CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de livre – Fighting for Afghanistan

Couverture de livre – Fighting for Afghanistan

Fighting for Afghanistan. A Rogue Historian at War

par Sean M. Maloney 
Annapolis, Maryland, Naval Institute Press, 2011, 352 pages, 53,50 $ (couverture rigide)
ISBN 978-1-59114-509-7

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Critique de Bernd Horn

J’ai dans l’idée que bon nombre d’historiens jugeront rapidement le livre sans même l’avoir lu. À la lecture de la préface de Sean Maloney, Ph. D., on peut déduire que les historiens sont généralement divisés en deux clans, ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas son travail. Il n’empêche que le titre est, selon moi, approprié, car de nombreux historiens considèrent le travail de Sean Maloney comme étant non conformiste, si ce n’est que par l’approche qu’il adopte. Sean Maloney écrit le récit à partir du début de la mission de combat du Canada en Afghanistan, c’est‑à‑dire au printemps et à l’été 2006, en adoptant un point de vue très personnel. Le livre est essentiellement une « émission vérité » littéraire qui met en vedette Sean Maloney. Ce dernier y capture ses déplacements et son expérience personnelle dans le théâtre. Il admet clairement que le récit des événements, du début à la fin, repose entièrement sur ses observations, ses questionnements et ses évaluations.

Les puritains et traditionalistes seront sans aucun doute atterrés. Le livre ne contient pratiquement ni note en base de page ni référence. En fait, les quelques notes en bas de page et références incluses par l’auteur renvoient à ses ouvrages antérieurs. En bout de ligne, le lecteur a deux choix simples, soit il accepte les affirmations et les évaluations de l’auteur telles quelles, soit il les refuse. De plus, le fait que le texte narratif soit brut, très personnel et truffé de jurons pourrait aussi causer un malaise chez certains historiens.

Malgré tout, j’ai aimé le livre. Le récit des opérations de la Force opérationnelle multinationale AEGIS et de la Force opérationnelle ORION est dynamique et détaillé. Surtout, il donne un aperçu du processus de prise de décisions des chefs du niveau de la compagnie à celui de la force opérationnelle ainsi que des difficultés et des défis auxquels ils ont fait face. Le célèbre ouvrage de Christie Blanchford, Fifteen Days, constitue une description détaillée des événements des batailles qui ont eu lieu au printemps et à l’été 2006 du point de vue de nombreux soldats qui ont participé à ces engagements décisifs, alors que le récit de Sean Maloney aide à expliquer comment et pourquoi les soldats canadiens ont participé à de tels combats meurtriers.

La narration du livre est brute, mais capture la complexité et la terreur de la guerre et du conflit mieux que les récits stériles centrés sur des notes de service et des rapports qui ne réussissent pas du tout à faire sentir l’odeur de la cordite, de la peur, de la sueur et de la mort. Les réflexions de l’auteur sur les soldats qui doivent composer avec les morts et les blessés mettent au premier plan le véritable prix du conflit et le sacrifice des survivants. Dans son ensemble, le livre est d’un grand réalisme et l’auteur réussit à expliquer de nombreux problèmes sous-jacents du conflit. Il décrit très habilement et de façon captivante l’ampleur du conflit dans le sud de l’Afghanistan, et ce, d’une perspective interne, près des décideurs à divers niveaux pendant cette période. De plus, il explique brillamment à quel point il est difficile de garder un équilibre entre la sécurité et le développement ainsi que de relever les défis qu’imposent les opérations de contre-insurrection (COIN) dans un environnement ambigu, étranger et difficile.

Pour appuyer son récit, l’auteur a inclus quinze photos en noir et blanc de personnalités clés, de certaines pièces d’équipement utilisées par les militaires canadiens et de l’environnement avec lequel ces derniers ont dû composer. De plus, l’ouvrage contient sept cartes détaillées qui permettent au lecteur de comprendre et de suivre les opérations et les batailles qui sont décrites. L’auteur a également inséré trois graphiques pour mieux expliquer la théorie de la COIN.

Sean Maloney est sans conteste un des historiens les plus chevronnés et érudits en ce qui concerne l’engagement du Canada en Afghanistan. En fait, il est l’historien désigné de l’Armée canadienne et rédige actuellement l’histoire de l’Armée canadienne en Afghanistan. Il a passé de nombreux mois dans le théâtre avec pratiquement tous les groupements tactiques du Canada en rotation à Kandahar. Il connaît beaucoup de gens dans le domaine et est bien informé et, à ce titre, il apporte un point de vue unique. Il aide à combler les lacunes des dossiers d’archive. Cependant, je dois préciser que je déplore principalement le fait que Sean Maloney n’ait déployé aucun effort pour appuyer ses conclusions et ses évaluations. Comme j’en ai déjà fait mention, Sean Maloney ne présente aucune référence ni justification pour tirer ses conclusions, ce qui peut gêner le lecteur. D’une certaine façon, il peut sembler faire preuve d’une certaine arrogance; en d’autres mots, il demande au lecteur d’accepter comme telle son évaluation puisqu’il n’a pas à se justifier. En bout de ligne, le lecteur détourne son attention de l’ouvrage parce qu’il se demande ce qu’il s’est vraiment passé dans telle ou telle circonstance. Par exemple, l’auteur fait référence à de nombreuses reprises à l’« assassinat » du diplomate canadien Glynn Berry. Toutefois, une commission d’enquête, qui s’est penchée sur l’incident et qui a entendu toutes les personnes concernées pendant des mois, a déterminé de façon catégorique que le diplomate était « au mauvais endroit au mauvais moment ». Malheureusement, l’auteur choisit de mettre l’accent sur la théorie du complot d’« assassinat » sans fournir ni contexte ni justification. Il aurait pu au moins expliquer les circonstances de l’incident à partir des conclusions officielles et non de son point de vue.

Dans son ensemble, l’ouvrage est intéressant et sujet à controverse. L’écriture est vive et dynamique. Je le recommande fortement aux historiens militaires, aux spécialistes militaires et au grand public. Il fournit un excellent aperçu de la COIN dans le théâtre des opérations en Afghanistan au cours du printemps et de l’été 2006.

Le Colonel Bernd Horn, OMM, MSM, CD, Ph. D., est chef d’état-major  – Programmes d’instruction et d’éducation stratégiques à l’Académie canadienne de la Défense. Il est aussi professeur auxiliaire d’histoire au Collège militaire royal du Canada.