Formation linguistique

Quartier général de l’OTAN, à Bruxelles, sous la neige, le 2 décembre 2010.

Photo de l’OTAN, 62582

Quartier général de l’OTAN, à Bruxelles, sous la neige, le 2 décembre 2010.

Langue et interopÉrabilitÉ À l’OTAN : Le Bureau de coordination linguistique internationale (BCLI)

par Rick Monaghan

Richard D. Monaghan Ph. D. est l’Officier supérieur d’état-major – Planification et politiques sur la langue à l’Académie canadienne de la Défense, à Kingston. Il préside le Bureau de coordination linguistique internationale (BCLI) et possède une vaste expérience en enseignement des langues et en évaluation des compétences linguistiques à titre d’enseignant aux niveaux collégial et universitaire, de gestionnaire et d’administrateur.

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Introduction

L’organisation d’opérations dans un contexte multinational est une tâche très complexe. L’expérience de la Libye a souligné certains des problèmes les plus évidents, par exemple la coordination des chaînes d’approvisionnement, la compatibilité des systèmes de ravitaillement en carburant et la cohérence de la recherche et de la communication du renseignement. Les obstacles à une interopérabilité efficace sont toutefois présents au sein de l’OTAN depuis le début. En théorie, les communications devraient être homogènes et les systèmes, tant le matériel que les logiciels, devraient tous être compatibles. Au cours des opérations, les interruptions et les brèches en apparence non pertinentes deviennent toutefois des menaces tant pour la sécurité interne que pour celle des non-combattants. Au niveau élémentaire de la langue, il est fondamental d’établir et de maintenir un système commun de communication. Après plus d’un demi-siècle d’existence, et étant donné les nouvelles adhésions et affiliations à l’Alliance, l’OTAN se débat toujours avec la question de la langue proprement dite. Ce n’est pas surprenant, puisque la langue est le plus complexe des traits humains, mais des années d’efforts et d’engagements coordonnés ont généré des progrès constants et des résultats de plus en plus positifs.

Les exercices multinationaux des années 1950 ont mis les normes linguistiques à l’avant-plan. L’OTAN a commencé à faire étalage de sa force dans une série d’exercices internationaux afin de démontrer sa capacité de réagir à une agression soviétique dans le nord-ouest et le sud-est de l’Europe. L’exercice Rainbow (1950) réunissait les États-Unis, le Royaume-Uni et la France et a été suivi de l’exercice Holdfast (1952), auquel prenaient part le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, le Canada, la France et les États-Unis. L’exercice Mainbrace (1952), conçu par Eisenhower, a révélé des lacunes importantes dans la langue commune du commandement et a permis de constater la nécessité de normes concernant le tir au canon, le ravitaillement en carburant et le ravitaillement en mer. En 1957, dans le cadre de l’exercice Strike Back, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la France, les Pays-Bas et la Norvège ont réalisé une série ambitieusement massive d’exercices et de simulations répartis sur un arc de 8 000 kilomètres, du nord de la Norvège au sud-ouest de la Turquie. Cet exercice naval réunissait 200 navires, plus de 600 aéronefs et 75 000 personnes dans l’Atlantique Nord. L’exercice Deep Water a vu débarquer 10 000 fusiliers marins américains à Gallipoli et l’exercice Counter Punch consistait en opérations aériennes et opérations de défense aérienne en Europe centrale. Les forces de l’OTAN ont réalisé des douzaines d’exercices au cours cette décennie. À cette époque, l’enjeu était grand. Les antagonistes étaient tous les deux dotés d’une capacité nucléaire, d’autres pays étaient à mettre au point cette capacité et la guerre idéologique éclatait alors dans les conflits distincts de la Corée et de l’Asie du Sud-Est, tandis que les deux superpuissances manœuvraient afin de faire sentir leur puissance et leur influence au Moyen-Orient et en Afrique. Les exercices internationaux concertés et interarmées étaient considérés comme une préparation en vue des opérations inévitables qui s’annonçaient dans un avenir incertain et les enseignements tirés de ces exercices ont entraîné l’élaboration rigoureuse de normes dans tous les aspects des engagements et de la collaboration militaires.

Les exercices en question se poursuivent de nos jours; la cadence n’a pas diminué, mais un plus grand nombre d’entre eux se font maintenant de façon virtuelle et exigent des stratégies et des habiletés différentes en matière de communication. Si la menace provenant d’États stables a considérablement diminué, les opérations de l’OTAN exigent toujours un niveau élevé d’engagement à l’égard de la normalisation du matériel, de l’équipement, des structures de commandement, de communications rapides et précises et de programmes collaboratifs de formation et d’éducation. Les forces de l’OTAN contribuent de manière substantielle aux opérations de l’ONU et la KFOR, la FIAS et l’opération Unified Protector sont des rappels quotidiens du rythme des opérations de l’OTAN elle-même.

En 2012, l’avenir de l’OTAN représente un défi aussi grand qu’il l’a été pendant des décennies. Les budgets dedéfense ont diminué énormément et continuent de le faire en Europe et en Amérique du Nord. En 2011, l’ancien secrétaire à la Défense des États-Unis, Robert Gates, a demandé aux partenaires européens un engagement nettement accru concernant leur propre défense.

En ce qui concerne l’avenir, les pays membres doivent, pour éviter la très réelle possibilité de la perte de toute pertinence collective sur le plan militaire, examiner de nouvelles manières d’accroître les capacités de combat dans les domaines de l’acquisition, de la formation, de la logistique et du maintien en puissance. S’il est clair que les membres de l’OTAN devraient davantage mettre les ressources militaires en commun, ces initiatives de « défense intelligente » ne sont pas une panacée. En dernière analyse, les pays se doivent de fournir les ressources nécessaires pour disposer de la capacité militaire dont l’Alliance a besoin lorsqu’elle fait face à un défi en matière de sécurité. En fin de compte, les pays doivent assumer la responsabilité de leur juste part de la défense commune1 » [TCO].

Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, le 20 octobre 2012.

Photo de l’OTAN, photo_90663

Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, le 20 octobre 2012.

Durant l’été de 2011, le Secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a rappelé à la communauté internationale le besoin constant d’être prête à faire face à des influences déstabilisatrices et le Sommet de Chicago de mai 2012 a accentué le besoin immédiat de passer à la défense intelligente2. Il est particulièrement intéressant pour les centaines de gestionnaires et d’éducateurs qui s’occupent d’éducation et de formation linguistiques au sein de l’Alliance et voient leurs efforts concertés menacés par des compressions budgétaires, de constater que le Sommet de Chicago a parlé expressément d’une expansion de la formation et de l’entraînement : « Nous développerons la formation et l’entraînement de nos personnels militaires, en complément des efforts essentiels que déploient déjà les pays dans ce domaine3 ».

En 2013, le Commandant suprême allié Transformation (SACT) de l’Alliance devrait avoir assumé la responsabilité de la totalité de la formation et de l’éducation au sein de l’OTAN4.

La normalisation de la formation linguistique, de l’éducation et des évaluations, d’une part, et des profils linguistiques normalisés précis dans les unités de l’OTAN, d’autre part, font partie intégrante d’une interopérabilité accrue. Le modeste Bureau de coordination linguistique internationale (BCLI), qui est mal connu, joue à cet égard le rôle clé. Ce bref historique du BCLI examine les premières années et les efforts faits pour établir des normes linguistiques, l’expansion du BCLI après l’effondrement du mur de Berlin et les défis auxquels l’organisation fera face au cours de la prochaine décennie.

Les Berlinois sont en liesse tandis que des Allemands de l’Est traversent le mur partiellement démantelé de Berlin à la place Potsdamer, le 12 novembre 1989.

La Presse Canadienne, AP, 2559951, par Lionel Cironneau

Les Berlinois sont en liesse tandis que des Allemands de l’Est traversent le mur partiellement démantelé de Berlin à la place Potsdamer, le 12 novembre 1989.

 

Le BCLI est une association de représentants de pays et d’organes de l’OTAN qui coordonne la politique, les programmes, les normes, la gestion et l’évaluation linguistiques au sein de l’Alliance. Depuis sa mise sur pied, il y a près d’un demi-siècle, il partage activement les meilleures pratiques en matière d’éducation et de formation linguistiques entre ses membres et conseille l’OTAN sur les moyens de normaliser les pratiques linguistiques afin d’améliorer l’efficacité et l’efficience des opérations et du travail d’état-major. Le BCLI a, de 1978 à 2011, été associé au Sous-groupe des services interalliés (JSSG) de l’OTAN, mais la réorganisation du NATO Training Group (NTG), en 2011, a mis un terme à cet arrangement. Le BCLI est maintenant un organe consultatif attaché directement au Directeur de la formation et de l’entraînement des forces interarmées au quartier général du SACT à Norfolk, en Virginie.

Les premières années du BCLI

Les questions linguistiques constituaient le moindre des problèmes des membres de l’alliance embryonnaire de l’OTAN dans l’Europe des années qui ont suivi la guerre – Pont aérien de Berlin, de juin 1948 à mai 1949.

La Presse canadienne, collection Everett, 7835408

Les questions linguistiques constituaient le moindre des problèmes des membres de l’alliance embryonnaire de l’OTAN dans l’Europe des années qui ont suivi la guerre – Pont aérien de Berlin, de juin 1948 à mai 1949.

Eltham Palace est juste au sud de Greenwich, le long de la route qui va de Londres au Kent. De 1944 à 1992, il a été occupé par des unités de formation de l’Armée britannique. La note de service 15/06/7 du ministère britannique de la Défense (MoD) du 26 juillet 1966 fait de l’Institute of Army Education le siège du secrétariat d’un nouvel organe consultatif linguistique constitué de membres de l’OTAN. La formation du Bureau de coordination linguistique internationale (BCLI) à titre « … [d’]organe international qui s’emploie à favoriser les intérêts communs en matière de formation linguistique » a été une réaction à un besoin, reconnu plusieurs années plus tôt, de coordination des efforts. Le nom lui-même a été proposé à l’occasion d’une conférence antérieure tenue à Mannheim, en Allemagne, « … après une discussion privée multilatérale, parce qu’il constitue une appellation explicite neutre associée à une abréviation facile à se rappeler et à prononcer5 » [TCO]. Je soupçonne que le nom a été inventé au fil de plusieurs consommations et que l’acronyme proposé a au début, avec son homonyme anglais peu rassurant, provoqué des éclats de rire arrosés de bière, mais le nom et l’organisation ont néanmoins résisté à l’épreuve du temps.

Eltham Palace a hébergé le BCLI de 1967 à 1973. De 1962 à 1966, le Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe (SHAPE) a reconnu la nécessité de l’entraide en matière de formation linguistique. Le nombre des professeurs de langues et des gestionnaires est très faible par rapport aux ressources de défense nationales et la conception et les changements de conception constants du matériel d’apprentissage linguistique et des méthodes d’enseignement et d’apprentissage et même la connaissance de concepts en évolution rapide de ce qu’est la langue et de la manière dont on l’apprend exigent plus de ressources que ce que n’importe quel pays seul peut soutenir. La collaboration a élargi les compétences et l’expérience et a réduit le chevauchement des efforts de même que le coût des travaux de recherche et développement. Les United States Air Forces in Europe (USAFE) et le SHAPE ont tenu en 1962, en 1963 et en 1964 des conférences qui mettaient l’accent sur la formation linguistique et deux autres conférences ont eu lieu en 1965 et en 1966 à Eltham Palace. Les délégués présents à la conférence de 1966 ont convenu de mettre sur pied au sein de la communauté de l’OTAN un organe officiel chargé de coordonner les efforts de formation linguistique militaire. Le SHAPE était aux yeux de certains le parrain idéal d’un organe consultatif en matière de formation linguistique, mais le ministère de la Défense du Royaume-Uni est intervenu quand le SHAPE a rechigné devant le fardeau additionnel imposé à ses ressources limitées6. Le nouvel organe avait pour responsabilités de publier un bulletin annuel, de convoquer une conférence annuelle et d’encourager les membres à s’échanger des rapports sur les travaux de recherche et développement portant sur la formation linguistique et la gestion. Le BCLI7 contemporain respecte toujours cette intention fondamentale.

Cinq pays ont accepté de participer à ce projet8 en 1966 et ils ont vite été suivis de trois autres en 19679. Les deux premières conférences du BCLI ont eu lieu à Eltham Palace en janvier et décembre 1967. En 1981, le secrétariat du BCLI a déménagé du Royaume-Uni en Allemagne. Les membres actuels, excluant les pays qui ont le statut d’observateur et les organes de l’OTAN, et l’année de leur adhésion sont les suivants.

  • 1966 : Les membres fondateurs sont la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis.
  • 1967 : Belgique, Canada, Pays-Bas
  • 1975 : SHAPE et EMI/OTAN (membres sans voix délibérative)
  • 1978 : Portugal
  • 1983 : Turquie
  • 1984 : Danemark et Grèce
  • 1985 : Espagne
  • 1993 : Norvège 

Les années 1960 ont vu émerger une nouvelle Europe, parallèlement à la guerre froide, au blocus de Berlin, à l’invasion de la Tchécoslovaquie, au démantèlement de l’Empire et à la prolifération nucléaire. La crise des missiles de Cuba a concentré l’attention sur l’Atlantique Nord dans son ensemble et l’importance de l’interopérabilité des forces est devenue davantage qu’un sujet de discussion. Il est devenu urgent que les établissements d’instruction s’attaquent à la facilité de s’exprimer dans les langues des amis et des ennemis, à savoir l’anglais, le français, l’allemand et le russe. Ainsi que l’a déclaré un délégué britannique, « … la réputation voulant que les Britanniques crient plus fort pour aider l’étranger à comprendre, qui avait si étonnamment été efficace dans le passé, a tout à coup semblé soulever des problèmes10 » [TCO]. Des enseignements ont été tirés des exercices interarmées massifs au cours des années 1950 et le passage d’une éducation systématique en syntaxe et en morphologie à l’utilisation concrète d’un langage opérationnel commun était en cours. Les établissements d’instruction ont été dans une certaine mesure soulagés quand, lorsque les Français ont quitté les structures militaires de l’OTAN en 1966, la langue utilisée en vue de l’entraînement au cours des exercices et durant les opérations est par défaut devenue l’anglais11. Il est certain que l’OTAN de cette époque était différente de celle qui existe maintenant.

Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe (SHAPE), à Casteau, en Belgique.

Courtoisie de la section d’Imagerie, Bureau des affaires publiques (les Forces canadiennes en Europe)

Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe (SHAPE), à Casteau, en Belgique.

Les responsabilités du BCLI étaient dès le début simples : publier le Bulletin du BCLI afin de diffuser de l’ « information sur l’évolution du domaine de la formation linguistique12 » [TCO] et organiser une conférence annuelle. Chaque pays devait remettre un rapport périodique sur son organisation de formation linguistique, ses techniques d’instruction et sa production de matériel d’apprentissage linguistique.

Les premières années du Bulletin du BCLI sont révélatrices. Reflétant le contexte de l’OTAN de cette période, les textes étaient présentés en français ou en anglais et accompagnés d’un paragraphe résumant le tout dans l’autre langue. Les sujets étaient en grande partie de nature universitaire. Quand on lit les rapports, on a l’impression d’avoir affaire à un séminaire universitaire de deuxième cycle. Les grands thèmes de la première quinzaine d’années étaient la formation et le perfectionnement des instructeurs, les approches systémiques à l’entraînement, les niveaux de compétence et l’établissement des normes, la caractérisation de l’apprenant et l’intégration de la technologie13. Les sujets et les thèmes montrent la lutte menée pour obtenir une certaine forme de norme en matière de formation linguistique et d’accréditation, ce qui était une tâche décourageante dans les pays eux-mêmes et encore plus difficile dans l’ensemble des pays et les organes de l’OTAN. La toute première conférence, en janvier 1967, portait sur sept rapports nationaux. Le rapport de la France était, naturellement, en français, tout comme l’était la portion civile du rapport du Canada. Le rapport sur les pratiques et objectifs des Forces canadiennes (FC) était en pratique en anglais. Comme on peut s’y attendre, chaque pays appliquait ses propres normes et chacun utilisait un matériel d’apprentissage différent (manuels, cahiers d’exercices, bandes sonores et documents de cours), mais les méthodologies étaient semblables. Celles-ci consistaient à ce moment-là en une instruction centrée sur l’enseignant, complétée par du travail dans un laboratoire de langues, ou approche audio-orale et audiovisuelle. Le Canada, qui s’adaptait alors à la toute nouvelle politique de bilinguisme du gouvernement fédéral, était l’exception en ce sens qu’il était en train d’adapter du matériel d’apprentissage et des méthodologies importés. Il avait acheté du matériel d’apprentissage français, Voix et image de France (VIF, ou méthode de Saint-Cloud), et transformait le matériel en question pour l’utiliser dans les laboratoires de langues tout en étudiant une autre méthodologie mise au point au Canada (Langue française internationale, ou LFI) et un éventail d’autres types de matériel, dont aucun ne parvenait seul à satisfaire tout à fait les besoins de sa clientèle14. Au Canada, le matériel en anglais et les méthodes d’enseignement associées à celui-ci avaient été achetés de Harvard15. Les établissements d’instruction britanniques utilisaient leurs propres manuels rudimentaires (recueils de locutions conçus par l’Armée britannique du Rhin), les Français avaient élaboré un bon programme d’études (le VIF) et les Américains étaient « en avance sur tout le monde » en élaborant des normes d’évaluation ainsi que du matériel d’apprentissage. En 1966, l’English Language School avait été absorbée par le Defence Language Institute et avait produit quelque 50 textes de la série The American Language complétés par quelque six cents bandes sonores16. L’expérience américaine en matière d’évaluation, qui relevait d’une autre branche du gouvernement des États-Unis, a éclairé les normes linguistiques de l’OTAN proposées par le BCLI au cours de la décennie de 1966 à 1976. Nous en sommes aujourd’hui à la quatrième version du STANAG 6001, Niveaux de compétence linguistique.

Le Bulletin du BCLI était préparé à Eltham Palace mais publié par l’Übersetzerdienst der Bundeswehr à Mannheim, et par la suite, par le Bundessprachenampt. Cette collaboration sans heurts entre des autorités nationales et au sein de celles-ci est une caractéristique du BCLI. Les manuels volumineux ont ces dernières années été remplacés au début par des disques compacts et maintenant par des clés USB, mais ils sont presque tous disponibles en ligne sur le site Web du BCLI17. Le changement de technologie a aussi entraîné la disparition temporaire du Bulletin du BCLI. C’estmaintenant une publication savante annuelle et le rapport annuel est en train de devenir une base de données des possibilités de formation et d’éducation linguistiques de l’Alliance.

Le Bulletin fait la chronique des progrès touchant la méthodologie et l’élaboration du matériel d’apprentissage. Le passage de l’approche audio-orale (caractérisée par un grand nombre d’exercices) à l’approche communicative (axée sur de nombreux échanges collaboratifs) a été graduel, mais cette dernière, complétée en ce qui concerne la langue écrite par une éducation systématique traditionnelle, estmaintenant courante dans la plupart des centres militaires d’éducation et de formation linguistiques de l’OTAN. Chaque nouvelle technologie d’apprentissage conteste la méthodologie courante et lance une nouvelle itération de conception et d’adoption de programmes. Le travail actuellement en cours au Defense Language Institute Foreign Language Center de Monterey, en Californie, réduit la durée de l’instruction grâce à de nouvelles techniques d’apprentissage et à une gestion plus efficace des programmes, ce qui améliore le taux de persévérance et améliore le maintien des compétences acquises. Le Canada mène des recherches sur l’utilisation d’environnements virtuels pour encourager l’apprentissage et favoriser le maintien des compétences. D’autres établissements d’éducation et d’instruction vont s’approprier les enseignements du US Defense Foreign Language Center (DLIFLC) et d’autres établissements militaires à mesure qu’ils élaborent leurs propres réponses aux exigences et aux attentes linguistiques nationales et internationales.

Le palais d’Eltham

Photothèque du patrimoine anglais (English Heritage Photo Library), image numéro 5136379, par Damian Grady

Le palais d’Eltham

L’expansion réalisée à partir de 1989

Le démantèlement du Pacte de Varsovie a marqué le début d’une série de demandes d’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne (EU). Les critères d’adhésion à l’OTAN ont un caractère officiel et strict et ils incluent l’élaboration de programmes d’enseignement et d’évaluation de l’anglais en vue des opérations internationales et du travail d’état-major. En raison du lancement des programmes du Partenariat pour la paix (PPP) et des accords et initiatives qui ont suivi, le nombre des membres actifs du BCLI a doublé en relativement peu de temps. Les nouveaux pays de l’OTAN sont devenus des membres à part entière dès qu’ils l’ont pu, mais ils avaient commencé à collaborer bien plus tôt avec le BCLI. Douze pays se sont joints à l’OTAN depuis 1999.

  • 1999 – République tchèque, Hongrie, Pologne
  • 2004 – Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie
  • 2009 – Albanie, Croatie

Cherchant à normaliser les façons de faire, le BCLI a lancé en 1994, à l’intention des pays de l’OTAN et du PPP, des séminaires professionnels portant sur des thèmes tels que La coopération en formation linguistique, en particulier pour ce qui est des contrôles et de la vérification de la compétence; Conception de matériel linguistique militaire correspondant à un besoin particulier et enseignement des langues; Formation linguistique applicable aux opérations multinationales de soutien de la paix et tests; Gestion des programmes de langue; Approches axées sur la tâche en matière de langue pour les besoins opérationnels et tests axés sur le rendement; Les langues : la clé de l’interopérabilité et Au seuil d’une décennie de Partenariat pour la paix : enseignements tirés en matière de formation linguistique. Au Canada, lorsque la réduction des effectifs a eu lieu au milieu des années 1990, le Sous-ministre adjoint (Politiques) (SMA [Pol]) a vite absorbé la capacité excédentaire pour dispenser des programmes d’éducation et de formation linguistiques en anglais et, finalement, de formation des enseignants, aux pays du PPP. Depuis ce temps, nous avons vu environ 5 000 diplômés de ces programmes retourner dans leur pays ou occuper des postes sur la scène internationale.

Aux termes du mandat actuel (qui date de 2012 mais qui est actuellement en cours de révision), les pays du Partenariat pour la paix, les pays du dialogue méditerranéen, les pays de l’Initiative de coopération d’Istanbul, les partenaires mondiaux (en particulier l’Australie) et les organes de l’OTAN participent à titre d’observateurs et, même si leur contribution aux discussions du Comité directeur est la bienvenue, ils n’ont pas le droit de vote. Tous, toutefois, sont très actifs pour ce qui est de normaliser l’éducation linguistique, la formation et l’évaluation applicables à une compétence linguistique générale de même que pour des applications spécialisées et ils ont régulièrement remis des documents et fait des présentations à l’occasion de conférences, de séminaires professionnels et d’ateliers. Tous se préoccupent semblablement de la gouvernance et de la gestion des programmes de langues.

Linguistique 101

Le problème de l’évaluation de la compétence linguistique s’est manifesté tôt dans le Bulletin etil reste un défi. La question de l’évaluation linguistique est devenue urgente et difficile en raison de l’élargissement de l’OTAN et de l’addition de partenaires. Que faut-il mesurer, comment, pour quelle raison et qui doit s’en charger? Le lecteur pourrait ici profiter de quelques notions de base.

Les langues sont des moyens de communication complexes qui lient les collectivités. Une langue est une matrice de conventions qui s’établit au fil du temps. Une collectivité linguistique peut être très petite, comme c’est le cas de certaines langues des Premières Nations en Amérique du Nord ou d’autres parties du monde qui sont en train de disparaître, ou massive, comme la communauté de langue anglaise, qui semble croître chaque jour. Les langues sont le mode d’expression unique des collectivités et des cultures, mais elles présentent des caractéristiques générales. Avant tout, la langue est parlée ou exprimée en signes. L’écriture est une innovation technologique qui essaie de figer l’expression pour en faire un objet. (Si vous ne considérez pas l’écriture ou la lecture comme une innovation technologique, essayez d’écrire quelque chose sans un instrument d’un genre ou d’un autre.) La langue parlée consiste en phonèmes, c’est-à-dire en conventions de sons que les autres membres de la collectivité comprennent, qui résultent du passage de l’air dans la gorge, la bouche et les voies nasales et que les muscles et les os arrêtent ou modifient, ce que l’on appelle les points d’articulation (la langue, les dents, les cordes vocales, le palais dur et le palais mou et la glotte). Tout dépendant de l’endroit où vous êtes dans le monde, l’anglais compte quelque 45 phonèmes, dont 20 sont des voyelles. Songez à la différence entre la prononciation du mot route dans cette langue dans le centre du Canada et la prononciation du même mot dans le centre des États-Unis ou l’ensemble de l’Australie pour reconnaître qu’il existe un éventail de sons conventionnels associés au sens. Les phonèmes du français diffèrent des phonèmes de l’anglais; souvent, la personne d’expression anglaise a du mal à percevoir les distinctions entre les sons qu’une personne d’expression française reconnaît sur-le-champ (et elle ne peut donc pas les reproduire). En ce qui concerne le finnois, la longueur du son de la voyelle du milieu différencie deux sens très différents du mot thule (feu et glace); la plupart des personnes d’expression anglaise ne peuvent même pas percevoir cette distinction parce qu’elles n’y sont pas habituées. Les morphèmes sont les plus petites unités de la parole et ils changent (se modifient) intérieurement ou par l’addition ou la suppression d’infixes, de préfixes et de suffixes pour indiquer le nombre, le genre, le temps, la voix, les états d’âme ou la fonction quand le locuteur parle. Les morphèmes [s], [x] ou [z] ajoutés aux mots du français, et d’autres, indiquent ordinairement le pluriel d’un nom ou la deuxième personne du pluriel d’un verbe. La syntaxe d’une langue est la disposition des éléments d’une manière qui leur permet d’avoir du sens. En anglais, les mots se suivent dans l’ordre établi pour exprimer la relation qui existe entre eux. Les déterminants précèdent ordinairement les mots qu’ils modifient et le syntagme nominal précède normalement le verbe dont il est le sujet. En français, l’ordre est à la fois semblable et différent en ce sens que, souvent, les déterminants suivent les mots qu’ils modifient au lieu de les précéder et que la place du verbe est moins rigide. Le lexique d’une langue est l’ensemble du vocabulaire auquel puisent les locuteurs. Il est possible qu’une collectivité qui cherche à se distinguer de la masse – comme des adolescents ou des sociologues – le définisse de façon très étroite ou qu’il comprenne une multitude d’expressions que la plupart des locuteurs comprennent. Un mot est souvent associé à d’autres mots ou concepts ou a un sens rituel qui devient une partie de la sémantique ou une dimension symbolique d’une langue. L’expression « le but de Henderson » a pour les Canadiens d’un certain âge un sens particulier qui échappe aux personnes d’expression anglaise qui sont d’une culture et d’un groupe d’âge différents. L’aspect tonique, c’est-à-dire les intonations d’une langue, qu’on appelle ordinairement « traits suprasegmentaux », modifie aussi le sens. Enfin, la langue est définie par sa graphie, qui est la représentation conventionnelle des sons ou des sens que les locuteurs connaissent et s’attendent à entendre. L’orthographe de l’anglais semble chaotique si l’on ne sait pas que l’imprimerie, qui a pour ainsi dire figé la convention de l’orthographe, est arrivée à Londres juste au moment où la prononciation des dialectes qui étaient reconnus comme de l’anglais subissait une autre transformation radicale. Ce qui reste, ce sont des formes figées telles que knight, brought ou dough qui défient la logique sauf si l’on comprend que l’ancienne orthographe représentait avec exactitude les sons des mots qu’entendaient les membres de la classe marchande de Londres du milieu à la fin du XVe siècle. La structure d’une langue est analysée par l’entremise de la phonologie, de la morphologie, de la syntaxe, de la sémantique, du lexique et de la graphie, mais l’utilisation l’est de nombreuses autres manières : la psycholinguistique (le vaste champ des analyses psychologiques et neurobiologiques de la manière dont la langue s’apprend et s’utilise) et la sociolinguistique (qui, en gros, analyse les effets que la langue a sur les distinctions sociales) sont les approches dominantes permettant de décoder les capacités langagières aux fins des évaluations, alors que les sciences cognitives et la gestion des politiques linguistiques éclairent la conception des programmes linguistiques et leur exécution. Cette excursion dans le domaine de la terminologie de l’analyse linguistique sert d’introduction au sujet de l’évaluation linguistique.

Évaluation

Le premier défi auquel ont fait face les membres du BCLI consistait à définir, à leur propre intention, ce que signifiait pour eux la notion de niveau de langue approprié aux besoins opérationnels18. Qu’est-ce qui était approprié, comment cela pouvait-il se définir et, ce qui est plus important, comment cela pouvait-il être mesuré avec exactitude et comme il se doit? Était-il possible d’appliquer les mêmes définitions à toutes les langues ou d’utiliser les mêmes outils de mesure? Dans le cas de la langue des opérations militaires, dans lesquelles la vie des combattants et des spectateurs est en jeu, quelle est la précision nécessaire pour que des cotes exactes et valables soient attribuées au personnel militaire affecté à une tâche? Quel est le coût réel d’une politique qui n’est pas claire et de directives mal formulées?

Durant les années 1960 et 1970, le Canada et les États-Unis se sont tous deux débattus avec des normes linguistiques et ont présenté des recommandations concrètes au BCLI. La fonction publique du Canada a été obligée de définir ce qui constituait une compétence adéquate en français et en anglais et de mettre au point des instruments d’évaluation fiables qui ont eu un effet immédiat sur les carrières et se prêtaient donc à une contestation judiciaire. Pendant ce temps, les États-Unis élaboraient des définitions de la compétence linguistique et des instruments d’évaluation applicables aux langues étrangères. Les deux pays ont fait pour le BCLI le travail de base qui est devenu la première édition du STANAG 6001 publiée en 1978. Martha Herzog, du DLIFLC, a enregistré au jour le jour le processus dans les actes de la conférence de 1999 du BCLI tenue au Pays-Bas19.

Les problèmes d’interprétation et d’application de la norme en question se manifestent toutefois une fois que la norme fixée. Les descripteurs de niveau qui constituent le STANAG 6001 sont des lignes directrices pour les unités nationales de formation linguistique et d’évaluation. Ils indiquent les composantes linguistiques (mentionnées plus tôt) qui sont en même temps les cibles de la formation et la base de référence de l’évaluation, mais ils le font dans le contexte de la communication. Dans le descripteur qui sert d’exemple plus bas, vous noterez qu’il n’existe pas de référence militaire précise. Le descripteur et les tests qui en découlent sont conçus de manière à indiquer le niveau général de compétence linguistique, c’est-à-dire l’aptitude à communiquer relativement à une large gamme de sujets dans différentes circonstances avec différents groupes. Il s’agit d’une série d’énoncés « dynamiques » qui indiquent non seulement ce qu’un étudiant peut faire mais aussi ce qu’il va probablement être capable de continuer à faire.

Il existe six niveaux de compétence :

  • niveau 0 – aucune compétence;
  • niveau 1 – niveau élémentaire;
  • niveau 2 – niveau fonctionnel;
  • niveau 3 – niveau professionnel;
  • niveau 4 – niveau expert;
  • niveau 5 – locuteur natif instruit.

Ces niveaux servent à indiquer les exigences en matière de formation linguistique et d’évaluation qui s’appliquent aux pays qui fournissent des contingents à des opérations de l’OTAN et à la dotation en personnel des quartiers généraux internationaux. Ils servent aussi à indiquer les normes linguistiques minimales que fixe l’état-major international de l’OTAN à l’intention des pays qui désirent contribuer à des opérations de l’OTAN ou s’engager à d’autres titres avec l’OTAN. Des équipes du BCLI sont régulièrement invitées à conseiller des pays sur la gestion et la conception des programmes de langues militaires afin de respecter les exigences linguistiques de l’OTAN que définit l’état-major international ou l’état-major militaire international (EMI).

Les niveaux s’appliquent à quatre aptitudes :

  • aptitude CP [L en anglais] compréhension de la langue parlée;
  • aptitude EO [S en anglais] expression orale;
  • aptitude CE [R en anglais] compréhension de la langue écrite;
  • aptitude EE [W en anglais] expression écrite.

Les résultats sont rapportés numériquement dans cet ordre. Un niveau 3232 indique donc que le titulaire a une compétence de niveau professionnel dans les catégories « compréhension de la langue parlée » et « compréhension de la langue écrite » (les habiletés réceptives) et une compétence de niveau fonctionnel dans les catégories « expression orale » et « expression écrite » (les habiletés actives).

L’extrait qui suit est le descripteur de niveau du STANAG 6001 correspondant à la catégorie « expression orale », qui est une des quatre aptitudes, au niveau de compétence professionnel (niveau 3).

Peut prendre efficacement part à la plupart des conversations formelles et informelles portant sur des sujets d’ordre pratique, social et professionnel. Peut discuter d’intérêts particuliers et de domaines spéciaux avec une facilité considérable. Peut utiliser la langue pour accomplir des tâches professionnelles communes telles que répliquer à des objections, éclaircir des points, justifier des décisions, répondre à des mises en question, soutenir un point de vue, présenter un énoncé et défendre une politique. Peut démontrer une compétence linguistique quand il dirige des réunions, donne des briefings ou présente d’autres monologues longs et compliqués, soulève une hypothèse et traite de sujets et de situations qu’il ne connaît pas bien. Peut de façon fiable demander aux locuteurs natifs des renseignements et une opinion informée. Peut communiquer des concepts abstraits dans des discussions portant sur des sujets tels que l’économie, la culture, la science, la technologie et la philosophie de même que sur son domaine professionnel. Prépare de longs exposés et communique le sens correctement et efficacement. L’utilisation de moyens structuraux est souple et minutieuse. Parle sans hésitation et d’une manière qui convient à la situation. Peut, sans chercher des mots ou des expressions, utiliser la langue clairement et de façon relativement naturelle pour donner librement des détails sur des concepts et rendre ses idées faciles à comprendre pour les locuteurs natifs. Peut ne pas comprendre pleinement certaines références culturelles, les proverbes et des allusions de même que les subtilités des nuances et des idiomes mais peut facilement se joindre de nouveau à la conversation. La prononciation peut être manifestement celle d’un étranger. Le locuteur peut commettre des erreurs dans les structures peu fréquentes ou très complexes caractéristiques d’un discours de style figé. Les erreurs occasionnelles de prononciation, de grammaire ou de vocabulaire ne sont toutefois pas assez graves pour déformer le sens et elles dérangent rarement le locuteur natif.

À ce niveau de compétence, on ne considère pas que la phonologie, la morphologie et la syntaxe conventionnelles sont de la plus haute importance. Ce descripteur pourrait judicieusement s’appliquer à la langue d’un grand nombre de locuteurs natifs compétents. Les aptitudes de niveau supérieur que sont l’organisation de la pensée et des arguments, la facilité d’expression et une large application du discours sont beaucoup plus importantes que la prononciation. Même si la présence d’un accent et des fautes occasionnelles (de phonologie et de morphologie et peut-être de syntaxe et de lexique) peuvent être apparents, le discours ne diminue pas la grande qualité de la confiance expressive (qui est une dimension psycholinguistique) et de la sensibilité culturelle (qui est une dimension sociolinguistique).

Comparez ce qui précède à un extrait correspondant à la catégorie « expression orale » au niveau élémentaire (niveau 1).

Peut ordinairement satisfaire des besoins simples, prévisibles et personnels et des besoins en locaux; respecter les normes minimales touchant la politesse et les manières de se présenter et de s’identifier; échanger des salutations; demander et fournir des renseignements personnels sommaires prévisibles; communiquer concernant des tâches courantes simples au travail; demander des biens, des services et de l’aide; demander de l’information et des précisions; exprimer sa satisfaction, son insatisfaction et une confirmation. Les sujets incluent les besoins élémentaires tels que commander un repas, obtenir un logement et un moyen de transport et acheter des biens. Les locuteurs natifs habitués à des locuteurs qui ne sont pas natifs doivent souvent, pour comprendre ce locuteur, faire un effort, lui demander de répéter et se servir de leur connaissance du monde réel.

À ce niveau, les faiblesses de la phonologie, de la morphologie, de la syntaxe, du lexique et de la sémantique conventionnels sont apparentes, tout comme l’est l’applicabilité psycholinguistique et sociolinguistique. La compétence est minimale.

On trouve entre les niveaux 1 et 3 les sous-niveaux 1+, 2 et 2+20. Les évaluateurs de l’interaction orale qui ont la formation voulue et de l’expérience peuvent distinguer ces niveaux avec une précision uniforme et ils le font régulièrement. En revanche, les résultats des évaluations faites par des évaluateurs qui n’ont pas la formation voulue ou d’expérience sont irréguliers et imprévisibles21.

La compréhension de la langue parlée, la compréhension de la langue écrite et l’expression écrite sont associées à des descripteurs de niveau parallèles. Lorsqu’ils sont combinés, le résultat global indique le niveau de compétence d’une personne. L’évaluation est faite à l’échelle nationale. Les pays séparent le plus possible le personnel enseignant du personnel chargé de l’évaluation pour éviter les « sauts arrière » associés à un test négatif, c’est-à-dire la pratique qui consiste à « enseigner en fonction du test ». Les pays affectent le personnel à l’état-major international ou à des opérations d’après les résultats de l’évaluation. Parfois, l’écart entre les résultats nationaux et la compétence linguistique requise laisse à désirer. Le Centre interarmées d’analyse et d’enseignements de l’OTAN à Naples, qui a en 2010 déterminé que l’aspect linguistique constitue une lacune majeure, a analysé en détail l’écart touchant l’efficacité en matière d’interopérabilité. Cette lacune inclut non seulement les personnes qui ne sont pas d’expression anglaise et qui utilisent l’anglais au cours des opérations, mais aussi l’utilisation persistante d’un anglais non normalisé par les locuteurs natifs dans un contexte international. Cette situation n’a pas changé de façon perceptible entre-temps. Une autre analyse faite en 2010 par des membres du BCLI a indiqué qu’une partie du problème réside dans les profils linguistiques normalisés erronés associés aux postes de l’OTAN. Comme les profils deviennent impossibles à atteindre, les pays font de leur mieux pour affecter des personnes qui sont à peine qualifiées et à la hausse des besoins correspond une hausse consécutive des profils dans une spirale grandissante des coûts réels.

Séminaire du Bureau de coordination linguistique internationale, tenu en 2011.

Courtoisie de l’auteur/OTAN

Séminaire du Bureau de coordination linguistique internationale, tenu en 2011.

Que fait-on pour encourager une interprétation et une application normalisées de la norme? Afin de satisfaire la demande touchant une évaluation normalisée dans une OTAN élargie, les évaluateurs apprennent dans une école centralisée à Garmisch Partenkirchen, en Allemagne, à appliquer les normes du STANAG 600122. Le séminaire d’évaluation linguistique est un séminaire d’une durée de deux semaines conçu par le BCLI, offert plusieurs fois par année, qui a pour but de faire acquérir une compétence dans l’élaboration et l’administration de tests de compétence linguistique conformément au STANAG 6001, 4e édition. Le séminaire de formation linguistique de niveau avancé est un cours d’une durée de trois semaines qui s’adresse aux évaluateurs chevronnés. Il porte sur la gestion des programmes et approfondit la raison d’être des évaluations et les méthodes d’évaluation.

Afin de mettre à la disposition des autorités locales des outils permettant de corriger la « dérive des évaluateurs » (le manque d’homogénéité) dans les différents pays, le BCLI a en 2003 lancé un projet appelé test de référence des capacités linguistiques23. Ce test, qui était au début une évaluation portant sur une aptitude unique permettant aux pays et aux organes de l’OTAN de comparer les résultats de leurs évaluations de la compréhension de la langue écrite à une norme objective, a été étendu grâce à des services (complétés par l’engagement du BCLI) assurés dans le cadre d’un contrat adjugé par le Commandement allié Transformation en vue de fournir des repères touchant les quatre habiletés linguistiques. Plusieurs pays l’ont utilisé pour aligner les résultats de leurs tests nationaux sur les normes du STANAG 6001.

Outre les séminaires professionnels, les séminaires d’évaluation linguistique et les séminaires de formation linguistique de niveau avancé, des pays voisins tiennent depuis 2009 des séminaires plus localisés pour s’attaquer à des préoccupations communes précises en matière d’évaluation et d’apprentissage. Le plus récent a eu lieu à Copenhague en septembre 2012, quand le ministère de la Défense du Danemark a été l’hôte d’ateliers sur l’offre d’occasions d’apprentissage permettant de perfectionner la compréhension de la langue parlée et d’évaluer les aptitudes en question. D’autres ont eu lieu dans les Balkans (à Zagreb et à Sarajevo) et dans la région de la Baltique (à Stockholm). Ces ateliers intensifs encouragent une compréhension et des procédures communes.

Le BCLI a sans cesse, tout au long de ses 50 années d’existence, atteint ses objectifs : tenir des réunions, publier des travaux de recherche et des rapports; encourager la collaboration multilatérale et bilatérale, et conseiller les membres (et maintenant les partenaires) sur la gestion et la gouvernance des programmes de langues. Le BCLI n’a pas de budget en propre, mais il compte sur le Commandement allié Transformation, l’état-major international et d’autres organes pour verser des subventions afin d’encourager la participation des pays du Partenariat pour la paix, du dialogue méditerranéen, de l’Initiative de coopération d’Istanbul et des autres pays intéressés. La conférence annuelle rassemble chaque printemps une centaine de professionnels de la langue de « plus de 20 » pays et organes de l’OTAN tels que le SHAPE et le Secrétariat international; différents pays en ont gracieusement été l’hôte et elle a été soutenue par des contributions nationales volontaires. La présence aux séminaires professionnels a été tout aussi bonne. L’inscription au séminaire d’évaluation linguistique et au séminaire de formation linguistique de niveau avancé se fait longtemps à l’avance et les séminaires locaux traitant de questions individuelles ont réussi à réunir des professionnels régionaux qui ne pourraient normalement pas assister aux activités de perfectionnement professionnel des rencontres internationales de plus grande envergure. Le BCLI continue de parrainer la norme de l’OTAN en matière de langue, soit le STANAG 6001, 4e édition, offre des occasions de formation régulière aux évaluateurs et aux concepteurs des outils d’évaluation, donne des conseils sur la conception des programmes, la gestion et la gouvernance par l’entremise de visites d’aide dans les pays qui en font la demande et assure la liaison en matière de langue auprès de l’état-major international à la demande de celui-ci et, de manière officielle, au Commandement allié Transformation. La collaboration entre les membres et les partenaires a permis l’élaboration, avec une rapidité sans précédent, de programmes efficaces en dari et en pachtou de même que l’élaboration et la distribution rapides de recueils de locutions de langues moins connues.

Le BCLI a dans les années 1980 été pour le Canada un groupe de rétroaction concernant l’élaboration de programmes de langues et le pays y adhère toujours résolument pour ce qui est de poursuivre le perfectionnement professionnel des évaluateurs et d’offrir un accès rapide à des ressources de formation, d’éducation et d’évaluation que nous ne pourrions pas nous permettre seuls, et il soutient la réputation d’intermédiaire impartial et d’expert du Canada dans un domaine, la langue, qui est très sensible et qui, ainsi que les Canadiens le savent de façon particulière, a un caractère très politique.

Le secrétariat du BCLI, qui en est le bras exécutif, est actuellement au Canada et dirigé par du personnel de l’Académie canadienne de la défense en soutien des énoncés de mission et de vision de l’ACD, à savoir « … mener le perfectionnement professionnel des Forces canadiennes, maintenir la profession des armes et être les champions de l’apprentissage continu afin d’assurer le succès opérationnel » et être « … un leader mondial dans les domaines du professionnalisme militaire, du leadership et perfectionnement professionnel, éléments essentiels aux opérations des Forces canadiennes ». Les trois secrétariats précédents étaient au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis. Deux secrétaires associés actuels des États-Unis (du secrétariat précédent) sont à Garmisch Partenkirchen au Partner Language Training Center Europe (PLTCE) du George Marshall Center. Ils sont responsables des visites d’aide et de la formation des évaluateurs24. Le secrétariat a au cours des cinq dernières années vu le BCLI passer de l’évaluation et de la salle de classe elle-même aux systèmes d’éducation en général. La passion et le professionnalisme des entités qui contribuent au BCLI sont une caractéristique de l’organisation. Au cours des prochaines années, le rôle du BCLI devrait prendre un caractère beaucoup plus stratégique et opérationnel. Le passage du Sous-groupe des services interalliés au Commandement allié Transformation exige une réaction beaucoup plus rapide que dans le passé, en particulier parce que celui-ci est maintenant en train de réorganiser la politique d’éducation linguistique afin de mieux refléter les principes de la défense intelligente. On ne peut guère faire autrement : les ressources se raréfient tandis que la demande croît, mais beaucoup de pays réalisent toujours des programmes centrés sur l’enseignant et sur le sujet qui sont peu économiques et de moins en moins pertinents pour les nouvelles générations d’apprenants. Une analyse des profils linguistiques normalisés au quartier général de l’OTAN, des tests de vérification en ligne des profils avant les affectations aux QG internationaux et la reconnaissance et l’annotation officielles des cours qui ont fait leurs preuves offrent certaines possibilités de modifications stratégiques ultérieures pour que le STANAG 6001, 4e édition, soit interprété et appliqué de façon homogène dans tous les pays et organes de l’OTAN. À elles seules, en encourageant un respect plus étroit des normes, ces mesures amélioreraient sur-le-champ l’interopérabilité. Même si le retrait graduel de l’Afghanistan semble être signe d’une accalmie dans les conflits internationaux pour l’OTAN, l’expérience nous a enseigné que les crises surviennent de façon inattendue dans des zones instables. L’interopérabilité n’est pas une notion périmée. Le BCLI va être étroitement mêlé à la recherche de solutions au problème constant des lacunes linguistiques associées à l’interopérabilité en faisant connaître les conseils d’un large éventail de professionnels de la langue travaillant en collaboration dans un environnement militaire et en nous communiquant les moyens d’offrir des occasions d’apprendre et de maintenir une compétence linguistique commune dans tous les pays. Le mandat original du BCLI, qui est d’informer et de conseiller, n’a jamais été aussi crucial.

Conférence du Bureau de coordination linguistique internationale tenue du 13 au 18 mai 2012, à Prague.

Courtoise de l’auteur/OTAN

Conférence du Bureau de coordination linguistique internationale tenue du 13 au 18 mai 2012, à Prague.


NOTES

  1. http://www.defence.gov/speeches/speech.aspx?speechid=1581. Consulté le 7 septembre 2012.

  2. « La défense intelligente est au cœur de cette nouvelle approche. La mise au point et le déploiement des capacités de défense sont d’abord et avant tout une responsabilité nationale. Il existe cependant, plus le coût de la technologie augmente et étant donné la pression à laquelle les budgets de défense sont soumis, des capacités essentielles que beaucoup d’alliés ne peuvent obtenir que s’ils collaborent pour les mettre au point et les acquérir. Nous accueillons donc favorablement les décisions des alliés de faire progresser des projets multinationaux précis, notamment des projets destinés à améliorer la protection de nos forces, la surveillance et la formation. Ces projets vont donner une efficacité opérationnelle accrue, des économies d’échelle et des liens plus étroits entre nos forces. Ils vont aussi être une source d’expérience pour d’autres projets de défense intelligente ultérieurs, mais la défense intelligente ne se limite pas à cela. Elle représente une nouvelle conception, l’occasion d’une culture de coopération renouvelée dans laquelle la collaboration multinationale prend une nouvelle importance à titre de choix efficace et efficient en vue de l’élaboration de capacités essentielles » [TCO]. Rasmussen, « NATO after Libya:  The Atlantic Alliance in Austere Times », dans Foreign Affairs. http://www.foreignaffairs.com/articles/67915/anders-fogh-rasmussen/nato-after-libya. Consulté le 25 septembre 2012.

  3.   http://www.nato.int/cps/en/SID-58057B2E-D9139A01/natolive/official_textes_87594.htm. Consulté le 31 mai 2012.

  4. Morton Svindall, « Education and Training: A Harmonized Landscape », dans Transformation, à http://www.act.nato.int/transformer-2012-01/the-transformer-issue-2012-01. Consulté le 3 octobre 2012.

  5. Damien Bedding, « The origins of BILC up to 1981 », demande « Pourquoi le BCLI? Je cite : “… a été proposé à l’occasion de la récente conférence sur la langue tenue à Mannheim parce qu’il constitue une appellation explicite neutre associée à une abréviation facile à se rappeler et à prononcer” » [TCO]. BB, 1999, p. 9 20.

  6. BB, 1973, p. 11.

  7. Le site Web du BCLI est en train de déménager de l’ACD au Commandement allié Transformation de l’OTAN. On peut trouver un lien à www.bilc.forces.gc.ca. Les énoncés de mission et de vision approuvés en 2010 équivalent aux intentions originales exprimées dans le document de 1966.

  8. Le Royaume-Uni, la République fédérale d’Allemagne, les États-Unis, la France et l’Italie.

  9. La Belgique, le Canada et les Pays-Bas. Le Canada avait annoncé son intention de s’y joindre en 1966, mais il l’a fait officiellement seulement à l’occasion de la conférence de janvier 1967 tenue à Eltham Palace.

  10. Damien Bedding, « The Origins of BILC up to 1981 », BB, 1999, p. 1.

  11. BB, 1999, p. 19. Le SHAPE a déménagé de Paris à Mons et le quartier général de l’OTAN a déménagé à Bruxelles.

  12. Bedding, Ibid.

  13. Voir le résumé de Cliff Rose dans BB, 1999, p. 25-33.

  14. « L’enseignement des langues dans la fonction publique du Canada », BB, 1967, p. 14 -15. « Malgré la valeur indéniable de ces deux méthodes, il est évident que, dans leur forme actuelle, ni VIF ni LFI ne répondent entièrement aux besoins de nos étudiants. C’est pourquoi une équipe de chercheurs et de spécialistes travaillent actuellement à combler les lacunes de ces méthodes.»  Manifestement, le financement n’était pas un problème.

  15. Ibid.

  16. BB, 1966, p. 53.

  17. Les dossiers ont été dispersés au fil des ans, mais Christopher Hüllen, Ph D, a numérisé les actes de la conférence de 1967 à 1999 et il les a donnés au secrétariat canadien pour qu’ils se retrouvent sur le site Web qui avait été transféré du DLIFLC à l’ACD en 2009. Il manque des éléments, mais ces lacunes sont en train d’être comblées à mesure que l’on retrouve des documents dans des dossiers poussiéreux et qu’on les numérise.

  18. Language Testing in Practice de Bachman et Palmer, publié par les Oxford University Press (2004), est une excellente introduction à l’évaluation linguistique.

  19. Herzog, « An Overview of the United States Government Language Proficiency Scale », BB, 1999, p. 89, à http://www.bilc.forces.gc.ca/conf/2010/BCLI%20Reports%20Archives/1999_BCLI%20Report.pdf

  20. Au sein du BCLI, et dans certaines parties de l’OTAN, la nécessité d’évaluer la compétence du niveau 4 est jugée trop complexe et trop peu souvent requise pour s’appliquer, mais les descripteurs des quatre aptitudes figurent dans le STANAG 6001, 4e édition. Un groupe d’étude du BCLI essaie de trouver une solution à ce dilemme.

  21. Julie Dubeau, An Exploratory Study of OPI Ratings across NATO Countries Using the NATO STANAG 6001 Scale, à http://www.bilc.forces.gc.ca/rp-pr/doc/OPIRaterSTUDY.pdf. Consulté le 8 novembre 2011.

  22. Le cours est décrit à http://www.bilc.forces.gc.ca/lt-el/index-eng.asp. Consulté le 8 novembre 2011.

  23. Le test est décrit plus en détail à http://www.bilc.forces.gc.ca/lt-el/index-eng.asp. Consulté le 8 novembre 2011.

  24. http://www.marshallcenter.org/mcpublicweb/en/nav-college/nav-col-pltce.html. Consulté le 25 septembre 2012.