OPINIONS

La Presse canadienne/Sean Kilpatrick/19117592.

Arndt Freytag von Loringhoven, Secrétaire général adjoint pour le renseignement et la sécurité de l’OTAN (à droite) et le contre-amiral Scott Bishop, commandant du Commandement du renseignement des Forces canadiennes et président du Comité du renseignement de l’OTAN, font une allocution dans le cadre d’une conférence à Ottawa, le 24 mai 2018.

Études sur le renseignement : une nécessité

par James Cox

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Introduction

Ce bref article fait valoir la nécessité d’instaurer et de maintenir, au sein du ministère de la Défense nationale (MDN) et des Forces armées canadiennes (FAC), un rigoureux programme d’études sur le renseignement de défense.

Page couverture de la politique « Protection, Sécurité, Engagement. »

Défense nationale/Gouvernement du Canada.

Réflexion

Même si Protection, Sécurité, Engagement : la politique de défense du Canada1 de 2017 semble vouloir prioriser le développement du renseignement de défense, elle ne le fait pas dans une mesure suffisante. Il est vrai qu’elle met l’accent sur l’amélioration du renseignement, de la surveillance et de la reconnaissance interarmées (RSRI) de même que sur l’inclusion de ressources d’information et d’analyse dans un système intégré de systèmes, en plus de promouvoir le soutien perfectionné en renseignement offert par le Commandement du renseignement des Forces canadiennes (COMRENSFC). De plus, de nombreux projets sont en cours visant à concrétiser ces priorités, sans compter que le COMRENSFC participe à l’étude menée par le Renouvellement du service du renseignement de défense (RSRD) (même si, selon certains, les résultats ne sont pas aussi positifs que prévu). Quoi qu’il en soit, sur ce fond d’enthousiasme se dresse une importante lacune : en dépit d’une réflexion prometteuse sur l’amélioration de l’instruction en matière de renseignement, les études sur la sphère du renseignement sont inexistantes.

MDN.

Système de perfectionnement professionnel des Forces armées canadiennes.

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Le Système de perfectionnement professionnel des Forces armées canadiennes2 (SPPFAC) se fonde sur quatre piliers : l’expérience, l’autoperfectionnement, l’instruction et les études (ou l’éducation). Selon ce système, « instruction (ou formation) Â» signifie « fourniture de compétences, de connaissances et d’attitudes précises nécessaires à la réalisation de tâches et de fonctions attribuées Â». L’instruction montre comment accomplir un travail. Les études, pour leur part, donnent lieu à une compréhension qui porte sur le répertoire proprement dit des connaissances entourant le travail. Encore selon ce système, on entend par « Ã©tudes (ou éducation) Â» la « fourniture d’un ensemble de connaissances et de compétences intellectuelles, permettant d’examiner, d’évaluer et d’interpréter de façon critique le jugement de faits, d’information et d’idées contradictoires Â». Or, dans la sphère du renseignement de défense, le pilier des études brille par son absence.

Sans l’instauration d’un programme d’études, le MDN et les FAC pourraient fort bien se retrouver avec un effectif du renseignement mal préparé, mené par de simples praticiens et dirigé par des leaders opérationnels moins compétents en matière de renseignement. Sans la création d’une composante vouée entièrement aux études, l’entreprise du renseignement de défense pourrait difficilement être vue comme une entreprise professionnelle à part entière.

Avec la prolifération à l’échelle planétaire des activités du renseignement chez nos alliés comme chez nos ennemis, il est décevant de constater que le MDN et les FAC limitent leurs efforts dans ce domaine à la simple instruction technique, principalement donnée en début et en milieu de carrière. Il n’existe pas d’instruction rigoureuse s’adressant aux niveaux supérieurs, et pour ce qui est des programmes d’études, il n’en existe aucun, tous niveaux confondus. Au moins sept cours de cycle supérieur ayant trait à la sphère du renseignement apparaissent au Programme des études sur la guerre du Collège militaire royal du Canada3, mais ils ne sont pas offerts sur une base régulière et peu d’étudiants y assistent. Il y a bien un cours d’études sur le renseignement qui se donne au Collège des Forces canadiennes (CFC) par l’entremise du Programme de commandement et d’état-major interarmées en résidence4 (PCEMI RESID), mais ce cours n’existe pas en version pour apprentissage à distance. Le Programme de sécurité nationale5 supérieur du CFC ne contient aucun cours ou module sur le renseignement. Aux niveaux inférieurs, les praticiens du renseignement apprennent comment produire le renseignement tactique dans les écoles des FAC et des alliés. Aux niveaux supérieurs, les questions théoriques sur le renseignement et le pourquoi de son existence ne sont presque jamais abordés.

Photo de la BFC Toronto.

Collège des Forces canadiennes, à Toronto.

Qu’est-ce que le renseignement de défense? Comment a-t-il vu le jour? D’où tire-t-il son origine? Quelle est sa fonction? Pourquoi est-il à notre disposition? Comment fonctionne-t-il? Quelle organisation lui convient le mieux? Comment peut-on contribuer à l’enrichir de manière efficace? Comment devons-nous nous adapter pour en tirer profit? Quels sont les critères normatifs pouvant guider son développement? Ces questions suscitent une réflexion philosophique et professionnelle. Au sein du MDN et des FAC, il est nécessaire d’instaurer un rigoureux programme d’études sur le renseignement, si nous voulons que cette fonction puisse atteindre son importance optimale et avoir le plus grand effet possible.

Quand le renseignement de défense, comme fonction, fera l’objet d’une définition acceptée et respectée par tous et qu’il reposera sur une base théorique éprouvée, il pourra enfin s’élever au titre d’activité professionnelle à part entière, et ses leaders et praticiens jouiront d’une compréhension exhaustive de son cadre conceptuel d’ensemble et de son application dans le monde d’aujourd’hui. Pour l’heure, ce n’est pas le cas, étant donné, surtout, que personne ne sonde la question avec suffisamment de profondeur. Malgré l’existence de matière depuis des siècles et des siècles, littéralement, la recherche universitaire au Canada dans le domaine du renseignement se fait vraiment très rare.

Bien que la compréhension conceptuelle soit importante, l’application réussie d’une théorie du renseignement par les leaders et praticiens requiert d’eux qu’ils connaissent et comprennent le contexte étendu dans lequel le renseignement doit s’inscrire. Les intervenants du gouvernement doivent acquérir des connaissances sur l’écosystème global du renseignement, qui est formé par les éléments et aspects suivants : les ministères, les agences, le développement et la mise en Å“uvre des capacités, la nature évolutive des conflits, de la conduite de la guerre et de l’environnement de sécurité au pays comme à l’étranger, les lois et règlements applicables, les politiques et objectifs pertinents, les processus et protocoles, et les avancées technologiques. En outre, pour des fins d’autopréservation, une réflexion intellectuelle s’impose sur l’avenir de la fonction du renseignement comme telle, et sur la manière dont elle pourrait évoluer et s’adapter efficacement.

Conclusion

En raison d’une certaine inaction, le MDN et les FAC se retrouvent en délicate posture. Ainsi, pour que la sphère du renseignement de défense puisse s’harmoniser avec les piliers du SPPFAC et s’élever au rang d’études professionnelles (mesure nécessaire dans l’environnement de sécurité actuel), elle doit faire l’objet d’un programme d’études intégré qui lui fera justice. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et le travail à faire pourrait s’avérer ardu et coûteux, quoique nécessaire. Les circonstances se prêtent à la mise en œuvre d’une solution efficace. Dans le cadre de l’étude actuelle liée au Renouvellement du service de renseignement de défense, il serait bon d’envisager des recommandations originales à mettre en œuvre dans le but d’instaurer un programme d’études sur le renseignement de défense de calibre mondial, en plus de travailler avec acharnement afin de produire des options applicables au contexte.

Il est faux de dire qu’aucune étude n’est faite pour appuyer l’entreprise du renseignement de défense; il faudrait plutôt dire qu’un nombre insuffisant d’études sont faites. Ce manque peut être comblé à la condition que les leaders désirent vraiment que leur effectif du renseignement soit professionnel et capable de perdurer. Des programmes d’études sur le renseignement existent au sein d’entreprises du renseignement alliées. Il peut en être ainsi dans notre pays, et il doit en être ainsi.

Le brigadier-général (à la retraite) James Cox, OMM, CD, Ph. D. fait une carrière militaire de 38 ans pendant laquelle il occupe des postes de commandement et d’état-major axés sur les opérations. Il participera notamment à diverses missions de l’ONU et de l’OTAN menées sur quatre continents. Après avoir quitté les Forces armées canadiennes, il travaille pendant un certain nombre d’années comme analyste de la Bibliothèque du Parlement, appuyant les comités de sécurité et de défense de la Chambre des communes et du Sénat; de plus, en tant que vice-président aux affaires universitaires de l’Association canadienne du renseignement militaire, le Bgén (à la retraite) Cox est aujourd’hui chercheur universitaire au Conference of Defence Associations Institute et donne des cours de cycle supérieur sur le renseignement dans le cadre de programmes nationaux de sécurité nationale et de sécurité publique à la Norman Paterson School of International Affairs, et à l’Université Wilfrid Laurier. Il est titulaire d’un doctorat et d’une maîtrise en études sur la guerre décernés par le Collège militaire royal du Canada.

Notes

  1. Protection, Sécurité, Engagement : la politique de défense du Canada, à l’adresse suivante : https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/organisation/rapports-publications/politique-defense-canada.html.
  2. Perfectionnement professionnel des Forces armées canadiennes, à l’adresse suivante : https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/services/avantages-militaires/education-formation/perfectionnement-professionnel/cadre.html.
  3. Programme des études sur la guerre du Collège militaire royal du Canada (CMRC), à l’adresse suivante : https://www.rmc-cmr.ca/fr/bureau-secretaire-general/programmes-etudes-sur-la-guerre.
  4. Programme de commandement et d’état-major interarmées, à l’adresse suivante : https://www.cfc.forces.gc.ca/118/406/cfc300-46-fra.pdf.
  5. Programme de sécurité nationale, à l’adresse suivante : https://www.cfc.forces.gc.ca/119/187/323/331-fra.pdf.