CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de l’ouvrage « Au ‘Non’ de la Patrie : Les relations franco-québécoises pendant la Grande Guerre (1914-1919) » par Carl Pépin

Au Non de la Patrie : Les relations franco-québécoises pendant la Grande Guerre (1914-1919)

par Carl Pépin
Montréal : Fondation littéraire Fleur de Lys, 2013
434 pages, 29,95 $
ISBN : 978-2-89612-452-7

Imprimer PDF

Pour plus d'information sur comment accéder ce fichier, veuillez consulter notre page d'aide.

Critique de Michael Boire

Carl Pépin est un auteur aux multiples talents. En effet, sur sa page Web, il se dit conservateur de musée, guide sur les champs de bataille, conférencier, commentateur à la radio et à la télévision, auteur, chercheur, historien militaire et professeur tour à tour à l’Université de Montréal, à l’Université Laval et au Collège militaire royal de Saint-Jean. Dans ce premier livre officiel, Pépin a su mettre à profit cette expérience étonnamment diversifiée pour transformer sa thèse de doctorat accueillie favorablement en une remarquable monographie. Il a mené à bien cette tâche impressionnante, car ce livre réussit à la fois à informer et à divertir.

Le titre à lui seul exprime haut et fort la thèse qu’il défend. Ce jeu de mots subtil rappelle que les Québécois ont dit « non à la mère patrie » (la France) et il recèle un autre non, le « non » au Canada. Ce refus du Québec est la réponse à une campagne prolongée, mais inconstante, lancée par le gouvernement français pour inciter les Québécois à participer à l’effort de guerre. Gravement affaiblis par les pertes incommensurables subies pendant les premières années du conflit, les Français avaient compris que leur salut dépendait de la mobilisation complète de toutes les forces économiques et militaires de leurs alliés.

L’interprétation de Pépin repose sur une évaluation exhaustive et équilibrée d’un grand nombre de sources primaires. En fait, c’est là le principal atout du livre. L’intention de l’auteur est claire : combler une lacune substantielle dans les registres historiques du Québec. Pour ce faire, Pépin a rédigé six chapitres interreliés qui explorent les aspects commerciaux, politiques, sociaux, culturels et militaires des relations entre la France et le Québec durant la Grande Guerre. Outre une analyse rigoureusement méthodique qui suscite un grand nombre de nouvelles réflexions, Pépin tire quatre conclusions importantes qui contribuent à l’avancement de l’historiographie.

Premièrement, de 1870 à 1914, les Québécois acceptent graduellement la défaite des Français lors de la guerre franco-prussienne et la fondation de la IIIe République. L’importance d’un État laïque pour les Français est mal vue dans le Québec du début du siècle dont la population est principalement rurale, indéniablement de droite et entièrement dominée par la hiérarchie de l’Église catholique.

Deuxièmement, au tournant du XIXe siècle, les relations diplomatiques entre la France et le Québec sont tout juste rudimentaires. Cependant, les deux pays prennent part à de nombreux échanges culturels en organisant des conférences, des rencontres et des activités populaires. Ces échanges favorisent le renforcement des liens issus de la langue et de l’ascendance communes. Lorsque la guerre éclate en Europe, les Québécois ont l’impression, surtout les intellectuels, que ce conflit pourrait être une occasion d’améliorer les relations avec la mère patrie. D’où leur soutien, du moins initial, aux efforts de guerre du gouvernement du Québec. Effectivement, on s’apitoie grandement sur le triste sort des Français aux mains des Allemands. Lorsque les Français qui habitent au Québec retournent précipitamment en France pour s’enrôler à la fin de l’été 1914, un certain nombre de leurs cousins canadiens-français les accompagnent.

Troisièmement, les commerçants québécois (et canadiens) comprennent que la Grande Guerre est une occasion d’affaires exceptionnelle. De modeste avant la guerre, le commerce entre la France et le Québec (et le Canada) devient considérable, se chiffrant en centaines de millions de dollars au moment de l’Armistice en 1918. Il n’est guère surprenant qu’à mesure que le conflit s’éternise, le consensus des deux côtés de l’Atlantique favorise le renforcement à venir de ces liens commerciaux fragiles après la guerre. Malheureusement, ces souhaits sont restés lettre morte. Pendant la guerre, les relations entre le Québec, la France et le Canada sont fragilisées par les tensions et l’incompréhension attribuables en grande partie à un manque de communication et de coopération dans l’adjudication des lucratifs contrats de munitions au Québec et au Canada.

Quatrièmement, si la présence du 22e Bataillon (qui prendrait plus tard le nom de R22eR) et de l’hôpital militaire de campagne de l’Université Laval avait laissé croire aux Français que le Québec pourrait en venir à augmenter sa participation, la crise de la conscription anéantit définitivement cet espoir.

Ce livre, qui est le résultat de recherches approfondies, qui est bien structuré et dont l’auteur fait preuve d’un sens de l’évaluation critique, représente une contribution remarquable à notre compréhension des relations mutuelles complexes entre le Québec et la France durant la Première Guerre mondiale.

Le major (retraité) Michael Boire est conseiller pédagogique auprès des stagiaires du Programme d’initiation au leadership à l’intention des Autochtones au Collège militaire royal du Canada à Kingston.