intérieur et international. Par conséquent, le défi qui se pose à la communauté internationale est d’adopter une approche commune afin de traiter le terrorisme en tant que crime international. Le présent article fera la démonstration que le terrorisme est effectivement un crime international et qu’à ce titre, il importe à la communauté internationale d’agir pour le prévenir et punir les individus qui se prêtent à de tels actes. À cet égard, les événements du 11 septembre 2001 ont donné l’occasion aux forces internationales d’accéder au premier rang de l’ordre du jour politique mondial. La guerre internationale au terrorisme étant apparemment sanctionnée par les Nations Unies (ONU), il est maintenant temps que le crime terroriste, en tant qu’acte perpétré par une organisation non gouvernementale, devienne une responsabilité universelle et que cette responsabilité soit déléguée à une institution internationale comme la Cour pénale internationale qui aurait la compétence de poursuivre et de punir les auteurs.

Le présent article examinera l’interprétation actuelle du terrorisme comme crime international. Pour ce faire, nous passerons en revue les traités et les conventions existants qui traitent de divers éléments du terrorisme, puis nous discuterons de la difficulté à définir ce qui constitue exactement du terrorisme. Nous conclurons en jetant un coup d’œil sur l’état actuel du droit pénal international et nous soutiendrons que l’absence de définition consensuelle précise du terrorisme au sein de la communauté internationale n’enlève rien à la dimension criminelle de l’acte, mais sert plutôt d’excuse aux États pour échapper à leurs obligations juridiques.

Il est généralement admis que les « crimes internationaux » sont des actes criminels considérés comme tellement odieux que tout membre de la « famille des nations » peut en poursuivre l’auteur. Un des premiers exemples de ces crimes jugés universels et sur lesquels n’importe quel pays peut revendiquer sa juridiction est la piraterie. Parmi les crimes de compétence universelle qui sont visés par des conventions internationales, il y a l’esclavage, les crimes de guerre, le détournement ou le sabotage d’avions civils et le génocide. Tout comme la piraterie a évolué en un crime international obligeant chaque État à prendre des mesures préventives contre les actes de piraterie, les États ont la responsabilité, dans le monde moderne, de prévenir le terrorisme et d’imposer des sanctions aux auteurs jugés coupables. Cette responsabilité comprend l’obligation, pour les États, d’amener les présumés terroristes dans la sphère de leur propre droit pénal ou de livrer ceux qui sont accusés de terrorisme à la communauté internationale pour que la Cour pénale internationale ou une autre instance judiciaire semblable les juge et les punisse s’ils sont trouvés coupables.

Malgré les nombreuses critiques justifiées qu’on a pu formuler sur la façon de livrer quelqu’un aux institutions judiciaires internationales et sur les circonstances dans lesquelles cela se fait, la communauté internationale n’a jamais cessé d’appliquer le droit international. Elle a effectivement mis sur pied des institutions judiciaires tant ponctuelles que permanentes pour traduire en justice les personnes accusées d’avoir violé le droit pénal international. Ce qu’il reste à faire, maintenant, c’est d’évaluer sa position actuelle à l’égard du terrorisme en tant que crime de droit international ainsi que les effets d’une telle définition de la criminalité.

Quartier général des Nations Unies

photo 69124 de l’ONU/Yutaka Nagata

Siège de l’ONU à New York.

L’état actuel des lois antiterroristes internationales

Il existe en ce moment treize conventions ou protocoles internationaux qui interdisent des actes précis de terrorisme. Ces ententes ont été mises au point et sont appliquées sous l’égide de l’ONU et elles représentent la volonté manifeste de la communauté mondiale.

La première convention moderne s’intéressant au problème du terrorisme, la Convention de Tokyo de 1963, visait à sanctionner les actes pouvant compromettre la sécurité à bord des aéronefs. Elle fut suivie, en 1970, par la Convention de La Haye, qui rendait coupable de délit toute personne qui, à bord d’un aéronef, tentait de le capturer ou d’en exercer le contrôle, que ce soit par la menace de violence, par la force ou par l’intimidation. La Convention de La Haye a quant à elle été élaborée en réaction directe au détournement, en 1968, d’un Boeing 707 d’El Al volant de Rome à destination de Tel-Aviv, un événement « généralement considéré comme l’un des principaux éléments à l’origine de la série meurtrière d’attentats terroristes internationaux2 » qui continuent de se produire de nos jours. La nature terroriste de ce détournement est mise en évidence par le choix de la cible, cette compagnie aérienne étant la société nationale israélienne de transport aérien et, de ce fait, un symbole de l’État d’Israël. Le détournement de l’avion a obligé cet État à traiter directement, sous le regard des médias, avec les terroristes qui cherchaient à échanger les passagers contre la libération de Palestiniens emprisonnés par Israël, un « audacieux coup d’éclat politique3 ».

Ainsi confrontée à la menace émergente du terrorisme dans l’espace aérien international, la communauté internationale a réagi en traitant comme un délit criminel toute ingérence dans le fonctionnement d’un aéronef, que ce soit par une personne ou par un groupe. En réalité, cette interdiction ne s’applique pas seulement à l’espace aérien international; elle s’étend également à l’espace aérien national étant donné que la communauté internationale considère qu’un tel acte, qu’il soit commis ou non à l’intérieur des frontières d’un pays, est de nature à susciter une réplique internationale unanime. D’autres conventions internationales interdisent, par exemple, la prise d’otages et visent des actes commis contre la navigation maritime ou contre les voyageurs aériens, qu’ils se trouvent à bord des appareils ou dans les aéroports.

Chacune de ces conventions impose le devoir aux États qui y adhèrent de poursuivre en justice ou d’extrader toute personne ou organisation présumée avoir contrevenu aux termes de la convention. L’obligation de poursuivre ou d’extrader est généralement formulée comme suit :

« L’État contractant sur le territoire duquel l’auteur présumé de l’infraction est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, sans aucune exception et que l’infraction ait ou non été commise sur son territoire, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale4. »

Selon les conventions antiterroristes adoptées par les Nations Unies, les parties ont la responsabilité de s’assurer que les auteurs présumés d’actes de terrorisme répondent de leur conduite devant une cour de justice. On pourrait même avancer que l’obligation d’intenter des poursuites ou d’extrader a force exécutoire pour tous les États et non seulement pour les parties signataires, étant donné que les dispositions de ces conventions ont été unanimement acceptées par la communauté internationale. Qui plus est, tous les États ont le devoir d’obéir aux règles du droit international5. Dans le cas du terrorisme, ce devoir appelle les États à traduire en justice ou à extrader tout individu ou groupe qui a prétendument enfreint le droit international et leur refuse le droit de n’entreprendre aucune action contre cet individu ou ce groupe. Cependant, en l’absence d’instance judiciaire internationale responsable de poursuivre les présumés terroristes, plusieurs États ont manqué de motivation pour juger chez eux les personnes accusées de terrorisme ou pour les extrader vers d’autres pays.

L’obligation de traduire en justice à laquelle sont contraints les États n’a toutefois pas été totalement inefficace. À la suite des premières déclarations de l’ONU contre le terrorisme dans les années 1960 et 1970, quelques pays se sont mis à intenter plus vigoureusement des poursuites contre des présumés terroristes. Mais à défaut d’un consensus international sur la façon de procéder, encore une fois, la motivation s’est rapidement essoufflée.

« Entre janvier 1972 et janvier 1974, les forces policières européennes ont appréhendé cinquante Arabes soupçonnés de terrorisme. De ce nombre, seuls sept ont vu l’intérieur d’une prison. Trente-six ont été libérés sans procès, y compris les derniers membres survivants du commando palestinien qui avait assassiné les athlètes olympiques israéliens aux Jeux de Munich, en 19726. »

Dans ce contexte, on ne s’étonne pas que ces ententes aient eu si peu d’effet dissuasif sur les terroristes, en admettant qu’elles en aient eu. Le fait de ne pas avoir pris toutes les mesures qui s’imposent afin que les présumés terroristes soient soumis à des sanctions judiciaires semble avoir affaibli les efforts nationaux et internationaux visant à mettre sur pied une instance internationale capable de juger les terroristes. Ainsi, le message envoyé aux terroristes était clair : poursuivez vos activités, car il y a peu de risque de sanction pour vous amener à envisager d’autres moyens de réaliser vos objectifs politiques. Finalement, la fréquence des actes de terrorisme n’a cessé d’augmenter tout au long des années 1970, et ce, jusqu’à nos jours, les terroristes devenant de plus en plus inventifs et prêts à commettre des actes de violence plus dévastateurs et de plus grande envergure.

En réaction à l’escalade du terrorisme dans le monde entier, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, en 1997, une convention établissant la juridiction universelle sur l’usage illégal et intentionnel d’explosifs dans les lieux publics. Connue sous le nom de Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, celle-ci fut suivie, en 1999, par la Convention internationale sur la répression du financement du terrorisme, qui vise à empêcher et à combattre le financement des terroristes ainsi qu’à poursuivre les personnes et les organisations qui assurent ce financement. Par cette dernière convention, l’ONU déclarait que le crime de financement du terrorisme, tout comme le crime de terrorisme lui-même, était de nature internationale et faisait ainsi l’objet d’une compétence universelle.

En faisant du terrorisme un crime à juridiction universelle, l’ONU a fait savoir à tous les acteurs non étatiques ayant recours à la violence pour arriver à leurs fins politiques (c’est-à-dire les terroristes) qu’ils s’exposent à des sanctions même s’ils ne sont pas appréhendés à l’intérieur de la juridiction territoriale de l’État où ils ont commis un acte criminel. L’auteur d’un acte terroriste sera plutôt soumis à des sanctions pénales où qu’il soit capturé, n’importe quand, par l’autorité légitime d’un pays. D’habitude, cette juridiction universelle est accordée à tout pays qui tient l’auteur de certaines infractions jugées particulièrement nocives pour l’humanité en général7. Aux termes de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif, par exemple, un pays peut exercer sa compétence même si son territoire, sa sécurité ou sa souveraineté n’a pas subi les effets d’un acte terroriste. De même, tout pays peut obtenir juridiction sur quiconque a été responsable d’un attentat à l’explosif dans un lieu public, n’importe où dans le monde.

Le World Trade Center en flammes

Reuters RTR73XO

Une tour du World Trade Center brûle après l’écrasement d’un avion, le 11 septembre 2001.

En plus des treize conventions internationales mentionnées précédemment, l’Assemblée générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité ont adopté, après le 11 septembre 2001, des résolutions sur la nature criminelle du terrorisme. La résolution 1377, votée le 21 novembre 2001 par le Conseil de sécurité, se lisait en partie comme suit :

« [Le Conseil de sécurité] déclare que les actes de terrorisme international constituent l’une des menaces les plus graves à la paix et à la sécurité internationales au XXIe siècle;

Déclare en outre que les actes de terrorisme international constituent un défi à tous les États et à l’humanité tout entière;

Réaffirme sa condamnation catégorique de tous les actes ainsi que de toutes les méthodes et pratiques de terrorisme, qu’il juge criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motifs, sous toutes leurs formes et manifestations, où qu’ils soient commis et quels qu’en soient les auteurs8 [...] ».

C’est ainsi que, au lendemain des attaques contre le World Trade Center, l’ONU réagissait encore une fois à la menace évidente du terrorisme et définissait de nouveau le terrorisme comme étant de nature criminelle. Cette déclaration du Conseil de sécurité des Nations Unies n’était pas sans précédent. Au contraire, depuis sa création, l’ONU a maintes fois répété que le terrorisme était criminel et n’a cessé de chercher des moyens de traduire en justice les auteurs de tels actes. L’Assemblée générale des Nations Unies imposait, en 1995 une obligation à tous les États signataires de la Charte des Nations Unies, énonçant entre autres ce qui suit :

« Les États doivent également remplir les obligations que leur imposent la Charte des Nations Unies et d’autres dispositions du droit international dans la lutte contre le terrorisme et sont instamment priés de prendre des mesures efficaces et résolues, conformément aux dispositions applicables du droit international et aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, pour éliminer rapidement et définitivement le terrorisme international, et en particulier : [...]

b) de veiller à arrêter, traduire en justice ou extrader les auteurs d’actes de terrorisme, conformément aux dispositions pertinentes de leur droit national9 »

On voit bien que le terrorisme a fait l’objet d’importants débats tant au sein de l’Assemblée générale qu’au Conseil de sécurité de l’ONU. Ces discussions ont entraîné la promulgation de diverses déclarations antiterroristes qui considèrent systématiquement le terrorisme comme une activité criminelle et qui obligent les États à traduire les terroristes en justice. Un autre bon exemple se trouve dans une déclaration adoptée en 1997 par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui, reprenant une déclaration de 1994, réitère l’obligation qu’ont les États de s’assurer que les terroristes seront ou bien jugés par les instances nationales, ou bien extradés vers un État où un tel procès peut se dérouler. L’article 5 de cette déclaration précise :

« Les États Membres de l’Organisation des Nations Unies réaffirment qu’il importe d’assurer entre eux une coopération efficace, de façon que ceux qui ont participé à des actes terroristes, y compris à leur financement ou à leur organisation, ou qui ont incité à commettre de tels actes, soient traduits en justice; ils soulignent qu’ils sont résolus, conformément aux dispositions pertinentes du droit international, y compris aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, à joindre leurs efforts pour prévenir, combattre et éliminer le terrorisme et à prendre toutes les mesures voulues, conformément à leur législation interne, soit pour extrader les terroristes, soit pour les déférer aux autorités compétentes aux fins de poursuites judiciaires10. »

Récemment, le Conseil de sécurité des Nations Unies a déclaré une fois de plus que « [l]e terrorisme sous toutes ses formes et manifestations constitue l’une des menaces les plus graves à la paix et à la sécurité internationales. Tous les actes de terrorisme, quels qu’ils soient, sont criminels et injustifiables quels qu’en soient les motifs, où qu’ils soient commis et quels qu’en soient les auteurs. [À ce titre,] ils doivent être condamnés sans équivoque, surtout lorsqu’ils frappent ou blessent des civils sans discrimination11. » Il est donc tout simplement impossible d’affirmer que le terrorisme n’est pas proscrit par la communauté internationale ou qu’il ne s’agit pas d’un crime international. Bien au contraire, l’ONU a débattu du terrorisme pendant de nombreuses années, et il découle de ces discussions la mise en place d’une interdiction complète du terrorisme comme moyen d’accomplir des changements politiques, indépendamment de toute intention louable ou amélioration invoquée par le terroriste.

L’Assemblée générale des Nations Unies

photo 185103 de l’ONU/Jenny Rocket

L’assemblée générale des Nations Unies en pleine session.

On peut malheureusement dire avec certitude qu’avant les attentats du 11 septembre 2001 – démonstration spectaculaire de l’effet redoutable que peut avoir une attaque terroriste coordonnée –, la communauté internationale était peu encline à faire davantage que qualifier le terrorisme d’infraction contre le droit international. Au lendemain de cette date fatidique, cependant, il est devenu très évident que l’on devait faire plus que déclarer simplement le terrorisme comme un acte illégal. Il était maintenant nécessaire de traiter cette question à l’échelle mondiale. Le droit international est clair : le terrorisme est un crime. L’importance de cette définition se traduit ainsi :

« [Cela] tend à minimiser l’importance du terroriste, à l’assimiler à un criminel de droit commun, créant ainsi un mur d’illégitimité entre, d’une part, l’acte et son auteur et, d’autre part, le grand élan psychologique qui pousse le terroriste à poursuivre ses objectifs politiques. Une imputation et une poursuite efficaces isolent encore davantage le terroriste, mettent en valeur l’ensemble des efforts punitifs et augmentent également la confiance (tout en dissipant le sentiment de peur) au sein de la population cible12. »

Par conséquent, le fait que la communauté internationale n’ait pas mis en place un régime juridique disposant de tous les instruments judiciaires nécessaires pour s’attaquer à ce fléau contribue nécessairement, bien que de manière passive, à l’expansion du terrorisme partout dans le monde. À l’évidence, « qu’ils soient traduits en justice par la communauté internationale ou par les instances judiciaires d’un quelconque pays, cela importe moins que le fait que les auteurs sachent qu’un jour ou l’autre leurs actions auront des conséquences et qu’ils ne pourront continuer d’agir impunément13 ». En omettant de traiter les terroristes comme des criminels – et de les soumettre aux mêmes conséquences juridiques que les criminels de droit commun –, la communauté internationale continue d’apporter de l’eau au moulin politique des terroristes en faisant une distinction claire entre, d’une part, le criminel qui est poursuivi et incarcéré et, d’autre part, le terroriste qui n’est exposé à aucune conséquence internationale.

Le Pentagone

Reuters RTR2158

Le Pentagone en pleine reconstruction suite aux attaques du 11 septembre. Cliché daté du 6 février 2002.

Le terrorisme, un problème de définition

Un des problèmes fondamentaux qui se posent à la communauté internationale dans sa lutte contre le terrorisme est la difficulté de s’entendre sur une définition. « La littérature propose des centaines de définitions du terrorisme. Certaines sont axées sur les auteurs, d’autres, sur leurs motifs et d’autres encore, sur leurs techniques14. » Par conséquent, bien qu’il existe plusieurs traités interdisant spécifiquement des actes généralement associés au terrorisme, il n’y a pas de définition précise sur laquelle s’appuyer pour formuler une convention ou un traité antiterroriste indépendant. Essentiellement, la communauté internationale a concentré ses efforts sur l’interdiction d’actes terroristes particuliers. Les attaques contre le World Trade Center ont cependant rappelé de manière dramatique et brutale que le terrorisme était un problème considérable à l’échelle mondiale, un problème auquel il faut s’attaquer de façon à dissuader toute attaque ultérieure. L’envergure de la réaction mondiale aux attentats du 11 septembre 2001 peut se mesurer en partie à « l’empressement évident qu’ont montré certains États commanditaires du terrorisme [notamment la Libye et la Syrie] à se distancer des groupes extrémistes qu’ils avaient soutenus par le passé ou du terrorisme international en général15 ».

Parallèlement, d’autres pays ont réagi à l’intérieur de leur propre juridiction. Au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, divers pays ont imposé des mesures législatives pour contrer le terrorisme ou la menace terroriste. Par exemple, les États-Unis ont adopté le Patriot Act, au Canada, ce fut la Loi antiterroriste et, en Grande-Bretagne, le Terrorism Act. Dans chaque cas, les législateurs ont défini le terrorisme ou les terroristes de manière différente, ajoutant davantage à la diversité des interprétations possibles. De plus, l’empressement des pays à ratifier les conventions antiterroristes internationales déjà en place a connu une augmentation notable. En effet, dans la foulée des attentats en sol américain, le nombre de pays signataires de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l’explosif est passé de 28 à 115. Fait plus remarquable encore, le nombre d’États adhérents à la Convention internationale sur la répression du financement du terrorisme a grimpé de 6 à 117.

Pour ce qui est du Canada, la réaction a été importante tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières, le pays ayant ratifié les deux conventions, soit celle pour la répression des attentats terroristes à l’explosif et celle sur la répression du financement du terrorisme16. Au pays, la Loi antiterroriste constitue « une transformation majeure et permanente du droit criminel en ce qui a trait au terrorisme17 », car elle incrimine non seulement les actes terroristes, qu’ils soient exécutés ou simplement planifiés, mais aussi le financement et la facilitation du terrorisme. Cependant, bien qu’il soit majeur, ce changement n’est pas réactionnaire outre mesure. Il s’agit plutôt d’une réponse appropriée à l’envergure démesurée – et démontrée – que peuvent prendre les actes terroristes comme tels. À ce titre, on peut voir la réaction du Canada aux événements du 11 septembre 2001 comme étant « mûrement réfléchie, efficace et bien équilibrée18 ».

L’adoption de telles lois montre clairement la capacité des différents groupes de législateurs à s’entendre sur une définition du terrorisme. Le fait que les Nations Unies aient été incapables d’y parvenir reflète davantage un manque de volonté qu’une réelle difficulté à en arriver à une définition jugée acceptable. À défaut de définition applicable du terrorisme, on pourrait avancer que l’absence d’un régime juridique international englobant pour traiter le terrorisme découle d’une « grande incertitude et [d’une grande] controverse parmi les hommes de loi et autres experts quant au rôle et à l’efficacité de la loi et de l’appareil judiciaire pour combattre les terroristes19 ». De fait, cela revient à dire que la communauté internationale a abdiqué sa responsabilité de promouvoir et d’instaurer la paix et la sécurité internationales à cause d’un désaccord concernant l’efficacité d’une instance judiciaire internationale à punir les terroristes.

Cependant, cette interprétation ne tient pas compte du fait qu’aucune structure internationale intégrée destinée à la lutte contre le terrorisme n’a échoué jusqu’ici – car, en réalité, il n’y en a tout simplement jamais eu. Par ailleurs, si l’on s’intéresse aux instances de niveau national, on peut dire à juste titre qu’il est pratiquement impossible d’évaluer l’efficacité de quelque organisation de lutte contre le terrorisme intérieur, car on ne peut déterminer le nombre d’actes terroristes qui ont été anticipés ou évités justement en raison de l’existence même de cette organisation. Au bout du compte, l’existence d’une organisation internationale antiterroriste dotée d’instances judiciaires ne peut qu’aider à la lutte contre le terrorisme, et on ne peut affirmer que cela nuit à la cause ou qu’elle l’entrave de quelque manière. La création d’une telle structure devrait donc se retrouver en tête de l’ordre du jour de la communauté internationale pour combattre le terrorisme à l’échelle mondiale.

Pour mettre sur pied un tel mécanisme judiciaire international, il est sûr qu’une définition du terrorisme doit d’abord être adoptée avant d’être appliquée par cette nouvelle institution. Cependant, à ce jour, la communauté internationale a été incapable de se mettre d’accord sur une telle définition. Nonobstant la diversité des définitions que l’on trouve dans les législations de nombreux pays du monde, il existe certains thèmes communs qui peuvent servir à distiller une définition rudimentaire du terrorisme sur laquelle la communauté internationale pourrait s’appuyer pour agir efficacement contre le problème lui-même. Il semble évident que le terrorisme vise à changer le statu quo en employant la violence contre les États et les personnes. Toute définition du terrorisme, pour être fonctionnelle, doit donc en reconnaître la motivation intrinsèquement politique. De plus, la définition doit tenir compte du fait que le terroriste agit tout particulièrement contre des populations ou des cibles civiles plutôt que contre les objectifs qui semblent plus acceptables (comme les institutions d’État ou les forces armées) et qui permettent à l’auteur d’invoquer le statut de combattant légitime.

La définition la plus élémentaire du terrorisme comprend trois éléments distincts, soit l’usage de la violence, un acteur ou auteur non étatique et la poursuite d’un objectif politique. Cette définition, qui intègre ces trois éléments, décrit le terrorisme comme étant « toute menace ou tout acte de violence commis illégalement par un acteur non étatique pour un motif politique ». Une fois cette définition établie, il devrait être possible pour une instance judiciaire internationale (la plus appropriée étant la Cour pénale internationale) d’avoir juridiction sur le crime de terrorisme et, au nom de la communauté mondiale, d’administrer la justice et de punir ceux qui ont été jugés coupables d’avoir commis le crime international de terrorisme. L’intérêt d’une définition simple est qu’elle permet de couvrir une vaste gamme d’acteurs, individuels ou collectifs, qui deviennent ainsi passibles de sanctions. L’intention de l’accusé est une autre caractéristique essentielle de la définition, car un acte de violence contre un non- combattant sans motif politique n’est qu’une simple agression ou un meurtre, mais ce n’est pas du terrorisme. Un tel acte est sans doute un crime en vertu des lois nationales, mais il ne constitue pas un crime international de terrorisme, car il ne vise pas un objectif ou un résultat politique.

Le fait que cette définition n’est pas axée sur la cible de l’attaque n’en gêne pas l’efficacité, car c’est la caractéristique de l’acteur, à titre étatique ou non étatique, qui conduit à l’application soit du droit des conflits armés (acteur étatique), soit du droit pénal international (acteur non étatique). Ce sera ensuite l’établissement d’un mobile politique qui mènera à la troisième composante de la définition, soit la menace ou l’utilisation de la violence dans le but d’atteindre un objectif politique. C’est uniquement quand les trois éléments sont réunis, et seulement si aucune défense valable n’est présentée, que l’on peut considérer que l’individu ou le groupe est visé par la définition proposée et est donc passible de sanctions judiciaires. Si la personne accusée de terrorisme peut démontrer qu’elle a agi à titre de combattant légitime, on peut juger que les actes qui lui sont reprochés ont été commis légalement et ne sont donc pas criminels.

Une définition fonctionnelle du terrorisme doit faire la distinction entre les acteurs légitimes non traditionnels (diversement qualifiés de révolutionnaires, combattants de la liberté, etc.) et les acteurs illégitimes non traditionnels (les terroristes). Une des différences fondamentales entre ces deux groupes est leur choix de cibles. Le terroriste préfère prendre pour cible la population civile, sans discrimination, alors que le révolutionnaire vise précisément les institutions et le personnel de l’autorité d’État contre laquelle il se bat, pas la population civile dans son ensemble.

« [Le terme] guérillero, par exemple, dans son usage le plus accepté, renvoie à un membre d’un groupe d’individus armés qui opèrent comme des unités militaires, attaquent des forces armées, se rendent maîtres d’un territoire [...] tout en exerçant une certaine forme de souveraineté ou de contrôle sur une région géographique délimitée et sur sa population. Les terroristes, par contre, ne fonctionnent pas ouvertement comme des unités armées, ne tentent généralement pas de capturer ni de tenir du terrain, évitent exprès d’engager le combat contre des forces armées et exercent rarement quelque contrôle direct ou quelque souveraineté que ce soit sur des territoires ou des populations20. »

Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU et Benjamin Netanyahu

photo 141544 de l’ONU/Evan Schneider

Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, rencontre Benjamin Netanyahu à l’hôtel King David à Jérusalem, le 26 mars 2007.

En ce qui a trait à la cible privilégiée dans la définition d’un comportement comme étant terroriste, le distingué Israélien Benjamin Netanyahu note ceci :

« Ce qui caractérise le terrorisme, c’est le choix volontaire et calculé de prendre des innocents pour cibles. Quand des terroristes mitraillent une zone d’attente de passagers ou font exploser des bombes dans un centre commercial bondé, leurs victimes ne sont pas des accidents de guerre mais bien l’objet de leur attaque21. »

Pareillement, dans le débat entourant la distinction entre le terroriste et le combattant pour la liberté, il existe à l’évidence une différence relativement claire dans les circonstances où une personne ou un groupe peut être considéré comme « combattant pour la liberté » plutôt que comme terroriste. Sur la base de cet argument, on peut donc dire ceci :

« Des acteurs non étatiques peuvent en toute légitimité faire usage de la force quand l’État souverain s’est dissout (Somalie) ou a été envahi par une puissance étrangère (la France sous l’occupation allemande). Dans le premier cas, il n’y a aucune autorité ayant juridiction pour mener une guerre. Par conséquent, l’autorité de faire la guerre peut revenir à ceux qui savent se gagner la loyauté d’une partie importante de la collectivité. Dans le deuxième cas, le droit universel à l’autodéfense s’étend à la création de mouvements de résistance22. »

Fondamentalement, l’idée que « le terroriste de l’un est le combattant pour la liberté de l’autre » ne représente pas un argument valable contre la nécessité de définir le terrorisme et d’en faire un crime relevant de la Cour pénale internationale. Le combattant pour la liberté peut revendiquer la légitimité de sa conduite parce qu’il ne s’attaque qu’aux institutions de l’État, et pas à la population civile, pour produire des changements politiques. Ce qui importe davantage, c’est qu’en choisissant une cible étatique plutôt qu’une cible civile, les combattants pour la liberté, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, sont en droit de se réclamer du statut de combattant pour la liberté au lieu d’être classés dans la catégorie des terroristes. Et si cette revendication était acceptée par une instance judiciaire internationale, le crime de terrorisme ne serait tout simplement pas prouvé et l’accusé serait acquitté. Cependant, il est sûrement possible de définir le terrorisme de façon à restreindre l’application du droit pénal international aux attaques dirigées contre des civils et ayant pour but d’accomplir des changements politiques.

En fait, une personne accusée de terrorisme pourrait se défendre en démontrant comment sa conduite a respecté les règles du droit des conflits armés plutôt que celles du droit pénal international. Autrement dit, tant que l’individu ou le groupe agit comme combattant légitime conformément au droit des conflits armés, il n’est pas assujetti au droit pénal international. À ce chapitre, il importe de rappeler que l’article 51(2) du Protocole additionnel I des Conventions de Genève de 1949 stipule que les civils en particulier et la population civile dans son ensemble ne sont pas des combattants et ne constituent donc pas des cibles justifiées en cas de conflit armé. Cette restriction élargie devient une interdiction générale de toute attaque contre la population civile, quelle qu’en soit la raison. Une proposition qu’a d’ailleurs confirmée le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie :

« La Chambre de première instance rappelle que l’article en question [article 51(2)] consacre en des termes clairs la règle coutumière selon laquelle les civils doivent jouir d’une protection générale contre les dangers résultant des hostilités. L’interdiction d’attaques contre des civils tire son origine d’un principe fondamental du droit international humanitaire, celui de la distinction [énoncé à l’article 48 du Protocole additionnel I], qui oblige les parties au conflit à faire en tout temps la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, à ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires23. »

Le Protocole additionnel I des Conventions de Genève reconnaît en outre que, dans certaines circonstances, il peut s’avérer impossible pour certains acteurs d’un conflit armé d’arborer tous les signes caractéristiques des combattants légitimes. Plus précisément, l’article 44.3 stipule ce qui suit :

« Étant donné, toutefois, qu’il y a des situations dans les conflits armés où, en raison de la nature des hostilités, un combattant armé ne peut se distinguer de la population civile, il conserve son statut de combattant à condition que, dans de telles situations, il porte ses armes ouvertement :

  1. pendant chaque engagement militaire; et
  2. pendant le temps où il est exposé à la vue de l’adversaire alors qu’il prend part à un déploiement militaire qui précède le lancement d’une attaque à laquelle il doit participer. »

Le droit international envisage donc explicitement un certain degré de souplesse dans l’établissement du statut de combattant. Par contre, dans les cas où l’individu ou le groupe serait incapable de prouver qu’il adhère au droit des conflits armés et ainsi de s’assurer l’obtention du statut de combattant légitime, il sera alors assujetti à la définition proposée du terrorisme et s’exposera aux sanctions prévues par le droit pénal international. En fait, l’individu ou le groupe doit faire la démonstration à un tribunal compétent qu’il a droit au statut de combattant parce qu’il a agi conformément aux critères établis. Le cas échéant, l’individu ou le groupe ne sera pas jugé coupable d’avoir commis des actes de terrorisme et ne sera donc pas passible des sanctions imposées par le droit international, bien qu’il puisse s’exposer à des sanctions internes de la part du pays où il a commis ces actes. À ce chapitre, donc, la réticence de la communauté internationale à se prononcer sur une définition du terrorisme ne tient plus, car on ne peut étayer juridiquement l’argument fondé sur « l’exception du combattant pour la liberté » pour rejeter une telle définition.

Kurt Waldheim, Secrétaire général de l’ONU

photo de l’ONU 84980/Yutaka Nagata

Kurt Waldheim, secrétaire général de l’ONU, le 14 mars 1972.

La nécessité d’agir

Il est évident que les terroristes agissent en dehors des limites de la loi (qu’elle soit nationale ou internationale) en faisant aveuglément usage de violence contre les populations civiles. Toutefois, l’état actuel du droit international fait en sorte que l’absence de définition claire du terrorisme empêche toute institution juridique internationale d’agir efficacement pour combattre le terrorisme. De là découle l’incapacité de la communauté internationale de dissuader les terroristes et autres individus (ou groupes) partageant les mêmes ambitions politiques. Même si les lois nationales interdisent sans exception les actes de terrorisme et imposent des sanctions pénales à leurs auteurs, l’absence de régime juridique international crée un environnement au sein duquel le terroriste peut agir en apparente impunité. Le fait que la communauté internationale n’ait pas réussi à ce jour à mettre sur pied une instance judiciaire appropriée résulte d’un manque de volonté, et non d’un manque de capacité.

« Dans les systèmes juridiques nationaux, on impose des punitions à ceux qui ne respectent pas les règles au terme d’une procédure établissant que les règles ont été enfreintes. Le domaine international est différent parce qu’il n’y a pas d’autorité centrale clairement définie capable de constater les infractions et d’imposer des sanctions. Cependant, l’absence d’autorité centrale ne signifie pas nécessairement que des sanctions ne sont pas possibles24. »

Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, la communauté internationale a cru bon de créer plusieurs institutions juridiques internationales par l’entremise desquelles les personnes présumées coupables d’avoir contrevenu au droit international sont jugées et éventuellement punies dans un cadre pénal. De plus, en mettant sur pied la Cour pénale internationale, la communauté internationale a créé une instance judiciaire permanente ayant la capacité de soumettre des individus à un procès et à des sanctions pour la perpétration d’actes criminels.

L’existence d’une vaste panoplie d’ententes et de traités internationaux interdisant certains actes de terrorisme précis ne suffit tout simplement pas dans le contexte actuel où les terroristes ont la capacité d’infliger, en une seule attaque, des pertes et des dommages substantiels. L’absence de définition commune du terrorisme, qui pourrait servir de fondement à la création d’un régime juridique international complet pour lutter contre le terrorisme, est plus une excuse qu’un empêchement réel. Pour l’instant, il semble que, sur le plan international, « l’incidence du terrorisme en regard des politiques de droit pénal est parfois négligée et l’on préfère les déclarations de haut niveau plutôt que les résultats concrets et réalisables25 ».

Ironiquement, ce parti pris des Nations Unies pour les grandes déclarations sur la criminalité du terrorisme et son interdiction, principal moyen par lequel l’ONU s’est attaquée au problème jusqu’à maintenant, va à l’encontre de son intention de départ. Quand Kurt Waldheim était secrétaire général des Nations Unies, il a déclaré que « l’ONU ne devrait pas rester un “spectateur muet” devant les actes de violence terroriste qui se produisent partout dans le monde, mais devrait plutôt prendre des mesures concrètes qui pourraient prévenir d’autres bains de sang26 ». Malheureusement, les Nations Unies n’ont pas répondu à cet appel à l’action et se sont contentées de simples déclarations périodiques stipulant la nature criminelle des terroristes et soulignant la nécessité pour la communauté internationale de s’attaquer au terrorisme. Bien que ces déclarations aient eu pour effet de criminaliser le terrorisme aux termes du droit international, elles ne suffisent pas à empêcher ni à dissuader les terroristes ou autres individus de même acabit de commettre des actes de terrorisme. À cet égard, l’absence de définition applicable et reconnue du terrorisme constitue un obstacle à la dissuasion efficace, car elle nuit à l’élaboration des mécanismes judiciaires internationaux appropriés par l’entremise desquels les terroristes pourraient être traduits en justice.

Donald C. Jamieson et Kurt Waldheim

photo 177525 de l’ONU/Saw Lwin

Donald C. Jamieson (à gauche), secrétaire d’État aux affaires extérieures, rencontre le secrétaire général Kurt Waldheim, au siège de l’ONU, le 27 septembre 1977.

On sait qu’« une des raisons d’être fondamentales du terrorisme international est le refus de se plier à de tels codes de conduite et règles du droit de la guerre27 ». À ce titre, la conduite des terroristes est clairement et manifestement criminelle, puisqu’elle ne respecte pas la règle de droit. Il faut donc la traiter promptement et sévèrement dans le cadre des institutions juridiques appropriées. Lorsque la communauté internationale omet de créer des instances judiciaires pour s’attaquer adéquatement au terrorisme et compte plutôt sur des acteurs nationaux pour appliquer un traitement ad hoc, il devient évident que l’effet dissuasif des sanctions judiciaires fait défaut, et c’est un outil de moins avec lequel la communauté internationale peut combattre le terrorisme à l’échelle mondiale. Il est aussi clair que, si l’on veut contrer le terrorisme et dissuader les auteurs potentiels, on doit reconnaître certains principes fondamentaux à la base d’une politique efficace contre le terrorisme. En voici six :

  1. « volonté ferme et inébranlable de lutter contre les terroristes;
  2. maintien de la règle de droit;
  3. refus de céder aux exigences des terroristes;
  4. volonté de ne conclure aucune entente et de ne faire aucune concession;
  5. volonté de traduire les terroristes devant les tribunaux;
  6. volonté de ne jamais permettre aux terroristes de dicter leur ligne de conduite au gouvernement ou de décider de ce qui est bien ou de ce qui est mal28. »

Ces principes semblent l’évidence même au premier coup d’œil, mais leur acceptation et leur mise en œuvre par la justice internationale font défaut. La lacune la plus sérieuse est bien sûr l’absence totale d’efforts sur le plan international afin de s’assurer que les présumés terroristes sont traduits en justice et sont ainsi soumis à la règle de droit. Bien que l’on puisse débattre de la présence ou non d’armes de destruction massive irakiennes, on ne peut remettre en question le fait que l’inaction de la communauté internationale devant le mépris qu’affichait constamment l’Irak à l’égard du droit international a incité ce dernier à continuer d’en ignorer les exigences.

« Après coup, il est clair que la communauté internationale a commis une grave erreur en ignorant les actes de terrorisme chimique perpétrés par l’Irak. Saddam a poursuivi son programme d’armement sans grandes contraintes. L’absence de représailles pour ses transgressions semble l’avoir conforté dans son impression que les infractions futures seraient également ignorées29. »

On ne peut exagérer l’importance de la dissuasion. Là où il n’existe aucun mécanisme efficace pour sanctionner les infractions au droit international (ou national), les individus ou les groupes sont plus susceptibles de continuer d’agir au mépris des lois. En revanche, là où des institutions sont en place pour imposer des sanctions aux contrevenants, les risques d’infraction sont réduits. Par conséquent, la communauté internationale doit créer et mettre en œuvre un mécanisme institutionnel pour assurer la dissuasion tant spécifique que générale du terrorisme et soutenir la règle de droit.

Bien qu’il importe que les pays maintiennent leurs propres régimes antiterroristes intérieurs et indépendants, ceux-ci doivent avoir pour complément une instance judiciaire internationale qui traiterait les terroristes comme des criminels ayant enfreint les règles de conduite reconnues et devenant de ce fait des hostis humani generis, c’est-à-dire des ennemis du genre humain. Dans ce même ordre d’idées, « la réussite de la lutte contre le terrorisme dépendra aussi pour une large part de la coopération internationale soutenue et continuellement renforcée30 », coopération qui s’avère indispensable en droit international. Quand les États ne respectent pas leurs obligations internationales, les terroristes ont toute liberté pour agir ou, du moins, rien ne les dissuade de continuer à enfreindre le droit international.

La communauté internationale doit donc faire plus que simplement formuler des déclarations condamnant le terrorisme comme crime international. Elle doit plutôt s’attaquer à l’absence de définition simple et englobante du terrorisme et confier à la Cour pénale internationale l’autorité nécessaire pour juger les auteurs présumés d’actes de terrorisme. Ce n’est que lorsque les États membres de la communauté internationale agiront comme les y oblige le droit international et lorsque sera créée une instance judiciaire légitime pour s’attaquer au terrorisme mondial que l’on pourra dissuader des personnes ou des groupes de pratiquer le terrorisme pour réaliser des objectifs politiques. Encore une fois, il faut insister sur le fait que le droit international impose à tous les États l’obligation d’adhérer au droit international et de le faire respecter. Ainsi, l’interdiction qui s’applique actuellement aux actes de terrorisme et qui est stipulée dans le droit international oblige les États à agir contre les individus et les groupes soupçonnés d’avoir commis des actes de terrorisme. Cependant, faute d’instance judiciaire internationale à laquelle les présumés terroristes pourraient être déférés, les États se sont généralement montrés réticents ou inaptes à agir et se sont servis de l’absence de définition du terrorisme comme prétexte pour échapper à leurs obligations légitimes en vertu du droit international. La formulation d’une définition à la fois simple et englobante fera en sorte que les déclarations actuelles sur le terrorisme en tant que crime pourront se concrétiser par l’habilitation d’une instance judiciaire internationale à traduire les terroristes devant les tribunaux.

drapeau de l’ONU

photo 511 de l’ONU/John Isaac

Conclusion

Le droit international reconnaît depuis longtemps que les personnes et les groupes sont passibles de sanctions pour toute infraction à ce droit. L’exemple classique de la piraterie illustre l’application du droit pénal international aux individus et aux groupes ayant agi en dehors des limites de la loi et s’étant ainsi exposés à des sanctions pour avoir enfreint cette loi. Aujourd’hui, vu la prépondérance croissante d’acteurs non étatiques capables d’agir sur la scène internationale, l’application et la mise en œuvre du droit international, y compris du droit pénal international, s’imposent plus que jamais. Si l’on se fonde sur l’état actuel du droit international, on voit bien qu’il existe un large éventail d’actes de terrorisme, c’est-à-dire des actes criminels et interdits par définition. L’absence d’institution juridique internationale, toutefois, ne fait qu’empêcher le droit pénal international d’agir efficacement pour dissuader et punir les terroristes. La solution est à la fois simple et incontournable : la communauté internationale doit adopter une définition simple du terrorisme si elle veut commencer à s’attaquer au problème envahissant du terrorisme international. En n’adoptant pas une telle définition, on permettra tout simplement aux terroristes de planifier et de perpétrer des attentats contre les populations civiles du monde entier sans se préoccuper de la menace de sanctions pénales internationales. Une fois cette définition établie, il faudra confier à la Cour pénale internationale (ou à toute autre instance judiciaire appropriée) l’autorité juridique sur les crimes de terrorisme afin qu’elle puisse juger les individus et les groupes présumés coupables.

La définition proposée dans le présent article permettrait à la communauté internationale d’agir efficacement contre les terroristes tout en offrant aux combattants légitimes les protections voulues pour leur éviter d’être reconnus coupables de terrorisme (tant qu’ils continuent d’agir comme combattants légitimes et de se conformer aux exigences du droit des conflits armés). Cette définition, soit « toute menace ou tout acte de violence commis illégalement par un acteur non étatique pour un motif politique », fera en sorte que tous les acteurs non étatiques qui ont recours à la violence pour des motifs illégaux seront soumis comme il se doit aux règles du droit international. Le fait qu’une définition plus raffinée et mieux adaptée pourrait un jour être proposée ne constitue pas une raison suffisante pour ne pas procéder dès maintenant à l’élaboration d’une définition adéquate en vertu de laquelle une instance judiciaire internationale pourrait punir les personnes déclarées coupables du crime international de terrorisme. Tant et aussi longtemps qu’une telle définition ne sera pas acceptée et que l’autorité de juger ne sera pas confiée à une instance judiciaire internationale, il est évident que les mesures prises n’auront à peu près aucun effet dissuasif sur les terroristes et que, par conséquent, la communauté mondiale échouera dans sa lutte contre le terrorisme. La punition pour cet échec sera le prix imposé par les attentats terroristes incessants : le coût en vies humaines et en dommages pour notre société mondiale dans son ensemble.

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Michael Lawless, avocat en cabinet privé à Victoria, en Colombie-Britannique, a obtenu ses grades de premier cycle en arts, en sciences et en droit et est titulaire d’une maîtrise en administration publique de l’Université de Victoria et d’une maîtrise en études sur la conduite de la guerre du Collège militaire royal du Canada. Il est actuellement candidat au doctorat en études sur la conduite de la guerre au Collège militaire et est capitaine de corvette dans la Réserve navale, servant au NCSM Malahat de Victoria.

Notes

  1. L’article reprend l’essentiel d’un exposé présenté par l’auteur le 29 novembre 2006 lors de la 7e Conférence canadienne sur la dimension éthique du leadership au Collège militaire royal du Canada.
  2. Service canadien du renseignement de sécurité, Perspectives, Rapport no 2000/01 : Tendances du terrorisme, le 18 décembre 1999, p. 1. <http://www.csis-scrs.gc.ca/pblctns/prspctvs/200001-fra.asp>
  3. Bruce Hoffman, Inside Terrorism, New York : Columbia University Press, 1998, p. 67.
  4. Craig Goodes, « No Safe Haven. War Criminals Are Not Welcome Here: The Immigration Policy and Practice of the Canadian Government », dans Richard D. Wiggers et Ann L. Griffiths (dir.), Canada and International Humanitarian Law: Peacekeeping and War Crimes in the Modern Era, Halifax : Dalhousie University Press, 2002, p. 175. Pour la version française, voir la « Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs », article 7, La Haye, le 16 décembre 1970, dans Annals of Air and Space Law, vol. XVIII-II, p. 207. <http://www.mcgill.ca/files/iasl/hague1970-fr.pdf>
  5. 5. Pour une analyse de cette obligation, voir Mattias Kumm, « The Legitimacy of International Law: A Constitutionalist Framework of Analysis », The European Journal of International Law, vol. 15, no 5, 2005, p. 907-931.
  6. David Frum et Richard Perle, An End to Evil: How to Win the War on Terror, New York : Random House, 2003, p. 54.
  7. Hugh M. Kindred (dir.) et coll., International Law: Chiefly as Interpreted and Applied in Canada, Londres : Routledge, 1993, p. 434.
  8. Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution adoptant la déclaration concernant l’action menée à l’échelon mondial contre le terrorisme, résolution 1377, annexe, le 12 novembre 2001.
  9. Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international, résolution 49/60, article 5, le 17 février 1995.
  10. Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration complétant la Déclaration de 1994 sur les mesures visant à éliminer le terrorisme international, résolution 51/210, article 5, le 16 janvier 1997.
  11. Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution adoptant la déclaration sur la question de la lutte contre le terrorisme, résolution 1456, le 20 janvier 2003.
  12. James M. Smith, « A Strategic Response to Terrorism », dans David A. Charters et Graham F. Walker (dir.), After 9/11: Terrorism and Crime in a Globalised World, Halifax : Dalhousie University Press, 2004, p. 269.
  13. Goodes, p. 187.
  14. Jessica Stern, The Ultimate Terrorists, Cambridge : Harvard University Press, 1999, p. 11.
  15. Raphael Perl, Terrorism, the Future, and U.S. Foreign Policy, Washington : Congressional Research Service, 2003, p. 3.
  16. David A. Charters, « “Defence Against Help”: Canadian-American Cooperation in the War on Terrorism », dans Charters et Walker, op. cit., p. 289.
  17. Kent Roach, September 11: Consequences for Canada, Montréal et Kingston : Presses universitaires McGill-Queen’s, 2003, p. 21.
  18. G. Davidson Smith, « Democratic Approaches to Countering Terrorism: Fundamental Principles and Best Practices », dans Charters et Walker, op. cit., p. 233.
  19. Paul Wilkinson, Terrorism versus Democracy: The Liberal State Response, Londres : Frank Cass, 2001, p. 113.
  20. Hoffman, p. 41.
  21. Benjamin Netanyahu, « Defining Terrorism », dans Benjamin Netanyahu (dir.), Terrorism: How the West Can Win, New York : Avon Printing, 1987, p. 9.
  22. Alex J. Bellamy, « Is the War on Terror Just? », International Relations, vol. 19, no 3, 2005, p. 284.
  23. Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c. Stanislav Galic, affaire no IT-98-29-T, alinéa 45, le 5 décembre 2003.
  24. Anthony Lang Jr., Nicholas Rengger et William Walker, « The Role(s) of Rules: Some Conceptual Clarifications », International Relations, vol. 20, no 3, 2006, p. 286.
  25. Kate Bryden, « The Response of International Organisations to Terrorism: Progress and Challenges for Effective Action », dans Charters et Walker, op. cit., p. 376.
  26. Hoffman, p. 31.
  27. Ibid., p. 35.
  28. Service canadien du renseignement de sécurité, Commentaire no 13. Terrorisme et règle de droit : un dangereux compromis en Colombie, Ottawa, octobre 1991. <http://www.csis-scrs.gc.ca/pblctns/cmmntr/cm13-fra.asp>
  29. Stern, p. 108.
  30. Hoffman, p. 211.

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