Critiques de livres

Couverture de l’ouvrage « British Generals in Blair’s Wars » par Jonathan Bailey, Richard Iron et Hew Strachan (éd.)

British Generals in Blair’s Wars

par Jonathan Bailey, Richard Iron et Hew Strachan (éd.)
Farnham, Surrey, Royaume-Uni, Ashgate Publishing, 2013
385 pages, 51,70 $ (couverture souple)
ISBN 978-1-4094-3736-9

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Critique du colonel (à la retraite) P. J. Williams

L’un des généraux qui ont rédigé un chapitre de cet ouvrage a formulé le commentaire suivant sur d’autres généraux ayant également participé à sa rédaction, dont certains étaient des compagnons d’armes : « Il y en a beaucoup que je considère comme justes, certains à qui je me joindrais avec plaisir pour attaquer la porte de l’enfer et quelques-uns que je ne suivrais même pas aux toilettes1. » [TCO] Un autre, en parlant de la presse, a énoncé l’observation suivante : « Des animateurs des médias vous diront qu’ils s’engagent à obtenir une évaluation objective des nouvelles. Balivernes2. » [TCO] Après avoir passé trois ans au sein de l’armée britannique dans le cadre d’un programme d’échange, j’ai bien compris que le style de rédaction des Britanniques diffère grandement du nôtre. On pourrait assurément dire qu’il est « robuste », mais que les idées sont transmises sans détour. J’ai obtenu un exemplaire de cet excellent ouvrage, et je n’ai pas été déçu.

Le livre British Generals in Blair’s Wars fait partie de la série Ashgate sur la stratégie militaire et l’art opérationnel. Il découle d’une série de séminaires présentés à l’Université d’Oxford de 2005 à 2011 dans le cadre du programme Leverhulm sur la nature changeante de la guerre. Le séminaire consistait en un certain nombre d’exposés présentés par des officiers britanniques de retour depuis peu d’une mission à l’étranger au cours de laquelle ils avaient occupé un poste supérieur de commandement opérationnel, qui avaient également acquis une grande expérience au fil du temps, notamment en Irlande du Nord, dans les Balkans, en Sierra Leone, en Irak et en Afghanistan. La plupart des collaborateurs (dont la majorité faisait partie de l’armée de terre britannique) comptaient au moins trois étoiles à leur insigne. De plus, certains chapitres ont été rédigés par un maréchal en chef de l’Air (l’équivalent du grade de général) de la Royal Air Force, un chapitre sur les répercussions psychologiques des opérations a été rédigé par un médecin civil chevronné et un chapitre très instructif sur les relations civilo-militaires a été rédigé par un ancien fonctionnaire supérieur du ministère de la Défense britannique.

L’ouvrage compte cinq parties :

  • Partie I : « Setting the scene » (Mise en contexte), dans laquelle le contexte politique est décrit, et l’ancien premier ministre Tony Blair fait l’objet de nombreuses critiques. On lui reproche notamment de ne pas réfléchir aux conséquences de ses décisions, en particulier celles qui ont mené à la présence britannique en Iraq en 2003;
  • Partie II : « Hard Lessons » (Pénibles leçons), qui traite essentiellement des premières étapes de la participation britannique à la deuxième guerre du Golfe;
  • Partie III : « Iraq 2006-2009 » (L’Iraq de 2006 à 2009), dont le sous-titre est « Success of a Sort » (Un succès, en quelque sorte);
  • Partie IV : « Improving in Afghanistan » (Améliorations en Afghanistan);
  • Partie V: « What Have We Learnt » (Qu’avons-nous appris)?

Les profanes qui s’attendent à ce que cet ouvrage soit composé d’une série de diatribes rédigées par des « fiers-à-bras intellectuels » (c’est ainsi qu’un de mes professeurs du Collège militaire royal nous appelait, mes collègues élèves-officiers et moi) seront déçus, car ce n’est pas du tout le cas. Chaque chapitre est très bien rédigé, et le lecteur peut dégager plusieurs thèmes communs, dont le besoin de clarté (qui faisait souvent défaut, comme les collaborateurs le reconnaissent volontiers) sur le plan politique, en ce qui concerne l’objet de l’intervention. Du point de vue d’au moins un des collaborateurs, l’intervention britannique menée en Iraq en 2003 n’avait rien à voir avec l’Iraq en tant que tel, mais elle avait tout à voir avec les relations en matière de sécurité entre le Royaume-Uni et les États-Unis3. Sauf exception, ou presque, les auteurs ont fermement soutenu que nous serions bien avisés d’adopter la fameuse « approche globale », que nous appelons « l’approche pangouvernementale » au Canada. Vous connaissez?

Bon nombre des généraux qui ont collaboré à cet ouvrage décrivent la période au cours de laquelle ils étaient affectés à un quartier général supérieur des forces américaines, souvent en qualité de commandant adjoint. Le livre renferme donc beaucoup de renseignements sur la façon américaine de faire la guerre. Je croyais que les Britanniques seraient extrêmement critiques envers l’approche militaire de nos voisins du Sud, mais je me suis rapidement rendu compte que ce n’est pas le cas. Bien que certains généraux britanniques soient partis en déploiement avec l’idée que les militaires américains étaient tous des « John Wayne4 », la plupart ont rapidement été impressionnés par la rapidité avec laquelle (en comparaison avec leurs propres forces), par exemple, les Américains se sont adaptés à l’environnement de contre-insurrection (COIN) en Iraq. En fait, l’ouvrage consacre une grande partie aux « organisations apprenantes », et les forces armées britanniques n’obtiennent pas toujours les meilleures notes à ce titre. Il contient plusieurs recommandations sur la façon de mieux faire les choses, du moins du point de vue militaire. Cependant, je trouve particulièrement utiles les conseils d’un ancien employé civil du ministère de la défense britannique concernant trois sources de friction potentielles dans les relations civilo-militaires. À son avis, ces sources sont les suivantes :

  • Échéancier;
  • Compréhension et attentes stratégiques;
  • Culture, y compris la réaction aux pertes5.

On peut difficilement élaborer un meilleur compte rendu que celui qui est fait, de façon très réaliste et honnête (en fait, il s’agit de comptes rendus multiples), de la fonction de général et des relations de haut niveau civilo-militaires/de l’Alliance/de la Coalition entretenues dans l’après-guerre froide. Malheureusement, six chapitres ont été retirés en raison des règlements du ministère de la Défense britannique auxquels sont soumis les officiers en service qui publient des documents susceptibles de susciter la controverse. C’est dommage. Peut-être qu’une nouvelle version de cet ouvrage sera publiée lorsque les collaborateurs rangeront leur uniforme. En fait, le rapport britannique Chilcot qui vient d’être publié (au moment de la rédaction de la présente critique) traite de l’intervention britannique dans la guerre menée en Iraq en 2003 et permettra sans doute de renforcer de nombreux points soulevés dans l’ouvrage.

Le Canada n’a pas pris part à la deuxième guerre du Golfe, à l’exception des rares cas où il y a envoyé un officier participant à un programme d’échange ou en détachement, bien qu’il soit parfois mentionné en passant lorsqu’il est question du conflit en Afghanistan, auquel il a contribué de façon relativement appréciable. Cela nous amène à nous demander pourquoi nous n’avons produit aucun ouvrage semblable sur les expériences vécues par nos commandants supérieurs dans les opérations récentes. En dehors du conflit en Afghanistan, dans le cadre duquel bon nombre de nos officiers ont été affectés à un poste de commandement supérieur, dont le commandement de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) (assumé par le lieutenant-général Rick Hillier), les officiers généraux canadiens ont occupé ou occupent divers postes de commandement supérieur, notamment au sein des unités suivantes :

  • Division multinationale (sud-ouest), dans les Balkans;
  • Commandement de la Force opérationnelle multinationale 150 (FOM 150) navale, dans la mer d’Oman;
  • Commandement de l’équipe canadienne travaillant avec le Bureau du coordonnateur de la sécurité des États-Unis en vue de la mise sur pied d’une capacité de sécurité de l’Autorité palestinienne;
  • Commandement de la Force interarmées, dans le cadre des opérations de l’OTAN menées en Libye en 2011;
  • Commandement (au moment de la rédaction de la présente critique) de la Force multinationale et Observateurs (FMO), dans le Sinaï;
  • Commandement des forces opérationnelles interarmées qui mènent des opérations nationales; et, bien sûr,
  • Commandement de la composante et commandement supérieur au sein des forces américaines dans le cadre de l’exercice bisannuel Rim of the Pacific (RIMPAC).

Compte tenu du choix si riche des expériences dans lequel il pourrait puiser, le Canada pourrait certainement produire l’équivalent de British Generals in Blair’s Wars. Il faut espérer que nous ne sommes pas (pour citer le titre de l’un des chapitres de l’ouvrage) « trop occupés pour apprendre » [TCO]. Je recommande fortement ce livre à tous ceux, tant les militaires que les civils, qui œuvrent à un niveau supérieur de la Défense, de même qu’à leurs homologues d’Affaires mondiales Canada et du Bureau du Conseil privé. Les militaires qui s’apprêtent à assumer un poste de commandement supérieur à l’étranger au sein d’une coalition ou de l’Alliance devraient assurément lire cet ouvrage dans le cadre de leur instruction préalable au déploiement.

Le dernier poste qu’a occupé le colonel (à la retraite) Williams avant de prendre sa retraite a été celui de Directeur  – Vérification du contrôle des armements au sein de l’état-major interarmées stratégique.

Notes

  1. Graeme Lamb, « On Generals and Generalship », dans l’ouvrage de Jonathan Bailey, Richard Iron et Hew Strachan (éd.), British Generals in Blair’s Wars, Farnham, Royaume-Uni, Ashgate Publishing, 2013, p. 144.
  2. John McColl, « Modern Campaigning from a Practitioner’s Perspective », dans l’ouvrage de Jonathan Bailey et al., p. 108.
  3. Justin Maciejewski, « Best Effort: Operation Sinbad and the Iraq Campaign », dans l’ouvrage de Jonathan Bailey et al., p. 157.
  4. Il s’agit de l’expérience du général (à la retraite) sir Nick Parker. Il admet ce fait dans le cadre d’une discussion de groupe en ligne fort intéressante sur l’ouvrage. La discussion d’un peu plus d’une heure a eu lieu à l’Institut international d’études stratégiques (IISS), à Londres, en Angleterre, le 17 juillet 2013. Elle se trouve à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=Obt2tkg4U4k.
  5. Desmond Bowen, « The Political-Military Relationship on Operations », dans l’ouvrage de Jonathan Bailey et al., p. 275.