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Le brigadier-général Dean Milner et un leader de district afghan marchent côte à côte avant le début d’un shura pour discuter d’enjeux de gouvernance et de sécurité.

Photo IS2010-3023-15 du MDN prise par le caporal Shilo Adamson

L’éthique et l’aumônerie des FAC

par Marc Terreau

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Un article intitulé « Les aumôniers des Forces armées canadiennes ont-ils un rôle à jouer sur le plan de l’éthique? », paru dans le numéro 1 du volume 16 de la Revue militaire canadienne, a soulevé un certain nombre de questions d’ordre éthique.

Au début de l’article, les auteurs déclarent ce qui suit : « Au cours de l’élaboration du Programme d’éthique de la Défense (PED), en 1994, les responsables ont décidé, pour des raisons qui ne sont toujours pas claires, que les aumôniers militaires ne joueraient pas un rôle actif dans la mise en œuvre du nouveau programme. » En 1994, j’étais le chef – Service d’examen (CS Ex). Les initiatives en matière d’éthique qui ont abouti à la mise sur pied du Programme de protection des ressources et d’éthique (PPRE) étaient mon fait, à partir de l’année 1990-1991 et bien avant la débâcle en Somalie. C’est après 1995 que le nom du programme a été changé pour devenir « Programme d’éthique de la défense (PED) ». C’est pourquoi les propos négatifs des aumôniers Pichette et Marshall dans l’introduction de leur article m’ont contrarié quelque peu. Le CS Ex n’a jamais eu la mauvaise intention de passer outre à l’aumônerie, comme je l’explique plus bas.

Une lecture rapide du document 7059-29 (CS Ex) intitulé « Plan de mise en œuvre du Programme de protection des ressources et d’éthique (PPRE) », qui est daté du 30 juin 1994 et que le vice-chef d’état-major de la Défense (VCEMD) a signé au nom du chef d’état-major de la Défense (CEMD), aurait permis aux auteurs de rectifier la conclusion incorrecte qu’ils ont tirée. Le document énonce clairement les objectifs du programme : « Un des principaux objectifs du PPRE consistera à sensibiliser davantage le personnel au fait qu’il lui incombe, comme le pays a le droit de s’y attendre, de ne pas gaspiller les ressources de la Défense, de ne pas en abuser et de ne pas s’en servir pour en tirer des gains personnels. » Plus loin, on lit ce qui suit : « L’éthique de la gestion des ressources aide les gestionnaires non seulement à prendre la bonne décision, mais aussi à faire en sorte qu’elle soit perçue comme telle. […] L’éthique de la gestion des ressources est définie comme étant un ensemble de principes devant guider chaque membre de l’équipe de la Défense de manière qu’il ou elle gère les ressources de la Défense ou du Gouvernement d’une façon qui résistera à l’examen minutieux du public. » [TCO]

Le PPRE, puis le PED, datent d’avant le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et d’avant les codes semblables que d’autres ministères fédéraux ont conçus en la matière, et ils vont dans le même sens qu’eux. L’aumônerie est au service des membres des Forces armées canadiennes (FAC), ce qui est juste et équitable, mais le PED doit aussi prendre en compte les membres de l’équipe de la Défense qui ne sont pas militaires et, partant, les limites que cela impose sur les résultats escomptés.

Des membres du groupement tactique du 1er Bataillon, The Royal Canadian Regiment recueillent des renseignements sur la sécurité de villageois afghans.

Photo IS2010-3019-10 du MDN prise par le caporal Shilo Adamson

Au début, je voulais élaborer un système pour prévenir les violations de l’éthique qui risqueraient de causer des torts à des personnes et à l’organisation. J’estime que l’éthique et l’intégrité ne sont pas uniquement des thèmes à la mode, comme certains cyniques le diraient. Les humains débattent des comportements vertueux et de la nécessité de faire le bien depuis au moins 2 500 ans. Pourtant, nous continuons à ne pas être à la hauteur de la tâche. Pourquoi en est-il ainsi? Et que pouvons-nous faire pour nous améliorer à cet égard? Ce sont là les questions que je posais alors et que je continue à poser aujourd’hui.

Quand j’envisageais l’éthique comme étant un concept distinct d’un jeu de valeurs fondées sur des principes religieux, je la décrivais comme suit : « L’éthique suppose un processus intellectuel qui peut nous aider à trouver la meilleure façon de vivre en accord avec nos valeurs fondamentales et les valeurs que nous partageons avec notre milieu social et culturel. » [TCO] Aspect primordial, j’ai proposé de poser quatre questions simples en ce qui concerne le processus décisionnel :

Est-ce légal?
Est-ce respectueux de l’éthique?
Est-ce raisonnable?
Est-ce défendable?

Le major Denis Beauchamp (PhD), un de mes collègues qui a pris part à la création de l’initiative sur l’éthique et qui a pris sa retraite en septembre 2013, avait rédigé un article intitulé « Les fondements de l’éthique de la Défense au Canada » (1999). Ce texte figure parmi les ouvrages dont on recommande la lecture, dans le site Web du PED, sous l’onglet « Formation en éthique et outils d’apprentissage/Lectures suggérées/L’éthique au gouvernement » (http://www.forces.gc.ca/fr/formation-ethique/lectures-suggerees.page). En fait, on peut y voir le document de référence par excellence sur l’élaboration du programme.

Ceux et celles d’entre nous qui avaient pris part à la mise sur pied du Programme d’éthique se rappelleront que, d’emblée et assez fréquemment après coup, des aumôniers ont exprimé la conviction qu’il appartenait aux aumôniers de diriger le programme pour les Forces canadiennes (FC) ou d’y jouer un rôle de chef de file (Note de la rédaction : le nom « Forces armées canadiennes » a récemment remplacé le nom « Forces canadiennes ». D’aucuns ont souligné qu’à l’époque, un Ordre d’organisation des Forces canadiennes (OOFC) faisait des aumôniers les conseillers principaux, voire exclusifs, des commandants sur les questions morales et spirituelles touchant les militaires et leur famille. Je précise que l’aumônerie a ajouté l’« éthique » au rôle de ses membres quand le PED a été établi. Les responsables du programme n’ont jamais eu pour but de remplacer les aumôniers dans leur rôle moral et spirituel et ils n’ont jamais cherché à le faire, pas plus qu’ils n’auraient contesté le rôle du juge-avocat général (JAG) en matière juridique. Dès le début, les responsables du PED l’ont perçu comme existant et comme étant justifié uniquement dans le cadre législatif défini par le gouvernement du Canada et ses lois.

L’orientation adoptée consistait à s’éloigner des religions abrahamiques, car au départ, le programme a mis l’accent sur l’éthique de la gestion des ressources dans un cadre législatif et il a porté sur quelque chose de plus particulier que les exigences de la moralité et de la spiritualité fondées sur la religion. Les auteurs de l’article paru dans le numéro 1 du volume 16 sous le titre « Les aumôniers des Forces armées canadiennes ont-ils un rôle à jouer sur le plan de l’éthique? » reconnaissent ce fait. Le PED élaboré par le CS Ex s’intéresse aux conflits d’intérêts, à la prise de décisions administratives respectueuses de l’éthique, à la sensibilisation à la fraude, et ainsi de suite. Ces questions touchent toute l’équipe de la Défense, peu importe que ses membres aient ou non une affiliation religieuse quelconque.

En général, les programmes d’éthique dans les démocraties libérales ne remontent relativement pas à très loin, soit à 1978, année où a été adoptée aux États-Unis l’Ethics in Government Act; puis en 1990, le ministère australien de la Défense a lancé sa campagne d’éthique et de sensibilisation à la fraude. L’éthique est le volet laïc de l’application et de la pratique des valeurs dans nos démocraties, par opposition à la moralité, qui a eu tendance à représenter le côté plus religieux. L’éthique fait partie intégrante du leadership, de la gestion et des responsabilités des chefs. Les programmes d’éthique qui ont été créés dans les démocraties occidentales vers la fin du XXe siècle, y compris le PED du MDN et des FC, l’ont été pour remédier à un vide qui avait existé dans ce domaine au chapitre des valeurs déontologiques que le personnel devait mettre en pratique. Depuis lors, les responsabilités des gestionnaires et des hauts dirigeants, dans les secteurs public et privé, sont devenues de plus en plus explicites, et ceux et celles qui les assument doivent veiller à ce que le personnel connaisse et mette en pratique les valeurs qui doivent régir son comportement dans l’exécution de ses fonctions.

L’auteur de l’article « Réflexion et questions sur l’éthique » paru dans le numéro 2 du volume 2 (printemps 2009) de la Revue de la Force aérienne a approfondi ce thème. L’article a été réimprimé dans le numéro 3 du volume 4 (été 2015) de la Revue de l’Aviation royale canadienne.

Depuis le début, le PED encourage les chefs et les gestionnaires militaires à tous les niveaux à assumer un rôle actif lorsqu’il s’agit d’exercer ces « nouvelles » responsabilités concernant l’éthique dans le milieu de travail. Rien de tout cela n’a remis en question le rôle clé que les aumôniers militaires ont joué et doivent continuer à remplir pour répondre aux besoins moraux et spirituels du personnel militaire. En fait, en ce qui concerne la mise en œuvre du PED, une approche axée sur la personne entière et visant à répondre aux besoins du personnel militaire (en matière d’éthique, de moralité et de spiritualité) encouragerait la participation des aumôniers. Toutefois, il faut se rappeler que le PED s’applique à tout le personnel des FAC et du MDN dans l’exécution de ses fonctions, dans le cadre législatif défini par le gouvernement du Canada et ses lois, et que les aumôniers doivent, dans une démocratie, respecter le fait qu’aujourd’hui, beaucoup préfèrent ne pas avoir affaire à eux ou à une religion organisée.

L’article mentionné au début offre un intéressant résumé de l’histoire de l’aumônerie dans les Forces canadiennes/Forces armées canadiennes jusqu’à nos jours. Du point de vue de la mise en application du Programme d’éthique, l’année 2016 n’a rien à voir avec 1994. Le programme d’aujourd’hui ne correspond plus vraiment au PPRE de 1994 et il recouvre maintenant tous les aspects de l’éthique s’exprimant dans l’exécution des mandats du MDN et des FAC. Cependant, comme c’était le cas en 1994, il est encore tout aussi vrai aujourd’hui qu’il vaut mieux collaborer ensemble que de travailler à l’encontre les uns des autres. Dans le contexte contemporain, le sous-ministre adjoint (Services d’examen) aurait sans doute avantage à prendre en considération les observations formulées par les aumôniers Pichette et Marshall.

Le major-général (ret.) Marc Terreau, CMM, CD

Ottawa (Ontario)

Janvier 2016

Le major-général Marc Terreau, CMM, CD, a fait longuement carrière dans le domaine de la mobilité aérienne et il s’est hissé jusqu’au poste de commandant du Groupe de transport aérien. Il est diplômé du Collège de la Défense nationale et il a passé les six dernières années de sa carrière au Quartier général de la Défense nationale à titre de chef – Service d’examen. En cette capacité, il a mis sur pied un programme d’éthique à l’intention des membres des Forces canadiennes et des employés civils de l’Équipe de la Défense. Plus tard, il est devenu expert-conseil en éthique appliquée, il a présidé l’Association des praticiens en éthique du Canada, il a siégé au Comité d’éthique de la recherche d’un hôpital d’Ottawa, il a fait partie du Conseil consultatif de l’ARC et il a été colonel honoraire du 429e Escadron. Il continue de faire du bénévolat dans divers secteurs de la société canadienne.

Une infirmière soigne une femme haïtienne enceinte.

Photo IS2010-6594-02 du MDN prise par le sergent Bruno Turcotte