Approvisionnement en matière de défense

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Fusil d’assaut AK-47.

Les fusils, l’argent et le pouvoir : dépenses militaires, type de régime et conséquences pour le Canada

par Joshua Horlings

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Le sous-lieutenant Joshua Horlings a obtenu un baccalauréat spécialisé en études militaires et stratégiques au Collège militaire royal de Kingston (Ontario) en mai 2016. Il termine actuellement son programme d’instruction sur l’arme blindée à la BFC Gagetown (Nouveau-Brunswick).

Introduction

Un fusil d’assaut AK-47 se vend de 10 $ à 300 $, selon l’endroit où l’on se trouve dans le monde. Vu son prix relativement bas et son extrême durabilité, on estime qu’il y en a entre 75 et 100 millions d’exemplaires dans le monde, soit un par groupe de 60 êtres humains1. Si les budgets militaires mondiaux de 2014 avaient été entièrement consacrés à l’achat d’AK-47 à 300 $ pièce, il y aurait eu assez d’argent pour acheter environ six milliards de fusils, soit presque une arme par habitant de la planète. Comme les dépenses militaires mondiales augmentent chaque année, les gouvernements des divers pays achètent non seulement des AK-47, mais aussi des chars, des aéronefs à voilure fixe, des hélicoptères d’attaque, des sous-marins, des porte-avions et toute une panoplie d’autres plates-formes d’armes. Presque tous les pays ont augmenté leurs dépenses militaires depuis 1990, y compris les démocraties, ce qui comprend le Canada. Les démocraties affectent toujours d’énormes sommes à la défense, bien qu’elles n’y consacrent qu’un petit pourcentage de leur PIB. En revanche, les autocraties réservent de forts pourcentages de leur PIB à la défense, mais en général, elles ne dépensent à ce titre que des sommes minimes dans l’ensemble. Cette différence dans les habitudes de dépense des divers types de régime soulève la question suivante : le type de régime influe-t-il sur la nature du budget de défense d’un pays?

Comme les régimes autocratiques ont besoin d’un vaste appareil militaire pour conserver la mainmise sur leur pays et décourager les soulèvements, il a déjà été prouvé que beaucoup dépensent plus pour la défense que les régimes démocratiques, si l’on s’en tient au pourcentage du PIB2. Toutefois, si elles affectent un si fort pourcentage de leur PIB à la défense, comment se fait-il qu’elles dépensent tout de même moins à ce titre dans l’ensemble? Cela nous amène à la première partie de mon hypothèse, à savoir que les autocraties affichent un taux de croissance du PIB inférieur à celui des démocraties et que, comparativement à celles-ci, elles investissent donc un pourcentage plus élevé de leur PIB dans la défense. Cette hypothèse repose sur le fait que les autocraties mettent davantage l’accent sur les forces armées pour contrôler leur pays et moins sur la croissance économique par l’intermédiaire du commerce ou de la coopération internationale.

En revanche, les démocraties gagnent plus à affecter des fonds aux services sociaux et au renforcement du commerce qu’à dépenser au titre de la défense. Il en est ainsi parce que les régimes démocratiques conservent leur puissance en répondant aux besoins de leur population à la faveur de la croissance économique et qu’ils ne peuvent pas recourir à la répression violente3. Par conséquent, le deuxième volet de mon hypothèse réside dans l’affirmation que les démocraties dépensent moins pour se défendre, si leur budget à cet égard est exprimé en pourcentage de leur PIB, mais qu’elles investissent plus à ce chapitre, en termes absolus, que les autocraties. Cela s’explique par le fait que, comme les démocraties mettent l’accent sur la croissance économique, leurs économies respectives sont capables d’une production énorme. Cela étant dit, je soutiens que les régimes autocratiques affectent une part plus élevée de leur PIB à la défense que les régimes démocratiques, mais que ceux-ci font croître leur PIB davantage et qu’ils consacrent donc plus à la défense dans l’ensemble que les régimes autocratiques.

MDN, photo BN2014-0070-08

Un CF18 Hornet escorte un CC177 Globemaster III transportant des membres des Forces armées canadiennes qui se dirigent vers l’Aéroport international d’Ottawa à la fin de la dernière mission menée en Afghanistan, le 18 mars 2014.

Contexte

Avant de rédiger le présent article, je me demandais pourquoi les démocraties affectent tant d’argent à leur défense, vu qu’elles sont censées être pacifiques. Or, en me renseignant plus à fond sur la théorie de la paix démocratique, j’ai constaté que je la comprenais mal. En fait, les démocraties sont souvent aussi violentes que les autocraties, et elles ont livré de nombreuses guerres, mais jamais l’une contre l’autre4. Kant a fondé son argument en faveur de la paix démocratique sur trois éléments, connus sous le nom de « triangle kantien de la paix ». Ces trois éléments expliquent essentiellement pourquoi les démocraties ne se font pas la guerre. Ce sont : « les constitutions républicaines, le “ droit cosmopolite ” incarné par le libre-échange et l’interdépendance économique, ainsi que le droit et les organismes internationaux5. » [TCO] Au fond, les démocraties ne se font pas la guerre parce que la distinction entre « notre idéologie » et « leur idéologie » n’existe plus. Les deux États voient plutôt un avantage beaucoup plus grand à entretenir les relations économiques et la coopération internationale entre eux et un net désavantage à se déclarer la guerre. En outre, Kant a fait valoir qu’à la faveur de la propagation de la démocratie, les dépenses militaires diminueraient, car aucun État n’aurait plus à craindre ses voisins. À supposer que la façon dont un gouvernement répartit ses fonds traduise l’importance qu’il accorde aux divers postes budgétaires, Kant a formulé la théorie qu’à mesure que la démocratie grandirait, les États seraient moins portés à dépenser au titre de la défense. Il croyait en effet que la défense serait perçue comme étant moins importante que les services sociaux, les soins de santé et l’éducation. Si l’on s’en tient à ce raisonnement, un État qui affecte un fort pourcentage de son PIB à la défense met grandement l’accent sur les forces armées. Au lieu d’accorder la priorité à la puissance militaire, un gouvernement démocratique recherche plutôt la croissance économique et il donne ainsi une expression concrète au second élément du triangle kantien de la paix en se concentrant sur le libre-échange et l’interdépendance économique des démocraties. Toutefois, grâce à la croissance économique, les démocraties peuvent tirer leur épingle du jeu en consacrant à la défense une petite partie de leur PIB gigantesque, petite partie qui équivaut à des milliards de dollars. En fin de compte, tous ces facteurs définissent essentiellement une façon de rester au pouvoir : en effet, un gouvernement démocratique se servira de la croissance économique pour satisfaire l’électorat et conserver ainsi le pouvoir.

Outre la théorie de la paix démocratique, j’aurais pu examiner les dépenses militaires par rapport à la menace extérieure et aussi par rapport aux alliances ou à la sécurité multilatérale. Cependant, la relation entre le type de régime et les dépenses militaires est moins évidente dans les théories portant sur ces deux aspects et elle a déjà été examinée par le professeur Jeff Carter (Université du Mississippi) et le professeur Glenn Palmer (Université de la Pennsylvanie). J’ai aussi songé à utiliser des études cas concernant quelques États en particulier. Toutefois, je crois qu’en utilisant un vaste ensemble de données et en cherchant des liens statistiques, nous formulerons une réponse plus claire aux questions soulevées dans le cadre de mon hypothèse. Constatant que la théorie de la paix démocratique est considérée comme étant « [...] sans doute le cadre d’analyse de la politique mondiale et des théories sur la façon dont les sociétés se divisent le monde sur le plan idéologique (“ nous ” et “ eux ”) le plus employé au niveau national »6, j’ai conclu que ce serait la meilleure théorie à adopter pour déterminer si le type de régime dicte la nature des dépenses militaires d’un État.

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Emmanuel Kant, philosophe allemand prussien, vers 1791 (G. Döbler).

La théorie de la paix démocratique est sans doute une des plus controversées et des plus étudiées dans le domaine politique. Elle remonte à 1795 et elle a d’abord été proposée par le philosophe allemand Emmanuel Kant, selon lequel les démocraties sont moins susceptibles de faire la guerre que tout autre type de régime7. Après d’importantes révisions exécutées par Michael Doyle et Spencer Weart, deux spécialistes américains des relations internationales, la théorie a changé; elle avance désormais qu’une démocratie fera volontiers la guerre à un régime d’un autre type, mais qu’elle ne la déclarera presque jamais à un autre régime démocratique8. De nombreuses autres études ont porté sur la crédibilité de la théorie, y compris celles d’éminents politologues tels que Stuart Bremer et Robert Ivie9. Au lieu de me concentrer sur la théorie de la paix démocratique dans son ensemble, je mettrai l’accent sur les ouvrages concernant les types de régime et les dépenses militaires.

Les relations entre le type de régime et les dépenses militaires n’ont véritablement commencé à retenir l’intérêt des chercheurs qu’au cours des deux ou trois dernières décennies. Cela s’explique peut-être par la nouvelle façon dont la théorie de la paix démocratique est comprise, ou par les démarches entreprises pour expliquer les tendances des dépenses militaires après la guerre froide. Quoi qu’il en soit, les écrits sur les déterminants de la relation entre les dépenses militaires et les types de régime sont abondants. Les auteurs des études sur le type de régime et les dépenses de défense ont constaté essentiellement que la théorie de Kant tient la route. Toutefois, on ne sait pas bien si le type de régime est le facteur primordial lorsqu’il s’agit de cerner la nature de cette relation10. William Nordhaus, John Oneal et Bruce Russett, trois politologues américains qui ont publié un certain nombre d’articles ensemble sur la théorie de la paix démocratique, explorent cette question de causalité dans une étude. Ils y ont conclu que les menaces extérieures pesant sur la sécurité influent beaucoup plus sur les dépenses militaires que le type de régime11. D’autres politologues américains ont étudié ce même thème, y compris Carter et Palmer, qui ont analysé le rôle des menaces extérieures pour la sécurité afin de définir les tendances des dépenses de défense au sein de différents types de régime, en fonction du temps de paix ou de guerre. Cette étude a porté davantage sur les paramètres économiques de la mobilisation, sur le type de régime et sur la guerre entre États; les auteurs ont constaté que les régimes non démocratiques sont mieux équipés pour mobiliser en vue de la guerre que les régimes démocratiques. Cela montre peut-être que les régimes autocratiques accordent une plus grande importance à la capacité d’utiliser leurs forces armées et qu’ils sont disposés à investir davantage sur ce plan12. Pour ce qui est de dresser un parallèle entre les types de régime et le pourcentage du PIB affecté aux dépenses militaires, la chercheuse britannique Jennifer Brauner a conclu que les démocraties dépensent effectivement moins que les autocraties au chapitre de la défense, si l’on s’en tient au pourcentage du PIB, et qu’il existe un lien de causalité entre le type de régime et les budgets de défense. Dans son étude des données, elle ne va cependant pas au-delà de l’an 2000 et, contrairement à ce que je fais dans le présent article, elle n’a pas cherché à voir s’il existait une relation avec la croissance du PIB. Brauner mentionnait en outre dans sa recension des écrits que son étude était la première, à sa connaissance, à analyser le lien de causalité entre le type de régime et les dépenses militaires exprimées en pourcentage du PIB13.

Il existe aussi un grand volume de publications sur le lien entre le type de régime et la croissance du PIB. Contrairement aux ouvrages sur la relation entre le type de régime et les dépenses militaires, cependant, les études sur le lien susmentionné sont beaucoup moins concluantes. Dans une étude datant de 1993, le politologue respecté et lauréat de prix Adam Przeworski a établi que « [...] nous ne savons pas au juste si la démocratie favorise ou gêne la croissance économique. Pour l’instant, nous n’avons que des estimations éclairées à offrir14. » [TCO] De même, dans une étude de 224 pages sur le sujet, le politologue taïwanais Chin-en Wu, Ph. D., a constaté que le type de régime encourageait certains comportements économiques et que, dans l’ensemble, les démocraties tendaient à être plus prospères. Cependant, les résultats ont été loin d’être concluants15. Dans une étude approfondie de 529 pages sur le lien entre le type de régime et la croissance économique, Carl Knutsen, universitaire norvégien ayant publié de nombreux ouvrages, a essentiellement conclu que beaucoup trop de facteurs étaient en jeu et qu’il y avait trop de valeurs aberrantes pour que l’on puisse tirer quelque conclusion que ce soit sur le lien entre le type de régime et la croissance économique16. D’un autre côté, Erich Weede, éminent professeur à l’Université de Bonn, a constaté dans une étude que les régimes démocratiques risquaient d’avoir un effet nuisible sur la croissance économique17. Cette question fait actuellement l’objet d’une étude à l’Université Stanford. Toutefois, dans la description donnée sur le site Web, les auteurs admettent qu’il est difficile de cerner les résultats probants, car « [...] pour chaque régime autoritaire à fort taux de croissance tel que celui de la Chine, il existe un désastre économique dans un régime autoritaire tel que celui du Zimbabwe18 ». [TCO]

D’autres études dignes de mention comprennent celle du professeur Nikolaos Dritsakis (Université de la Macédoine) qui a essayé de savoir s’il existait un rapport entre les dépenses de défense et la croissance économique en utilisant les exemples de la Grèce et de la Turquie. Il a posé comme hypothèse qu’un budget militaire élevé correspondrait à un bon taux de croissance économique. Cependant, il a constaté qu’aucune relation n’existait entre les deux variables19. Cette étude a différé de la mienne en ce sens que l’auteur a adopté un point de vue axé davantage sur l’économie et qu’il s’est limité à l’examen de deux États sans prendre en compte le type de régime. Une autre étude mentionnée dans le présent article est celle de l’éminent politologue américain Ethan Kapstein, qui s’est penché sur la relation entre les paramètres économiques et les études sur la sécurité et a fait valoir la nécessité de mettre davantage l’accent sur les paramètres économiques dans les études sur la sécurité20.

À l’issue de ma recension des écrits, il est clair que mon étude s’inscrit dans un domaine de recherche très contemporain et en évolution, la plupart des ouvrages les plus marquants ayant été écrits au cours des 10 à 20 dernières années. L’examen des ouvrages publiés montre clairement l’existence d’un lien de causalité entre le type de régime et les budgets de défense. Toutefois, aucune conclusion n’a été formulée sur la relation entre le type de régime et la croissance du PIB. Pour ce qui est de la façon dont je relie les trois variables entre elles, je n’ai rien trouvé dans les écrits, ce qui me donne sans doute l’occasion de contribuer à l’enrichissement de ce domaine d’étude.

MDN, photo HS2016-A060-003/caporal-chef Sebastian Allain

Le NCSM Fredericton participe à un Passex aux côtés de la frégate bulgare BGS Reshitelni (F13) et de la frégate roumaine ROS Regina Maria durant une patrouille menée dans la mer Noire dans le cadre de l’opération Reassurance, le 5 avril 2016.

Argumentation

Dans mon analyse, je me suis servi des données de 131 pays relatives à l’année 2013. Ces données portaient sur cinq variables : le type de régime, la part du PIB consacrée à la défense, les dépenses militaires totales du gouvernement, le pourcentage des dépenses gouvernementales totales consacrées à la défense et la croissance du PIB. J’ai analysé toutes les données par paires afin de déterminer s’il existait une corrélation quelconque. J’ai ensuite utilisé le tableau des coefficients de corrélation produit-moment de Pearson pour analyser les résultats. J’ai ainsi pu voir si les corrélations que j’avais découvertes étaient significatives et, le cas échéant, dans quelle mesure elles l’étaient. J’ai opté pour la méthode de l’analyse statistique, car elle indique non seulement si une relation existe, mais aussi à quel point celle-ci est forte. En outre, comme mon thème a ses racines dans la statistique, c’était la méthode la plus logique à adopter parmi toutes les méthodes quantitatives. La difficulté inhérente à l’analyse de toute relation consiste à faire la distinction entre corrélation et causalité. Dans le présent article, je m’en tiendrai à la corrélation et j’analyserai toute relation donnée sans chercher de liens de causalité.

Les données que j’ai utilisées sur le type de régime provenaient des cotes attribuées aux pays dans l’étude Freedom in the World (Freedom House)21. Les données sont mesurées dans deux catégories – droits politiques et libertés civiles – sur une échelle allant de 1 à 7. Ces deux catégories sont combinées pour classer les États comme étant libres, partiellement libres et non libres. Dans ma recherche, je me suis limité aux données brutes relatives aux droits politiques. J’ai décidé de m’en tenir à un seul ensemble de données, car les deux catégories reflétaient essentiellement les mêmes scores; je me serais répété en établissant une corrélation à la fois avec les droits politiques et avec les libertés civiles. J’ai utilisé les données de Freedom House, puisque l’échelle à sept points fournissait un ensemble de données simple, tout en présentant des variations suffisantes pour révéler l’existence de différences distinctes entre les régimes. Sur cette échelle, un score de 1 est attribué aux États les plus libres et un score de 7 est attribué aux États les moins libres. À la lumière de ces scores, j’ai déterminé quels États pouvaient être considérés comme étant démocratiques et autocratiques.

Les données sur la part du PIB consacrée à la défense, sur les dépenses militaires totales et sur le pourcentage des dépenses gouvernementales affecté à la défense proviennent toutes de l’ensemble de données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) sur les armements, le désarmement et la sécurité22. Comme je l’ai précisé plus tôt, la variable qu’est la part du PIB consacrée à la défense est importante, car elle indique la priorité qu’accorde un régime aux forces armées. La variable « Dépenses militaires totales » renseigne sur la capacité militaire d’un État et sur la capacité de production de son économie. J’ai aussi inclus la variable « Pourcentage du budget du gouvernement affecté à la défense » en tant que donnée secondaire indiquant la priorité de l’appareil militaire aux yeux d’un régime. Quiconque fait des recherches sur les dépenses de défense se heurte à une difficulté : dans le cas de nombreux États, les données ne sont parfois pas disponibles ou sont peu fiables. Par conséquent, j’ai dû retirer un certain nombre d’États de l’ensemble de données que j’utilisais, car il n’existait sur eux aucune donnée relative aux dépenses militaires; la plupart de ces États étaient des régimes autocratiques. En outre, certaines des données incluses ont été calculées à partir des estimations du SIPRI ou étaient très incertaines. Dans le tableau, les scores relatifs à ces données sont indiqués en bleu et en rouge, respectivement. Afin d’analyser les données plus en profondeur, j’ai aussi analysé toutes les corrélations dans deux ensembles différents, soit un qui incluait les États-Unis et un autre qui les excluait. J’ai choisi cette démarche parce que les États-Unis sont très marginaux en ce qui concerne les dépenses militaires globales; en effet, ils affectent à la défense autant que les neuf États qui les suivent.

La cinquième variable est la croissance du PIB, et je l’ai tirée d’un ensemble de données fourni par la Banque mondiale23. Le taux de croissance du PIB montre si l’économie d’un État grandit effectivement et dans quelle mesure, le cas échéant. J’ai choisi cette variable vu mon hypothèse selon laquelle les démocraties connaissent une croissance économique supérieure à celle des autocraties et les gouvernements des démocraties exploitent cette réalité pour rester au pouvoir. J’ai opté pour la croissance du PIB plutôt que pour le PIB global, car je crois qu’elle donne une meilleure idée de la santé économique d’un pays. Si le PIB croît, le niveau de vie de la population augmente aussi et les citoyens travaillent, ce qui signifie, d’après mon hypothèse, qu’ils sont satisfaits du rendement du gouvernement en place. Par exemple, la Grèce a enregistré un taux de croissance négatif de son PIB au cours des dernières années et elle a aussi été secouée par d’énormes troubles politiques. L’ensemble de données de la Banque mondiale était assez complet, mais il y manquait des données sur quelques États que j’ai donc dû retirer également de mon étude.

  Type de régime % du PIB affecté à la défense Total des dépenses militaires % des dépenses du gouv. consacré à la défense Croissance du PIB
Type de régime 1,00        
% du PIB affecté à la défense 0,43*** 1,00      
Total des dépenses militaires -0,07 0,17* 1,00    
% des dépenses du gouv. consacré à la défense 0,49*** 0,89*** 0,13 1,00  
Croissance du PIB 0,38*** 0,03 -0,07 0,17* 1,00
***p < 0,01 **p<0,05 *p<0,10

L’auteur

Figure 1 – Résultats de l’analyse statistique pour le type de régime, le pourcentage du PIB affecté à la défense, le total des dépenses militaires, le pourcentage des dépenses gouvernementales consacré à la défense et la croissance du PIB (L’ensemble de données inclut les É.-U.)


Les figures 1 et 2 montrent les taux de corrélation obtenus à l’issue d’une série de corrélations de données. Les données employées dans la figure 1 comprenaient les États-Unis, mais ce n’était pas le cas dans la figure 2. Il existe un certain nombre de différences entre les figures 1 et 2, mais elles sont moins saisissantes que ce à quoi je m’attendais. En raison de la similarité globale entre les deux jeux de résultats, je me suis servi des données de la figure 1 pour établir les graphiques, car cette dernière comprend l’ensemble de données complet. Cependant, je parlerai de la figure 2 plus loin dans l’article.

  Type de régime % du PIB affecté à la défense Total des dépenses militaires % des dépenses du gouv. consacré à la défense Croissance du PIB
Type de régime 1,00        
% du PIB affecté à la défense 0,45*** 1,00      
Total des dépenses militaires 0,06 0,20** 1,00    
% des dépenses du gouv. consacré à la défense 0,50*** 0,89*** 0,17* 1,00  
Croissance du PIB 0,38*** 0,04 -0,06 0,18** 1,00
***p<0,01 **p<0,05 *p<0,10

L’auteur

Figure 2 – Résultats de l’analyse statistique pour le type de régime, le pourcentage du PIB affecté à la défense, le total des dépenses militaires, le pourcentage des dépenses du gouvernement consacré à la défense et la croissance du PIB (L’ensemble de données exclut les É.-U.)


Les résultats reproduits dans la figure 3 révèlent une forte relation allant dans le sens des conclusions tirées par Brauner dans son étude, à savoir que les autocraties affectent effectivement une plus forte partie de leur PIB à la défense. Ce constat n’avait donc rien de surprenant et il a appuyé la première partie de mon hypothèse, soit que les autocraties consacrent un pourcentage plus élevé de leur PIB à la défense que les démocraties. Divers cas uniques et intéressants ressortent de ces résultats, notamment ceux d’Israël et des États-Unis, qui se classent aux rangs supérieurs parmi les régimes du niveau 1. Le classement d’Oman, de l’Arabie saoudite et de l’Afghanistan est lui aussi particulier, ces pays figurant respectivement aux premier, deuxième et troisième rangs des régimes du niveau 6. La place occupée par ces pays n’était pas imprévue, mais le degré auquel ils surpassent les autres pays de ce niveau est intéressant, tout comme le fait qu’aucun régime du niveau 7 ne se distingue particulièrement des autres.

L’auteur

Figure 3 – Type de régime et pourcentage du PIB affecté à la défense

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Comme je m’y attendais, la figure 4 montre que la relation entre la part du budget gouvernemental total affectée à la défense et le type de régime est semblable à la relation entre le type de régime et le pourcentage du PIB consacré à la défense. Il y avait toutefois dans cette première relation beaucoup plus de résultats aberrants et une corrélation un peu plus élevée. Comme dans la figure 3, on voit facilement que des États tels qu’Israël, Oman, l’Afghanistan et l’Arabie saoudite sont ceux qui dépensent le plus dans leurs catégories respectives. Toutefois, cette relation a fait ressortir d’autres États qui n’étaient pas importants dans la figure 3. Cela comprenait des régimes importants du niveau 4, par exemple Singapour (20,5 pour 100) et le Pakistan (16,2 pour 100). Au niveau 5, l’Arménie (15,8 pour 100) et le Sri Lanka (14,2 pour 100) faisaient eux aussi bande à part. Autre fait intéressant, tout comme dans la figure 3, on voit que les régimes du niveau 7 n’ont pas un budget de défense élevé.

L’auteur

Figure 4 – Pourcentage des dépenses gouvernementales consacré à la défense et type de régime

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Comme je m’attendais à le voir, la figure 5 montre que les États-Unis font carrément cavalier seul quant aux dépenses militaires globales, eux qui ont affecté la mirobolante somme de 600 milliards de dollars à la défense au cours de l’année visée par l’étude. Parmi les autres États importants figuraient la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite. En dépit du fait que les États-Unis consacrent à la défense plus que les neuf pays qui les suivent au classement, je n’ai pu établir aucune corrélation digne de mention entre le type de régime et les dépenses militaires globales. Cela m’a surpris, car je m’attendais à ce que les régimes démocratiques affichent des dépenses globales plus élevées. Ce constat infirme mon hypothèse selon laquelle les régimes démocratiques affectent plus à la défense que les autocraties. Même en enlevant les États-Unis de l’équation, je n’ai relevé aucune corrélation importante entre le type de régime et les dépenses de défense globales, dans un sens ou dans l’autre.

L’auteur

Figure 5 – Type de régime et dépenses militaires globales

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Comme la figure 6 l’a fait voir, le rapport observé entre le type de régime et la croissance du PIB n’a pas appuyé mon hypothèse. Bon nombre des démocraties ont affiché les plus faibles taux de croissance du PIB au lieu des taux les plus élevés. Les données présentaient une forte amplitude, et j’ai été surpris, malgré cette amplitude, par la vigueur de la corrélation constatée entre les régimes autocratiques et la croissance du PIB. Ce constat est à l’opposé de mes prévisions. Les États ayant affiché la plus forte croissance du PIB ont été le Paraguay (niveau 2), le Libéria (niveau 3), le Kirghizistan (niveau 6) et l’Éthiopie (niveau 6); or, aucun de ces pays ne se distinguait d’aucune façon dans les autres catégories.

L’auteur

Figure 6 – Type de régime et croissance du PIB

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Les résultats les plus clairs allant à l’encontre de mon hypothèse sont illustrés dans la figure 7, où l’on constate l’absence de toute relation digne de mention entre la part du PIB affectée à la défense et la croissance du PIB. Si ces résultats étaient allés dans le sens de mon hypothèse, je me serais attendu à voir une nette courbe descendante allant du coin supérieur gauche du graphique au coin inférieur droit. Cependant, les résultats ne témoignent d’aucun rapport entre les deux paramètres.

L’auteur

Figure 7 – Pourcentage du PIB affecté à la défense et croissance du PIB

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Ma recherche n’a pas confirmé mon hypothèse, mais elle a mis au jour des éléments intéressants sur ce qui détermine la nature des dépenses militaires d’un pays. Mes constatations, selon lesquelles les autocraties affectent une plus large part de leur PIB à la défense, correspondent à celles de Brauner et aussi à celles de Fordham et Walker et de Yildirim et Sezgin, sans oublier celles de Nordhaus, d’Oneal et de Russett, qui ont montré que les menaces extérieures pesant sur la sécurité influent considérablement sur la taille des budgets de défense des pays. Je n’ai pas prouvé statistiquement ces constats, mais en examinant le cas des pays dépensant le plus au titre de la défense, on peut dégager un dénominateur commun intéressant, à savoir les menaces extérieures pour la sécurité. Par exemple, les États tels qu’Israël, l’Arabie saoudite, Singapour, la Corée du Sud et l’Arménie, qui font tous face à d’importantes menaces extérieures pour leur sécurité, occupent tous un rang élevé au classement pour ce qui est de la part du PIB affectée à la défense et de la part des dépenses gouvernementales consacrée à la défense. De même, les États en guerre, comme l’Afghanistan, les États-Unis, le Pakistan et la Colombie, réservent tous une part assez considérable de leur budget national total à la défense.

Cependant, mes recherches n’ont pas confirmé les constatations de Fordham et Walker ni celles de Yildirim et Sezgin, selon qui les démocraties consacrent moins de ressources à la défense que d’autres types de régime. Cela dit, cet écart est dû au fait que les deux paires d’auteurs ont utilisé la part du PIB affectée à la défense pour mesurer la répartition des ressources. Cela me paraît problématique, étant donné qu’un pays tel qu’Oman peut attribuer à la défense un pourcentage plus grand que les États-Unis, mais y affecter moins de ressources, vu l’énorme différence entre les deux pays quant à la taille du PIB. Les autocraties consacrent à la défense une part plus grande de leur PIB et de leur budget gouvernemental, mais rien n’a montré qu’elles y affectent plus de ressources en termes absolus. En ce qui concerne ces données, la corrélation s’est en fait avérée très faible et elle a fortement subi l’influence des pays dépensant beaucoup tels que les États-Unis et la Chine. Même quand j’ai retiré les États-Unis et la Chine de l’équation, il n’est ressorti qu’une faible corrélation de -0,10 semblant montrer que les régimes plus démocratiques dépensent plus dans l’ensemble au titre de la défense. Ce constat m’a surpris, vu que les 10 plus gros budgets nationaux de défense représentaient dans chaque cas une énorme part des dépenses militaires totales et que tous les régimes concernés se situaient aux niveaux 1 ou 2, sauf la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite.

L’absence de tout régime digne de mention du niveau 7, hormis la Chine, constitue une autre constatation intéressante. Comme ce niveau regroupe les régimes les plus autocratiques, je pensais qu’ils se seraient classés à des rangs élevés quant à la part du PIB et du budget gouvernemental total affectée à la défense. Or, ils ne se distinguent d’aucune façon à ces égards. Cela s’explique peut-être par le manque de données accessibles sur ces États. Comme la grande majorité des pays retirés de l’équation faute de données étaient des régimes des niveaux 6 et 7, cela a sûrement influé sur mes résultats. Il y avait aussi des États des niveaux 1 et 2 pour lesquels aucune donnée n’était accessible, mais je ne peux que supposer que des pays comme la Syrie, le Soudan ou la Corée du Nord dépenseront plus que des pays comme la Mongolie et l’Islande.

Entre les deux ensembles de données sur la part du PIB affectée à la défense et le pourcentage du budget gouvernemental dépensé à ce titre, il existait une très forte corrélation qui se situait à 0,89. En dépit de la similarité, j’ai constaté que les données relatives à la part du budget gouvernemental affectée à la défense peignaient un tableau beaucoup plus varié et informatif de la situation. Le pourcentage du PIB consacré à la défense est communément accepté comme étant le principal critère de mesure des dépenses militaires. Cependant, à la lumière de mes résultats, je soutiens que la part du budget gouvernemental total en dit plus long sur les pays faisant bande à part et sur ceux qui accordent une grande importance aux forces armées.

Relativement à l’effet modeste des États-Unis sur les données, je ne peux attribuer cet état de choses qu’à un fait : ce pays ne se distingue que par le montant total de ses dépenses militaires, car il affecte seulement 3,8 pour 100 de son PIB et à peine 10 pour 100 de son budget gouvernemental total à la défense.

Par mon hypothèse, j’ai essayé de montrer que les dépenses militaires constituaient un outil dont un régime pouvait se servir pour rester au pouvoir. À la lumière de mes constatations, je crois qu’il y a effectivement un rapport entre le maintien au pouvoir et les dépenses militaires des régimes autocratiques. Cependant, il ne semble y avoir aucun lien entre les démocraties, un fort taux de croissance du PIB et une faible part du PIB consacrée à la défense. Bien que de nombreuses démocraties n’aient réservé qu’un faible pourcentage de leur PIB à la défense, elles n’ont pas nécessairement affiché un fort taux de croissance de leur PIB. J’estime que cela met en lumière une erreur fondamentale dans mon choix de variables. Bien que, comme je l’ai mentionné dans les paragraphes décrivant mes méthodes, j’aie choisi la croissance du PIB comme variable parce qu’elle donne une meilleure idée de la santé économique d’un pays, ce paramètre s’est avéré inefficace pour évaluer l’état de santé d’un pays dans son ensemble. Si l’on s’en tient au taux de croissance du PIB, les États démocratiques établis tels que les États-Unis, la France, l’Allemagne et le Canada n’ont aucune chance de bien se classer, car étant donné leur énorme PIB actuel, il leur est extrêmement difficile de le faire croître fortement. En revanche, les petits pays en développement tels que le Libéria, la Moldavie et la République démocratique du Congo pourraient voir leur PIB croître considérablement, sans que leur économie grandisse sensiblement, à cause de la faiblesse du PIB actuel. Par conséquent, certains des États les moins industrialisés et les plus autoritaires ont affiché une forte croissance du PIB, car celle-ci est fonction de la taille du PIB et non de la production réelle. Il serait donc intéressant de remplacer la variable qu’est la croissance du PIB par la taille du PIB total et de faire valoir que c’est la taille globale du PIB qui rend la population heureuse et satisfaite du gouvernement, et non le taux de croissance du PIB. Toutefois, comme Knutsen l’a établi, il est extrêmement difficile de montrer quelque relation que ce soit entre le type de régime et la taille ou la croissance du PIB, car il y a énormément de facteurs en jeu. En outre, on fait preuve d’une énorme naïveté en soutenant que les citoyens sont satisfaits du gouvernement dans la mesure où le PIB de leur pays est considérable, et l’on omet aussi de prendre en compte ainsi le cadre global de l’étude, à savoir celui de la politique comparée.

Tout au long de ma recherche, j’ai constaté nettement que les dépenses militaires sont fonction de beaucoup plus de facteurs que le type de régime et la croissance économique. La seule relation claire que j’ai observée se rapporte au fait que les régimes autocratiques affectent un fort pourcentage de leur PIB à la défense. Ce résultat débouche sur la conclusion que les autocraties accordent une grande importance à leurs forces armées pour réprimer les troubles internes et dissuader toute interférence de l’extérieur. Toutefois, il n’existe aucune relation claire de ce genre lorsqu’il s’agit des régimes démocratiques et de leurs dépenses de défense. Bien que, comme je m’y attendais, les régimes démocratiques aient affecté à la défense une part moindre de leur PIB, il n’y avait aucun rapport entre la démocratie et les fortes dépenses globales, pas plus qu’entre la démocratie et une forte croissance du PIB. En fait, j’ai constaté l’existence d’une assez forte corrélation entre l’autocratie et la croissance du PIB. Cependant, il existe beaucoup trop d’éléments aberrants et de facteurs extérieurs pour que l’on puisse dire de cette relation qu’elle est autre chose qu’une anomalie statistique. Le facteur qui a le plus limité la qualité de mes données a été le manque de données sur les dépenses militaires et la croissance du PIB de tous les régimes, qui a sans aucun doute influé sur mes résultats.

Dans l’avenir, la recherche sur ce sujet pourrait emprunter bien des directions. Relativement au présent article, il serait intéressant de remplacer la variable « croissance du PIB » par la variable « PIB par habitant ». Il conviendrait aussi d’examiner des États pris séparément et les facteurs particuliers déterminant leurs dépenses militaires. Par exemple, Oman s’est classé au plus haut rang quant à la part du PIB consacrée à la défense, soit 11,3 pour 100, et quant au pourcentage du budget gouvernemental total affecté à ce même titre, soit 27,4 pour 100, ce qui est stupéfiant. D’autres États, tels que l’Arabie saoudite, Israël et Singapour, pourraient aussi offrir des exemples intéressants. D’autres analyses régionales dans des parties du globe telles que le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est seraient souhaitables elles aussi, étant donné que ces régions ont connu d’énormes augmentations de leurs dépenses militaires depuis l’an 2000. Tout comme Dritsakis l’a fait dans son étude, on pourrait examiner pendant plus longtemps la relation entre la croissance du PIB et les budgets de défense afin de voir si ces derniers engendrent la croissance économique par l’intermédiaire du complexe militaro-industriel. Cependant, un tel examen devrait adopter une approche axée davantage sur l’économie que sur la politique comparée.

Pour ce qui concerne les dépenses militaires, le Canada demeure, et ce n’est pas étonnant, caché dans la masse des États comprenant bon nombre de nos alliés tels que l’Espagne et l’Australie. Dans l’ensemble, le budget militaire du Canada a augmenté lentement, passant d’un creux de 14 milliards de dollars en 1997 à un maximum récent de 22,9 milliards, en 2009. Cependant, exprimé en pourcentage du PIB, le budget de défense du Canada a constamment diminué, de sorte qu’il équivaut aujourd’hui à environ la moitié de ce qu’il était en 1990. En 2013, la part du PIB affectée aux forces armées du Canada atteignait en tout 1,01 pour 100, soit la moitié du seuil recommandé par l’OTAN qui se situe à 2 pour 100 du PIB. La croissance des dépenses militaires dans le monde, conjuguée à cette diminution de nos dépenses de défense, suscite diverses questions : par exemple, comment le Canada se préparera-t-il à l’avenir et comment réussira-t-il à agir de concert avec ses alliés?

MDN, photo VL08-2015-0006-007/sergent Marc-André Gaudreault

Un hélicoptère CH147F Chinook dans le secteur d’entraînement de la Base des Forces canadiennes Valcartier, le 20 novembre 2015.

Conclusion

Bien que mon hypothèse n’ait pas été confirmée, je ne crois pas qu’elle ait réduit d’une quelconque façon la crédibilité du triangle kantien de la paix. Mes résultats sur le pourcentage du PIB consacré à la défense ont étayé le concept du triangle kantien, car ils ont clairement montré que les démocraties accordent une importance moindre aux forces armées au profit d’autres domaines de dépense. J’estime que ce constat contribue d’une façon beaucoup plus fondamentale à soutenir le concept du triangle kantien que l’absence de confirmation de mon hypothèse pourrait contribuer à le discréditer. Comme le rapport annuel du SIPRI l’a fait voir, il est évident que les dépenses militaires augmentent partout dans le monde. Tant que cette tendance se poursuivra, il sera de plus en plus vital de savoir pourquoi et comment les États affectent des fonds à la défense. Certes, ils songent peut-être à acheter des AK-47, des chars d’assaut et des aéronefs, mais en comprenant pourquoi ils se sentent obligés d’investir dans ces systèmes d’armes, nous arriverons peut-être à mieux discerner quels moyens il conviendrait de prendre pour réduire les dépenses militaires à l’échelle mondiale et, ce faisant, nous pourrons peut-être éviter de créer un contexte où le nombre d’AK-47 dans le monde ne sera plus 75 millions, mais 750 millions!

Oleg Popov/Reuters RTXGA7T

Un combattant tchétchène armé d’un fusil AK 47 dans la rue au cours d’une attaque à la roquette et d’artillerie, au centre de la capitale tchétchène.

Notes

  1. Larry Kahaner, AK-47: The Weapon That Changed the Face of War, 1re édition, Hoboken (N.J.), Wiley, John & Sons, 2006.
  2. Jennifer Brauner, « Military Spending and Democracy », dans Defence and Peace Economics, vol. 26, n4, 8 octobre 2014, p. 409-423; Benjamin O. Fordham et Thomas C. Walker, « Kantian Liberalism, Regime Type, and Military Resource Allocation: Do Democracies Spend Less? », dans International Studies Quarterly, vol. 49, no 1, mars 2005, p. 141-157; Julide Yildirim et Selami Sezgin, « Democracy and Military Expenditure: A Cross-Country Evidence », dans Transition Studies Review, vol. 12, no 1, 2005, p. 93-100.
  3. William Nordhaus, John R. Oneal et Bruce Russett, « The Effects of the International Security Environment on National Military Expenditures: A Multicountry Study », dans International Organization. vol. 66, no 03, juillet 2012, p. 491-513; Ethan B. Kapstein, « Two Dismal Sciences Are Better Than One—Economics and the Study of National Security: A Review Essay », dans International Security, vol. 27, no 3, janvier 2003, p. 158-187; Fordham et Walker, p. 141-157.
  4. Spencer R Weart, Never at War: Why Democracies Will Not Fight One Another, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1998, p. 3.
  5. Fordham et Walker, p. 141.
  6. Kapstein, p. 175.
  7. Weart, p. 3.
  8. Michael W. Doyle, « Liberalism and World Politics », dans  American Political Science Review, vol. 80, no 04, décembre 1986, p. 1151-1169; Weart, p. 3.
  9. S. A. Bremer, « Dangerous Dyads: Conditions Affecting the Likelihood of Interstate War, 1816-1965 », dans Journal of Conflict Resolution, vol. 36, no 2, le 1er juin 1992, p. 309-341; Robert L. Ivie, « Democratizing for Peace », dans Rhetoric & Public Affairs, vol. 4, no 2, p. 2001, p. 309-322.
  10. Nordhaus, Oneal et Russett, p. 491-513; Fordam et Walker, p. 141-157; Yildirim et Sezgin, p. 93-100.
  11. Nordhaus, Oneal et Russett, p. 491-513.
  12. J. Carter et G. Palmer, « What Goes Up Must Come Unevenly Down: Regime Type, Interstate War, and the Dynamics of Defence Spending », 2008.
  13. Brauner, p. 420.
  14. Adam Przeworski et Fernando Limongi, « Political Regimes and Economic Growth », dans Journal of Economic Development, vol. 7, no 4, été 1993, p. 64
  15. Chin-en Wu, « Regime Types, Structural Factors and Economic Performance », thèse de doctorat à l’Université du Michigan, 2004.
  16. Carl Knutsen, « Political Regime Types and Economic Growth », 2006. 
  17. Eric Weede, « The Impact of Democracy on Economic Growth: Some Evidence from Cross-National Analysis », dans Kyklos: International Review for Social Sciences vol. 36, no 1, février 1993, p. 21-39.
  18. Kathryn Stoner, « Regime Type and Economic Development », consulté le 26 mars 2015 : http://fsi.stanford.edu/research/regime_type_and_economic_development.
  19. N. Dritsakis, « Defence Spending and Economic Growth: An Empirical Investigation for Greece and Turkey », dans Journal of Policy Modeling, vol. 26, no 2, février 2004, p. 249-264.
  20. Kapstein, p. 158-187.
  21. Freedom House, « Annual Freedom in the World Country Scores: 1972-2014 », 2015. Voir le site https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world-2015#.VipN5BCrR0w.
  22. Stockholm International Peace Research Institute, « SIPRI’s Databases », consulté le 22 janvier 2015 : http://www.sipri.org/databases.
  23. Banque mondiale, « GDP Growth by Year », 2014. Voir le site http://data.worldbank.org.