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Photo du MDN IS09-2017-0014-013 prise par le caporal chef Gabrielle DesRochers

Un mécanicien de bord des Forces armées canadiennes examine les feux de forêt en Colombie-Britannique du haut d’un hélicoptère CH147 Chinook dans le cadre de l’opération Lentus, le 12 juillet 2017.

Les Forces armées canadiennes et la fonction d’aide humanitaire et de secours aux sinistrés

par Martin Shadwick

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Introduction

Le gouvernement Trudeau a observé à juste titre dans son énoncé de la politique de défense de 2017, Protection, Sécurité, Engagement, que les rôles et les missions des forces armées du Canada avaient « traditionnellement été caractérisés en termes géographiques, avec des lignes distinctes entre les responsabilités nationales, continentales et internationales. L’engagement des Forces armées canadiennes à défendre le Canada et l’ensemble du continent nord-américain, et à apporter une contribution à la paix et la sécurité internationales sera plus solide que jamais. Toutefois, l’établissement de distinctions nettes entre les missions qui permettent d’assumer ces rôles est de moins en moins pertinent dans le nouveau contexte de sécurité. L’importance que prennent les menaces hors frontière comme le terrorisme et les cyberattaques, les liens de plus en plus étroits entre la stabilité mondiale et la sécurité et la prospérité nationales, et le fait que les Forces armées canadiennes soient aussi susceptibles d’appuyer les efforts pangouvernementaux généraux à l’étranger qu’au pays signifient que leurs trois rôles traditionnels sont de plus en plus inextricablement liés ». À cette fin, l’énoncé de politique présente « huit nouvelles missions principales » pour les forces armées du Canada, notamment celle de prêter « …assistance aux autorités civiles et aux partenaires non gouvernementaux à la suite de catastrophes ou d’urgences majeures survenant au pays ou à l’étranger ». Comme « la fréquence et la gravité des catastrophes naturelles et des urgences causées par des événements météorologiques augmenteront », toujours selon la politique, « le soutien des Forces armées canadiennes sera de plus en plus sollicité. Au pays, les Forces armées canadiennes se tiennent prêtes à répondre aux appels des autorités civiles lorsque les capacités de ces dernières ne suffisent plus. De la même façon, l’assistance humanitaire et les secours aux sinistrés à l’étranger demeurent une priorité du gouvernement du Canada, et les Forces armées canadiennes sont disposées à prêter assistance au besoin, en appuyant d’autres ministères, les organisations d’aide internationale et les gouvernements locaux lors des interventions d’urgence internationales. Le rôle de l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe [EICC] au sein des Forces armées canadiennes sera essentiel dans ce contexte. »

Des synergies qui touchent directement ou indirectement l’aide humanitaire et le secours aux sinistrés (AHSS) ressortent également dans plusieurs des autres « missions principales », y compris, entre autres, celles qui s’articulent autour de la contribution à « des opérations de paix et des missions de stabilisation internationales avec les Nations Unies, l’OTAN et d’autres partenaires multilatéraux »; à l’aide « aux autorités civiles et aux organismes d’application de la loi, y compris ceux chargés de la lutte contre le terrorisme, à l’appui de la sécurité nationale et de la sécurité des Canadiens à l’étranger »; et à la recherche et sauvetage.

Couverture de « Protection, Sécurité, Engagement » – La politique de défense du Canada.

MDN

La désignation de l’AHSS comme l’une des « huit nouvelles missions principales » des forces armées du Canada était, du moins en partie, un corollaire des analyses qui ont guidé le document de politique en ce qui a trait aux changements dans l’environnement de sécurité et la nature du conflit et aux défis associés au changement climatique. Selon Protection, Sécurité, Engagement, le changement climatique « …se présente comme un problème de sécurité sans frontière. La fréquence, la sévérité et l’ampleur grandissantes des phénomènes météorologiques extrêmes partout dans le monde - l’un des résultats les plus immédiats et visibles du changement climatique - continueront probablement à engendrer des crises humanitaires. Les effets du changement climatique peuvent aussi aggraver les vulnérabilités existantes, comme la faible gouvernance, et accroître la rareté des ressources, ce qui à son tour avive les tensions et entraîne des migrations. » Ici même au Canada, « [l]e changement climatique, conjugué aux avancées technologiques, signifie que l’Arctique est de plus en plus accessible. Il y a une dizaine d’années, peu d’États ou d’entreprises avaient les capacités d’opérer dans l’Arctique. Aujourd’hui, des acteurs étatiques et commerciaux venant de partout dans le monde cherchent à tirer parti des avantages à long terme d’un océan Arctique accessible. À terme, cet intérêt devrait mener à une hausse correspondante des intérêts commerciaux, de la recherche et du tourisme à l’intérieur et en périphérie du territoire nordique canadien. Cette activité accrue présentera aussi des besoins en matière de sécurité, notamment en ce qui concerne la recherche et sauvetage et les catastrophes naturelles et d’origine humaine, des défis pour lesquels le Canada devra être prêt. » Pour reprendre les termes du document, « [p]renant acte des effets dévastateurs du changement climatique, le Canada doit rehausser sa capacité de réagir à des conditions météorologiques violentes ainsi qu’à d’autres catastrophes naturelles survenant au pays et à l’étranger ».

Protection, Sécurité, Engagement place l’AHSS au nombre des missions de la Marine royale canadienne (MRC), de l’Aviation royale canadienne (ARC) et de l’Armée canadienne (AC), précisant, dans le cas de cette dernière, que « …des forces de combat hautement entraînées, polyvalentes et bien équipées peuvent rapidement s’adapter aux opérations d’aide humanitaire et de secours aux sinistrés ou aux opérations de paix ». Bien que l’énumération des futurs investissements en immobilisations propres à chaque armée et interarmées n’ait pas détaillé expressément les besoins en AHSS, bon nombre des projets d’immobilisations en question - par exemple ceux du navire de soutien interarmées de la classe Protecteur de la MRC, des aéronefs de transport et de surveillance multimission de l’ARC (qui succèderont avec le temps au CC-150 Polaris et au CP-140 Aurora) et des nouveaux systèmes de communications et de production d’énergie et de systèmes avancés de purification de l’eau - seront de toute évidence mis au service de l’AHSS.

Photo du MDN CK02-2016-0510-107 prise par le caporal Ian Thompson

Un aéronef CP140 Aurora de l’Aviation royale canadienne quitte la 4e Escadre Cold Lake durant l’exercice Maple Flag, le 7 juin 2016.

Les déclarations de Protection, Sécurité, Engagement concernant l’AHSS et les questions connexes n’ont suscité aucune réaction manifeste chez le grand public, les médias, etc. Il n’y a là rien de surprenant. Les sondages d’opinion publique indiquent depuis des dizaines d’années que la population canadienne appuie massivement la participation des militaires aux efforts d’AHSS. La plupart des Canadiens croient que les changements climatiques sont une réalité, et la plupart admettent au moins certaines des conséquences profondément troublantes que les changements climatiques auront à court et à long terme. Peu de Canadiens s’opposent pour des motifs idéologiques, philosophiques ou politiques à une contribution militaire à l’AHSS. Cela dit, il est arrivé que des universitaires et des militants pour la paix expriment des réserves quant à la possible « militarisation » de l’AHSS. Ainsi, certains universitaires ont perçu la vaste intervention militaire canadienne en Haïti à la suite du tremblement de terre de 2010 comme servant d’infâmes objectifs néo-coloniaux. Certains autres se sont dits inquiets de la possibilité qu’à force de voir les forces armées du Canada assumer des rôles « nationaux » comme les secours aux sinistrés, la société canadienne en vienne à se « militariser ». D’autres, dont des spécialistes de la gestion des situations d’urgence et des sinistres ainsi que des organisations non gouvernementales (ONG) et des organisations internationales (OI), avancent des objections plus pratiques à l’expansion du rôle des forces militaires en AHSS. D’autres encore ont proposé des solutions de rechange à l’AHSS, comme un équivalent canadien de l’organisation allemande THW, une agence fédérale de secours technique largement constituée de bénévoles. (Pour en savoir plus sur la THW, voir l’article d’Eva Cohen publié en 2017 dans la revue esprit de corps). L’émergence de nouveaux acteurs réduirait quasi inévitablement l’ampleur des activités d’AHSS menées par les Forces armées canadiennes.

Les forces armées du Canada ont remporté des succès dignes de mention en AHSS par le passé, tant au pays que sur la scène internationale, d’autant plus qu’elles subissaient des contraintes liées au matériel, au personnel et au financement, voire, à l’occasion, à des disputes inter-gouvernementales et intra-gouvernementales qui n’avaient rien d’anodin. Par exemple, Eugene Whelan, ministre de l’Agriculture dans le gouvernement de Pierre Trudeau, critique dans ses mémoires le ministère des Affaires extérieures et d’autres intervenants à Ottawa qui ont bloqué sa proposition d’affecter les forces armées du Canada à une vaste opération de soulagement de la faim en Éthiopie vers le milieu des années 1980. Sur la scène internationale, l’éventail des opérations d’AHSS est diversifié. Il couvre les efforts de soulagement de la faim déployés dans les Pays-Bas à la fin de la guerre et au début de l’après-guerre, l’aide subséquente à un séisme apportée au Pérou en 1970 (notamment le transport à bord de l’aéronef Caribou du 424e Escadron), en Italie en 1976 (surtout grâce aux ressources du 4e Groupe-brigade mécanisé du Canada postées dans le sud de l’Allemagne) et en Haïti en 2010 (mettant à contribution une combinaison impressionnante de ressources provenant des trois armées). L’éventail des opérations s’étend également aux nombreuses opérations de secours à la suite du passage d’un ouragan dans le sud des États-Unis et, plus récemment, aux secours aux sinistrés des ouragans qui ont frappé les Caraïbes en 2017. La preuve que l’AHSS n’a jamais été sans coût a été faite éloquemment en novembre 1945 : l’un des deux avions B-17 configurés pour le transport du 168e Escadron de transport lourd de l’ARC s’est écrasé en Allemagne alors qu’il se rendait à Varsovie, avec à son bord de la pénicilline et d’autres fournitures médicales réclamées de toute urgence. Les cinq membres de l’équipage ont péri, dont le sergent Edwin Erwin Phillips, de Montréal, l’un des premiers Noirs à avoir fait partie de l’ARC.

Photo du MDN IS2010-5006-011 prise par le caporal Julie Bélisle

Le caporal Petra Sutton, membre de l’équipe médicale mobile, examine un petit garçon de Tom Gato, en Haïti, durant l’opération Hestia, le 12 janvier 2010.

Parmi les exemples d’AHSS au pays après la Seconde Guerre mondiale, mentionnons l’imposante intervention militaire lors des inondations de 1950 dans le sud du Manitoba (qui a fait dire à Desmond Morton que les soldats « …prirent pratiquement en charge la ville de Winnipeg envahie par les eaux »). Mentionnons également l’ouragan Hazel qui a frappé Toronto en 1954, les inondations au Saguenay et dans la vallée de la rivière Rouge en 1996 et 1997, la crise du verglas dite « du siècle » de 1998 au Québec et dans l’est de l’Ontario; sans oublier qu’il y a eu aussi l’ouragan Igor qui a frappé Terre-Neuve-et-Labrador en 2010, ainsi que le soutien aux opérations de lutte contre les incendies et d’évacuation à Fort McMurrray en 2016. Il ne faut pas croire pour autant que des ressources militaires ont été ou sont automatiquement déployées à chaque crise ou sinistre national, surtout que la gestion des situations d’urgence est du ressort des provinces. Ainsi, en 1979, le déraillement à Mississauga, en Ontario, d’un train de marchandises transportant un cocktail particulièrement toxique de produits chimiques volatils a entraîné l’évacuation de 200 000 personnes – un exploit en soi digne d’être souligné – a reçu une aide militaire étonnamment modeste. Le peu d’aide reçue est en partie imputable à la rupture des communications, tout aussi embarrassante que malencontreuse, entre les organismes concernés et les représentants des gouvernements fédéral et, spécialement, provincial. Les médias et le grand public n’en ont toutefois pas vraiment eu connaissance. Par ailleurs, la vague d’inondations et de verglas de la fin des années 1990 a donné lieu à une participation militaire d’envergure, lancée en temps opportun et couronnée de succès – sans oublier une prodigieuse couverture médiatique – et donc contribué à rétablir la confiance du public en une institution militaire mise à mal par les répercussions du scandale de la Somalie.

Bibliothèque et Archives du Canada/Gordon Jolley/Ministère de la Défense nationale/PA-174540

Membres du personnel de l’Armée canadienne nettoyant des débris laissés à Toronto par l’ouragan Hazel, en novembre 1954.

Les capacités militaires requises, ou éventuellement requises, pour transposer en opérations les aspirations de la politique de défense de 2017 présentent un portrait diversifié. Du côté de la force aérienne, le CC-177A Globemaster confère à l’ARC une capacité AHSS d’un tout nouvel ordre, mais il s’agit d’une capacité limitée puisque la flotte relativement modeste n’en compte que cinq. La flotte d’appareils Hercules, pour sa part, a constitué pendant plus de 50 ans le pilier aérien des capacités AHSS nationales et internationales du Canada. Elle consiste actuellement en 17 appareils CC-130J, mais au fur et à mesure que les anciens modèles H des flottes secondaires de recherche et sauvetage et de ravitaillement – qui contribuent toutes deux à l’AHSS – seront éliminés dans les années à venir, la flotte de Hercules du Canada fondra à sa plus petite taille depuis les années 1960. Le CC-130J est un formidable avion de transport, et toute expansion de la flotte, même minime – et non limitée à l’AHSS – pourrait s’avérer bénéfique. Le potentiel AHSS de l’hélicoptère Chinook aux nombreux équipements commence à peine à être exploité, et à ce chapitre, l’hélicoptère maritime Cyclone, qui effectue actuellement son premier déploiement opérationnel, est nettement en avance sur le robuste Sea King. Comme l’a signalé le colonel (à la retraite) Ernie Cable, comparativement au Sea King, le Cyclone a une plus grande vitesse de croisière, un plus grand rayon d’action, la capacité de porter au crochet ou à l’élingue une charge deux fois plus élevée, un rapport puissance-poids considérablement amélioré, une plus grande cabine et une rampe arrière. De plus « …grâce à l’amélioration exceptionnelle de la résolution des radars et des capteurs électro-optiques, le Cyclone accroît la capacité de repérer les survivants ou les personnes perdues et de relever les caractéristiques du terrain en vue d’évaluer les répercussions de sinistres comme les inondations, les tremblements de terre et les feux de forêt et d’éclairer le choix des mesures à venir ».

Pays/région Année Type Remarques
Jamaïque 2007 Ouragan Première opération d’AHSS du C17 de l’ARC
Birmanie 2008 Cyclone  
États-Unis 2008 Ouragan Premier recours au Plan d’appui aux autorités civiles canado-américain de 2008
Haïti 2010 Tremblement de terre Comprend le transport aérien de l’EICC
Libye 2011 Conflit Évacuation de non-combattants
Philippines 2013 Typhon Comprend le transport aérien de l’EICC
Sierra Leone 2014 Éclosion du virus Ebola Comprend le transport aérien du personnel et du matériel du R.-U.
Népal 2015 Tremblement de terre Comprend le transport aérien de l’EICC
Caraïbes 2017 Ouragan Comprend le transport aérien du matériel et des fournitures de la France vers la Guadeloupe

Auteur

Opérations internationales d’AHSS du Globemaster de l’ARC, de 2007 à 2017.

En ce qui a trait à la MRC, la disponibilité de plus en plus réduite, puis l’élimination, des deux navires de ravitaillement originaux de la classe Protecteur ont porté un dur coup aux capacités AHSS maritimes du Canada. Les navires destinés à les remplacer, de la nouvelle classe Protecteur – un modèle du navire de soutien de la classe Berlin construit en Allemagne par Seapsan – pourront servir d’installation médicale de rôle 2/3 et loger 50 conteneurs EVP et plus. Ils « …pourront accepter une charge en conteneurs selon les besoins de la mission » (p. ex. les dispositifs électriques et autres nécessaires au soutien des modules amovibles de soins médicaux et d’autres spécialités) et comporteront d’autres caractéristiques utiles en AHSS. Le navire Asterix, loué et mis en service comme navire de ravitaillement provisoire après avoir subi une conversion rapide au Chantier Davie, possède lui aussi des capacités AHSS. De fait, Chantier Davie a apporté une attention particulière aux caractéristiques AHSS actuelles et potentielles du navire, en l’occurrence deux grues puissantes, une vaste installation médicale, une aire de véhicules intérieure, la compatibilité avec le système Mexeflote, des raccordements quai-navire pour l’alimentation en eau dessalée et en courant lors d’opérations d’aide humanitaire et un fascinant secteur d’entreposage de conteneurs. Une discussion élargie d’une importance vitale est en cours entre ceux qui élimineraient le coûteux projet de la classe Protecteur et procéderaient à la conversion d’un deuxième navire comme l’Asterix, ceux qui poursuivraient le projet de la classe Protecteur mais continueraient de louer (ou achèteraient) l’Asterix et ceux qui achèteraient trois navires de la classe Protecteur. Par contre, du point de vue de l’AHSS, le fond du problème tient à ce que ni les navires de la classe Protecteur, ni l’Asterix ne peuvent égaler les capacités AHSS inhérentes au navire de soutien interarmées aux véritables rôles multiples prévu à l’origine. C’est ce qui explique en partie l’intérêt soutenu que manifestent divers milieux dès qu’un navire étranger susceptible de répondre aux attentes devient disponible (p. ex. le Largs Bay et l’Ocean du Royaume-Uni ainsi que les navires de la classe Mistral de la France qui avaient au départ été construits pour la Russie). À cet égard, fait intéressant, la MRC a écrit dans son ouvrage Le Canada dans un nouveau monde maritime : Point de mire 2050, publié en 2016, que « …[p]armi les priorités immédiates concernant les plates-formes avant 2035 se trouve l’exigence d’agrandir la capacité et la souplesse de la flotte pour mener des opérations à terre de [missions de soutien de la paix] dans des environnements relativement permissifs, y compris de l’aide humanitaire et des secours aux sinistrés ». Un tel « navire de soutien de la paix », « converti dans un but » précis et acquis au moyen d’un « partenariat public-privé novateur », devrait être doté d’une capacité « considérable » de transport maritime, d’un vaste éventail de raccordements quai-navire (p. ex. des hélicoptères et des engins de débarquement), d’un quartier général interarmées, d’un centre de coordination civilo-militaire, d’installations médicales et dentaires ainsi que de logements pour les personnes évacuées. Ce navire, avance-t-on dans Point de mire 2050 « serait probablement l’une des ressources les plus utilisées du futur arsenal des Forces armées canadiennes », et «…deviendrait probablement la ressource diplomatique défensive principale des Forces armées canadiennes ». Il est assurément fort prometteur, surtout si d’autres capacités comme le ravitaillement en cours de route peuvent y être intégrées.

Couverture de la publication « Le Canada dans un nouveau monde maritime : point de mire 2050 ».

MDN

Les navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique de la classe Harry DeWolf à venir ajouteront des capacités AHSS à la flotte, mais la pleine mesure du rendement des diverses capacités reste à voir. Les frégates de la classe Halifax continuent de jouer un rôle utile en matière d’AHSS – surtout lorsqu’elles ont un Cyclone à bord – mais les navires qui finiront par les remplacer devront probablement en avoir encore plus à offrir, vu la prolifération partout dans le monde des aires de mission multi-rôle à bord des navires de guerre du type frégate.

Photo du MDN RP19-2018-0031-001 prise par le caporal chef André Maillet

Un hélicoptère CH148 Cyclone de l’ARC en vol au-dessus de la mer Méditerranée peu après son décollage du NCSM Ville de Québec durant l’opération Reassurance, le 11 août 2018.

Pour ce qui est de l’AC, l’énoncé de la politique de défense de 2017 énumère une liste considérable d’équipement, nouveau ou modernisé, qui est mis à contribution à différents degrés aux fins d’AHSS – entre autres, véhicules blindés de soutien au combat, véhicules logistiques, équipement lourd du génie, véhicules utilitaires légers, véhicules tout-terrain, véhicules utilitaires à chenilles semi-amphibies et systèmes de communication, de production d’énergie et de purification de l’eau. La livraison en temps opportun et le souci des besoins liés à l’AHSS revêtent évidemment de l’importance. À titre d’exemple, le véhicule polyvalent du Génie (VPG) qu’utilise actuellement l’EICC est fascinant, mais une pelle rétrocaveuse/pelle chargeuse frontale commerciale plus facile à appuyer conviendrait mieux aux endroits et aux conditions dans lesquels l’EICC est déployée. (Pour une évaluation captivante des possibilités d’amélioration pour l’EICC, lire le lieutenant-colonel Claire Bramma, « Contrer les répercussions des changements climatiques grâce à l’évolution des activités de l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe (EICC) », dans Revue militaire canadienne, vol. 16, no 4, automne 2016.)

Reste à savoir quelle proportion de cet équipement sera confiée à la Réserve de l’Armée. Le Bureau du vérificateur général du Canada a indiqué dans son rapport du printemps 2016 avoir passé en revue le recours à la Réserve de l’Armée pour lutter contre les inondations et les feux de forêt entre 2013 et 2015 et avoir constaté qu’«…il manquait souvent de l’équipement militaire essentiel, comme des véhicules de reconnaissance, des postes de commandement et du matériel de communication ». Malgré le fait que la « nouvelle vision pour la Force de réserve » de l’énoncé de politique ait englobé à juste titre des activités de recherche et sauvetage en milieu urbain avec équipement léger, il y a lieu de se demander s’il ne faudrait pas étoffer ces activités sur la base d’une nouvelle intensification du rôle AHSS de la Réserve de l’Armée. L’un des participants au processus de consultation sur la politique de défense tenu à Ottawa en 2016 a notamment proposé que certaines unités de la Réserve soient converties au rôle de régiment du génie de combat et acquièrent ainsi des compétences fort pratiques au pays (p. ex. pour le secours aux sinistrés), à l’étranger (p. ex. pour le secours aux sinistrés et les opérations de soutien de la paix) et dans les opérations de combat. Adopter une vision élargie pour la Réserve de l’Armée ne revient pas à la transformer en une entité purement vouée à l’AHSS – cela ne servirait pas l’intérêt national au sens large et risquerait d’attiser la résurgence à la façon du XXIe siècle des problèmes de recrutement et de moral qui s’étaient manifestés dans les années 1950 quand le rôle de la « survie nationale » à l’ère nucléaire de la Milice avait été déclaré hautement prioritaire – mais tiendrait compte de la grande empreinte géographique de la Réserve de l’Armée et de sa présence dans les collectivités.

Toute évaluation des capacités militaires du Canada en matière d’AHSS, quoiqu’essentielle, ne peut qu’effleurer la grande question de l’AHSS. Cela revient à avancer en terrain miné, peut-être encore plus au Canada que dans d’autres pays, puisqu’il faut prendre en considération les relations fédérales-provinciales, les relations civilo-militaires (p. ex. les relations entre les militaires et les gouvernements provinciaux ainsi que les organismes de gestion des situations d’urgences de ces derniers, et, sur la scène internationale, les relations entre les militaires et les intervenants comme la Croix-Rouge et Médecins Sans Frontières – qui ont tous deux soutenu pendant les consultations publiques de 2016 qu’il existe des obstacles pratiques, juridiques et philosophiques à l’expansion du rôle des militaires en AHSS), les attentes du public à l’endroit de la capacité AHSS militaire et l’attitude des militaires eux-mêmes à l’égard des rôles associés à l’AHSS. Les enjeux sont complexes. Les militaires reconnaissent qu’en modération, les rôles comme l’AHSS procurent un entraînement utile, rehaussent le moral et resserrent les liens entre les Canadiens et les forces armées du pays. Par contre, une surcharge d’activités de type AHSS risque de compromettre les capacités de combat essentielles, le professionnalisme militaire et la raison d’être militaire fondamentale des Forces armées canadiennes. L’avenir dira si le lien établi dans l’énoncé de la politique de défense de 2017 entre AHSS et sécurité saura influer sur l’idée que les militaires se font de l’AHSS.

Photo du MDN EN2016-0060-01 prise par le caporal chef VanPutten

Un hélicoptère du 417e Escadron de soutien au combat et son équipage, dont les membres évaluent les dommages causés par des incendies de forêt dans la région de Fort McMurray, le 4 mai 2016.

Les Canadiens sont abreuvés par les médias américains et les médias sociaux de comptes rendus selon lesquels « la Garde nationale est venue en renfort »; par conséquent, ils ont souvent des attentes déraisonnables quant à la rapidité et à l’efficacité avec lesquelles les ressources militaires limitées et largement dispersées du Canada peuvent intervenir en cas d’urgence. En outre, comme le principal chroniqueur politique Campbell Clark l’a écrit dans le journal Globe and Mail, au Canada, le secours aux sinistrés suit toujours le même scénario : « les municipalités et les premiers répondants, dont les policiers et les pompiers, sont débordés; des masses de bénévoles bien intentionnés se présentent pour aider, mais ne savent généralement pas quoi faire; une petite équipe provinciale d’intervention en cas d’urgence tente de coordonner les activités, mais est dépassée; l’armée est sollicitée, mais il se fait tard [c’est nous qui soulignons], et les effectifs déployés sont limités [TCO] ». Les attentes irréalistes à l’international, elles, ont été illustrées pendant la période des ouragans de 2017 dans les Caraïbes : certains Canadiens et médias canadiens ont reproché à Ottawa d’avoir mené une intervention d’AHSS prétendument modeste dans l’ensemble et plus précisément d’avoir mis trop de temps à évacuer d’urgence les Canadiens. Peut-être avaient-ils oublié que si les pays d’Europe ont mis en œuvre une intervention certes impressionnante, c’est en partie parce qu’ils ont l’obligation d’intervenir dans la région en vertu de leur constitution et d’autres engagements. L’intervention des forces militaires canadiennes a de fait été de plus grande envergure que bien des gens l’ont cru : deux avions Hercules, un Globemaster, un Aurora (affecté à la collecte d’images aériennes) et un Challenger ainsi que le NCSM St. John’s transportant à son bord un hélicoptère Sea King ont assuré la livraison de grandes quantités de nourriture, d’eau douce et d’autres fournitures humanitaires, le transport aérien de plus de 300 personnes évacuées et l’enlèvement de débris et ont contribué à rétablir les sources d’alimentation en eau et en courant.

Une autre question centrale concerne les rapports parfois problématiques entre civils et militaires en situation d’AHSS et a fait l’objet d’un certain nombre d’analyses utiles, notamment dans The Military and Disaster Management: A Canadian Perspective on the Issue (David Etkin, Kenneth McBey et Cliff Trollope, 2010). Les auteurs y déclarent qu’il y a deux façons de voir le rôle des militaires dans les interventions en cas de sinistre : soit les militaires sont un modèle à suivre qui devrait être généralisé, soit l’efficacité de la gestion militarisée des sinistres soulève de vives préoccupations. Ils ajoutent que des critiques issues du milieu universitaire ont cerné d’éventuelles entraves à la bonne collaboration dans les cultures militaire et civile. Ils reconnaissent que la présence d’entraves ne fait aucun doute, mais estiment qu’elles sont vraisemblablement le propre du pays et de sa culture et qu’au Canada, elles sont largement compensées par les avantages inhérents à l’intégration des Forces armées canadiennes au cycle de gestion des sinistres. Ils concluent que la clé d’une collaboration fructueuse entre autorités civiles et militaires consiste à ce qu’elles assurent une planification, une liaison, une coordination et une évaluation des besoins continues et à ce qu’elles fassent preuve de sensibilité aux différentes cultures, dans le but de trouver les appariements les plus appropriés et les contributions supplémentaires les plus efficaces pour les militaires en situation d’urgence et de sinistre. Il s’agit là d’un portrait essentiellement optimiste de la future participation des militaires aux opérations de secours aux sinistrés au pays. N’empêche, il y aurait lieu de poursuivre la réflexion, car les auteurs concluent également que certaines critiques reflètent une vision simpliste et partiale des forces militaires.

Tout en adhérant à l’idée maîtresse de Protection, Sécurité, Engagement en ce qui a trait à l’évolution de l’environnement de sécurité, au changement climatique et à la perspective d’un rôle AHSS accru pour les Forces armées canadiennes, si ce n’est que nous sentons le besoin d’émettre une mise en garde contre un écart possible entre les engagements et aspirations en AHSS et les capacités AHSS, nous croyons que le principal point à retenir est probablement le besoin, pour le Canada, de fonctionner en mode de consultation tous azimuts de l’ensemble du gouvernement et des intervenants dans le but de façonner une vision ou une doctrine nationale holistique et exhaustive de l’aide humanitaire et du secours aux sinistrés.

Martin Shadwick a enseigné la Politique de défense canadienne à l’Université York pendant bon nombre d’années. Il a déjà été rédacteur en chef de la Revue canadienne de défense et il est actuellement le commentateur attitré en matière de défense à la Revue militaire canadienne.

Photo du MDN HS06-2017-0932-004 prise par le Mat 1 Dan Bard

Le NCSM St. John’s quitte Halifax (Nouvelle-Écosse) dans le cadre de l’opération Renaissance afin de participer aux opérations d’aide humanitaire menées à la suite du passage de l’ouragan Irma, le 7 septembre 2017.