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Histoire militaire

Des WRENS à midi, quartier général de la marine, toile par Pegi Nicol MacLeod

Musée canadien de la guerre 19710261-5789

Wrens à midi, quartier général de la marine, par Pegi Nicol MacLeod.

Au service de leur pays : l’histoire des Wrens*, 1942-1946

par Emilie Anne Plows

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« Pour nous, les femmes, le fait d’être appelées à servir aux côtés de ces hommes formidables est réellement un honneur. Quelle que soit la forme que peut prendre notre service, cela fait partie du grand tout, et nous devrions être fières de le mener à perfection. Lorsque la guerre sera finie, ce sera quelque chose à ramener chez soi, cette expérience exceptionnelle du devoir et du service, une vision élargie de ce que le Canada est et représente, une camaraderie qui va au-delà des relations ordinaires. »

– Princesse Alice, Commandant honoraire Service féminin de la Marine royale du Canada1

Introduction

Au printemps 1941, le Canada était en guerre depuis près de deux ans. Face au besoin croissant d’effectifs pour l’effort de guerre, le quartier général de la Défense nationale demanda à la marine, à l’armée et à l’aviation de déterminer les rôles que pourraient assumer des femmes en uniforme. À l’époque, la marine croyait qu’elle n’aurait besoin que d’un petit nombre de chauffeurs et, contrairement à l’armée et à l’aviation, elle n’estimait pas nécessaire de constituer un service distinct pour les femmes2. Un an plus tard, cela allait changer.

« Nous avons besoin d’hommes et d’encore plus d’hommes pour les équipages des navires de la Marine royale du Canada qui patrouillent les océans. C’est dans le but de remplacer ces hommes pour le service à terre que l’on organise et entraîne des femmes dans le Service de la Marine royale du Canada. Un appel est lancé aux femmes canadiennes pour qu’elles se portent volontaires en se présentant au bureau de recrutement le plus proche de chez elles3. »

Avec l’accroissement de l’effort de guerre et l’intensification de la Bataille de l’Atlantique, il était devenu évident que l’on avait besoin de plus en plus d’hommes pour le service en mer, et cela laissait un nombre important de postes à combler pour le service à terre.

Le présent article vise à permettre au lecteur de mieux comprendre ce qu’était le Service féminin de la Marine royale du Canada (WRNSC-SFMRC) : ses objectifs, son organisation, les défis qui lui étaient posés, son rôle dans l’effort de guerre et surtout l’effet que cela a eu sur les femmes qui ont servi en tant que Wrens, comme on en est venu à les appeler communément. Ce bref exposé fera en outre la démonstration que la création du Service féminin de la Marine royale du Canada a eu deux conséquences à la fois bénéfiques et synergiques. Alors que, d’un côté, les femmes en service aidaient considérablement le Canada en guerre, le devoir qu’elles accomplissaient leur profitait tant sur le plan personnel que collectif en leur donnant un but bien précis, une fierté et une confiance en soi qu’elles garderaient pour le reste de leur vie.

Affiche pour le recrutement

Musée canadien de la guerre 19890086-514

Les origines

En janvier 1942, la Marine royale du Canada demanda à l’Amirauté britannique de l’aider à mettre sur pied son propre service féminin4. Le ministre de la Défense nationale responsable de la marine justifia la création d’une telle organisation en soulignant que les femmes pouvaient occuper de très nombreux emplois, ce qui permettrait aux hommes de se consacrer à « des tâches plus dures que celles qu’ils accomplissent maintenant5 ». En mai de la même année, une note de service fut envoyée au Comité de guerre du Cabinet, énumérant les tâches et les postes qui pouvaient être confiés aux femmes : chiffrage et déchiffrage, travail de bureau, opération de téléscripteurs, standardistes, télégraphistes sans fil, commis au chiffre, cuisinières, préposées à l’intendance, estafettes, opératrices d’ascenseur et conductrices de véhicule motorisé6. D’autres postes s’ajouteraient à mesure que l’effort de guerre s’intensifierait; la liste suivante est tirée d’une publicité parue dans les journaux en 1943 : préposée au carré des officiers, adjointe aux quartiers, blanchisseuse, aide à l’approvisionnement, sténographe, correctrice de documents confidentiels, commis des postes, secrétaire, commis à la paye, spécialiste des communications et des opérations, maître-voilier, aide-infirmière et chargée de la réglementation. À la fin de la guerre, 39 métiers avaient été déclarés accessibles aux femmes en service7. Aussi dérisoires qu’aient pu paraître certaines de ces tâches, elles étaient toutes essentielles à l’effort de guerre. Dans le cadre d’une tournée des écoles du Québec et de l’Ontario, le vice-amiral G. C. Jones, vice-chef d’état-major de la Marine, déclara ce qui suit :

Des WRENS montant à bord du train

Archives nationales PA-116993

« Nombre de ces tâches ne sont pas spectaculaires, mais elles sont vitales pour le service. Elles doivent être accomplies – et bien accomplies –, sinon le service en souffrira. Je sais à quel point est important le travail, par exemple, des blanchisseuses Wren. Ces filles ne savent peut- être pas qu’elles ont énormément contribué à l’efficacité du service. Moi, je le sais8. »

Quelles que soient les tâches qu’elles effectuaient, les Wrens ont aidé à combler bon nombre des besoins de la Marine royale du Canada.

Défilé des WRENS

Archives nationales PA-146020

Le service

En réponse aux demandes canadiennes, l’Amirauté britannique dépêcha trois officiers du Women’s Royal Naval Service (WRNS)9 pour aider à mettre sur pied le Service féminin de la Marine royale du Canada. L’organisation canadienne adopta le modèle britannique, sauf que, contrairement au Women’s Royal Naval Service et aux divisions féminines de l’Armée canadienne et de l’Aviation royale du Canada, le Service féminin devint partie intégrante de la Marine royale du Canada, et non pas une formation auxiliaire10. Dans les faits, cela signifiait qu’en vertu des règlements, le rang et l’autorité des officiers féminins étaient « prescrits en fonction des rangs et des taux en vigueur dans la Marine royale du Canada11 ».

De prime abord, plusieurs défis se posaient à la création du Service féminin de la Marine royale du Canada en ce qui avait trait à l’organisation, au recrutement, à l’hébergement et à la formation. Chacun de ces défis nécessitait, pour être relevé, une période de tutelle britannique, mais l’objectif était de confier à terme l’autorité des divers éléments constituants aux Wrens canadiennes12.

Les trois officiers Wren britanniques, soit le capitaine en second Dorothy Isherwood, le surintendant Joan Carpenter et le second officier Elizabeth Sturdee, parcoururent le Canada pour faire la promotion du Service féminin de la Marine royale du Canada. On peut dire que, des trois armes, ce fut la marine qui réussit le mieux à surmonter les problèmes de recrutement. Il semble qu’elle ait bénéficié de l’observation du développement des autres services féminins et qu’il lui fut donc plus facile de choisir ses effectifs et d’établir un esprit de corps généralisé13. Les exigences en matière de recrutement au sein du Service féminin de la Marine royale du Canada allaient quelque peu évoluer au fil des ans. Les règlements du début stipulaient que les candidates devaient être des sujets britanniques de race caucasienne, être âgées de 18 à 45 ans et n’avoir aucun dépendant de moins de 16 ans14, mais aucune femme de moins de 21 ans ne pouvait obtenir de brevet d’officier15. Le chef du personnel de la marine fit toutefois quelques exceptions pour des femmes particulièrement qualifiées ayant jusqu’à 49 ans16. En 1943, on modifia les exigences pour permettre aux femmes de moins de 56 ans de s’enrôler comme cuisinières17. L’année suivante, la composante raciale fut abandonnée, et les candidatures n’étaient plus réservées aux seules Caucasiennes18. Outre ces exigences, les postulantes devaient être en santé et avoir au moins huit ans de scolarité reconnue. Les normes, au chapitre de l’éducation, étaient plus élevées pour les officiers, qui devaient avoir une formation et un diplôme universitaires ou l’équivalent19.

Silhouette d’une WRENS

À l’origine, on s’inquiétait dans certains milieux de la marine que les meilleures candidates auraient déjà joint les rangs de l’armée et de l’aviation en 1941, lorsque ces armes avaient lancé leurs campagnes de recrutement. Cependant, le surintendant Carpenter affirma, lors d’une entrevue à la radio en 1943, que le service était inondé de demandes d’emploi. Elle poursuivit ainsi :

« J’ai été extrêmement impressionnée par l’enthousiasme des filles canadiennes partout où je suis allée. Elles semblaient toutes impatientes de servir et de faire quelque chose de constructif pour aider à gagner la guerre. Je les ai trouvées très réceptives à la tradition navale et disciplinables [...]20. »

Le Service féminin de la Marine royale du Canada attirait des femmes de toutes conditions sociales : des fermières, des débutantes, des étudiantes, des enseignantes, des travailleuses d’usine, des vendeuses de grands magasins et des employées de bureau. Le recrutement se poursuivit tout au long de la guerre, et ce, jusqu’en février 1945; en avril de cette année-là, environ 6 500 Wrens avaient servi sous le drapeau, la plupart étant originaires de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et du Québec. L’enrôlement total dans le Service féminin de l’Armée canadienne avait atteint 22 000 membres et le Service féminin de l’Aviation royale du Canada, pour sa part, avait enrôlé plus de 17 000 femmes21, ce qui faisait de celui de la Marine royale du Canada le plus petit service féminin au pays22.

WRENS à bord d’un vaisseau

Archives nationales PA-142460

À l’été 1942, on disposait de 2 000 dossiers de candidature pour constituer la première classe de Wrens. De ce nombre, 70 candidates furent sélectionnées pour « leurs qualités de meneuse et leurs remarquables capacités administratives23 ». Le 29 août 1942, 67 femmes entreprenaient leur instruction de base à Kingsmill House, à Ottawa. Le 19 septembre, 28 d’entre elles paraissaient devant le premier comité de sélection et 21 de ces Wrens obtinrent ensuite leur brevet d’officier de la Marine royale de Sa Majesté, devenant ainsi « les premières femmes à détenir une commission du roi dans quelque marine britannique24 ». Après l’obtention de leur diplôme, le 1er octobre 1942, certaines de ces femmes furent nommées officiers de recrutement et d’autres furent envoyées à Galt, en Ontario, pour aider à y établir le centre d’instruction de base du Service féminin de la Marine royale du Canada.

On en vint à appeler frégates de pierre cet établissement et les autres centres d’instruction du Service féminin de la Marine royale du Canada : chacun était désigné comme étant un des navires canadiens de Sa Majesté auquel s’appliquait toute la terminologie nautique correspondante. Le centre de Galt, le HMCS Conestoga, offrait un programme d’instruction de trois semaines conçu de façon à permettre une transition rapide de la vie civile à la vie militaire. Les nouvelles recrues recevaient un entraînement physique et étaient soumises à des exercices répétés; elles assistaient également à des cours portant sur les traditions et coutumes navales25. Parmi les autres centres d’instruction, il y avait le Cornwallis à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et le St. Hyacinthe à Saint-Hyacinthe, au Québec. Ces centres n’offraient cependant aucun hébergement pour les recrues, et il fallut construire de nouveaux bâtiments temporaires ou permanents. Cela eut pour effet de retarder le recrutement et la formation vers la fin de 1942, puis au cours de l’année suivante26.

Malgré tout, des cours débutèrent en mai 1943 au HMCS Cornwallis pour des rédactrices et des aides à l’approvisionnement. La formation pour les cuisinières, les préposées au carré des officiers, les aides-infirmières, les blanchisseuses, les conductrices de véhicules motorisés et les photographes commença plus tard au même centre. En juin, des cours de chiffrage, de signalisation visuelle, d’opération de téléscripteur et de télégraphie s’amorcèrent au HMCS St. Hyacinthe27. Puis, en février de la même année, on mit sur pied, à Ottawa, une formation pour les officiers du Service féminin de la Marine royale du Canada, qui proposait non seulement une initiation générale à la profession d’officier, mais était aussi une occasion pour les femmes officiers de discuter des problèmes auxquels elles seraient confrontées dans l’exercice de leurs fonctions. Initialement, le cours ne durait que deux semaines, mais il fut plus tard allongé à cinq semaines. Des tests pratiques étaient administrés tout au long du programme et les femmes faisaient l’objet d’une évaluation « [pour déterminer] leurs qualités générales d’officiers en mettant l’accent sur le jugement, le sens des responsabilités, le leadership [et] le pouvoir de commander28 ».

À l’été 1943, le travail du Service féminin de la Marine royale du Canada était déjà reconnu et salué. Le ministre de la Défense nationale responsable de la marine déclara :

« Les attentes que la marine avait mises en vous [les Wrens] ont trouvé leur justification dans votre travail acharné et votre sens du devoir. Vous qui êtes membres de la branche sœur du service supérieur avez mérité le respect de tous les Canadiens par votre acceptation des exigences, votre empressement à vous acquitter de vos responsabilités et votre contribution inestimable à l’effort de guerre. Vous partagerez amplement la gratitude du peuple canadien quand la victoire sera à nous29. »

Adelaide Sinclair

Archives nationales PA-191176

Adelaide Sinclair

En septembre de la même année, après que Dorothy Isherwood eut quitté pour l’Angleterre, Adelaide Sinclair fut promue au rang de commandant30 (capitaine par intérim31); elle devenait ainsi la première femme à être nommée par le quartier général canadien au poste de directrice du Service féminin de la Marine royale du Canada. Elle fut également nommée Officier de l’Ordre de l’Empire britannique. Sa citation se lit comme suit :

« Le commandant Sinclair a fait preuve d’un zèle infatigable et d’une habileté, d’un tact et d’un jugement remarquables en organisant le Service féminin de la Marine royale du Canada pour en faire une unité des plus efficaces et disciplinées32. »

Première Canadienne à occuper le poste de directrice du Service féminin de la Marine royale du Canada, Adelaide Sinclair resta aux commandes jusqu’à la dissolution de l’organisation, en 1946.

L’uniforme Wren devint source de fierté pour les femmes qui le portaient. Plus d’une Wren se souvient que son uniforme lui a manqué quand le Service féminin de la Marine royale du Canada fut dissous. D’ailleurs, l’une d’entre elle se rappelle que, lorsqu’elle retourna à la vie civile au terme de la guerre, perdant ainsi le droit de porter l’uniforme, ses yeux se remplirent de larmes à mesure qu’elle en retirait chaque élément33. Rosamund « Fiddy » Greer, qui fut elle aussi une Wren, écrit que le fait de porter un uniforme semblait la métamorphoser. « Nous étions transformées en une identité qui déclenchait de forts sentiments de camaraderie et d’unité. Nous étions des Wrens [...] et nous en étions très fières34. » En réalité, bien des femmes étaient attirées par le Service féminin de la Marine royale du Canada en raison de l’uniforme.

Outre ce penchant pour l’uniforme, plusieurs autres raisons motivaient les femmes à s’enrôler dans la marine. Certaines le faisaient parce qu’elles avaient un frère dans la marine ou parce que des amies s’étaient jointes aux Wrens. Au moins une femme s’engagea dans le Service féminin de la Marine royale du Canada à cause de son petit ami. Elle écrit : « Quand il est entré dans l’aviation, [il] m’a fait promettre de ne pas m’enrôler dans la Division féminine. Mais il n’avait jamais parlé de la marine35! » Certaines choisissaient le Service féminin de la Marine royale du Canada, croyant qu’il y aurait moins de compétition et davantage de possibilités de carrière. C’était en effet le dernier service féminin à être créé36, et les journaux faisaient beaucoup de publicité pour promouvoir l’enrôlement.

Portrait d’une WREN, toile par Marion Long

Musée canadien de la guerre 19710261-6470

Portrait d’une Wren, par Marion Long.

Les récits de nombreuses femmes qui s’étaient engagées dans ce service illustrent la vaste gamme de raisons qui les avaient amenées à joindre les rangs des forces armées, laissant souvent des emplois bien rémunérés dans le civil pour ce faire. La plupart étaient motivées par le désir d’en faire plus et de contribuer à l’effort de guerre. Certaines voulaient voyager un peu partout au Canada et même outre-mer afin de voir le monde et d’en apprendre davantage37. Il y en a aussi qui s’ennuyaient à leur travail et qui cherchaient quelque chose de plus intéressant et de plus stimulant38 en participant à une aventure riche en émotions39. Au-delà de ces motivations plus évidentes, il y en avait d’autres, plus tragiques et émouvantes. Comme l’explique une ancienne Wren, bien des femmes avec qui elle a servi sous les drapeaux s’étaient enrôlées parce qu’elles avaient perdu un frère, un petit ami ou un mari au combat40.

Pour bon nombre de ces femmes, c’était la première fois qu’elles s’éloignaient de leur foyer et de leur famille. L’annonce de leur enrôlement suscitait, chez leurs parents, des réactions mitigées. Une femme qui avait décidé de s’engager dans le Service féminin de la Marine royale du Canada plutôt que de poursuivre ses études raconte que sa mère était « abasourdie » mais que son père accepta ce « soudain changement de plan avec un large sourire41 ». Il arrivait aussi que la décision de s’enrôler se heurte d’abord à la désapprobation, comme le rappelle une ancienne Wren : « Quand je me suis engagée, au début, ça a blessé profondément mon père. À cette époque, une fille quittait rarement la maison, car la famille s’en trouvait brisée42. » Mais ce genre d’attitude pouvait changer, comme elle l’explique : « Lorsque je suis revenue à la maison en juillet, pour une période de permission, mon père ne voulait pas que je retire mon uniforme43! » Bien des parents étaient fiers de leur fille et l’encourageaient. Une mère, à qui sa fille avait confié, peu de temps après avoir reçu son avis de convocation, sa crainte de ne pas avoir fait le bon choix, se fit rassurante en répondant que, si elle était à sa place, elle s’enrôlerait pour avoir l’occasion de faire de nouvelles connaissances et d’élargir ses horizons44.

Des WRENS font des signaux

Archives nationales PA-150940

Un des sujets les plus fréquemment abordés dans les récits des anciennes Wrens est l’importance des amitiés nées durant leur service en temps de guerre. Une femme explique que « [...] nous étions entrées là, préoccupées par notre propre bien-être, mais nous sommes vite devenues une communauté œuvrant dans le but commun de soutenir l’effort de guerre de la marine45 ». Cette femme s’habitua tellement à vivre en communauté que, lorsqu’elle fut promue et eut droit à des quartiers privés, elle s’ennuyait de ce bel esprit de camaraderie. Une autre ancienne Wren estime qu’elle a noué ses plus belles amitiés dans la marine, précisant qu’« il y a bien peu d’endroits où l’on peut se forger des amitiés aussi solides46 ». Comme l’a fait remarquer une autre ancienne membre : « Même si, après toutes ces années, nos rapports se sont espacés, mes amies Wrens et moi sommes encore proches parce que nous avons partagé tellement de choses. » Elle soutient que ces amitiés constituaient l’aspect le plus gratifiant de son expérience au sein du Service féminin de la Marine royale du Canada47.

Même si les Wrens vivaient dans des conditions beaucoup moins dangereuses étant donné qu’elles n’avaient pas le droit de servir en mer, elles n’échappaient pas complètement à tout danger. Celles qui étaient postées à Terre-Neuve ou en Angleterre étaient confrontées à la menace d’attaques de sous-marins allemands lors de leur traversée de l’Atlantique. Quand des navires étaient coulés ou torpillés, les Wrens qui travaillaient au port étaient profondément attristées par ces pertes. Elles avaient souvent des amies ou amis à bord de ces navires, ou bien c’étaient des marins qu’elles avaient croisés un jour. Par conséquent, les Wrens se trouvaient plus exposées aux réalités de la guerre que nombre d’autres femmes sur le front intérieur.

Des WRENS à Liverpool

Archives nationales PA-142415

À la fin de la guerre, les Wrens partageaient des expériences de retour à la vie civile semblables à celles qu’avaient vécues leurs homologues masculins. Une de ces femmes se souvient :

« À ce moment-là, je ne voulais penser à rien d’autre que rentrer à la maison. J’avais été partie pendant plus de deux ans et je ne voulais plus penser à la guerre ni aux personnes qui ne reviendraient pas48. »

Elle ajoute que son propre retour à la vie civile ne fut pas très difficile. Certaines s’adaptèrent assez facilement, d’autres y mirent plus de temps. La démobilisation était difficile pour bien des femmes qui voulaient continuer de travailler comme Wrens. Leurs services n’étant plus requis, nombre d’entre elles se sentirent perdues à leur désaffectation et craignaient leur retour au civil. Une femme écrit : « Ce fut une triste expérience de revenir à la maison et de me faire dire qu’on n’avait plus besoin de moi. Je ne savais pas ce que j’allais faire49. » Ces mots résument bien ce qui était sans doute un sentiment partagé par bien des femmes du Service féminin de la Marine royale du Canada quand elles rentrèrent à la maison après avoir servi pendant la guerre.

Nombre d’anciennes Wrens avouent que leur service dans la marine a eu une influence positive sur leur vie. Elles étaient très fières d’avoir participé à l’effort de guerre. Qui plus est, certaines disent que le fait d’être Wren les a rendues plus responsables et indépendantes50. Cette expérience a rehaussé leur confiance en elles-mêmes et leur a donné un but dans la vie : elles se sentaient capables de relever tous les défis51. Il y en a même dont les expériences en temps de guerre se révélèrent utiles plus tard dans leur vie. Comme cette ancienne Wren qui avait été signaleur visuel et qui, lors d’un voyage en Méditerranée peu après la fin des hostilités, se mit à lire à haute voix un message visuel transmis par un autre navire. Appelée sur la passerelle, elle se demandait si elle n’avait pas commis un impair. Au contraire, le capitaine lui demanda de continuer à lire le message, car personne à bord ne pouvait le déchiffrer52.

Il y avait toutefois d’autres avantages, plus personnels, à tirer de la vie de Wren après la guerre. Parmi celles qui épousèrent des militaires, plusieurs trouvèrent leur mari dans la Marine royale du Canada. Une de ces femmes explique que son expérience de la marine lui permettait de mieux comprendre les frustrations qu’éprouvait souvent son mari. C’est ainsi qu’elle resta très proche de la marine et elle évoque ce moment émouvant qu’elle a vécu lors de la mise en service du NCSM Athabaskan, le 29 septembre 1972 :

« Tous les marins saluent la plage arrière du navire quand ils la traversent. Quand j’ai vu l’équipage de l’Athabaskan monter à bord pour la première fois, j’avais l’impression que le navire prenait vie. Chaque marin donnait une part de lui-même à son vaisseau et à ses camarades de bord lorsqu’il saluait la plage arrière de l’Athabaskan. Je crois que, moi-même, j’ai laissé un peu de mon esprit dans la Marine du Canada quand j’ai salué la plage arrière une dernière fois53. »

Silhouette d’une WRENS

Archives nationales PA-128241

Dans l’ensemble, la plupart des Wrens ont apprécié leur période de service, et bon nombre disent avoir aimé cette expérience. Une ancienne Wren affirme même que ce fut une des meilleures expériences de sa vie, alors qu’une autre déclare qu’elle a trouvé ces années de guerre bonnes et satisfaisantes54. Quand on lit les récits de plusieurs de ces femmes, on se rend à l’évidence qu’elles gardent un précieux souvenir de cette aventure. Assurément, on ne peut porter un jugement négatif sur ces femmes qui ont aimé la vie qu’elles menaient pendant la guerre. Leur bonheur venait de la satisfaction qu’elles éprouvaient à servir leur pays en ces temps difficiles, alors qu’il en avait le plus besoin.

En tout, plus de 1 000 Wrens servirent à l’étranger durant la guerre. Les premières furent affectées à Washington, en 1943, pour travailler auprès de l’état-major interarmes canadien55. À la fin de la guerre, environ 50 Wrens travaillaient à Washington ou à New York56. Il y en avait aussi 586 qui servaient à Terre-Neuve57, territoire considéré alors comme outre-mer, et 503 autres étaient postées en Grande-Bretagne58.

En reconnaissance de leur effort de guerre, 20 Wrens reçurent divers grades de l’Ordre de l’Empire britannique : trois furent nommées officiers de l’Ordre (OBE), sept devinrent membres de l’Ordre (MBE) et huit furent décorées de la médaille de l’Empire britannique (BEM). Enfin, les deux dernières reçurent une mention élogieuse du roi59.

La cantine des WRENS, par Pegi Nicol MacLeod

Musée canadien de la guerre 19710261-5825

La cantine des Wrens, par Pegi Nicol MacLeod.

Conclusion

Lorsque fut dissous le Service féminin de la Marine royale du Canada, en août 1946, près de 7 000 femmes y avaient servi, exerçant toutes sortes de métiers pour répondre aux multiples besoins de la Marine royale du Canada60. Quelles que furent les tâches qu’elles accomplirent, de cuisinières à blanchisseuses, de recruteurs à officiers, les Wrens aidèrent beaucoup la marine et le pays tout entier. Et l’effet que leur service en temps de guerre eut sur ces femmes est peut-être tout aussi important. Dans l’ensemble, leur passage au sein du Service féminin de la Marine royale du Canada eut une influence positive sur ces femmes. En servant, elles acquirent de la fierté, de la confiance et un but dans la vie. Ainsi, non seulement ces femmes fournirent-elles un soutien essentiel à l’effort de guerre du Canada, mais l’organisation elle-même profita à celles qui y œuvraient.

« Je suis très fière de mes Wrens et de leur conduite formidable tout au long de leur service et je m’enorgueillis de porter leur uniforme. [...] Puissent leur formation et leur expérience leur être utiles aujourd’hui et tout au long des années à venir61. »

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Emilie Plows est la fille d’un capitaine de vaisseau de la Marine canadienne, et son frère aîné sert aussi dans la marine. En 2006, elle a obtenu son baccalauréat ès arts avec spécialisation en histoire de l’Université d’Ottawa et elle travaille actuellement comme préposée à la consultation des documents textuels à Bibliothèque et Archives Canada.

Notes

* Note de la rédaction : Veuillez noter qu’à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, les activités militaires au Canada se déroulaient essentiellement en anglais et qu’il n’existe donc aucun équivalent français de l’appellation Wrens, formé à partir de l’acronyme britannique de Women’s Royal Naval Service, désignant aussi les membres du Service féminin de la Marine royale du Canada. Par ailleurs, la féminisation de nombreux titres, grades et métiers en français s’étant faite récemment, nous avons pris le parti de laisser au masculin ceux qui n’avaient pas d’équivalent féminin à l’époque, comme c’était l’usage.

  1. Princesse Alice, commandant honoraire du WRCNS (Service féminin de la Marine royale du Canada), avant-propos d’un livret publié par le WRCNS, le 7 juin 1944, Bibliothèque et Archives Canada, RG7 G-26, volume 113, dossier 328-D, Women’s War Organizations – WRCNS, 1942-1946.
  2. Jean Bruce, Back the Attack: Canadian Women During the Second World War – At Home and Abroad, Toronto : Macmillan of Canada, 1985, p. 93.
  3. Vancouver News-Herald, le 28 juin 1943, Bibliothèque et Archives Canada, MG30 E391, volume 1, Fonds Adelaide Helen Grant Sinclair, 1942-1946.
  4. Barbara Dundas, Les femmes dans le patrimoine militaire canadien, Montréal : Art global, 2000, p. 60
  5. Cité dans Dundas, op. cit.
  6. Note de service au Comité de guerre du Cabinet, le 6 mai 1942, Bibliothèque et Archives Canada, RG2 B-2, volume 52, dossier W-30, War – Women’s Voluntary Service, RCAF (WD), CWAC, 1942-1944.
  7. Bruce, p. 93.
  8. The Montreal Gazette, le 26 août 1944, Bibliothèque et Archives Canada, MG30 E391, volume 1.
  9. Le Women’s Royal Naval Service remonte à l’époque de la Première Guerre mondiale. Le 28 novembre 1917, le roi George V a approuvé la création du service féminin, qui fut dissous le 1er octobre 1919. (Tiré de Rosamund « Fiddy » Greer, The Girls of the King’s Navy, Victoria : Sono Nis Press, 1983, p. 11.)
  10. Bruce, p. 93.
  11. Regulations for the Organization and Administration of the Women’s Royal Canadian Naval Service, 1942, article 12.6, Ottawa : Imprimeur du roi, 1942, p. 13.
  12. Gilbert N. Tucker, The Naval Service of Canada: Its Official History, volume II, Ottawa : Imprimeur du roi, 1952, p. 318.
  13. Carolyn Gossage, Greatcoats and Glamour Boots: Canadian Women at War (1939-1945), Toronto et Oxford : Dundern Press, 1986, p. 38.
  14. Dundas, p. 62.
  15. Regulations for the Organization and Administration of the W.R.C.N.S 1942, article 5 d), p. 7.
  16. Ibid., article 2.1 b), p. 5.
  17. Women’s Royal Canadian Naval Regulations: Amendments, 1943, amendement no 2, Ottawa : Imprimeur du roi, 1943, le 23 janvier 1943.
  18. Women’s Royal Canadian Naval Regulations: Amendments, 1944, amendement no 28, Ottawa : Imprimeur du roi, 1943, le 22 juillet 1944.
  19. Ruth Roach Pierson, They’re Still Women After All: The Second World War and Canadian Womanhood, Toronto : McClelland and Stewart, 1986, p. 113.
  20. Radio de la marine, enregistrement du 10 juin 1943 pour diffusion les 14 et 16 juin sur les ondes de la CBC, Bibliothèque et Archives Canada, MG30 E391, volume 1.
  21. Gossage, p. 38.
  22. Pierson, p. 95.
  23. Greer, p. 19.
  24. Ibid., p. 22.
  25. Tucker, p. 320.
  26. Ibid., p. 318.
  27. Ibid., p. 322.
  28. Rapport du WRCNS relatif à l’organisation et aux problèmes internes, Bibliothèque et Archives Canada, MG30 E391, volume 1, décembre 1945.
  29. Communiqué de presse, le 28 août 1943, Bibliothèque et Archives Canada, MG30 E391, volume 1.
  30. Communiqué de presse, le 1er juillet 1945, Bibliothèque et Archives Canada, MG30 E391, volume 1.
  31. Selon les listes de la Marine canadienne, le rang officiel d’Adelaide Sinclair était celui de commandant, bien qu’elle fut temporairement capitaine par intérim. The Canadian Navy List (July 1945), Ottawa : Imprimeur du roi, 1945, p. 217 et p. 550. Voir aussi The Canadian Navy List (January 1946), Ottawa : Imprimeur du roi, 1946, p. 256.
  32. Communiqué de presse, le 1er juillet 1945, Bibliothèque et Archives Canada, MG30 E391, volume 1.
  33. Lisa Banister, Equal to the Challenge: An Anthology of Women’s Experiences During World War II, Ottawa : Ministère de la Défense nationale, 2001, p. 401 (témoignage d’Elizabeth Victoria « Vicki » La Prairie, née Wickham).
  34. Greer, p. 35.
  35. Banister, p. 117 (témoignage de Lillabelle Roe).
  36. Ibid.
  37. Ibid.
  38. Ibid., p. 447 (témoignage de Tish Herbert).
  39. Gossage, p. 67.
  40. Ibid., p. 54.
  41. Banister, p. 447 (témoignage de Tish Herbert).
  42. Ibid., p. 117 (témoignage de Lillabelle Roe).
  43. Ibid., p. 118 (témoignage de Lillabelle Roe).
  44. Ibid., p. 294 (témoignage de Janet Garvin, née Watt).
  45. Ibid., p. 210 (témoignage de Doris Catherine Harper, née Cale).
  46. Ibid., p. 119 (témoignage de Lillabelle Roe).
  47. Ibid., p. 461 (témoignage de Tish Herbert).
  48. Ibid., p. 460 (témoignage de Tish Herbert).
  49. Ibid., p. 162 (témoignage de Lorna Corvey, née Stanger).
  50. Ibid., p. 461-462 (témoignage de Tish Herbert).
  51. Ibid., p. 325 (témoignage de Beatrice « Trix » Geary, née Schreiber) et p. 462 (témoignage de Tish Herbert).
  52. Ibid., p. 402 (témoignage d’Elizabeth Victoria « Vicki » La Prairie, née Wickham).
  53. Ibid., p. 8 (témoignage d’Isabel « Peggy » Porter, née Davis). Deux ans plus tôt, le 27 novembre 1970, Isabel Porter avait participé au lancement du NCSM Athabaskan. Elle raconte : « La bouteille de champagne s’est fracassée au moment où je disais : “Je baptise ce navire Athabaskan. Que Dieu le protège ainsi que tous ceux qui prennent la mer à son bord.” » Ce récit revêt une importance particulière pour l’auteure, car son frère servait à bord de l’Athabaskan comme ingénieur des systèmes de combat au moment de la rédaction du présent article, en avril 2006.
  54. Ibid., p. 325 (témoignage de Beatrice « Trix » Geary, née Schreiber).
  55. Bruce, p. 94.
  56. Dundas, p. 64.
  57. Bruce, p. 94.
  58. Tucker, p. 322.
  59. Dundas, p. 64; F. J. Blatherwick, Canadian Orders, Decorations and Medals, 3e édition, Toronto : The Unitrade Press, 1985, p. 22.
  60. Bruce, p. 94.
  61. Princesse Alice, commandant honoraire du WRCNS (Service féminin de la Marine royale du Canada, message prononcé à l’occasion de l’anniversaire du jour de la Victoire, le 9 août 1945, Bibliothèque et Archives Canada, RG7 G-26, volume 113, dossier 328-D.

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