AvertissementCette information est archivée à des fins de consultation ou de recherche.

Information archivée dans le Web

Information identifiée comme étant archivée dans le Web à des fins de consultation, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’a pas été modifiée ni mise à jour depuis la date de son archivage. Les pages Web qui sont archivées dans le Web ne sont pas assujetties aux normes applicables au Web du gouvernement du Canada. Conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada, vous pouvez la demander sous d’autres formes. Ses coordonnées figurent à la page « Contactez-nous »

Histoire Militaire

Quatre chasseurs CF 100 Canuck

, photo PC-3107, prise par l'officier d'aviation Sankey

Quatre chasseurs CF 100 Canuck survolent une station radar à proximité de la Base de l'ARC Cold Lake.

L’enjeu politique de la souverainetÉ: DÉfense continentale et naissance du NORAD

par Michael T. Fawcett

Imprimer PDF

Pour plus d'information sur comment accéder ce fichier, veuillez consulter notre page d'aide.

Introduction

Les relations politiques entre le Canada et les États-Unis ont connu bien des hauts et des bas au cours du siècle dernier. Les rapports en matière de défense, cependant, sont restés relativement stables. Un des plus solides piliers de cette stabilité est l’organisation bilatérale NORAD, acronyme anglais désignant le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord. À la fin des années 1940 et au début des années 1950, deux facteurs ont dicté l’évolution de la défense aérienne en Amérique du Nord : premièrement, la menace croissante que représentait l’Union soviétique, et deuxièmement, était l’empiètement des forces armées des États-Unis sur le Nord canadien – et la perception de perte de souveraineté territoriale du Canada qu’il suscitait. Exacerbant ces deux facteurs, il y avait le prix, financier dans un cas, politique dans l’autre, à payer pour le Canada. La menace soviétique et l’enjeu politique de la souveraineté du Canada ont joué un rôle considérable dans la planification, l’élaboration et la mise en œuvre du système de défense aérienne de l’Amérique du Nord. On a dit que « la crainte traditionnelle de l’empiètement américain augmentait et diminuait en proportion inverse de la menace perçue d’agression soviétique. Lorsque le besoin de sécurité face à un agresseur étranger dominait, l’objectif du maintien de la souveraineté territoriale se trouvait relégué au second plan1 ». Le NORAD ayant célébré son 50e anniversaire en mai 2008, le moment semble opportun pour regarder en arrière et examiner de plus près les impératifs politiques et militaires qui ont influé sur la création officielle du NORAD le 12 mai 1958.

La souveraineté dans l’Arctique et le Plan général de sécurité canado-américain

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont investi massivement dans la construction de nombreuses infrastructures nordiques, dont la route de l’Alaska et une série de stations météorologiques et de bases aériennes baptisée la Crimson Highway2. Inquiet de voir les États-Unis convertir ces investissements de guerre en droits permanents, le gouvernement canadien a mis en œuvre un processus de « canadianisation » du Nord. Dès le début de 1944, il a commencé à prendre le contrôle de toutes les installations de défense dans le nord du pays. Malgré cette politique, les États-Unis ont continué de formuler des demandes de développement dans la région, notamment des autorisations de survol, l’installation dans l’Arctique de nouvelles stations météorologiques et de stations de communications à basse fréquence pour la navigation à longue distance (LORAN), ainsi que la construction de nouveaux terrains d’aviation. Ces demandes des États-Unis étaient perçues comme trahissant une volonté de contrôler le territoire et l’espace aérien canadiens, ce qui porterait directement atteinte à la souveraineté territoriale du Canada, croyait-on. Lester B. Pearson, alors ambassadeur du Canada à Washington, exprimait les inquiétudes de son gouvernement lorsqu’il a dit, en 1946 : « il y a déjà une préoccupation croissante, et malsaine dans certaines de ses manifestations, à l’égard des aspects stratégiques du Nord : la revendication de droits d’occupation, l’établissement de bases, le calcul des risques. Pour nul autre pays que le Canada ces légers frémissements d’une peur inavouée mais si familière n’ont eu une signification plus grande ni plus sinistre3 ». Il est donc évident qu’en 1946, les questions de souveraineté territoriale du Canada étaient au sommet des priorités du gouvernement.

En 1946, les Soviétiques ne disposaient ni des bombardiers à long rayon d’action ni de l’armement nécessaires pour mener une attaque victorieuse contre l’Amérique du Nord. Cette absence de menace directe et imminente pour l’Amérique du Nord permettait aux politiciens de continuer à encaisser les « dividendes de la paix » par la démobilisation d’après-guerre et une réduction draconienne des dépenses en matière de défense. De leur côté, les instances militaires américaines voyaient l’Union soviétique comme une menace grandissante qui allait un jour développer une capacité militaire offensive suffisante pour attaquer l’Amérique du Nord. Les États-Unis et le Canada se sont donc tournés vers les organismes conjoints créés durant la guerre, soit la Commission permanente mixte de défense (CPMD) et le Comité de coopération militaire (CCM), pour entamer une planification coopérative de la défense4. En mai 1946, le Comité de coopération militaire publiait deux documents importants sur la défense de l’Amérique du Nord5. Le premier, An Appreciation of the Requirements for Canada-United States Security (Une appréciation des exigences en matière de sécurité Canada-États-Unis), décrivait la menace qui pesait sur l’Amérique du Nord et précisait que les puissances hostiles ne seraient pas capables de mener « des opérations aériennes à long rayon d’action soutenues, […] mais que des attaques limitées de cette nature étaient possibles6 ». On y ajoutait qu’à long terme, l’adversaire serait en mesure de mettre au point les bombardiers à long rayon d’action et l’armement perfectionné qui lui permettraient d’exécuter des attaques de plus grande envergure contre l’Amérique du Nord, et qu’il « ne faudra probablement pas plus de deux à cinq ans à l’ennemi pour mettre au point et fabriquer la bombe atomique7 ». Et effectivement, dès septembre 1949, l’Union soviétique testait sa première bombe atomique. Le deuxième document s’intitulait Joint Canadian United States Basic Security Plan (Plan général de sécurité canado-américain) (PGS). Ce plan visait précisément à contrer cette éventuelle menace. La défense du continent serait assurée par ce que l’appendice A du PGS appelait « Air Intercept and Air Warning Plan (Plan d’interception et d’alerte aériennes) ». Cet appendice sur la défense aérienne envisageait une « forteresse Amérique8 » dotée de trois réseaux d’alerte radar, dont un dans le Grand Nord, de nombreuses stations radars supplémentaires pour assurer le commandement et le contrôle de la bataille aérienne, dont huit seraient établies au Canada, et une augmentation substantielle du nombre de chasseurs de défense aérienne. C’était le « plan de rêve » des planificateurs militaires. Mais la réalité était que les coûts de mise en œuvre de ce plan allaient être énormes, tant pour le Canada que pour les États-Unis. Dans une note au premier ministre William Lyon Mackenzie King datée du 6 octobre 1946, l’ambassadeur Pearson faisait cette mise en garde au sujet du PGS : « … l’envergure des installations envisagées serait telle que cela pousserait à la limite notre capacité de les approvisionner et d’en fournir l’effectif à partir des ressources canadiennes. De plus, si nous entreprenions d’équiper et d’entretenir ces installations nous-mêmes, cela signifierait probablement que nos activités militaires seraient presque entièrement centrées sur la protection de l’Amérique du Nord en prévision d’un éventuel bombardement aérien sporadique9 ».

Compte tenu du caractère distant et limité de cette menace, le Canada n’était pas prêt à consacrer de vastes ressources financières à ce plan, et en particulier à financer l’investissement requis par cet appendice sur la défense aérienne. En fait, les politiciens des États-Unis eux-mêmes n’étaient pas prêts à payer ce prix, mais ils continuèrent de proposer d’autres développements coopératifs dans le Nord. Dans une note de janvier 1947 adressée à Mackenzie King, le ministre de la Défense nationale Brooke Claxton disait que les propositions de développement coopératif des États-Unis « ajouteraient peu aux dépenses en matière de défense. En outre, elles s’inscriraient dans tout plan éventuellement adopté et aideraient au développement du Nord, tant à des fins civiles que militaires10 ». En février 1947, les deux gouvernements publiaient simultanément une Joint Statement on Defence Collaboration(Déclaration concordante des gouvernements du Canada et des États-Unis d’Amérique concernant la collaboration en matière de défense entre les deux pays) dans laquelle on précisait la nature de la coopération canado-américaine en matière de défense et on définissait les principes destinés à prévenir toute perte réelle ou perçue de souveraineté territoriale du Canada. En ce début de 1947, le gouvernement canadien croyait fermement que le Canada n’était exposé à aucune menace directe de la part de l’Union soviétique. Il n’était donc pas enclin à dépenser de grosses sommes pour défendre le pays contre une menace inexistante, et en ce qui avait trait au territoire canadien, il ne jugeait pas nécessaire de faire quelque compromis que ce soit.

Un F 86 Sabre (à l’avant plan), d’un CF 100 Canuck (au centre) et d’un T-33 Silver Star

CIIFC photo PC-650

Flotte d'avions à réaction du Canada formée d'un F 86 Sabre (à l'avant plan), d'un CF 100 Canuck (au centre) et d'un T-33 Silver Star, vers 1953.

Les armes soviétiques et le réseau Pinetree

Une séquence d’événements qui se sont produits au cours des trois années suivantes allait complètement bouleverser cette sérénité. Lors du défilé du 1er mai 1947 à Moscou, les Soviets ont dévoilé leur nouveau bombardier stratégique à long rayon d’action Tupolev Tu-4 Bull, qui était une brillante reproduction par ingénierie inverse d’un Boeing B-29 Superfortress capturé durant la guerre. Les gestes posés par les Soviétiques durant le blocus de Berlin en mars 1948 et l’explosion de leur première bombe atomique en septembre 1949 allaient compléter ce triplé inquiétant. L’Union soviétique venait de démontrer qu’elle avait la volonté et la capacité – c’est‑à‑dire l’arme et le vecteur – de vraiment menacer l’Amérique du Nord. L’invasion de la Corée en juin 1950 vint confirmer pour plusieurs la nature belliqueuse des Soviets. Le président Harry S. Truman a alors déclare : « L’attaque de la Corée montre au-delà de tout doute que le communisme a dépassé l’usage de la subversion pour conquérir des pays indépendants et se servira désormais de l’invasion armée et de la guerre11 ».

Au scrutin fédéral de novembre 1948, Louis Saint-Laurent a succédé à King comme premier ministre du Canada. Il a maintenu Brooke Claxton au poste de ministre de la Défense nationale et a nommé Lester B. Pearson secrétaire d’État aux Affaires extérieures. En réponse à la menace aérienne croissante des Soviétiques, le Canada a alors amorcé la conception d’un système de défense aérienne « fait au Canada » qui serait entièrement financé, exploité et contrôlé par des Canadiens. Le système envisagé comprendrait des « intercepteurs à réaction […] dotés des équipements radars et systèmes de communication nécessaires12 ». En décembre 1948, la première unité opérationnelle de défense aérienne, le 410e Escadron, s’établissait à Saint‑Hubert, au Québec, de même que le 1er Groupe Défense aérienne, rebaptisé plus tard Commandement de la défense aérienne du Canada. En septembre 1949, une deuxième unité, le 420e Escadron, s’établissait à Chatham, au Nouveau-Brunswick. Pour équiper ces nouveaux escadrons, le Canada échangea avec la Grande-Bretagne ses vieux Spitfires Supermarine de la Seconde Guerre mondiale contre 85 chasseurs à réaction de Havilland Vampire plus récents. Claxton a ensuite remplacé rapidement ces Vampires par 56 chasseurs North American F-86 Sabre, en plus d’obtenir une licence pour en fabriquer d’autres au Canada. C. D. Howe, alors ministre des Munitions et approvisionnements, exerçait des pressions en faveur d’une solution de défense aérienne « faite au Canada » et a passé une commande pour le CF-100 Canuck, un chasseur à réaction conçu et fabriqué par A. V. Roe (plus tard Avro) de Toronto. La réussite des vols d’essai du F-86 fabriqué sous licence par Canadair à Cartierville, au Québec, et du CF-100 poussa le ministre Claxton à annoncer, le 2 juin 1950, l’expansion du réseau de défense aérienne du Canada qui allait désormais comporter cinq escadrons opérationnels. C’est ainsi que l’Aviation royale du Canada a obtenu l’autorisation de construire cinq stations radars pour assurer le commandement et le contrôle de ces unités, un nombre qui est plus tard passé à neuf13, toutes situées de manière à défendre le cœur économique de l’est du Canada. « La création de ce réseau canadien de défense aérienne rudimentaire témoignait de l’appréhension croissante d’une menace soviétique à Ottawa, menace qui se manifestait par la détérioration de la situation internationale et par la croissance des capacités aériennes des Soviétiques14 ».

Aux États-Unis, la US Air Force avait développé son Plan Supremacy qui envisageait le déploiement de 411 radars de défense aérienne, dont 36 seraient situés au Canada15. Les contraintes budgétaires ont cependant vite ramené ce plan à un réseau de 74 radars permanents installés seulement aux États-Unis. Au cours de l’été 1950, la US Air Force et l’Aviation royale du Canada ont entrepris de collaborer à la conception d’un système de défense continentale, A Plan for the Extension of the Permanent Radar Net of the Continental Air Defence System (Plan d’expansion du réseau radar permanent du système de défense aérienne continentale), plus tard connu sous le nom de réseau Pinetree. Ce plan prévoyait l’implantation d’un réseau radar d’alerte lointaine et de contrôle élargi à la grandeur du continent. Les 32 nouveaux sites radars seraient tous aménagés au Canada et exploités par des Canadiens, sauf un situé au Groenland. Le financement de ces 32 stations serait réparti en fonction de la couverture défensive fournie. Cela voulait dire en essence que les États-Unis assumeraient les deux tiers des coûts et le Canada paierait le reste16. En février 1951, la Commission permanente mixte de défense soumettait la Recommandation 51/117 définissant officiellement le partage des coûts et l’entente sur l’effectif du réseau Pinetree, et confirmant que tous les sites demeureraient propriété du Canada à perpétuité.

Malheureusement, l’Aviation royale du Canada ne disposait pas du personnel entraîné nécessaire pour accepter cette mission et les États-Unis allaient devoir exploiter la plupart des stations radars. La présence permanente de personnel militaire américain en territoire canadien pour assurer la défense du Canada allait soulever l’enjeu de la souveraineté au sein du gouvernement. Les politiciens canadiens avaient beau souhaiter un effectif entièrement issu de l’Aviation royale du Canada, le fait est que le Canada n’avait tout simplement pas le personnel pour acquiescer à ce vœu.

L’établissement d’un réseau radar de détection et de contrôle plus élaboré a aussi mis en évidence des problèmes de commandement et de contrôle, d’interception, d’identification et d’engagement (destruction ou « abattage ») des appareils ennemis dans l’espace aérien du Canada. Au début de 1950, la US Air Force demandait au Canada de lui accorder l’autorisation générale de mener des opérations en territoire canadien. Les responsables canadiens n’ignoraient pas qu’il serait politiquement impossible d’accorder une telle autorisation à la US Air Force, l’Aviation royal du Canada elle-même n’ayant pas pleins pouvoirs d’engagement pour ses propres forces. De fait, ce n’est qu’en novembre 195118 que l’Aviation royale du Canada s’est vue accorder le pouvoir d’abattre des appareils au-dessus du territoire canadien. Les négociations au sujet de cette autorisation ont abouti à la Recommandation 51/4 de la Commission permanente mixte de défense qui permettait aux aéronefs des États-Unis d’intercepter les appareils ennemis dans l’espace aérien du Canada, mais leur engagement ne pouvait se faire que dans l’espace aérien des États-Unis.

Deux CF 100 Canuck en plein vol.

CIIFC photo PC-551

Deux CF 100 Canuck en plein vol.

L’enjeu de commandement et de contrôle se résumait en gros à une question de souveraineté, à savoir « qui contrôlerait quels appareils où ». On a donc proposé que chaque Air Defence Control Centre (ADCC) (Centre de contrôle de défense aérienne) contrôle les aéronefs de sa zone. Si des appareils américains pénétraient dans l’espace aérien du Canada, ils relèveraient alors du commandement et contrôle tactiques des centres régionaux de contrôle de défense aérienne canadiens. Mais les défenses aériennes du Canada étant concentrées dans l’est du pays, c’était généralement la US Air Force qui défendait les Prairies canadiennes et Terre‑Neuve. La Recommandation 53/1 de la Commission permanente mixte de défense, adoptée en octobre 1953, stipulait que les chasseurs, quel que soit leur pays d’origine, respecteraient « les règles d’interception et d’engagement du pays au-dessus duquel l’interception ou l’engagement a lieu…19 ». De plus, cet engagement se ferait sous le commandement du « commandant de la défense aérienne du pays au-dessus duquel aura lieu l’engagement, ou d’un officier à qui les pouvoirs requis auront été délégués20 ». Il est intéressant de noter que Claxton, qui devait être au courant des lacunes de défense dans les Prairies, avait expliqué à ses collègues du cabinet que « son interprétation [était] que toute force située au Canada allait opérer sous un commandement désigné par le Canada21 ». Reconnaissant ses propres limites dans le domaine de la défense et compte tenu de l’importance de la menace, le Canada était prêt à faire des compromis concernant ses impératifs de souveraineté. Finalement, à cause du manque de radars opérationnels dans les Prairies, le Canada a été forcé de déléguer le pouvoir d’interception, d’engagement et de commandement au commandant américain.

Le soutien du Canada à l’expansion du système de défense aérienne continentale, la construction du réseau Pinetree et l’approbation des règles d’interception, de commandement et de contrôle démontrent que le gouvernement du Canada était persuadé de l’importance d’une défense contre les attaques soviétiques. Dans son livre In Defence of Canada, James Eayrs formule clairement cette notion : « Modeste par ses coûts et sa conception si on le compare aux réseaux d’alerte lointaine qui allaient être construits plus tard dans l’Arctique, le réseau Pinetree n’aurait pas été entrepris sans l’intervention de deux événements extérieurs reliés sur la scène internationale : d’abord l’énorme augmentation des budgets de la défense à la suite du déclenchement de la guerre de Corée en juin 1950, puis la non moins énorme aggravation de la menace soviétique pesant sur l’Amérique du Nord22 ». La dernière des 33 stations du réseau Pinetree est devenue opérationnelle en 1954.

Le réseau McGill et le réseau d’alerte avancé (DEW line)

Le réseau Pinetree était conçu pour donner un préavis d’attaque aérienne d’une heure; autrement dit, la détection ne se ferait qu’une fois les bombardiers soviétiques bien engagés dans l’espace aérien canadien. Cette réalité, combinée aux capacités toujours plus grandes des avions d’attaque et des armes nucléaires soviétiques, a poussé le gouvernement à concevoir un nouveau réseau radar canadien. Sous la gouverne de George Lindsey, Ph. D., les scientifiques du Conseil de recherche pour la défense et de l’Université McGill ont mis au point un système très automatisé de radars d’alerte lointaine. C’est ainsi que le « réseau McGill », plus tard appelé Ligne du Centre du Canada, a été mis en place le long du 54e parallèle. Ce réseau étant automatisé, il permettait l’utilisation de radars autonomes, répondant ainsi à une exigence clé pour pallier à la constante pénurie de personnel de l’Aviation royale du Canada.

Les États-Unis, poursuivant leurs propres recherches au Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont mis au point un « système informatisé de traitement rapide des données de défense23 ». Ce « système de transition Lincoln » a par la suite été intégré dans le système de défense aérienne sous l’appellation de Semi-Automatic Ground Environment (SAGE) (système semi-automatique d’infrastructure électronique). Le premier système SAGE est devenu opérationnel en janvier 195924. À l’été de 1952, un groupe de scientifiques, la plupart chercheurs au laboratoire Lincoln du MIT, se sont réunis pour estimer l’envergure d’une éventuelle attaque nucléaire soviétique. Dans leur rapport final soumis en février 1953 et largement diffusé, ils avançaient qu’une telle attaque nucléaire tuerait des millions de personnes et dévasterait l’économie, et que le système de défense aérienne du moment n’était pas à la hauteur. Ils proposaient un nouveau système radar de défense composé de deux réseaux d’alerte avancés (DEW) dans le Grand Nord canadien. Le réseau DEW 1 serait déployé le long du 75e parallèle et le réseau DEW 2, à la hauteur du 70e parallèle25.

Déjà en 1952, réagissant aux peurs de la population face à l’éventualité d’un holocauste nucléaire, le président Truman avait ordonné l’établissement d’un nouveau réseau d’alerte avancé. Le Project Counterchange de la US Air Force qui s’ensuivit, et qui fut plus tard rebaptisé projetCorrode, donnerait aux États-Unis un préavis d’attaque aérienne de trois à six heures26. Lors d’une réunion de la Commission permanente mixte de défense, en janvier 1953, les États-Unis ont présenté leur Project Counterchange et demandé officiellement au Canada la permission de construire une station expérimentale dans le nord du Canada. Encore une fois, les États-Unis voulaient que leur soit donné le pouvoir de réaliser leurs propres projets expérimentaux dans le nord canadien. Dans sa réponse, le secrétaire d’État aux Affaires extérieures Pearson exprima ses craintes : « Une des plus importantes questions qui se posent à nous en ce moment est celle-ci ayant trait au développement dans l’Arctique et au danger d’être exclus d’un tel développement sur notre propre territoire par la pénétration des États-Unis27 ». Malgré ces inquiétudes, le Comité du Cabinet pour la Défense étudia et approuva la demande des Etats-Unis le 10 février 1953, mais, par égard aux inquiétudes exprimées en matière de souveraineté territoriale, il ajouta plusieurs conditions à l’accord. Il y était notamment précisé que le projet était une expérience qui n’entraînerait aucun engagement subséquent de la part du gouvernement canadien en vue de l’établissement d’un réseau radar opérationnel, que le Canada devait participer pleinement au projet, que tous les sites devaient être approuvés par le Canada et qu’ils demeureraient tous propriété du Canada28. Cette entente appelait également à la création d’un nouveau Groupe d’études militaires du Canada et des États-Unis qui, selon les espoirs canadiens, serait en mesure de fournir au gouvernement des observations et commentaires de première main sur l’expérience, et de mieux l’éclairer sur les autres plans de défense aérienne des États-Unis29.

Maréchal de l’Air Charles Ray Slemon

Photo du MDN

Maréchal de l'Air Charles Ray Slemon, chef d'état major de la Force aérienne, Aviation Royale du Canada, 1953-1957, et premier commandant en chef adjoint de NORAD.

L’entrée en fonction de Dwight D. Eisenhower comme président des États-Unis en janvier 1953 entraîna de nombreux changements à la politique de défense des États-Unis. Le mémoire 159 du National Security Council (NSC-159), intitulé Bull Committee Report, déclarait que « les programmes actuels de défense continentale sont insuffisants pour prévenir, neutraliser ou vraiment décourager les actions militaires ou clandestines que l’Union soviétique est capable d’entreprendre30 ». Ce rapport soulignait aussi que l’établissement d’un réseau dans le sud du Canada était essentiel et que la mise en œuvre du système de gestion des données SAGE et la mise en place d’un réseau DEW étaient nécessaires31. Pour financer tout cela, l’administration Eisenhower entreprit une révision complète de la politique de défense américaine. La Review of Basic National Security Policy (NSC-162) fut achevée en octobre 195332, et le 30 octobre 1953, Eisenhower approuvait le Basic National Security Plan – NSC-162/2. Cette politique « nouvelle vague » établissait une nouvelle posture en matière de sécurité qui serait fondée « sur une capacité atomique massive […] et sur un système intégré et efficace de défense continentale33 ».

Les politiciens canadiens étaient très préoccupés des répercussions de cette politique « nouvelle vague » sur la sécurité du Canada. Le ministre de la Défense Claxton avait déjà presque doublé les crédits de la Défense pour financer l’expansion rapide des forces armées. Le Canada était aussi engagé dans le financement de ses opérations en Corée et de ses forces en Europe dans le cadre de l’OTAN. D’importantes sommes étaient déjà consacrées à l’augmentation du nombre d’escadrons de défense aérienne basés au Canada et à la construction du réseau Pinetree. Les coûts qu’entraînerait tout nouveau programme de défense sont devenus un grave souci. Claxton estimait que si le Canada se voyait obligé de payer pour les deux réseaux d’alerte avancés, il serait forcé de réduire ses engagements en Europe. Il suggéra au premier ministre Saint-Laurent d’employer une « stratégie d’évitement des coûts34 » en vertu de laquelle le Canada paierait pour la Ligne du Centre du Canada, tandis que les États-Unis paieraient pour le réseau DEW. Claxton croyait que de cette façon, le Canada pourrait « conserver sa dignité sans avoir à dépenser trop d’argent35 ». C’est ainsi qu’en novembre 1953, le gouvernement canadien informa les États-Unis que la Ligne du Centre du Canada serait financée en tant que projet canadien, et qu’il appuyait la construction du réseau DEW financée par les États-Unis.

Tenant compte des préoccupations canadiennes en matière de souveraineté territoriale, les États-Unis acceptèrent plusieurs conditions relatives à la construction et à l’exploitation du réseau DEW. La note diplomatique de mai 1955 établissant le réseau DEW comportait une annexe intitulée Statement of Conditions to Govern the Establishment of a Distant Early Warning System on Canadian Territory, qui énonçait 21 clauses distinctes couvrant l’emplacement et la propriété des sites, les exigences en matière de liaison, l’intégration d’équipements électroniques de fabrication canadienne, le respect des lois canadiennes, l’exploitation et l’effectif – y compris le droit que se réservait le Canada de « prendre le contrôle de l’exploitation et de fournir l’effectif de toute installation » –, les questions touchant les Esquimaux canadiens, l’immigration et les douanes, et la construction des pistes d’atterrissage36.

À la fin de 1953, la menace soviétique et la nécessité de défendre le continent nord-américain dominaient les relations canado-américaines. Le Canada devait maintenir l’équilibre entre le coût de la défense et le coût de la souveraineté. Par pragmatisme, si le Canada n’assumait pas l’entière responsabilité des programmes de défense dans le Nord, alors les États-Unis allaient s’en charger. Au bout du compte, le gouvernement canadien savait qu’il n’avait pas les moyens de garder le plein contrôle de sa souveraineté territoriale. Finalement, le gouvernement accepta l’accord de partage des coûts des réseaux DEW et Centre du Canada, et stipula des conditions pour se protéger de toute perte de souveraineté. La construction de la Ligne du Centre du Canada, située le long du 55e parallèle à 480 kilomètres au nord du réseau Pinetree, se termina en 1957. Les 57 stations radars du réseau DEW, payées par les États-Unis et s’étendant le long du 70e parallèle, à presque 320 kilomètres au nord du cercle polaire, furent également achevées en 1957.

Les trois premiers réseaux de radars de pré alerte érigés sur le sol canadien.

Carte de Christopher Johnson

Les trois premiers réseaux de radars de pré alerte érigés sur le sol canadien.

L’intégration opérationnelle ~  NORAD

Cet immense système de défense aérienne élargi apporta avec lui son lot de problèmes inédits, notamment celui de la gestion globale de la bataille aérienne. Pour repousser une attaque aérienne, il fallait d’abord cerner l’ampleur de la menace, sa direction et ses cibles, mais aussi décider s’il s’agissait d’une seule vague d’attaque ou de la première d’une série. Les commandants devaient affecter les chasseurs de défense aérienne et ceux-ci avaient besoin de contrôles pour intercepter et engager l’ennemi. Le réseau DEW assurait une première ligne de détection et d’analyse de la menace. La Ligne du Centre du Canada servirait à en déterminer la direction, tandis que le réseau Pinetree regroupait les radars de commandement et de contrôle pour les premiers engagements. À terme, ces réseaux allaient être entièrement intégrés électroniquement, mais le principal problème résidait dans l’absence d’« intégration opérationnelle ». Il n’y avait pas de commandement unifié, ni aucun commandant désigné pour effectivement diriger efficacement une éventuelle bataille aérienne. L’engagement opérationnel d’aéronefs ennemis transportant des armes nucléaires dans l’espace aérien du Canada soulevait des questions de souveraineté. Non seulement le Canada voulait-il avoir plus qu’un simple rôle mineur à jouer, mais il devait en avoir un.

En 1954, les États-Unis ont créé un Commandement de la défense aérienne continentale (CONAD) qui allait assumer le commandement de toutes les ressources de défense aérienne de la zone continentale des États-Unis. On a ensuite demandé à cette organisation d’élaborer un plan d’ensemble de la défense aérienne continentale intégrant les activités des États-Unis et du Canada. C’était une étape nécessaire dans l’évolution de la défense aérienne du continent, mais les politiciens canadiens étaient sceptiques. En janvier 1954, l’Instance collégiale des chefs d’état-major des États-Unis (US JCS) envoyait une lettre au Général Charles Foulkes, qui était alors le chef d’état-major interarmées du Canada, dans laquelle elle manifestait son désir d’échanger des idées au sujet de l’intégration opérationnelle. Foulkes accepta de mettre sur pied un comité spécial, précisant toutefois que, « pour éviter de soulever des problèmes épineux sur le plan politique, ce groupe spécial devrait restreindre ses discussions et recommandations aux questions de contrôle opérationnel. […] Le sujet du contrôle opérationnel est politiquement très délicat au Canada et il est très important qu’il n’y ait aucune fuite d’information à la presse concernant ce groupe ou le sujet des entretiens37». Les problèmes militaires étaient relativement clairs et faciles à résoudre, mais les enjeux politiques, eux, ne l’étaient pas. Il y avait essentiellement deux questions politiques importantes à régler. L’une était de savoir comment répondre aux inquiétudes canadiennes en matière de commandement et de contrôle (souveraineté), l’autre avait trait à la place qu’aurait ou n’aurait pas ce nouveau commandement unifié au sein de l’OTAN en fonction des intérêts des États-Unis.

Ce problème de la souveraineté est ressorti des réactions aux commentaires du Maréchal de l’Air Roy Slemon en juin 1955. Il avait alors déclaré qu’à son avis, « un commandement conjoint Canada-États-Unis de la défense aérienne est inévitable38 ». Ces propos firent bondir le gouvernement canadien qui s’était donné tant de peine durant les négociations du réseau Pinetree pour s’assurer que l’espace aérien du Canada reste sous commandement canadien. Les politiciens canadiens jugeaient tout à fait inacceptable le fait qu’un officier américain assume le commandement et le contrôle de toutes les forces de défense aérienne. Cependant, il devenait « de plus en plus évident que le respect de la frontière politique entre le Canada et les États-Unis en tant que ligne de partage des responsabilités militaires imposait des limites qui rendaient impossible la mise en œuvre des meilleures mesures de défense aérienne39 ». Conscient des enjeux de souveraineté, Foulkes savait que le plan proposé devrait faire la preuve des « avantages militaires incontestables d’un système intégré de commandement de la défense aérienne pour contrebalancer les inconvénients politiques attenants40 ». Dans son rapport de 1956, le comité spécial proposait une solution acceptable. Le contrôle opérationnel serait dévolu à une seule personne, le Commandant en chef de la défense aérienne pour le Canada et les États‑Unis (CINCADCANUS), plutôt qu’à une organisation de commandement unifiée. Le contrôle opérationnel délégué à cette personne s’exercerait sur toutes les forces qui lui seraient confiées pour la défense aérienne de l’Amérique du Nord. Ce Commandant en chef de la défense aérienne relèverait simultanément de l’autorité de l’Instance collégiale des chefs d’état-major des États-Unis et du chef d’état-major interarmées du Canada, qui relèvent à leur tour de leurs maîtres politiques respectifs. Il ne s’agissait pas là d’une solution inédite, car l’OTAN possédait déjà une structure semblable incarnée par le Commandant suprême des Forces alliées en Europe (SACEUR). Le Canada avait déjà approuvé la structure de l’OTAN et accepté la perte inhérente de contrôle des forces qui y étaient affectées41. Si ce nouveau commandement de la défense aérienne continentale se révélait semblable, alors la perte de souveraineté serait supportable. Ce lien avec l’OTAN plaisait aux Canadiens mais pas aux Américains. Ces derniers étaient fermement opposés à cette idée car ils craignaient que « les ressources des États-Unis et du Canada [soient] planifiées conjointement par des représentants de toutes les parties au Traité de l’Atlantique Nord42 ». Les Européens auraient alors leur mot à dire dans la façon dont les États‑Unis se défendaient, et ces derniers n’allaient tolérer aucune ingérence dans les affaires de leur Strategic Air Command ni dans leurs plans et capacités de dissuasion nucléaire.

MDN, l'honorable George Pearkes, CV

CIIFC photo E-50612

Inspection de matelots par le ministre de la Défense nationale, l'honorable George Pearkes, Croix de Victoria.

En février 1957, l’Instance collégiale des chefs d’état-major des États-Unis, appuyée par le secrétaire à la Défense Charles Wilson, et le chef d’état-major interarmées du Canada approuvaient officiellement le concept de commandement unifié et le renommaient Commandement de la défense aérienne de l’Amérique du Nord (NORAD). Ce projet devait être soumis pour approbation au Comité du Cabinet pour la Défense, mais le processus fut rattrapé par les élections fédérales de juin 1957. La victoire des Conservateurs amena au pouvoir John G. Diefenbaker comme premier ministre et George Pearkes comme ministre de la Défense nationale. Immédiatement après l’élection, le Général Foulkes, à titre de chef d’état-major interarmées, s’attacha à obtenir l’approbation rapide de cette initiative de défense aérienne. Il avançait deux arguments fondamentaux à l’appui de l’accord du NORAD. Le premier était que les États-Unis l’avaient déjà approuvé et qu’au Canada, les Libéraux s’apprêtaient à faire de même avant l’élection. Il ne devrait donc y avoir aucune objection politique au NORAD en Chambre malgré le changement de parti au pouvoir. Le deuxième argument de Foulkes, relatif au lien avec l’OTAN, était de loin le plus convaincant. Sachant que les États-Unis n’appuyaient pas et n’appuieraient aucun couplage avec l’OTAN, Foulkes estimait que la seule façon d’obtenir l’approbation du gouvernement était d’atténuer l’apparente perte de souveraineté dont le concept s’accompagnait. Il minimisa donc les enjeux de souveraineté tout en exagérant l’importance du lien avec l’OTAN, lequel n’existait pas. Comme Foulkes allait plus tard l’avouer, il « avait précipité le nouveau gouvernement dans l’accord du NORAD43 ». Il parvint ainsi à convaincre Pearkes qui, à son tour, alla demander l’approbation de Diefenbaker directement. Celui-ci approuva le plan du NORAD le 24 juillet 1957 sans consulter son conseil des ministres. Et lors de la réunion du cabinet du 27 juillet, Pearkes présenta le NORAD comme un fait accompli; la seule décision qu’eurent à prendre les ministres dans ce dossier fut de nommer le Maréchal de l’Air Slemon au poste de commandant en chef adjoint du NORAD (DCINCNORAD)44. Le 1er août 1957, Pearkes et Wilson annonçaient conjointement la conclusion de l’accord du NORAD, déclarant que : « [ce] nouvel accord bilatéral élargit les objectifs de protection réciproque de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord à la défense aérienne de la région Canada-États-Unis45 ».

L’administration Diefenbaker fondait sa décision de favoriser la défense plutôt que la souveraineté sur la croyance que les répercussions politiques de la perte de souveraineté étaient désamorcées par le couplage avec l’OTAN. Malheureusement pour le premier ministre, ce lien avec l’OTAN n’existait pas. Lors de son premier discours à l’OTAN, Diefenbaker déclara que « cette force intégrée (NORAD) fait partie intégrante de notre structure militaire de l’OTAN dans la région Canada-États-Unis et relèvera du Groupe permanent et du Conseil de l’Atlantique Nord de façon semblable à celle des autres commandements militaires de l’OTAN46 ». L’opposition libérale, sous la direction de Lester B. Pearson, s’empressa d’attaquer le gouvernement à ce sujet et ce dernier fut obligé de reconnaître son erreur. Dans les faits, le NORAD était un accord bilatéral n’ayant aucun rapport direct avec l’OTAN. Mais même débouté, Diefenbaker continuait d’entretenir l’illusion d’un rapport avec l’OTAN en disant : « Qu’il [le NORAD] fasse ou non partie de l’OTAN, il renforce l’OTAN, et c’est tout ce qui importe47 ». Dans le sillage de cet accord, le NORAD fut officiellement inauguré le 12 mai 1958.

Conclusion

L’enjeu politique de la souveraineté canadienne a joué un rôle très important dans la planification, le développement et la mise en œuvre d’un système de défense aérienne de l’Amérique du Nord. À mesure qu’augmentaient à la fois la menace soviétique contre l’Amérique du Nord et l’impression qu’une attaque était imminente, le gouvernement du Canada se voyait obligé de trouver un équilibre entre les coûts politiques et financiers du maintien de la souveraineté d’une part, et les exigences de la défense d’autre part. En ce qui a trait au Plan général de sécurité de 1946, l’absence de menace réelle fit pencher la balance en faveur de la souveraineté et donna lieu à la Déclaration concordante des gouvernements du Canada et des États-Unis d’Amérique concernant la collaboration en matière de défense entre les deux pays. Les années 1950 furent marquées par la croissance rapide de la menace soviétique, sans compter les engagements en Corée et auprès de l’OTAN et la politique de sécurité « nouvelle vague » des États-Unis. Le Canada n’avait tout simplement pas les ressources financières ni humaines pour adopter et mettre en œuvre une politique de défense « faite au Canada ». La fourniture de l’effectif et le partage des coûts du réseau Pinetree par les États-Unis n’a été que le premier d’une série de compromis en matière de souveraineté. Avec l’accroissement de la menace, la nécessité d’établir des réseaux de défense plus élaborés augmentait. Le réseau DEW et la Ligne du Centre du Canada furent alors créés pour assurer un système de défense aérienne robuste et intégré. Le Canada a été obligé d’accepter des compromis sur le plan de sa souveraineté pour que ce système soit déployé. La dernière phase de l’évolution du système de défense aérienne du Canada fut la création du NORAD. L’intégration opérationnelle était une nécessité militaire, mais pour les Canadiens, c’était politiquement inacceptable. Le bluff de Foulkes au sujet de l’OTAN a néanmoins été l’argument clé pour faire pencher le gouvernement canadien du côté de la défense, plutôt que de celui de la souveraineté. En dernière analyse, on peut dire qu’à mesure qu’augmentaient la menace et les coûts de défense connexes, les préoccupations politiques en matière de souveraineté cédaient le pas aux impératifs militaires du moment. La fondation officielle du NORAD le 12 mai 1958 a engendré un patrimoine de 50 années d’existence qui s’enrichira, selon toute probabilité, d’au moins 50 ans encore.

Emblème du NORAD

CMJ Logo

Le major M.T. « Skip » Fawcett, Contrôleur - Aérospatiale (C AERO), est actuellement commandant d'équipage de mission au sein du 962nd Airborne Air Control Squadron (AACS) basé à Elmendorf, en Alaska. Tout en travaillant à sa maîtrise en études de la guerre au Collège militaire royal du Canada, il était jusqu'à récemment officier d'état-major préposé au perfectionnement professionnel des officiers à l'Académie canadienne de la Défense.

Notes

  1. Shelagh D. Grant, Sovereignty or Security? Government Policy in the Canadian North, 1936-1950, Vancouver : University of British Columbia Press, 1988, p. 160.
  2. La « Crimson Highway » était constituée d’un chapelet de bases aériennes nordiques utilisées comme escales par les avions de transport qui rapatriaient des militaires blessés durant la Seconde Guerre mondiale.
  3. Lester B. Pearson cité dans Joseph T. Jockel, No Boundaries Upstairs - Canada, the United States, and the Origins of North American Air Defence, 1945-1958, Vancouver : University of British Columbia Press, 1987, p. 2.
  4. Des exemplaires de ces deux documents sont archivés dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 12, 1946, vol. 12-975, p. 1617-1627. Voir
  5. Des exemplaires de ces deux documents sont archivés dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 12, 1946, vol. 12-975, p. 1617-1627. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  6. An Appreciation of the Requirements for Canada-United States Security dans ibid., p. 1619.
  7. Ibid.
  8. Jockel,p. 2.
  9. Lester B. Pearson, dans Memorandum from Ambassador in US to PM, dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 12, 1946, vol. 12-975, p. 1654. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  10. Brooke Claxton, cité dans James Eayrs, In Defence of Canada – Peacemaking and Deterrence, Toronto : University of Toronto Press, 1972, p. 344.
  11. Henry S. Truman, cité dans Jockel,p. 36.
  12. Ibid., p.12.
  13. L’Aviation royale du Canada avait l’autorisation de construire seulement cinq stations, mais elle avait prévu des commandes de matériel pour neuf sites afin de présenter une image plus digestible du rapport coûts-avantages du nouveau réseau Pinetree.
  14. Jockel,p. 39.
  15. Project Supremacy est expliqué en détail dans Jockel,p. 30-32.
  16. Une ventilation détaillée de la formule de financement est présentée dans Jockel, p. 44-45.
  17. La Commission permanente mixte de défense (CPMD), créée par le Canada et les États-Unis en 1940, est l’organe consultatif supérieur en matière de défense continentale. Elle se compose de représentants militaires et diplomatiques des deux pays.
  18. Le Comité du Cabinet pour la Défense autorisa l’attribution du pouvoir d’abattre à l’Aviation royale du Canada dans un document intitulé Authority to Intercept and Engage Unidentified Aircraft et daté du 22 novembre 1951.
  19. <
  20. Jockel,p. 57.
  21. Ibid.
  22. Ibid., p. 54.
  23. Eayrs, p. 358.
  24. Jockel, p. 62.
  25. Note de l’auteur : bien qu’il a été remplacé par le système ROCC au début des années 1980, le système SAGE servait encore de système de réserve quand j’ai commencé mon propre entraînement en contrôle aérospatial à North Bay, en Ontario, à l’automne 1988.
  26. Ce rapport LSSG est amplement analysé dans Jockel,p. 64-65.
  27. NSC-139 Statement of Policy on an Early Warning System, daté du 31 décembre 1952 et noté dans Jockel,p. 64-65.
  28. L.B. Pearson, Defence Relations in the North, dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 18, 1952, vol. 18-746, 15 janvier 1953. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  29. Canada, DEW System and Mid-Canada Line, dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 19, 1953, Donald Barry (dir.) Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1991, vol. 19-698, 10 février 1953. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  30. Eayrs, p. 362.
  31. Cité dans Philippe Legassé, « Le Northern Command et l’évolution des relations de défense canado-américaines », dans la Revue militaire canadienne, vol. 4, no 1, printemps 2003, p. 17.
  32. NSC-159 fait l’objet de nombreux renvois et citations dans Jockel,p. 71.
  33. Gouvernement des États-Unis d’Amérique, National Security Council, Review of Basic National Security Policy -NSC-162, octobre 1953.
  34. Ibid., p. 19
  35. Jockel,p. 83.
  36. Ibid., p. 82.
  37. Gouvernement du Canada, Notes between Canada and the US Governing the Establishment of a Distant Early Warning System in Canadian Territory, note no 306, Washington, DC, 5 mai 1955.
  38. Gouvernement du Canada, Continental Air Defence in Canada, dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 23, 1956-1957 Tome II, vol. 23-22, 6 avril 1956. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  39. Jockel,p. 98.
  40. Gouvernement du Canada, Continental Air Defence in Canada, dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, vol. 21-313, 6 mai 1955. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  41. Ibid.
  42. L’OTAN avait été mise sur pied officiellement le 4 avril 1949.
  43. Gouvernement du Canada, Implementation of the North Atlantic Treaty in Canada, dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 15, 1949,vol. 15-349, 1er avril 1949. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  44. Charles Foulkes, cité dans Jockel,p. 104.
  45. Gouvernement du Canada, Continental Air Defence - Extraits des Conclusions du Cabinet, Vol. 25-12, 31 juillet 1957.
  46. Jockel,p. 107.
  47. John G. Diefenbaker, Prime Minister’s Statement to Meeting of NATO Heads of Governments dans les Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, Volume 24, 1958 (Michael Stevenson (ed.), (dir.) Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1997, vol. 24-254, 16 décembre 1957. Voir <www.international.gc.ca/department/history-histoire/dcer/browse-fr.asp>
  48. John G. Diefenbaker, cité dans Jockel,p. 117.

Haut de la page