OPINIONS

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Des combattants de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) posent pour une photographie de propagande publiée par l’organisation, le 28 septembre 2014.

Le discours intégriste religieux dans le processus de radicalisation menant à la violence

par Éloi Gunn

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Introduction

L’actualité récente et la vox populi [l’opinion de la masse – réd. en c.] m’ont conduit à m’intéresser au processus de radicalisation religieuse avec son lot d’extrémisme violent. Ce texte rend compte d’une démarche personnelle de réflexion qui se décline en trois phases :

Primo, une collecte d’informations sur le terrain (témoignages et entrevues). En effet, je me suis rendu à Strasbourg, en France, à la rencontre de musulmans modérés. J’ai visité des mosquées et j’ai parlé à des musulmans, en majorité d’origine maghrébine et issus de la première et deuxième génération d’immigrants. Je me suis rendu sur les terrains de football dans quelques quartiers défavorisés et dans les habitations à loyer modéré (HLM). J’ai visité la Maison des adolescents de Strasbourg, qui accueille les jeunes de 12 à 21 ans aux prises avec des défis existentiels.

Secundo, j’ai procédé à une revue de la littérature scientifique contemporaine sur le phénomène. Des livres de Dounia Bouzar, l’anthropologue français spécialiste de la radicalisation islamique en France, de Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense française, en passant par Montasser Alde’emeh, le jeune doctorant belgo-palestinien de l’Université d’Anvers, qui a pris le risque de s’infiltrer en Syrie pendant deux semaines.

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Dounia Bouzar, dont le travail consiste à éloigner les jeunes musulmans de l’islamisme militant, participe à un entretien à Issy-les-Moulineaux, près de Paris, le 18 janvier 2017.

Tertio, j’ai eu le privilège d’assister au Colloque sur l’islamisme radical au Canada qui s’est tenu au Collège militaire royal de Saint-Jean, le 15 avril 2016. La richesse des informations communiquées par les divers conférenciers de renom, tels que Madame Fatima Houda-Pépin et M. Benoît Blanpain (chef d’une zone de police belge) ont aussi nourri mon modeste cogito.

Je rendrai compte de ma réflexion de la manière suivante : après avoir défini la radicalisation d’un point de vue socioanthropologique, je m’efforcerai de comprendre le processus en mettant l’accent sur le contenu du discours radical islamiste. Enfin, j’esquisserai quelques pistes de solutions au chapitre de la prévention et de la déradicalisation au vu du discours de propagande de l’islamisme radical.

La radicalisation : qu’est-ce?

La radicalisation religieuse en général est le processus par lequel une personne ou un groupe de personnes épousent à l’extrême une idéologie religieuse. Cet extrémisme se manifeste sur un plan sociologique par l’exclusion ou l’autoexclusion de la personne ou du groupe de la majorité des croyants de cette religion, et par conséquent, de la société en général. Dans le même esprit, Dounia Bouzar définit le radical comme « tout individu qui utilise la religion pour s’auto-exclure de la société ou exclure les autres. »1

Épouser une idéologie religieuse radicale n’est pas en soi néfaste pour la société. Martin Luther, le père du protestantisme, était un radical de son époque. Les frères Wesley, qui ont fondé le mouvement méthodiste, peuvent être considérés aussi comme des radicaux religieux. Gandhi et Martin Luther King Jr., pères du pacifisme politico-religieux se rangent dans le même courant. Les radicaux font avancer la société. Toutefois, toute radicalisation qui incite à la violence physique et psychologique est destructrice et met en péril les valeurs. Nous pouvons donc avancer sans aucune crainte que la radicalisation islamique telle que prônée par Daech « État islamique » va à l’encontre du bien-être des sociétés modernes. Elle est une forme de radicalisation violente ou menant à la violence, car elle « utilise la violence pour propager ou défendre ses convictions».2

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Mahatma Gandhi, devant le 10, Downing Street à Londres, en 1931.

Depuis un certain temps, les auteurs s’accordent pour parler de « processus graduel », étant donné que la radicalisation est tributaire de quelques facteurs. S’il n’est pas rare de voir des personnes se radicaliser en quelques jours, ce processus se fait en général sur plusieurs mois, voire plusieurs années. Il faut du temps pour que le discours radical fasse son effet sur une personne, et il en va de même pour que l’effet de groupe entraîne un jeune dans les girons de la radicalisation. Comme il a été observé à Molenbeeck, un quartier de Bruxelles, le lieu de résidence d’une personne est un facteur déterminant à sa radicalisation. N’avons-nous pas pensé à tort que les jeunes venant de milieux défavorisés sont plus facilement sujets à la radicalisation? Si on peut maintenant douter de cette affirmation, il n’en demeure pas moins que certains milieux favorisent la radicalisation plus que d’autres.

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Martin Luther King Jr. prononce un discours, dans les années 1960.

Le discours dans le processus de radicalisation menant à la violence

1. La forme du discours

À l’amont du processus se trouve le discours radical. Il se fait soit dans les lieux de cultes, sur le Web ou encore entre amis du même quartier ou dans les cours de lycée. Dans les mosquées, l’émergence de religieux radicaux comme l’imam d’origine tunisienne, Mohamed Hammami, responsable religieux de la Mosquée Omar (Paris, XIe) et l’imam de nationalité néerlando-marocaine Shayh Alami (Dison, en Belgique) favorise la propagande d’idées radicales. En effet, selon le Courrier de l’Atlas, le ministre de l’Intérieur français, Manuel Valls, commente les faits reprochés à l’imam Mohamed Hammami en ces mots : « Lors de ses prêches, l’imam a tenu des propos ouvertement hostiles aux valeurs de la République. Il a valorisé le jihad, proféré des propos antisémites et justifié le recours à la violence et aux châtiments corporels contre les femmes. »3 De même, l’imam « est accusé de propagande salafiste, d’appel à la violence et à la guerre sainte ».4

Les djihadistes maîtrisent et mettent à profit les nouveaux médias sociaux. Sur le Web, le discours et les vidéos propagandistes utilisent principalement deux axes stratégiques symboliques :5 (1) l’emprunt des codes culturels reçus et acceptés dans la mémoire collective de la société occidentale (le feu ou les flammes) et (2) les normes symboliques du jihad d’al-Qaïda (l’attentat du 11 septembre). On assiste donc à un mélange des genres qui rend flou les frontières entre la fiction et l’imaginaire. Plus que jamais, le discours djihadiste transgresse les codes familiaux traditionnels en faisant une intrusion physique et cinématographique dans les foyers. Le processus de « gatekeeping » étatique et parental est dépassé et contourné.

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Des militants de l’État islamique lors d’un affrontement près de Deir ez-Zor, à l’est d’Hama, en Syrie, le 20 octobre 2017.

2. La portée théologique du discours djihadiste

2.1 L’islam « pur »

Le discours djihadiste prétend ramener les musulmans et les non-musulmans au « vrai islam ». Ce qu’il suggère, c’est un retour à la source. Il faut donc purifier l’islam actuel de toutes ses taches afin de retrouver l’idéal salafiste. L’islam « pur » serait corrompu par les us et coutumes de la société occidentale. Ceux qui adhèrent à cet islam « pur», le « vrai » feront partie d’une sorte de groupe d’élus qui pensent posséder la vérité. Ils se donnent une primauté sur les autres croyants ou mécréants (koufr où kouffars). Comme le rappelle Dounia Bouzar, cet anthropologue français émérite, également auteur et éducateur, l’utilisation de la notion de la pureté de groupe dans le discours propagandiste djihadiste est de mauvais augure.6

La pureté du groupe a pour fonction sociologique de créer deux mondes distincts : le pur et l’impur; nous et les autres. La notion de pureté déculturalise, exclut et recrée un islam mondialisé. Ainsi, le « vrai » musulman se définit par son appartenance à ce nouveau groupe de « purs » qui ne s’identifie plus à une culture occidentale, à un pays donné, à une nationalité mais seulement à l’islam fondamentaliste salafiste.

Rien de nouveau sous le soleil. Ce genre de discours relève des stratégies utilisées par les groupes sectaires ou des nouveaux courants religieux issus des mouvements de revivalisme. Sur ce plan, le salafisme islamique et le fondamentalisme protestant américain ont un point en commun : « tous les deux écartent la culture, la philosophie et même la théologie au profit d’une lecture scripturaire des textes sacrés et d’une saisie immédiate de la vérité ».7

2.2 L’eschatologie et le jihad8

La notion de pureté dans le discours salafiste est couplée avec une eschatologie qui est rendue plus concrète avec la création d’un État dit islamique. Selon Montasser AlDe’emeh, spécialiste autoproclamé du jihad, la fin des temps est une motivation supplémentaire pour les jeunes qui se joignent au mouvement radical islamique. Selon lui, nombre de jeunes partis combattre en Syrie « estiment que c’est un honneur de prendre part au combat apocalyptique entre les troupes de l’islam et les incroyants. À leurs yeux, la guerre en Syrie est un prélude à la venue d’une figure messianique qui, selon certaines sources de l’islam, apportera la justice dans le monde ».9

Ce serait une erreur que d’ignorer ou de minimiser la portée de ce message eschatologique dans le discours radical de l’État islamique. Le fait de faire croire aux jeunes qu’ils participent en temps réel et en un lieu réel à la venue du Mahdi donne un sens à leur existence. Pour ceux d’entre eux qui sont désabusés par le discours des politiciens ou par notre société capitaliste de consommation, la perspective eschatologique du discours djihadiste a du sens. Pour plusieurs de ces jeunes, avec la proclamation de l’État islamique vient une lueur au bout de leur tunnel existentiel : enfin, ils peuvent se rendre utiles dans une société en décadence. Selon ce discours, même si en apparence ce sont les humains qui contrôlent tout, en réalité, c’est Allah qui fait les lois et non des politiciens corrompus.10

Écrivant au deuxième degré, Pierre Conesa, historien et ancien haut fonctionnaire de la Défense française, décrit la vision eschatologique d’un jeune radical en ces termes : « Ce monde pourri ne peut pas survivre : trop d’injustices, de guerres iniques, de massacres impunis, de dépravation… Cette société décadente est une régénérescence de Sodome et Gomorrhe, de Sumer et de Babylone, baignant dans la luxure, l’usure, l’inceste, la sodomie et le culte des idoles… Le châtiment divin imminent va détruire cette société comme il a détruit Rome et Byzance. La bataille finale se déroulera dans la ville de Dabiq, en Syrie, comme l’avait annoncé le Prophète ».11

Avec une telle vision eschatologique, tout jeune en voie de radicalisation est convaincu qu’il participera, en Syrie, à la venue d’un monde nouveau. Certains vont même plus loin en se comparant ou se prenant pour le Madhi.12 D’ailleurs, la ville de Dabiq n’est-elle pas en ce moment occupée par le Califat? Et que dire de la déclaration d’Abou al-Darda sur le lieu d’apparition physique du Madhi : « La meilleure garnison de musulmans au jour de la Grande Mêlée sera située dans la Ghouta, à proximité d’une ville appelée Damas, l’une des meilleures villes de Sham. ».13

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Photographie de propagande de l’EIIL montrant des militants masqués qui effectuent des tirs avec un fusil automatique AK-47, le 19 novembre 2015.

L’illusion eschatologique du nouveau mouvement islamique qu’est Daech n’est pas étrangère à l’histoire des religions. En effet, certains groupes juifs de l’époque de Jésus de Nazareth, en l’occurrence les Zélotes, ont cru contribuer à l’avènement du Messie. Nos contemporains, les Témoins de Jéhovah, avaient prédit que l’année 1914 marquerait la fin du « temps des Gentils.» Pour eux, nous vivons, selon le livre de Daniel (Chap. 12), la période de la fin des temps qui sera suivie par les mille ans de règne du Christ qui viendra libérer le monde de ses souffrances (guerre, famine, injustice, etc.). Selon eux, un « petit troupeau de 144 000 élus » formera la nouvelle humanité qui dominera la terre selon les lois divines afin de retrouver, en mille ans, la perfection originelle avant la chute.

Une rapide comparaison entre le discours eschatologique des islamistes de Daech et celui du groupe chrétien des Témoins de Jéhovah révèle deux axes théologiques : l’imminence de la fin de ce monde injuste; la formation d’un groupe d’élus privilégiés et l’instauration des lois divines pour un retour à une humanité plus proche du divin. La seule différence est que contrairement à Daech, les Témoins de Jéhovah n’utilisent pas la violence physique pour propager leur idéologie religieuse. Mais, tout comme Daech, ils arrivent à créer la rupture entre leurs adeptes et le reste de la société.

Si le premier but du discours radical religieux menant à la violence est la rupture sociétale et l’embrigadement des jeunes dans une nouvelle « famille d’illuminés », le processus de déradicalisation ou de désembrigadement passe nécessairement par une déconstruction de ce discours. Une telle démarche permettra d’y découvrir les éléments rhétoriques persuasifs et de bâtir un discours plus positif qui puisse convaincre les embrigadés à sortir de leur « esclavage ».

Vers une déradicalisation du discours religieux : comprendre la rhétorique des lieux communs ou topoi

L’effet persuasif du discours radical religieux menant à la violence est accentué par l’utilisation de certains éléments rhétoriques, en l’occurrence les lieux communs ou topoi.14 La prévention et le processus de déradicalisation prennent, me semble-t-il, leur source dans la compréhension de ces lieux rhétoriques afin de mieux cerner a priori son effet persuasif.

1. Définition

En prenant en considération que ces topoi sont profondément imbibés dans la société et la culture dont ils émergent, nous parlerons volontiers de topoi socioculturels. En effet, les topoi socioculturels peuvent être définis, selon Aelius Théon, philosophe de l’Antiquité, comme des assertions certaines ou probables dérivant d’un ensemble de formes de connaissances, de valeurs et de conventions sociales et culturelles et servant à construire un raisonnement dans la description amplifiée d’un fait.15 On retrouve dans la rhétorique islamiste radicale menant à la violence les topoi d’Oumma (qui est un concept idéologique d’une communauté musulmane transfrontalière), de la rétribution, de la mort et de la résurrection et de la fin des temps. Afin de simplifier notre argumentation et de la rendre plus pertinente, nous nous attarderons uniquement sur un seul topos : celui de l’Oumma.

2. Le topos de l’Oumma

Le topos socioculturel est celui qui nous apparaît le plus fondamental dans le discours islamiste radical menant à la violence. En effet, les conflits au Moyen-Orient, les affrontements entre Israël et la Palestine et le conflit en Syrie sont autant de cris de ralliement pour la création d’une communauté virtuelle musulmane transfrontalière. En utilisant le topos de l’Oumma, le discours radical amplifie le sentiment d’appartenance à l’islam en faisant ainsi fi des nationalités individuelles. C’est ainsi qu’en parlant de l’interdiction du port du voile en Belgique, un extrémiste s’exprime en ces termes :

« Combien de récits n’avons-nous pas entendus de femmes à qui l’on a retiré de force le hijab? Alors que les hommes musulmans étaient là et ne faisaient rien. Les gars, c’est votre responsabilité! Vous devez vous lever pour vos sœurs… Nous sommes une communauté. Il faut se lever pour nos sœurs. »16

Comme on peut le constater, l’auteur, dans le topos de l’Oumma, amplifie ce qu’il perçoit comme une faute : le pacifisme des hommes musulmans (où qu’ils soient) face à la souffrance des femmes musulmanes résidant dans les pays occidentaux. Ce topos, dans cet exemple, fait un lien entre l’inaction et la culpabilisation. Il résonne comme un violon aux oreilles des jeunes occidentaux, d’autant plus qu’ils ont grandi dans une culture qui encourage les gens à prendre action contre les injustices sociales. D’ailleurs, dans la vague de l’opération Honneur,17 les FAC ont mis sur pied un programme pour contrer le phénomène psychosocial de l’effet du spectateur (ou effet du témoin). Personne dans notre société ne veut être le prochain témoin qui verra avec impuissance une autre Kitty Genovese se faire violer et assassiner en pleine rue de New York.18 Ainsi voudrait-on tous aller porter assistance aux pauvres femmes et enfants meurtris par la guerre au risque de prendre parti pour Daech. Dans ce contexte, l’élaboration du topos de l’Oumma avec l’amplification du sentiment de culpabilité et son parallèle psychosocial de l’effet du témoin, devient un miroir dans lequel les gens en voie de radicalisation voient et interprètent l’injustice contre laquelle Daech prône se dresser.

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Des combattants de l’EIIL sillonnent une ville de la province d’Al-Anbar, en Irak, le 13 avril 2016.

3. Contrepoids au topos de l’Oumma : la déconstruction

Que faire devant la force de persuasion de ce topos?

Il faut tout simplement commencer par le déconstruire. Pour ce faire, une précision s’impose : le topos de l’Oumma est basé sur un mythe au service d’une idéologie religieuse. Contrairement à ce que l’on fait miroiter par le biais de ce topos sur une idée de famille musulmane unie, la réalité est que la communauté arabo-musulmane n’est pas aussi soudée que Daech aimerait le faire croire aux jeunes. En effet, Pierre Conesa écrit : « l’Oumma est en fait une mythologie. Chaque jour, les massacres croissent et la solidarité religieuse recule. On a connu par le passé la solidarité prolétarienne, qui devait unir tous les ouvriers de la planète. Mobilisatrice et enivrante, elle n’en fut pas moins meurtrière. L’Oumma connaît la même crise aujourd’hui. »19 La guerre syrienne et son lot de morts en sont une preuve. Dans le monde arabo-musulman, les diverses factions s’affrontent. Voici comment Guy Sorman, économiste et philosophe, décrit la situation dans le journal en ligne L’Hebdo :

« À Kaboul, des talibans attaquent un hôtel fréquenté par des Afghans; au Pakistan, des pèlerins ismaélites, une secte chiite, sont assassinés par des sunnites; au Yémen, un conflit intérieur oppose des chiites locaux soutenus par l’Iran contre des sunnites armés par les Saoudiens qui se réclament du wahabisme. En Syrie, les alaouites affiliés aux chiites massacrent des sunnites et des Kurdes. »20

Croire au mythe de l’Oumma reviendrait à nier les guerres intestinales entre les différentes branches de la religion chrétienne qui ont jalonné son histoire. La guerre interminable entre les chrétiens d’obédience protestante et les catholiques en Irlande du Nord ou encore le génocide de 1994 au Rwanda, un pays majoritairement chrétien n’en sont que deux exemples. In fine, il faut se rendre à l’évidence que les divisions entre divers courants de la même religion est un secret de Polichinelle. Certes, l’idéal de toutes les religions est l’harmonie. Seulement, cette dernière, à la lecture au présent de l’histoire religieuse de l’humanité, n’est qu’une utopie. Croire ou faire croire à l’Oumma est une exagération mythologique.

Conclusion

Le discours intégriste religieux menant à la violence contribue à la radicalisation des jeunes de toutes les classes sociales et de tous les horizons. Souvent, l’on s’attarde au phénomène de radicalisation d’un point de vue politique et social, sans se pencher sur le message lui-même. Dans ce court essai, nous avons montré, par quelques exemples ciblés, l’importance des lieux communs dans l’effet persuasif du discours.

La prévention de la radicalisation et le processus de déradicalisation devraient prendre leur source dans l’analyse systématique de la rhétorique des discours religieux intégristes menant à la violence. Il faut en isoler les lieux communs (topoi) et trouver à chacun d’eux leurs contrepoids rhétoriques. Et par la suite proposer un discours réaliste et convaincant soutenu par des actes concrets sur le plan social, économique et politique. La guerre contre toute idéologie extrémiste religieuse se résume souvent à une guerre profondément rhétorique. N’est-ce pas le logos qui est à la source de tout?

Le lieutenant de vaisseau Éloi T. D. Gunn, aumônier, a été ordonné ministre du culte de l’Église Unie du Canada en 2005. Après avoir servi dans plusieurs paroisses civiles, il s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 2011. Il a été aumônier du 12 RBC, du 5 RALC et du 5 Bon svc à Valcartier (Québec) avant d’être affecté au Centre-école des aumôniers des Forces canadiennes à Borden où il occupe présentement le poste de directeur de cours. Il détient un Ph. D. (Th) de l’Université d’Ottawa, un doctorat en théologie de l’Université Saint-Paul et un D.E.U.G. II en sociologie de l’Université de Lomé (Togo).

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Encore une photographie de propagande de l’EIIL montrant des combattants à la marche, le 25 août 2015.

Notes

  1. Dounia Bouzar, Désamorcer l’Islam radical, Paris, Les Éditions de l’atelier, Paris, 2014, p. 17.
  2. Montasser Alde’Emeh, Pourquoi nous sommes tous des Djihadistes, La boîte à Pandore, Paris, 2015, p. 259.
  3. Rachad Cherif, France, « Expulsion d’un imam radical de Paris vers la Tunisie », dans le Courrier de l’Atlas, le 23 novembre 2015, http://www.lecourrierdelatlas.com/1043223112015France.-Expulsion-d-un-imam-radical-de-Paris-vers-la-Tunisie.html#sthash.SUDfjodd.dpuf; consulté le 8 avril 2016.
  4. Nouvel arrêté d’expulsion : l’imam radical de Dison, visiblement irrité, frappe le micro de notre journaliste, RTL Info, publié le 16 mars 2016, http://www.rtl.be/info/regions/liege/nouvel-arrete-d-expulsion-l-imam-radical-de-dison-visiblement-irrite-frappe-le-micro-de-notre-journaliste-802692.aspx, consulté le 8 avril 2016.
  5. Dans son allocution (« Mythes et enjeux du discours terroriste à l’ère du numérique ») au Colloque sur l’islamisme radical au Canada tenu le 15 avril 2016 au Collège militaire royal de Saint-Jean, Madame Lily Gramaccia a su mettre en évidence le rôle des nouveaux médias dans la propagation du discours terroriste.
  6. Dounia Bouzar, Comment sortir de l’emprise « Djihadiste»?, Les Éditions de l’Atelier, Paris, 2015, pp. 51-52.
  7. Olivier Roy, « Le born again et son univers fondamentaliste », dans Dounia Bouzar, Quelle éducation face au radicalisme religieux?, Dunod, Paris, 2006, p. 43.
  8. Il existe deux sortes de djihad : le djihad majeur qui, selon le dictionnaire Larousse, est « un effort sur soi-même que tout musulman doit accomplir contre ses passions » et le djihad mineur que le même dictionnaire définit comme un « combat pour défendre le domaine de l’Islam ».
  9. Alde’Emeh Montasser, Pourquoi nous sommes tous des Djihadistes, Paris, La boîte à Pandore, 2015, p. 144.
  10. Ibid; p. 145-146.
  11. Pierre Conesa, Guide du Petit Djihadiste à l’usage des adolescents, des parents, des enseignants et des gouvernants, Paris, Fayard, 2016, p. 38.
  12. Le Madhi est le nom donné au descendant du Prophète qui, à la fin des temps, aidera le Christ pour établir l’ordre et la justice.
  13. Dounia Bouzar, Comment sortir de l’emprise « Djihadiste »?, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2015, p. 81.
  14. Aelius Théon définit le topos comme : « un discours qui amplifie un fait, soit une faute, soit une belle action; car le topos a deux fins : combattre les auteurs de mauvaises action… ou défendre les auteurs d’une belle action »; A. Progymnasmata Théon, Texte établi et traduit par Michel Patillon avec l’assistance, pour l’arménien, de G. Bolognesi. Les Belles Lettres, Paris, 1977, p. 62.
  15. Éloi Gunn. Prosopopée idéologique de Paul : une lecture socio-rhétorique du discours de Paul à Athènes (Actes 17, 15-18, 1), University of Ottawa, thèse de doctorat, 2005, p. 197.
  16. Montasser, Alde’Emeh. Pourquoi nous sommes tous des Djihadistes, p. 15.
  17. Ordre d’opération du Chef d’état-major de la Défense signé le 14 août 2015 ayant pour mission d’« éliminer les comportements sexuels dommageables et inappropriés au sein des FAC »; http://www.forces.gc.ca/assets/FORCES_Internet/docs/en/caf-community-support-services-harassment/cds-op-order--op-honour.pdf, consulté le 10 janvier 2017.
  18. Kitty Genovese est une jeune serveuse qui a été assassinée par un tueur en série en 1964 à New York, dans le Queens. Une trentaine de témoins auraient vu le crime et entendu les appels à l’aide de la victime mais aucun des témoins ne lui avait porté secours. Suite à cela, plusieurs psychologues ont essayé de trouver la raison de l’inaction des témoins. Ces recherches menées notamment par John Darley et Bibb Latané en 1968 ont conduit à ce qu’on appelle maintenant l’effet du spectateur ou « Bystander effect ». Pour en savoir plus, on doit lire ceci : Decoin, Didier. Est-ce ainsi que les femmes meurent?, Paris, Grasset, 2009.
  19. Pierre Conesa. Guide du Petit Djihadiste à l’usage des adolescents, des parents, des enseignants et des gouvernants, Paris, Fayard, 2016, p. 25.
  20. Guy Sorman. L’islam contre les musulmans à http://www.hebdo.ch/les-blogs/sorman-guy-le-futur-cest-tout-de-suite/lislam-contre-les-musulmans, consulté le 10 janvier 2017.