CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de livre – The Information Front

Couverture de livre – The Information Front

The Information Front: The Canadian Army and News Management during the Second World War (Sur le front de l’information : l’armée canadienne et les relations publiques pendant la Seconde Guerre mondiale)

par Timothy Balzer
Vancouver, University of British Columbia Press, 2010.
255 pages, 85 $ (livre relié), 32,95 $ (livre de poche).
ISBN 9780774818995 (livre relié)
ISBN 9780774819008 (livre de poche)

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Critique de J.L. Granatstein

« La guerre a toujours fait les manchettes », écrit Timothy Balzer dès la première ligne de son livre : les politiciens et les généraux ont toujours accordé une énorme importance à la gestion et au contrôle des nouvelles sur la guerre. Le livre de Timothy Balzer, The Information Front: The Canadian Army and News Management during the Second World War, est une étude bien documentée et éclairée sur la façon dont les services de relations publiques de l’armée ont traité l’information pendant la plus grande guerre de l’histoire du Canada.

Le livre de Timothy Balzer découle d’un mémoire de maîtrise et d’une thèse de doctorat portant sur l’évolution et le mode de fonctionnement des services de relations publiques de l’armée qui, partis de rien au début de la guerre, en 1939, deviennent une importante organisation, bien rodée, au moment où la Première Armée canadienne se trouve sur le terrain, en 1944-1945. Timothy Balzer présente des personnages intéressants, notamment le Colonel R.S. Malone, qui a été amené à diriger les services de relations publiques de l’armée, et dont le livre publié en 1946, Missing from the Record, passait sous silence de nombreux aspects de la question et enjolivait le reste. Les passages les plus captivants de l’ouvrage de Timothy Balzer, sont les études de cas sur Dieppe, la Sicile et trois incidents survenus en Normandie.

La seule étude de cas que nous examinerons ici, qui concerne Dieppe, est détonante. Le raid sur la ville a été désastreux, un gâchis total pendant lequel les troupes canadiennes ont subi de lourdes pertes injustifiées. Parmi les forces en présence, se trouvaient des commandos britanniques et 50 rangers américains, mais l’opération, décidée au quartier général des opérations interalliées et dirigée par l’Admiral lord Louis Mountbatten, relevait du Canada. L’Admiral Mountbatten avait autant de bonnes relations qu’un officier en service pourrait en rêver, dont des parents dans la famille royale et des amis politiciens dans tous les milieux. De plus, il était parfaitement au courant des avantages (personnels) que pouvaient apporter des services de relations publiques efficaces. Aussi, son quartier général se préparait méticuleusement pour chaque opération, à plus forte raison pour une aussi importante attaque que celle de Dieppe.

L’objectif de l’Admiral Mountbatten était que le raid de Dieppe soit perçu comme un triomphe, quelle que soit sa véritable issue. Réussite ou échec, le message serait le même : l’opération a été un succès. Tout reposait sur la façon de présenter l’information. En fait, un plan de communication avait été prévu en cas d’échec, mais il a été mis de côté et c’est celui présentant un succès qui a été utilisé. Les médias ont été informés que le raid avait permis de tirer d’importantes leçons et que des objectifs majeurs avaient été atteints. On en convenait, l’armée avait souffert de nombreuses pertes, mais les résultats en valaient largement la peine. Pendant des années, l’Admiral Mountbatten a tenu le même discours, soutenant que les leçons apprises de l’événement de Dieppe avaient ouvert la voie à la victoire véritablement remportée le jour J. Le Général Harry Crerar, qui a incité les Canadiens à effectuer le raid de Dieppe, avançait les mêmes arguments douteux et, d’innombrables comptes rendus historiques l’ont imité. Le massacre devait être perçu comme justifié, les commandants supérieurs devaient être considérés comme des personnes respectables et ayant mérité leurs promotions et la gloire, autant de considérations qui ont contribué à camoufler le désastre.

Même du point de vue des services de relations publiques de l’armée canadienne, le battage médiatique autour de la mince participation américaine au raid de Dieppe a tout gâché. L’Admiral Mountbatten, clairvoyant, avait compris que la médiatisation des Américains serait plus profitable que celle des Canadiens, et les employés américains des services de relations publiques attachés à son quartier général pour l’opération de Dieppe étaient plus nombreux que les Canadiens. Cela étant dit, quand la liste des soldats tombés est devenue publique — un journal a été obligé de publier l’interminable liste sur trois jours — la participation du Canada au raid de Dieppe a été reconnue. Elle restera l’une des opérations canadiennes les plus controversées de la guerre.

Heureusement pour lui, l’Admiral Mountbatten n’a pas été blâmé, ou du moins, n’a pas été blâmé au point de voir sa carrière en souffrir. Pour être certain de conserver sa notoriété intacte pour la postérité, il a fait pression sur Winston Churchill qui a été assez complaisant pour modifier ses mémoires de sorte que rien de trop compromettant n’y figure. Un compte rendu exhaustif de ce remaniement de l’histoire est présenté dans l’admirable livre de David Reynolds, In Command of History: Churchill Fighting and Writing the Second World War (2004), ouvrage qui ne figure malheureusement pas dans la bibliographie de Timothy Balzer. À dire vrai, le Canada n’aurait pas dû s’attendre à un meilleur traitement. Au sein de la grande Alliance, les plus petites puissances devaient garder un profil bas et se faire (relativement) discrètes.

Le livre de Timothy Balzer est particulièrement intéressant, une remarquable étude théorique qui mérite un vaste lectorat. Il s’agit du 21e ouvrage de l’excellente série du Musée canadien de la guerre intitulé Studies in Canadian Military History.

Jack Granatstein, OC, Ph.D., un des historiens les plus réputés du Canada, a écrit Canada’s Army: Waging War and Keeping the Peace (2e édition, 2011).