CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de livre – Between Peace and War

Couverture de livre – Between Peace and War

Between Peace and War: British Defence and the Royal United Services Institute 1831-2010

par Damian P. O'Connor
London: Royal United Services Institute for Defence and Security Studies, 2011
333 pages, £19.50
ISBN: 0-85516-173-6

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Critique de Gabriel Sauvé

Après avoir écrit une thèse sur la question de l’Imperial Defence pendant la seconde moitié du 19e siècle, Damian O’Connor se penche maintenant sur une institution qui exerça dans ce débat une influence capitale. Le Royal United Service Institute (RUSI), par ses conférences et par sa prestigieuse revue, le RUSI Journal, fournit une plateforme idéale aux débats touchant toutes les sphères du monde militaire. Le recours aux archives de l’institution permet à O'Connor d’établir, de façon convaincante, un lien entre  la petite histoire du RUSI et sa production intellectuelle ainsi qu’avec la grande histoire politique et militaire des deux derniers siècles. Sont ainsi démontrées l’influence et la pertinence de l’institution, de sa fondation à aujourd’hui. Le récit des hauts et des bas institutionnels, financiers et immobiliers du RUSI permet à O'Connor de présenter de manière imagée et captivante des époques à travers lesquelles le lecteur constate l’existence et la vitalité, à long terme, d’une organisation dont l’objectif sans cesse renouvelé est de démontrer le sérieux avec lequel la défense doit être envisagée. Dans ce récit, O'Connor identifie la complaisance des politiciens, les illusions des idéalistes et la parcimonie de la trésorerie comme les ennemis les plus puissants et les plus durables à la sécurité de la Grande‑Bretagne.

Fondé en 1831 par le vainqueur de Waterloo, le Duc de Wellington, le RUSI devait participer à intéresser les officiers à leur métier et les sortir de l’oisiveté, des objectifs atteints, en partie, en acquérant la réputation d’être le seul endroit où un jeune officier pouvait questionner un supérieur et en devenant rapidement un point de contact entre militaires, scientifiques et politiciens. Pour O'Connor, c’est précisément dans la capacité à favoriser, mais aussi à orienter les échanges que l’influence de l’institution se fit toujours sentir. Les représentants du RUSI découvrent également en l’opinion publique un levier supplémentaire permettant d’influer sur les décisions. De manière assez originale, en plus de s’exprimer publiquement dans les journaux et au Parlement, des membres du personnel de l’institution commanditèrent, plus ou moins clairement, la publication de récits de fiction. Ces derniers, écrits par des gens informés et crédibles, étaient destinés à sensibiliser la population, les politiciens et les fonctionnaires en exposant les menaces réelles guettant la nation et face auxquelles les forces armées étaient insuffisamment financées, équipées ou préparées. The Battle of Dorking (1871) et Third World War: August 1985 (1978) sont des exemples de cette tradition littéraire atypique.

Pour l’auteur, c’est la lutte pour un financement adéquat des forces armées qui caractérise le mieux l’engagement de l’institution au cours de ses 180 ans d’existence. La tendance britannique et libérale à vouloir jouir des fruits de la paix, jumelée à une fausse impression de sécurité liée au caractère insulaire du pays, maintint régulièrement les budgets militaires en deçà du niveau minimum. Loin de rechercher l’accroissement infini des crédits, O'Connor démontre que le RUSI n’eut de cesse dans cette lutte de faire et refaire l’analyse de l’accord des moyens aux fins. Conséquemment, la totale inadéquation des moyens militaires britanniques par rapport aux objectifs politiques fixés par les dirigeants et le rôle que la Grande-Bretagne se proposait de jouer dans le monde fut dénoncée par le RUSI durant l’essentiel des deux derniers siècles. Demeurant dans cet exercice le plus près possible de la réalité, l’institution a analysé l’emploi des forces armées britanniques en tenant compte du déclin de la Grande-Bretagne impériale et de la décolonisation.

Réaliste dans la formulation de sa pensée militaire, l’institution est également dépeinte par O'Connor comme étant imperméable aux idéologies. L’impérialisme comme fin en-soi et le prétorianisme du 19e siècle n’ont pas plus trouvé de défenseurs au sein de cette institution que le fascisme, le communisme ou l’idéalisme entourant la Société des Nations dans les années 1920 et 1930, l’unique but de l’organisation demeurant d’assurer la défense de la Grande-Bretagne et de ses valeurs démocratiques. Malgré la posture défensive, réfléchir sur l’usage des armes dans un régime libéral, de l’ère de l’Open Diplomacy à aujourd’hui, nécessite de rappeler constamment, à des mémoires collectives faillibles, le rôle essentiel de rempart de la démocratie que remplissent les forces armées. O’Connor s’acquitte de cette nécessité en usant – à plusieurs reprises – des propos du Colonel John Ward, tenus en 1921 : « We shall never be such a society of Angel that we can do without the hangman and the prison… because there are always a certain number of lunatics who think they are sane. » (p. 146) Une remarque qui n’a certainement pas été invalidée par la Seconde Guerre mondiale et qui conserve son entière pertinence aujourd’hui. Pour le RUSI, à l’envers de l’esprit du temps, le corollaire fut – et demeura – si vis pacem, para bellum.

Il reste néanmoins que cet ouvrage, publié par le RUSI, est clairement écrit par un inconditionnel de l’institution. L’admiration d’O'Connor envers les individus qui y ont consacré leurs énergies, sa tendance à mettre en exergue les succès du RUSI et à justifier par des causes externes chacun de ses manquements peuvent parfois agacer le lecteur. Par exemple, bien qu’O'Connor en fasse mention, l’incapacité de l’institution à développer une doctrine de la guerre mécanisée dans les années 1920 et 1930 est ainsi justifiée par la piètre qualité des blindés disponibles en Angleterre et le sous-financement de la recherche. Des raisons nettement insuffisantes pour expliquer les faiblesses d’une réflexion militaire qui aurait justement pu compenser en partie ces carences.

Permettant de mettre en perspective la source exceptionnelle que constitue le RUSI Journal, Between Peace and War: British Defence and the Royal United Services Institutes 1831-2010 est un livre essentiel pour tout chercheur se proposant d’étudier sérieusement la pensée militaire britannique ou occidentale des deux derniers siècles. Plus généralement, l’ouvrage d’O'Connor démontre l’importance de la recherche indépendante sur les questions de sécurité en plus de nourrir la compréhension des modes sur lesquels s’exprime l’influence d’un cercle de réflexion de cette envergure.

Gabriel Sauvé est candidat au doctorat en histoire à l’Université d’Ottawa. Il se spécialise dans l’histoire de la pensée navale à la fin du 19e siècle.