CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de l’ouvrage « Mission at Nuremberg: An American Army Chaplain and the Trial of the Nazis »

Mission at Nuremberg: An American Army Chaplain and the Trial of the Nazis

par Tim Townsend
New York, HarperCollins, 2014
400 pages, 34 $
ISBN : 0061997196

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Critique d’Harold Ristau

Mission at Nuremberg:  An American Army Chaplain and the Trial of the Nazis, de Tim Townsend, relate l’histoire de deux aumôniers états-uniens germanophones, l’un étant catholique et l’autre protestant, dont la mission était d’offrir un soutien spirituel aux nazis hauts gradés détenus à Nuremberg en attendant d’être jugés pour des atrocités commises durant la Deuxième Guerre mondiale. Le nouveau groupe de fidèles dont ces aumôniers s’occupaient comprenait vingt-et-un détenus, dont Hermann Goering, Albert Speer, Wilhelm Keitel, Hans Frank et Ernst Kaltenbrunner, les hauts responsables qui ont orchestré l’un des plus effroyables génocides de l’histoire moderne. En s’appuyant sur une recherche rigoureuse dans diverses sources de matériel, soit d’anciens documents classifiés, des récits de témoins oculaires, des journaux et des lettres mises à la disposition du public depuis peu, le journaliste de renom Tim Townsend donne un aperçu fascinant de l’état d’esprit et des replis de l’âme de ces criminels et rend compte des transformations psychologiques et spirituelles qui se sont opérées à l’intérieur de certains de ces acteurs de premier plan du parti nazi entre le moment de leur capture et celui de leur exécution. Bien qu’il fasse référence dans l’ensemble de l’ouvrage au père Sixtus (Richard) O’Conner, soit l’aumônier catholique, l’auteur suit principalement le cheminement spirituel de l’aumônier luthérien Henry Gerecke, âgé de cinquante ans, dont les trois fils qu’il a perdus ont été tués ou blessés sur le champ de bataille, alors qu’il se débat avec les conflits intérieurs éthiques et moraux dans lesquels la tâche qui lui a été confiée l’a plongé. De fait, cette étude biographique intrigante d’un aumônier intéressera non seulement les chefs religieux, mais aussi tout professionnel ou étudiant laïque en histoire, en logistique militaire ou en sciences politiques, sans oublier les lecteurs qui souhaitent explorer les sphères les plus sombres de la psychologie humaine et qui ont suffisamment de courage pour poser certaines des questions les plus importantes sur la moralité et la spiritualité. L’ouvrage intéressera particulièrement les militaires, qui assistent à l’heure actuelle aux conflits internationaux qu’ont déclenchés nos ennemis pour des raisons et des opinions du même ordre que celles qui ont poussé les nazis à commettre leurs actes. Par exemple, l’un des nazis détenus ayant exprimé des regrets décrit les considérations logistiques complexes qui avaient dû être prises en compte pour la gestion des camps d’extermination, conçus pour maximiser l’efficacité et déshumaniser les victimes. La présentation de justifications effroyables fondées sur une vision du monde mécaniste nous met tous en garde contre les répercussions dangereuses d’un éthos employé par des militaires qui font abstraction du fait qu’il doit servir et viser un ensemble de personnes créées à l’image de Dieu. Rédigé par un journaliste qui n’est assurément pas contre les religions, mais dont les convictions religieuses ou spirituelles ne sont pas claires, l’ouvrage offre un compte rendu factuel laissant peu de place à la subjectivité.

Townsend ouvre une fenêtre non seulement sur le cœur, l’esprit et l’âme de criminels qui sont aux prises avec les tourments qui surgissent à l’approche de la mort, accentués par leur sentiment de culpabilité et de responsabilité à l’égard des péchés qu’ils ont commis, mais aussi sur les conflits intérieurs éthiques et moraux que vivent les aumôniers. Par exemple, les aumôniers ont de toute évidence une crise de conscience au moment où la tâche leur est confiée. Ils se demandent si ces criminels devraient recevoir l’aide d’un aumônier, parce qu’ils estiment que ceux-ci ne chercheraient jamais la rédemption ou qu’ils ne méritaient pas de l’obtenir : « Pourquoi prêcher l’Évangile de la miséricorde à des personnes ayant commis de telles atrocités? » [TCO] L’auteur mentionne que les Américains étaient nombreux à vouloir priver les détenus de tout soutien spirituel, pour les punir. Toutefois, selon le courant d’opinion général religieux ayant justifié l’affectation des deux aumôniers, même la plus vile des personnes est importante aux yeux de Dieu, aussi odieux que soient les crimes qu’elle a commis. Les fidèles croyaient que même les criminels devaient avoir la possibilité de se repentir et de se faire pardonner et même consoler dans leur âme par leur Créateur dans les cieux, même s’ils allaient devoir subir les peines imposées par l’État sur la Terre. Cette croyance concordait avec le principe chrétien selon lequel toutes les personnes sont créées à l’image de Dieu et que le Christ, vu comme étant le Sauveur du monde, a donné sa vie pour sauver l’humanité sans discrimination, même les plus vilains d’entre nous. Aux yeux des croyants, les batailles et la guerre étaient tout autant d’ordre spirituel que d’ordre physique. Le passage de la Bible « Car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du Mal qui habitent les espaces célestes » (Épître aux Éphésiens, 6:12) a alimenté le ministère des aumôniers, même si ceux-ci étaient parfois rongés par le doute. Après tout, l’idée de pardonner même aux auteurs de crimes aussi odieux que ceux qu’avaient commis les criminels détenus n’est ni instinctive ni « raisonnable ». Les aumôniers avaient d’autant plus de mal à composer avec de telles idées et questions morales troublantes qu’ils avaient inévitablement établi une relation de soutien pastoral avec ces meurtriers, car bon nombre des nazis ont commencé à fréquenter fidèlement et régulièrement la chapelle qui leur avait été réservée pour la période précédant leur procès, à l’issue duquel, ils n’en doutaient pas, ils allaient être exécutés. Ces aumôniers guidaient un groupe de fidèles du régime nazi et allaient les accompagner jusqu’à leur mort. À la fin, aucun des criminels n’est resté neutre à l’égard des convictions religieuses propres à leur confession; certains ont exprimé des regrets sincères tandis que d’autres ont entièrement rejeté l’idée de Dieu et de son amour envers l’humanité.

Ce qui m’a le plus surpris en tant qu’aumônier militaire luthérien est le repentir que bon nombre de ces criminels ont manifesté sans pour autant souhaiter éviter la peine imposée par le tribunal. Le lecteur n’a d’autres choix que de juger dans quelle mesure chacun de ces criminels repentis « s’est converti » en raison de la perte des illusions qu’il avait entretenues par rapport au régime nazi et de sa peur de l’au-delà ou encore des remords véritables et du sentiment d’horreur profond qu’il éprouvait à l’égard des actes qu’il avait commis. Les aumôniers semblaient tout autant surpris par les résultats de l’exercice de leur ministère, tant et si bien qu’ils ont même hésité au début à donner le sacrement de la sainte communion aux criminels; il faut savoir que les luthériens et les catholiques croient que le repas du Seigneur constitue le principal moyen de réconciliation entre Dieu et les hommes. Naturellement, les aumôniers se demandaient si les criminels étaient vraiment sincères ou s’ils essayaient de les manipuler à des fins cachées. Leur situation ressemblait à celle d’un médecin qui essaie de trouver le remède qui convient alors que les symptômes ne sont pas clairs. L’ouvrage traite de l’engagement émotionnel des aumôniers et même des gardiens de prison, qui ont pour ainsi dire été forcés de vivre avec les prisonniers durant les deux années qu’a duré le procès et d’assumer la difficile tâche de s’occuper des épouses et des enfants des prisonniers, en leur transmettant des messages, en dirigeant des séances de prières ou en leur donnant des conseils. L’un des thèmes évocateurs de l’ouvrage concerne la relation qui s’était tissée entre l’aumônier Gericke et le nazi de premier plan Hermann Goering : l’aumônier avait espéré que Goering se repentirait pour échapper à ce qu’il croyait être la damnation éternelle et a été déçu lorsque le détenu n’a exprimé que peu de regrets pour ses péchés et qu’il n’a donné aucun signe qu’il avait la foi en un Dieu bon et miséricordieux.

Bien que l’auteur raconte de façon incroyablement détaillée les derniers jours, heures et minutes des prisonniers en attente de la potence, y compris les particularités des derniers repas, de l’horaire, des préparatifs, etc., il consigne également, ce qui est spécialement intéressant, les diverses réactions de tous les condamnés juste avant de mourir : leurs derniers mots, l’expression de leur visage, les prières, les cris, les supplications et même le dernier salut « Heil Hitler » d’un nazi impénitent. Les considérations politiques exceptionnelles entourant le procès constituent l’un des thèmes secondaires de l’ouvrage qui intéressera particulièrement les férus d’histoire fascinés par le contexte politique des années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale. L’auteur explore par exemple les singularités peu surprenantes relatives à la façon dont les criminels ont été exécutés, comme la formation volontaire bien qu’illégale de nœuds trop lâches et la prise en compte de certaines considérations logistiques et politiques au moment de déterminer la façon de disposer des corps, en raison de l’incidence qu’elle aurait pu avoir sur les sympathisants nazis, pour n’en nommer que quelques-unes.

Le seul reproche que j’aurais à faire à l’égard de l’ouvrage est le manque de profondeur de certains résumés des questions théologiques, qui ne rendent pas justice à la complexité des doctrines chrétiennes. La plupart des lecteurs laïques pourront suivre le fil de l’histoire sans problème malgré les inexactitudes, qu’ils ne percevront sans doute pas. Je ne vais pas m’attarder à ces questions théologiques, mais je dois dire que la façon dont elles sont présentées empêche le lecteur de bien comprendre les subtilités profondes du sujet dont traite l’ouvrage. Toutefois, dans l’ensemble, cet ouvrage historique factuel, enrichi de photos inédites et rédigé dans un style simple et accessible, mais rythmé comme un roman d’action, sera assurément inspirant tant pour les officiers que pour les militaires du rang des Forces armées canadiennes.

Le révérend major (à la retraite) Harold Ristau, auteur d’articles et de livres publiés, est professeur agrégé au Séminaire de théologie luthérien Concordia de l’Université Brock, à St. Catharines, en Ontario. Il a été au service de la Force régulière durant onze ans, à titre d’aumônier luthérien, dans des bases et des établissements d’enseignement des Forces armées canadiennes. Il est titulaire d’un doctorat en sciences religieuses de l’Université McGill et d’une maîtrise en science politique de l’Université de Waterloo.