LES RELATIONS CIVILO-MILITAIRES

La Presse canadienne/Sean Kilpatrick

Le premier ministre Justin Trudeau, et de gauche à droite, M. Harjit S. Sajjaan, ministre de la Défense nationale, le général Jonathan Vance, chef d’état-major de la défense (CEMD), Mme Jody Thomas, sous-ministre de la Défense nationale, tiennent une conférence de presse dans l’Amphithéâtre national de la presse à Ottawa, le mercredi 8 janvier 2020.

À l’écoute du chef d’état-major de la défense : la démarcation « confuse » entre les avis militaires et les conseils en matière de défense1

par Daniel Gosselin

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Le major-général (à la retraite) Daniel Gosselin, CMM, CD, est titulaire de diplômes d’études supérieures en génie, en administration publique et en études de la guerre. Il a fait partie de l’Équipe de la transformation du général Hillier, et a ensuite été Directeur général – Politique de sécurité internationale au sein du Groupe du SMA (Politiques) au QGDN; il a également agi en qualité de conseiller stratégique supérieur auprès de deux chefs d’état-major de la défense et de chef d’équipe du Groupe des initiatives du CEMD, entre 2015 et 2017. Pendant plusieurs années, il a été mentor principal dans le cadre du Programme de sécurité nationale, et il enseigne au Collège des Forces canadiennes dans les domaines du commandement stratégique et des relations civilo-militaires.

Introduction2

Quelques semaines après avoir pris son poste de chef d’état-major de la défense (CEMD) en juillet 2015, le général Jonathan Vance s’est vu demander, pendant sa première table ronde publique à Ottawa, quel genre de conseils il donnerait au gouvernement sur la politique de défense du Canada. Une élection fédérale venait d’être annoncée, et la rumeur selon laquelle il y aurait un changement de gouvernement circulait déjà. Dans son style caractéristique, il a fourni une réponse directe et on ne peut plus claire : « Quand je donnerai des conseils militaires au gouvernement, ce sera à titre confidentiel, et non dans une tribune publique comme celle-ci. » [TCO] La simplicité de cette déclaration traduisait de bien des façons l’importance qu’il accordait à ses responsabilités de conseiller militaire supérieur du gouvernement canadien. De plus, le général Vance ne serait pas un CEMD activiste, et ses conseils militaires seraient offerts aux ministres, au Cabinet et au premier ministre sous le sceau du secret3.

En vertu de la loi, des coutumes et des traditions, le CEMD occupe un poste particulier, de par son expertise et l’autorité qu’il exerce dans la structure du gouvernement canadien; par conséquent, c’est un acteur national important qui influe sur l’élaboration des politiques de défense et de sécurité et en détermine la teneur par ses conseils militaires professionnels. Le rôle des conseils militaires revêt une importance clé au Canada, tant au niveau de leurs répercussions institutionnelles sur les Forces armées canadiennes (FAC) à long terme que de l’emploi des forces armées, soit dans le contexte de la politique étrangère du Canada, soit lorsqu’elles deviennent un instrument de dernier recours au Canada. Les conseils militaires sont uniques en leur genre, non seulement en raison du poids accordé au jugement expert du CEMD, mais aussi, et surtout, à cause des conséquences éventuelles de toute décision prise par le gouvernement et qu’il incombe aux forces armées de mettre en œuvre, en particulier dans le cadre d’opérations militaires. Vu l’incertitude et l’instabilité propres à l’environnement postérieur au 11 septembre 2001 et la nature complexe des opérations militaires, le gouvernement dépend plus que jamais de l’expertise militaire professionnelle du CEMD pour élaborer ses politiques de défense et de sécurité. Ce qui constitue un conseil militaire, la façon dont il est formulé par le CEMD et comment il est géré par l’appareil gouvernemental, puis entendu par les politiciens, voilà autant d’éléments qui sont au cœur des relations civilo-militaires au Canada.

La Loi sur la défense nationale (LDN) est muette sur le rôle du CEMD lorsqu’il s’agit de fournir des conseils militaires au gouvernement. Cette responsabilité n’est pas mentionnée non plus dans les Ordres et Règlements royaux applicables aux FAC qui sont publiés par le ministre de la Défense nationale (min DN). La LDN stipule qu’il incombe directement au CEMD de commander, de contrôler et d’administrer les FAC4. La responsabilité de fournir des conseils militaires au gouvernement est conférée au CEMD parce qu’il est un officier commissionné nommé par le gouverneur en conseil (sur les conseils du premier ministre) au poste militaire le plus élevé au Canada. Cette responsabilité lui est attribuée avec l’autorisation de la Couronne5. Dans l’esprit de ces responsabilités, le CEMD conseille le min DN et le Cabinet, et le premier ministre directement quand la situation le justifie.

Fait étonnant, il n’existe actuellement au Canada aucune documentation spécialisée ou professionnelle expliquant le rôle de conseiller militaire que le CEMD joue auprès du gouvernement. Même la doctrine des FAC est muette à ce sujet6, contrairement à ce qui se passe aux États- Unis, où l’on trouve de nombreux articles et autres écrits sur la question. L’écart observé ici révèle la rareté des études et des analyses sur le caractère unique des relations civilo-militaires canadiennes. Les quelques études sur les affaires militaires et la défense nationale au Canada ont passé outre à cette importante dimension. Par conséquent, le présent article, qui comporte deux parties consécutives, présente une discussion et une analyse sur la prestation de conseils militaires professionnels par le CEMD au Canada. Il vise à expliquer ce qui constitue un conseil militaire et à décrire comment celui-ci est formulé, traité et mis à l’épreuve avant d’être transmis au min DN, au Cabinet et au premier ministre.

APFootage/Alamy Stock Photo M6D26G

Le général Joe Dunford du Corps des marines des États-Unis, au milieu à droite, président des chefs d’état-major interarmées, pose en compagnie de Mme Jody Thomas, sous-ministre canadienne de la Défense nationale, M. Harjit S. Sajjan, ministre de la Défense nationale, et le général Jonathan Vance, chef d’état-major de la défense, avant les discussions dans les bâtiments du Parlement du Canada, à Ottawa, le 28 février 2018.

Cette première partie examine l’évolution des domaines de responsabilités du CEMD et du sous-ministre (SM) de la Défense nationale, depuis la création du poste de CEMD en 1964. Ce n’est qu’en comprenant bien les responsabilités et les obligations redditionnelles du CEMD et du SM qu’il est possible de distinguer pleinement leurs domaines respectifs où ils conseillent le gouvernement. Comme cette première partie le montre, ces domaines ont été façonnés au cours des années par des événements importants, par l’évolution des idées sur la façon dont la défense canadienne doit être organisée, dirigée et gérée et par la transformation des priorités du gouvernement. Parce que les rôles consultatifs que jouent le CEMD et le SM dans la dyarchie de la Défense nationale n’ont jamais été définis dans les lois, ce qui constitue un conseil militaire (fourni par le CEMD) et un conseil en matière de défense (fourni par le SM) a varié au fil des années; cela a engendré une ambiguïté institutionnelle, un certain mécontentement et des frictions, en particulier aux plus hauts niveaux du Quartier général de la Défense nationale (QGDN). Cette première partie se termine par une clarification de la nature des conseils militaires, des conseils en matière de défense et des conseils afférents aux politiques fournis au gouvernement.

Dans la seconde partie de l’article, j’examine les rouages politiques de la prestation des conseils militaires au Canada. J’y décris comment le CEMD et ses officiers supérieurs formulent et fournissent des conseils militaires et, tandis que ces officiers apprennent à naviguer dans le monde complexe de l’appareil politique gouvernemental, j’explore les nombreux défis qui risquent de surgir au cours du dialogue et des interactions entre les experts militaires professionnels et la classe politique7. La conclusion de l’article offre des suggestions dont les officiers supérieurs militaires pourront s’inspirer au carrefour politico-militaro-bureaucratique, pour faire en sorte que les conseils militaires du CEMD soient effectivement pris en compte.

La présente étude repose sur l’expérience, le savoir universitaire et des entrevues. Comme les recherches professionnelles et universitaires sur le rôle du CEMD et les conseils militaires au Canada sont très peu nombreuses, il aurait été difficile, voire irresponsable, d’essayer de réaliser la présente analyse sans interviewer des officiers et des fonctionnaires qui ont fourni et continuent de fournir des conseils militaires et en matière de défense au gouvernement. Afin d’étayer la recherche faite aux fins du présent article, j’ai mené une série d’entrevues avec des ministres et des sous-ministres de la Défense nationale, des chefs d’état-major de la défense et d’autres officiers supérieurs et hauts fonctionnaires du gouvernement, anciens et actuels. J’ai obtenu la franchise de bon nombre d’entre eux au prix de la confidentialité : j’ai donc convenu de ne révéler le nom d’aucun officier ou fonctionnaire civil qui n’y aurait pas consenti.

Un examen de l’évolution des responsabilités, pouvoirs et obligations redditionnelles du CEMD et du SM peut inévitablement entraîner une discussion concernant l’organisation, la structure et la gouvernance du QGDN, incluant le rôle du poste de vice-chef d’état-major de la Défense (VCEMD).8 Une analyse exhaustive de l’évolution du QGDN dépasse clairement la portée du présent article. Cela dit, comme les CEMD et les SM ont toujours cherché à adapter le QGDN pour l’harmoniser davantage avec leurs responsabilités et obligations redditionnelles, certains aspects clés de sa gouvernance sont nécessairement abordés.

Le CEMD et les conseils militaires : des montagnes russes

Les deux domaines que constituent les conseils militaires et les conseils en matière de défense, lesquels sont fournis respectivement par le CEMD et le SM, sont liés à leurs responsabilités, obligations redditionnelles et expertise. Cette première section passe en revue cette évolution incohérente depuis le début des années 1960, qui est principalement passée par des points d’inflexion clés qui l’ont façonnée de façon décisive.

Il faut brièvement parler des personnalités avant d’amorcer cet examen. Dans une dyarchie CEMD-SM caractérisée par une grande ambiguïté, une confusion occasionnelle et même des conflits, mais surtout la coopération et le compromis, il est évident que la façon dont chaque CEMD et chaque SM ont compris leur rôle et leur mandat et celle dont chacun a défini sa propre sphère lorsqu’il s’agissait de conseiller le gouvernement (conseils militaires ou en matière de défense) ont grandement influé sur leurs intérêts, leurs priorités, leurs actions et leurs décisions. Les personnalités importent vraiment. Cependant, en analysant l’évolution des responsabilités des CEMD et des SM au fil des années, j’ai cerné les principaux points décisifs en me fondant sur la preuve documentaire dont je disposais et en laissant essentiellement de côté les personnalités particulières des personnes qui occupaient ces postes à tel ou tel moment.

Afin de comprendre pleinement le rôle que joue le CEMD en donnant des conseils militaires au gouvernement, il faut revenir en 1964, année où le gouvernement libéral de Lester B. Pearson a remplacé les postes de président du Comité des chefs d’état-major (CCEM), de chef d’état major de la Marine, de chef d’état major général et de chef d’état major de la Force aérienne par un seul poste nouveau, soit celui de chef d’état-major de la défense (CEMD). À titre de conseillers militaires professionnels du gouvernement, les membres du CCEM étaient chargés ensemble de conseiller le gouvernement sur « les questions concernant la politique de défense, les évaluations stratégiques, les estimations des risques de guerre et d’autres plans et propositions interarmées9 » [TCO].

Photo du MDN CFC66-11-3

L’honorable Paul Hellyer, ministre de la Défense nationale du Canada, de 1963 à 1967.

Avec la création du poste de CEMD en 1964 et, plus tard, l’unification des trois armées pour mettre sur pied les FAC en 1968, le min DN Paul Hellyer ne cherchait pas à limiter la portée des conseils militaires fournis par ses officiers supérieurs, mais il voulait plutôt établir une entité militaire qui cesserait de toujours résoudre les problèmes, de fournir des conseils et d’élaborer des politiques en se limitant au point de vue d’une seule armée. Le CCEM constituait une tribune collective d’experts pour discuter des enjeux, avant que le président aille présenter les conseils du Comité au Ministre et au Cabinet. Hellyer savait très bien que les conseils fournis par des experts militaires et « liés à des personnes telles que les chefs d’armée qui nourrissaient des intérêts institutionnels indépendants menaceraient toujours la stratégie et la structure nationale unifiée qu’il voulait établir10 » [TCO]. Décrivant la nouvelle organisation de défense à la Chambre des communes, il a déclaré que « l’intégration complète des forces armées en commençant au sommet avec l’intégration des cadres du commandement », permettrait de rendre « simples11 » les conseils qui seraient dès lors fournis au Ministre. Hellyer a fait valoir qu’une seule structure de commandement unifiée, appuyée par un état-major interarmées intégré plus solide dans un Quartier général des Forces canadiennes (QGFC), pour contrôler tous les aspects de la planification et des opérations, permettrait d’examiner les enjeux d’un point de vue national et formulerait des solutions unifiées nationales aux problèmes intéressant la défense du Canada12.

Pendant les examens parlementaires du projet de loi C-90 qui visait à modifier la LDN et à créer le poste de CEMD, ceux et celles qui s’opposaient à l’idée ont exprimé trois grandes préoccupations. Tout d’abord, certains ont fait valoir que le min DN aurait à compter sur l’expertise d’un seul conseiller militaire. Certains témoins ayant comparu devant le Comité de la défense ont soutenu qu’un CEMD ne pourrait tout simplement pas acquérir suffisamment de compétences, de connaissances et d’expertise pour donner des conseils compétents sur des questions techniques opérationnelles et militaires se situant en dehors de son domaine de compétence militaire. Par ailleurs, le CEMD en poste risquerait de favoriser son armée d’appartenance quand il conseillerait le gouvernement. Enfin, un critique influent des questions de défense a dit craindre que le CEMD devienne un « supremo », c’est-à-dire une personne plus puissante que tout autre officier militaire ayant jamais existé au Canada, au point même de l’emporter sur le ministre13. Hellyer a sommairement dissipé toutes ces craintes en proposant de mettre sur pied un Conseil de la Défense reconstruit qui offrirait une tribune apte à fournir au ministre des conseils militaires, bureaucratiques et scientifiques14.

En créant le poste de CEMD et le QGFC, ce dernier remplaçant trois quartiers généraux d’armée distincts, Hellyer voulait aussi établir au Ministère un groupe solide de fonctionnaires civils qui l’aiderait à contrôler et à gérer les forces armées15. Un an plus tôt, la Commission royale d’enquête sur l’organisation du gouvernement avait recommandé d’accroître les responsabilités du Sous-ministre en y ajoutant notamment la fonction suivante : « seconder et conseiller le ministre dans l’exercice de ses fonctions de contrôle et de direction des forces armées ». La Commission avait minimisé l’importance de l’expérience et de l’expertise militaires en soutenant que des civils devraient être employés « même [dans] certaines fonctions d’état-major essentiellement militaires, telles celles qui ont trait aux plans et aux opérations16 ». Faisant écho aux recommandations de la Commission, Hellyer considérait ce groupe civil, situé en dehors de la chaîne de commandement militaire et dirigé par le SM, comme étant essentiel « pour faire analyser et passer en revue les demandes militaires et l’utilisation des ressources disponibles pour des fins de défense [… et] capable d’examiner les crédits et les programmes de la défense et de fournir des conseils à leur sujet17 ». Un solide groupe du Sous-ministre était indispensable pour permettre au Ministre de tenir tête à l’appareil militaire, notamment dans les grands domaines de la défense échappant à l’expertise militaire professionnelle en tant que telle.

Photo du MDN RE66-1426

Le maréchal en chef de l’Air Frank Miller, premier chef d’état-major de la défense (CEMD) du Canada après l’unification, qui a occupé ces fonctions de 1964 à 1966.

Le 15 août 1964, les modifications apportées à la LDN sont entrées en vigueur, et le nouveau CEMD, le maréchal en chef de l’Air Frank Miller, a été chargé « du contrôle et de l’administration » [TCO] des FAC. La LDN n’a pas défini ces deux termes et elle ne contenait aucune mention précise des responsabilités consultatives du CEMD ou du SM; cette situation persiste à ce jour.

En décembre 1967, quand Hellyer a quitté le portefeuille de la Défense, peu avait changé dans le rôle consultatif du SM auprès du Ministre. Ayant fait face à une crise dans les relations civilo-militaires avec ses généraux et amiraux pendant la majeure partie de son mandat, à cause de son initiative axée sur l’unification des trois armées, Hellyer avait rapidement fait volte-face quant à son engagement de confier des responsabilités accrues au SM en matière de défense et il avait ainsi limité ce dernier, le fonctionnaire civil supérieur au ministère de la Défense nationale (MDN), à fournir des conseils sur les ressources, sur le personnel et sur les questions liées au matériel, aux finances et à la vérification dans le contexte de ses responsabilités prévues par la loi18. La sphère des conseils militaires réservée au CEMD est donc demeurée assez large et a compris la politique de défense et les politiques militaires, le renseignement, les évaluations stratégiques, les opérations, les plans, l’approvisionnement ainsi que l’organisation et le personnel de l’appareil militaire.

Photo du MDN IH71-152

M. Donald Macdonald, ministre de la Défense nationale, rencontre les troupes durant l’exercice Mobile Warrior 1971.

La situation a changé profondément en 1972, quand le Groupe d’étude de la gestion (GEG), une entité indépendante mise sur pied par le ministre Donald Macdonald, a cerné d’importants problèmes de gestion qui exigeaient l’adoption de mesures, y compris une plus grande intervention de fonctionnaires civils dans l’administration et la gestion du MDN19. La solution du gouvernement a consisté à créer le QGDN, en fusionnant le QGFC et l’administration centrale du Ministère, de même qu’à modifier la répartition des responsabilités entre les fonctionnaires civils et les gestionnaires militaires. Cette mesure radicale prise pour renforcer le rôle du SM et retirer d’importantes responsabilités aux militaires a aussi été motivée par un besoin pour le gouvernement et le Ministre de mieux superviser et contrôler l’appareil militaire.

Il est clair qu’en acceptant bon nombre des recommandations du GEG, le gouvernement voulait que le SM devienne le conseiller supérieur du Ministre concernant toutes les affaires du Ministère et, notamment, qu’il « se charge explicitement de diriger l’élaboration des politiques ministérielles et d’en recommander l’adoption au Ministre, de manière à faire en sorte que ces dernières traduisent l’intention du gouvernement20 » [TCO]. Pour que le SM puisse assumer ces nouvelles responsabilités, on a créé deux postes de sous-ministre adjoint (SMA), soit ceux de SMA(Politiques) et de SMA(Matériels).

Le nouveau SMA(Politiques) devait être un haut fonctionnaire civil qui posséderait « une vaste expérience de la planification et de la coordination dans le contexte des activités de tout l’appareil gouvernemental fédéral » [TCO] et qui se chargerait aussi de dresser les plans stratégiques nécessaires à la formulation de la politique de défense. Dans son rapport, le GEG a souligné que la nature des menaces pesant sur la sécurité nationale – l’objet premier de la politique de défense – évolue rapidement et que, par conséquent « au niveau stratégique, il n’existe pas de besoin “ strictement militaire21” » [TCO].

Photo du MDN ISC77-1192

Le premier ministre Pierre Trudeau effectue l’inspection des élèves-officiers dans le cadre du 25e anniversaire du Collège militaire royal (CMR) Saint-Jean en 1977.

Essentiellement, le CEMD et les forces armées étaient critiqués parce qu’ils présentaient au gouvernement des analyses stratégiques qui n’offraient pas de perspectives, de politiques et d’objectifs de rechange au-delà des facteurs militaires traditionnels. La Guerre froide et la menace de guerre nucléaire minaient rapidement l’influence des forces armées dans la planification stratégique et le processus national d’élaboration des politiques. En 1969, quand le gouvernement a décidé de réorganiser les priorités en matière de défense et de retirer nos forces de l’Europe, l’appareil militaire et le Ministère ont à peine été consultés et ils l’ont été principalement sur la meilleure façon d’effectuer le retrait22. Le premier ministre Pierre Trudeau ne s’intéressait pas aux forces armées et ne se souciait pas vraiment du point de vue du Ministère ou de son raisonnement. Le gouvernement ne faisait pas confiance à ses conseillers militaires et il les trouvait incompétents ou tout simplement désuets23. Le ministre Macdonald jugeait les conseils des militaires « inutiles, voire hostiles » [TCO] et il a dirigé la préparation du Livre blanc de 1971 sans consulter ces derniers24.

La décision de mettre sur pied le QGDN visait clairement à écarter le CEMD du processus d’élaboration de la politique de défense et à faire du SM un coordonnateur clé des relations avec d’autres ministères et organismes de gestion centraux du gouvernement. La création des groupes « Politiques » et « Matériels », ajoutée au renforcement des groupes des Finances et du Personnel, a eu pour effet immédiat de redistribuer les responsabilités et les obligations redditionnelles des fonctionnaires civils et des officiers militaires à la Défense. En mettant en œuvre bon nombre des recommandations clés du GEG, le gouvernement voulait établir une distinction entre les conseils purement militaires – qui concernaient surtout les opérations des FAC – et les autres types de conseils liés à la défense qui se rapportaient à la politique de défense et à la gestion de la défense, y compris l’ensemble des dimensions afférentes à la planification stratégique, aux finances, au matériel et à l’approvisionnement.

Les conséquences de ces changements sur les domaines de responsabilité du CEMD et du SM, relativement à la prestation de conseils au Ministre et au gouvernement, allaient s’avérer très profondes pour les FAC et le MDN. M. Douglas Bland, Ph. D., un des rares spécialistes canadiens ayant aidé sensiblement au fil des années à éclairer l’administration publique sur la politique de défense du Canada, a soutenu qu’au lieu de profiter de l’occasion pour mieux informer les officiers militaires supérieurs sur les questions politiques en enrichissant leur culture intellectuelle, de manière à les doter des compétences voulues pour contribuer à l’élaboration de la politique du pays en matière de sécurité nationale et de défense, le min DN Macdonald a choisi d’écarter les généraux et les amiraux pour améliorer la gestion de la défense25. Il allait falloir un événement tel que les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis, trois décennies plus tard, et l’arrivée du général Rick Hillier au poste de CEMD en 2005 pour provoquer un réexamen plus exhaustif des trois catégories de conseils : les conseils militaires, ceux se rapportant à la défense et ceux qui concernent les politiques.

Tout au long des années 1970 et 1980, les détracteurs du QGDN se sont plaints que la transformation des rôles des civils et des officiers militaires avait entraîné un embrouillement des responsabilités des uns et des autres ainsi qu’une civiliarisation et une bureaucratisation accrues de la défense26. Ils ont blâmé non seulement les hauts fonctionnaires civils, mais aussi les officiers supérieurs qui avaient acquiescé à la civiliarisation graduelle des forces armées27. Le Groupe de travail chargé d’étudier l’unification des Forces canadiennes en 1979 et 1980 (et le gouvernement suivant s’est lui aussi penché sur la question) a conclu également que « les décideurs supérieurs [à Ottawa] avaient bénéficié d’une expertise insuffisante de la part de la Marine, de l’Armée de terre et de la Force aérienne28 » [TCO]. En résumé, comme le Groupe de travail l’a souligné, le quartier général ne prenait pas en compte les questions opérationnelles, et le Ministre était donc privé des conseils des experts de chacune des trois armées. Les préoccupations qui avaient été exprimées en 1964, selon lesquelles le bureau du CEMD n’arriverait pas à représenter pleinement les points de vue de l’ensemble des forces armées, ont alors semblé tenir de la prescience29. Afin de s’attaquer au problème, le min DN Gilles Lamontagne a ordonné en septembre 1980 que les commandants des trois armées deviennent membres du Conseil de la Défense et du Comité de gestion de la Défense30.

Photo du MDN IH80-57

M. Gilles Lamontagne, ministre de la Défense nationale, effectue l’inspection de la Musique Stadacona des Forces canadiennes durant la cérémonie d’acceptation du CP 140 Aurora en 1980.

L’ambiguïté institutionnelle qu’a suscitée l’intégration des fonctionnaires civils et de l’état-major militaire avait accentué le conflit et la friction entre les deux volets du quartier général31. L’amiral Robert Falls, CEMD de 1977 à 1980, s’est plaint de ce que ce nouvel arrangement au QGDN procurait aux fonctionnaires « une certaine autorité sur les affaires militaires sans devoir assumer la responsabilité liée à l’obligation redditionnelle ou au rendement des forces armées32 » [TCO]. Il n’y a pas à douter que « l’embrouillement des axes de responsabilité et d’obligation redditionnelle » [TCO] au sein du QGDN, pour reprendre ici les propos qu’a employés un autre CEMD afin de caractériser la dynamique dysfonctionnelle en jeu, a influé sur la façon dont le CEMD et le DM percevaient leurs rôles respectifs de conseiller militaire et de conseiller en matière de défense auprès du gouvernement33.

Les officiers militaires supérieurs n’étaient pas les seuls à se dire insatisfaits du fonctionnement du QGDN34. En 1981, C.R. (Buzz) Nixon, qui était alors SM au MDN depuis six ans, a exprimé son exaspération au cours d’un exposé au Collège d’état-major des FC qui visait à expliquer son rôle au sein de l’administration de la politique de défense. Après avoir entendu de nombreuses critiques sur le QGDN au cours des études sur l’unification en 1979 et 1980, Nixon a projeté une diapositive qui faisait voir la répartition des responsabilités entre le CEMD et le SM et qui mettait en lumière les domaines qu’il considérait comme étant réservés au CEMD (cour martiale, promotions et discipline) et ceux qui incombaient en propre au SM (être l’alter ego du Ministre, finances et interface avec le gouvernement). Cependant, c’est « dans les domaines montrés comme étant mixtes que l’on comprend mal à qui la responsabilité incombe en définitive » [TCO] a admis Nixon. Il a conclu en disant que « la distinction entre le Ministère et les Forces canadiennes et entre le Sous-ministre et le chef d’état-major de la défense a été rendue floue » [TCO] en 1972, au moment de la mise sur pied du QGDN. Nixon a également reconnu le caractère unique des postes consultatifs dyarchiques du CEMD et du SM, en indiquant qu’en matière d’opérations, le SM joue le rôle de conseiller auprès du CEMD et que c’est l’inverse lorsqu’il s’agit des questions ministérielles35.

La fin de la Guerre froide et les événements des années 1990, en particulier les enquêtes, les recherches et les études provoquées par l’affaire somalienne, ont relancé le débat sur le QGDN intégré et, notamment, sur les rôles respectifs du CEMD et du SM lorsqu’il s’agit de conseiller le min DN, le Cabinet et le premier ministre. Dès septembre 1994, alors qu’il témoignait devant un Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes qui étudiait une nouvelle politique de défense, le SM Robert Fowler a déposé un document intitulé « L’organisation de la défense canadienne », qui décrivait très en détail les responsabilités du SM et du CEMD ainsi que le rôle du QGDN36. Le Ministre en a approuvé la publication; ce document représentait à coup sûr, à cette époque, la description la plus exhaustive de la portée des responsabilités consultatives du CEMD et du SM, en matière militaire et en matière de défense.

La Presse canadienne/Tom Hanson

Le général John de Chastelain, chef d’état-major de la défense, s’adresse au Régiment aéroporté du Canada lors de la cérémonie de dissolution à la BFC Petawawa, le 5 mars 1995.

La Commission d’enquête sur la Somalie de 1995-1997, qui s’était principalement concentrée sur l’examen des questions afférentes au déploiement et à l’emploi des Forces canadiennes en Somalie, s’est aussi fortement intéressée aux « actions, décisions, responsabilités et obligations » du CEMD et du SM37. Le général John de Chastelain et Robert Fowler, respectivement CEMD et SM quand la décision a été prise de déployer le Régiment aéroporté du Canada en Somalie, ont été interrogés en profondeur sur leur rôle dans la prestation de conseils au gouvernement. Dans leur rapport final, les commissaires ont donné à entendre que des hauts fonctionnaires civils (p. ex. le SM Fowler) s’étaient immiscés dans les affaires militaires et les dossiers opérationnels et qu’ils avaient amoindri le rôle du CEMD38. La Commission, ayant conclu que la LDN « était obscure à certains égards », a recommandé d’y clarifier les pouvoirs et les responsabilités du CEMD et du SM39.

Photo du MDN ISC93-10208

M. Robert Fowler (à l’extrême gauche), sous-ministre de la Défense nationale, s’apprête à quitter le quartier général interarmées des Forces canadiennes pour se rendre à l’aéroport de Mogadiscio, en Somalie, en 1993.

S’attendant à un rapport très critique de la part de la Commission d’enquête sur l’affaire somalienne, trois mois avant le dépôt de ce document à la Chambre des communes, le min DN Douglas Young a publié en mars 1997 son propre Rapport au premier ministre sur le leadership et l’administration dans les Forces canadiennes pour examiner les questions du leadership, de la discipline, du commandement et de la gestion qui tourmentaient l’appareil militaire canadien (Rapport Young). Comme de nombreux analystes « canadiens [commentant] les activités de défense ont mis en doute l’utilité d’une structure civilo-militaire intégrée [QGDN] et ont demandé sa dissolution », en allant même jusqu’à laisser entendre que la structure existante avait contribué à « diluer les avis militaires fournis au gouvernement », Young a répondu directement à cette question fondamentale40. En rédigeant son rapport au premier ministre, il a déclaré ce qui suit :

L’affirmation selon laquelle le système actuel empêche le Chef d’état-major de la Défense de présenter des avis militaires non filtrés au gouvernement est inexacte. En fait, le Chef d’état-major de la Défense a librement accès à moi et, lorsque cela s’avère nécessaire, à vous, Monsieur le Premier ministre. De plus, il assiste aux réunions du Cabinet sur votre invitation chaque fois que d’importantes questions militaires sont discutées. Le gouvernement prend effectivement des décisions ayant des répercussions sur les opérations militaires en tenant compte des avis formulés par le Chef d’état-major de la Défense41.

Pour que les choses soient parfaitement claires, Young a ordonné que les conseils militaires qui lui seraient adressés ainsi qu’au Cabinet soient clairement décrits comme tels dans tous les documents pertinents, tels que les mémoires au Cabinet; c’est là une pratique qui a encore cours aujourd’hui.

Accordant une certaine validité aux préoccupations soulevées relativement à la « confusion des obligations de rendre compte des militaires et des civils » au QGDN42, Young a fourni, avec un des documents qui accompagnaient son rapport, les clarifications les plus limpides jamais formulées quant aux pouvoirs, aux responsabilités et aux obligations redditionnelles du CEMD et du SM43. En expliquant un des rôles du QGDN, le Ministre a essentiellement divisé les conseils fournis au Ministre et au gouvernement en trois catégories distinctes : les conseils sur les « questions liées aux Forces canadiennes », les conseils sur « les questions de défense », et les conseils « se rapportant aux priorités, politiques et programmes du gouvernement44 » [TCO].

Photo du MDN MJC97-721

M. Douglas Young (à l'extrême-gauche) lors d'une annonce de l'OTAN en 1997.

Bien que le Ministre eût précisé dans le document que ce dernier devait servir de « lignes directrices pour les membres des Forces canadiennes et les employés du ministère de la Défense nationale », en le publiant en vertu de ses pouvoirs de ministre et comme document accompagnant son rapport au premier ministre, il avait clairement défini les responsabilités et les rôles consultatifs du CEMD et du SM. Pourtant, en dépit de tous les débats tenus entre 1994 et 1997 sur les rôles en question, le gouvernement n’a pas jugé nécessaire de modifier la LDN.

dpa picture alliance/Alamy Stock Photo D3B6RH

Des nuages de fumée s’élèvent au dessus de Manhattan, alors que les tours jumelles du World Trade Center (WTC) à New York s’effondrent, le 11 septembre 2001. En définitive, 2 823 personnes ont trouvé la mort lorsque des terroristes islamistes ont heurté le WTC à bord de deux aéronefs piratés, 189 personnes ont été tuées dans une attaque collatérale contre le Pentagone, et 44 personnes ont été tuées à bord d’un autre avion de ligne qui s’est écrasé durant une autre attaque terroriste le même jour.

Le général Ray Henault occupait le poste de CEMD depuis un peu plus de deux mois quand les attentats du 11 septembre se sont produits. Le corps des officiers des FAC de 2001, en particulier celui des officiers supérieurs comme Henault, était un groupe sûr de lui. Ces officiers s’étaient aguerris au cours des nombreuses missions de stabilisation menées au cours des années 1990 dans l’environnement de l’après-Guerre froide; ils avaient pris part à des opérations à rythme opérationnel élevé partout dans le monde et ils étaient rapidement en train de regagner la confiance perdue lors de l’affaire somalienne. Au lendemain des attaques terroristes, le gouvernement libéral de Jean Chrétien s’est engagé à appuyer les É.-U. dans la guerre contre le terrorisme et au cours du déploiement rapide, en 2001 et 2002, de forces d’opérations spéciales (FOS) et de capacités militaires aériennes, maritimes et terrestres dans les zones de conflit en Afghanistan et au Moyen-Orient. Les attaques du 11 septembre aux É.-U. ont accru les préoccupations au sujet du terrorisme international et sensibilisé davantage l’opinion à la menace qu’il représente. Dès lors, le gouvernement a immédiatement accordé une plus grande priorité aux opérations des FAC et à de nombreuses activités du Ministère. Comme il fallait s’y attendre, le statut et le pouvoir des conseillers militaires supérieurs possédant une expérience des conflits modernes et du contexte contemporain s’en sont trouvés renforcés.

Photo du MDN KA2003-A306D, prise par le caporal-chef Brian Walsh

Le premier ministre Jean Chrétien passe en revue une garde d’honneur du contingent canadien de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) à Kaboul, en Afghanistan, le 18 octobre 2003.

En évaluant la situation qui existait en 2004, Bland et l’historien militaire Sean Maloney, Ph. D., ont caractérisé comme suit le changement qui s’opérait alors au QGDN et à Ottawa : « Aujourd’hui, le CEMD et ses officiers supérieurs l’emportent souvent, mais pas toujours, sur le Sous-ministre et les hauts fonctionnaires chargés des politiques et ils renversent ainsi un peu les rôles aux dépens de ceux qui les avaient définis en 197245. » L’arrivée du général Rick Hillier à titre de CEMD en 2005 allait inverser la situation encore plus et amorcer une nouvelle ère dans les relations civilo-militaires au Canada46.

Photo du MDN IS2005-2040a, prise par le sergent Frank Hudec

M. Christopher Alexander, ambassadeur du Canada en Afghanistan (à droite), souhaite la bienvenue au général Rick Hillier, chef d’état-major de la défense du Canada, à l’aéroport international de Kaboul, le 4 février 2005.

Le premier ministre Paul Martin s’est engagé en 2004 à donner au Canada une position plus vigoureuse en matière de défense pour se distinguer de son prédécesseur quant à la politique étrangère et à la politique de défense. Afin d’atteindre cet objectif, il a choisi le général Hillier pour assumer les fonctions de CEMD en le chargeant de transformer l’appareil militaire canadien47. Quand le premier ministre a demandé au min DN Bill Graham, à l’automne 2004, d’élaborer la partie du nouvel Énoncé de politique internationale qui concernait la défense, le min DN a reconnu qu’il pouvait s’occuper du volet relatif à la politique étrangère, étant donné qu’il avait géré le portefeuille des Affaires étrangères juste auparavant, mais il a rapidement admis au premier ministre que « pour qu’un examen militaire soit solide, il doit être rédigé par quelqu’un qui comprend vraiment la structure organisationnelle, les besoins en personnel et l’équipement qui seront nécessaires pour faire le travail ». Il a ajouté qu’il serait « stupide de m’aventurer dans ce domaine et d’y faire du marchandage comme un amateur48 » [TCO].

Photo du MDN BK2004-0098-06a

Le général Ray Henault, chef d’état-major de la défense (au centre à gauche), et M. Bill Graham, ministre de la Défense nationale (au centre à droite), pendant une cérémonie de passation de commandement à l’intention du brigadier général Stuart Beare, (à droite), commandant de la Force opérationnelle multinationale (Nord Ouest) en Bosnie, le 1er septembre 2004.

Le gouvernement a donné au général Hillier l’occasion d’être l’architecte d’une nouvelle politique de défense, ce qui lui a permis d’exercer une influence et un contrôle sans précédent sur la rédaction de l’énoncé de politique et d’y favoriser les points de vue du CEMD, ses objectifs liés à la structure des forces et ses buts en matière d’approvisionnement. Ce faisant, le gouvernement a profondément modifié le rôle et l’influence du CEMD dans l’appareil gouvernemental49. Le contraste entre ce moment-là et 1971 ne pouvait être plus frappant. Le min DN Macdonald, qui se méfiait des militaires, avait choisi un membre de son personnel politique qui avait obtenu son doctorat peu avant, pour produire une nouvelle politique de défense, mais Graham a fait confiance pour cela à un officier supérieur de l’Armée de terre canadienne qui avait servi avec l’armée de terre des États-Unis et venait de commander la Force internationale d’assistance à la sécurité de l’OTAN en Afghanistan. L’environnement et le contexte de 1971 différaient nettement de ceux de 2005, ce qui rendait nécessaires des stratégies radicalement différentes. L’expertise militaire était désormais précieuse.

En plus de transformer les forces armées du Canada et de modifier la structure de commandement des FAC, le général Hillier voulait réformer la gouvernance militaire au QGDN afin d’en accroître l’agilité et la capacité d’adaptation aux nouveaux besoins opérationnels des FAC50. Le changement le plus important apporté au cours de la réorganisation militaire au QGDN a été la mise sur pied d’un solide État-major interarmées stratégique (EMIS) unifié relevant directement du CEMD. Comme l’engagement du Canada s’accentuait au début de 2006 dans le contexte des opérations militaires de forte intensité et à risque élevé à Kandahar, en Afghanistan, le général Hillier voulait un état-major unifié plus fort qui l’aiderait à commander les FAC sur le plan stratégique et à fournir des conseils militaires au gouvernement. Le CEMD souhaitait que le nouvel EMIS évolue au point de pouvoir amorcer et exécuter des analyses et des études militaires stratégiques pour influer sur le processus décisionnel national51. Pareille façon d’envisager les choses avait essentiellement disparu au moment de la mise sur pied du QGDN en 1972.

Le général Hillier a même tenté, sans succès, de faire passer au sein de l’EMIS la direction des politiques opérationnelles qui faisait partie du groupe du SMA(Politiques). Dans le groupe du Vice-Chef d’état-major de la défense (VCEMD), qui relève du CEMD et du SM, il a recréé l’organisation du Chef – Développement des Forces (CDF), en la chargeant de mener des études sur la sécurité future et des analyses sur les capacités militaires qui permettraient de mieux façonner les politiques de défense dans l’avenir52. Bref, dans l’année qui a suivi son arrivée au poste de CEMD, le général Hillier a pour ainsi dire créé au sein du QGDN un quartier général militaire axé sur les opérations et, aspect plus important, il a considérablement renforcé la capacité du CEMD de fournir des conseils militaires au gouvernement sur toute une gamme de questions concernant les FAC et la défense.

Deux types de critiques, qu’il convient d’aborder ici dans cette étude sur la prestation de conseils militaires, ont ciblé le CEMD. La vision du général Hillier était de toute évidence inspirante, mais elle était présentée avec une énergie et une conviction qui n’encourageaient pas beaucoup la discussion au sein des FAC et du MDN. Beaucoup, en particulier dans la Force aérienne et la Marine, voyaient clairement là une vision axée sur l’Armée de terre (notamment avec la métaphore de « la guerre à trois volets »). Les préoccupations soulevées en 1964, selon lesquelles un CEMD énergique favoriserait son armée aux dépens de l’intérêt institutionnel de l’ensemble des FAC, semblaient, aux yeux de nombreux observateurs, se matérialiser à la faveur de cette transformation53.

Certains critiques ont aussi soutenu à ce moment-là que les changements stratégiques clés apportés à la gouvernance au QGDN, quand on les combinait à la personnalité dominante du général Hillier et à la forte influence qu’il exerçait sur le ministre Graham et le premier ministre Martin, érodaient l’équilibre traditionnel entre le personnel militaire et les fonctionnaires civils et entraînaient la marginalisation de l’influence des hauts fonctionnaires à la Défense54. Le QGDN était en train d’être militarisé, à l’inverse de ce qui s’était produit entre 1971 et le milieu des années 1990. Ces craintes étaient certes valides, bien qu’exagérées dans une certaine mesure. En fait, l’adoption de la Loi fédérale sur la responsabilité à la fin de 2006 par le nouveau gouvernement conservateur, visait à accroître la transparence, la supervision et l’obligation redditionnelle au sein du gouvernement, et les changements apportés ensuite à la Loi sur la gestion des finances publiques, qui faisaient des sous-ministres des « administrateurs des comptes » dans leur ministère, ont considérablement rehaussé le statut du SM à la Défense55.

Photo du MDN CK2008-0157-22, prise par le soldat Pamela Turney

Au cours d’une visite à la 4e Escadre Cold Lake le 28 mai 2008, M. Robert Fonberg, sous ministre de la Défense nationale, (au centre), pose devant un CF-18 du 410e Escadron avec des pilotes du 410e Escadron à l’issue d’un vol de familiarisation réussi.

À titre d’administrateur des comptes du Ministère, le SM répond de toutes les mesures prises pour organiser les ressources de ce dernier, exécuter les programmes du gouvernement conformément aux politiques et aux procédures, et appliquer des systèmes efficaces de contrôle interne au sein du Ministère56. Comme l’accent était mis sur l’obligation redditionnelle dans l’appareil gouvernemental, le rôle consultatif du SM de la Défense, dans les domaines de la gestion, des finances, de l’approvisionnement et de la vérification, est devenu plus exclusif et a exigé une plus grande expertise spécialisée57. Par coïncidence, quelques mois après que la Loi sur la responsabilité fédérale eut reçu la sanction royale, un nouveau sous-ministre, en la personne de Robert Fonberg, est arrivé à la Défense en mai 2007. Le général Hillier avait très bien collaboré avec le SM en poste jusque-là, Ward Elcock, qui avait facilité ses efforts pour élaborer et mettre en œuvre ses politiques et ses initiatives de transformation. Il est évident que le général Hillier ne s’est pas aussi bien entendu avec Fonberg, qui avait de toute évidence un mandat ministériel plus rigoureux. Exaspéré par la façon dont le QGDN évoluait, le général Hillier a donné à entendre dans ses mémoires qu’il conviendrait de séparer les FAC du MDN (p. ex. en dissolvant le QGDN et en revenant à la structure d’avant 1972), afin de clarifier les rôles des civils et des militaires à la Défense58.

Malgré les souhaits du général Hillier, le QGDN n’a pas été dissou et il continue à ce jour de fonctionner efficacement en tant que quartier général civil et militaire intégré. Le SM Fonberg et son successeur, Richard Fadden, ont mis à profit une page du carnet de notes du général Hillier en exécutant eux aussi des changements clés au QGDN pour être mieux à même de remplir leurs nouvelles obligations redditionnelles et leur rôle de conseiller stratégique supérieur du Ministère auprès du gouvernement. Parmi les changements apportés, mentionnons la création de nouveaux postes de SM délégué pour la gestion des ressources et l’approvisionnement ainsi que la mise sur pied de nouveaux et puissants comités de gestion, y compris le Comité d’investissement et de gestion des ressources (CIGR), présidé par le SM, et un nouveau Comité des politiques de la haute direction de la Défense, coprésidé par le SM et le CEMD59.

Il n’y a pas à douter que la cadence opérationnelle élevée que les FAC ont connue entre 2001 et 2015, en particulier au cours de la guerre de haute intensité en Afghanistan, conjuguée à la mise en œuvre de la Loi sur la responsabilité fédérale et au sensationnalisme des problèmes qui se sont faits jour dans le contexte de plusieurs grands programmes d’approvisionnement en matière de défense, ont contribué à polariser les enjeux dans une certaine mesure dans les cabinets du CEMD et du SM le long des axes militaire et civil au QGDN, tout en délimitant des domaines plus exclusifs où il appartenait tantôt au CEMD tantôt au SM de fournir des conseils60. Ironiquement, cette réalité a contribué à réduire l’ambiguïté des responsabilités et des obligations redditionnelles que devaient accepter le CEMD et le SM, en particulier dans les domaines de consultation partagés, et à atténuer en partie l’exaspération et la friction aux niveaux supérieurs du QGDN. Comme l’a fait observer un haut fonctionnaire du MDN, au cours de cette période, chaque partie a appris à mieux comprendre – et respecter – les responsabilités et les obligations redditionnelles de l’autre, dans la dyarchie CEMD-SM61. Il n’est donc pas surprenant que l’élaboration de la politique de défense de 2017, Protection, Sécurité, Engagement, ait donné lieu à un excellent effort de collaboration entre les officiers militaires et les fonctionnaires civils du QGDN, avec le CEMD et le SM s’étant tous deux personnellement investis à fond dans le processus tout entier62.

Des conseils dans quatre domaines : les politiques, la fonction publique, la défense et l’appareil militaire

Comme cette revue historique l’a mis en lumière, les responsabilités, les obligations redditionnelles particulières et les rôles consultatifs du CEMD et du SM n’ont jamais été définis dans les lois, ou même codifiés dans la pratique. En 2014 et 2015, faisant fond sur la plus récente version du document du ministre Young intitulé Autorité, responsabilité et reddition de comptes (ARR), qui avait été révisé en 199963, le VCEMD a dirigé un effort d’envergure au QGDN pour rédiger un nouveau document décrivant les responsabilités et les obligations redditionnelles du CEMD et du SM. Le document de 50 pages a été présenté au CEMD et au SM, mais la publication n’en a jamais été approuvée. Fait intéressant, la principale préoccupation soulevée à ce moment a été que le document était trop détaillé et trop précis, surtout que les fondements juridiques et réglementaires nécessaires lui faisaient défaut64.

Photo du MDN CX2005-002d, prise par le soldat Vaughan Lightowler

M. Ward Elcock, sous-ministre de la Défense nationale (à droite), visite la 19e Escadre de la BFC Comox, le 20 juillet 2005.

Ward Elcock, sous-ministre de la Défense entre 2004 et 2007, soutient qu’« un certain flou est utile » [TCO] dans la dyarchie particulière CEMD-SM, car il offre des possibilités de souplesse et d’adaptation et permet aussi au CEMD et au SM de modifier la structure de la Défense nationale et son régime de gouvernance, en particulier le QGDN, en fonction des priorités du gouvernement65. Pourtant, le manque de précision risque de mener à la confusion, à l’ambiguïté et à l’exaspération chez les participants au sujet des rôles respectifs que le CEMD et le SM doivent jouer dans le système de gouvernance du Canada, y compris dans les domaines de compétence où il leur incombe en fin de compte de donner des conseils.

S’exprimant sur la structure de gouvernance complexe du QGDN, Rob Fonberg a fait une mise en garde : « [L]orsque les militaires dérivent en fournissant des conseils militaires – que ce soit intentionnellement ou par inadvertance – les ministres et hauts fonctionnaires peuvent être facilement confondus et induits en erreur ». Lorsque le CEMD et les officiers supérieurs s’expriment, « les ministres s’attendent à entendre des avis militaires66 » [TCO]. L’ancien SM n’a pas défini ce qui constituait les domaines de compétence des militaires et des fonctionnaires civils en matière de conseils, mais il lui semblait clair qu’il y avait deux domaines séparés et distincts à cet égard, soit le domaine militaire, contrôlé par le CEMD, et le domaine des politiques, réservé au SM et aux fonctionnaires. Selon Fonberg, il importait de faire cette distinction, car pendant son mandat à la Défense il avait observé les conséquences sérieuses et lourdes de toute intrusion non transparente des militaires dans le « domaine réservé au Sous-ministre en matière de prestation de conseils » [TCO]. Pour prévenir tout résultat défavorable, il vaut mieux que le CÉMD et les militaires « restent dans leur corridor et évitent autant que possible de donner des conseils qui concerne l’élaboration des politiques »67 [TCO].

Ce débat met certes en lumière la nécessité de préciser les paramètres de la discussion sur la prestation de conseils dans le domaine militaire, dans celui de la défense, dans le contexte de la fonction publique et en ce qui concerne l’élaboration des politiques, afin d’éliminer toute ambiguïté dans la terminologie aux fins de la seconde partie du présent article. Un bon point de départ à cet égard consiste à clarifier ce que nous entendons par « politique » et par « conseil ».

Une politique d’intérêt public peut se définir comme étant un plan d’action – ou d’inaction – dressé par le gouvernement pour régler un problème donné, un enjeu ou un ensemble de problèmes connexes68. Une politique énonce habituellement un but clair, un ensemble de décisions et/ou d’orientations, issu « d’un choix réfléchi fait parmi divers choix impérieux69 ». Il incombe au premier ministre et aux ministres de prendre ces décisions stratégiques et d’en rendre compte, en fonction des conseils qu’ils reçoivent de multiples sources.

La Loi sur l’accès à l’information (LAI) donne un sens juridique particulier au mot « Avis » quand il s’applique aux conseils donnés au gouvernement. La communication « [d’]avis ou [de] recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre » peut être refusée70. Aux fins de la LAI, les avis doivent contenir plus qu’une simple opinion, en ce sens qu’un avis constitue l’énoncé d’une position sur un plan d’action futur (p. ex. une politique) qui sera en fin de compte accepté ou rejeté par son destinataire (p. ex. un ministre ou le Cabinet71). Les avis et recommandations officiels ne sont pas divulgués pour que les militaires et les fonctionnaires puissent fournir des conseils complets et honnêtes aux hommes et aux femmes politiques, tout en conservant leur neutralité politique. Il importe de souligner que, lorsque des officiers supérieurs et des hauts fonctionnaires expriment une opinion professionnelle en public, en présence des médias ou pour répondre à des questions devant un comité parlementaire, leurs propos ne constituent pas des conseils à l’intention du gouvernement. Les conseils sont fournis aux ministres aux fins de la prise de décisions.

À la lumière des définitions précédentes, il s’ensuit donc que les conseils militaires fournis au gouvernement ne sont pas distincts des avis sur les politiques, mais qu’ils en forment plutôt un des volets. Ils se rapportent aux affaires des FAC, y compris le développement des forces dans le présent et l’avenir, la structure de ces forces et les capacités qu’il leur faudra pour mettre en œuvre la politique de défense du Canada, assurer leur état de préparation et exécuter leurs opérations actuelles et futures éventuelles, au Canada et à l’étranger. En sa qualité d’expert militaire supérieur au Canada, le CEMD est aussi censé exprimer des conseils sur la nature de la guerre moderne, en particulier sur les complexités découlant des techniques de guerre perfectionnées non conventionnelles qu’emploient les adversaires contemporains et sur leurs conséquences pour la sécurité nationale du Canada. Seul le CEMD peut fournir des « conseils militaires » au gouvernement; cependant, n’importe quel fonctionnaire, y compris le SM, peut donner des avis aux ministres sur des questions militaires et le fait effectivement.

Le Guide du sous-ministre, publié par le greffier du Conseil privé et destiné à expliquer aux sous-ministres comment remplir leur rôle, indique que, pour appuyer un ministre, « le sous ministre est responsable de […] donner des conseils professionnels et non partisans en matière d’élaboration et de mise en œuvre des politiques, tant en ce qui concerne le portefeuille du ministre que le programme politique et législatif global du gouvernement […] et conseiller le ministre sur la gestion de tout son portefeuille72 ». L’expression générique « conseils en matière de politiques » est employée dans la page Web du sous-ministre de la Défense nationale pour caractériser les conseils qu’il donne au Ministre au chapitre de la défense73. Aux fins du présent article, l’expression « conseils en matière de défense » désigne ceux que fournit le sous-ministre du MDN. Si nous adoptons les catégories que le min DN Young a employées dans son Rapport de 1997, ces conseils peuvent être répartis simplement entre deux volets essentiels74. Le premier comprend les conseils sur la politique de défense et les questions liées à la gestion du Ministère, par exemple celles qui se rapportent aux ressources humaines, aux programmes de défense, aux achats et à l’approvisionnement, aux finances et à la vérification. Le second regroupe les conseils sur la meilleure façon de mettre en œuvre au ministère de la Défense nationale les priorités, politiques et programmes du gouvernement, y compris sur les moyens à prendre pour favoriser la collaboration avec d’autres ministères.

Conclusion

En résumé, il existe à la Défense nationale une division entre les domaines militaire et civil qui est particulière à ce ministère et ne se retrouve nulle part ailleurs dans l’appareil gouvernemental. Sans une catégorisation claire sanctionnée dans la loi, le CEMD et le SM risquent tous deux de s’aventurer dans le « corridor » de l’autre. Le « système à deux branches » qui existe à la Défense nationale a certes compliqué la vie au min DN Graham. Dans ses mémoires, il s’est plaint que la « division [entre le CEMD et le SM] a constitué un casse-tête à gérer quand les responsabilités des deux chefs se recoupaient et même s’entrechoquaient », ce qui l’a souvent forcé à « jouer le rôle d’arbitre entre eux qui lui fournissaient des conseils contradictoires75 » [TCO].

Certes, il existe des domaines de compétence qui sont davantage réservés au CEMD ou au SM lorsqu’il s’agit de donner des conseils76, mais il demeure qu’en raison de la nature et de la complexité des activités de défense et des opérations militaires, la grande majorité des questions qui nécessitent une décision de la part du min DN et du gouvernement reposeront sur des conseils qui émaneront de ces deux personnes. Comme la plupart des dossiers des FAC et du Ministère même se recoupent ou sont inextricablement liés, l’espace commun que couvrent les conseils du CEMD et du SM est inévitablement vaste, comme il faut s’y attendre dans une dyarchie, et il est donc logique que le SM et le CEMD harmonisent leurs conseils avant d’en faire part à l’échelon politique77.

Même si nous reconnaissons l’existence de domaines où les responsabilités et les obligations redditionnelles appartiennent en propre au CEMD et au SM dans la dyarchie, quand ces deux personnes s’attaquent ensemble et harmonieusement aux questions chevauchant les limites communes – ou confuses – de leurs domaines de compétence, cette cohésion peut procurer un puissant avantage à la Défense canadienne, notamment en ce qui concerne la qualité, la justesse et l’à-propos des conseils fournis au Ministre, au Cabinet et au premier ministre78. Cet aspect et de nombreux autres se rapportant à la mécanique politique des conseils militaires seront abordés plus en détail dans la seconde partie du présent article.

Notes

  1. Le mot « confondre » (blurring, dans la version anglaise) est employé par le ministre Douglas Young dans son Rapport au premier ministre sur le leadership et la gestion des Forces canadiennes [Ottawa, MDN, 1997, p. 33] pour décrire le partage des responsabilités entre le CEMD et le SM. L’ancien SM C.R. Dixon a aussi eu recours à ce mot ou à l’un de ses dérivés en anglais, dans le cadre d’un exposé fait au Collège des FC en 1981.
  2. Je remercie vivement le colonel Patrick Feuerherm et le major Michel Gosselin des observations utiles qu’ils ont formulées en révisant les versions antérieures du présent article.
  3. Général Jonathan Vance, table ronde de 2015 de l’Institut de la Conférence des associations de la défense, août 2015.
  4. L.R.C. 1985, chap. N-5, Loi sur la défense nationale, par. 18(1). La LDN ne mentionne pas expressément le commandement, mais le ministre Young, à la page 34 de son Rapport au premier ministre présenté en 1997, a employé l’expression « commandement, contrôle et administration ». L’autorisation de « commander » et les pouvoirs du CEMD lui viennent de la Prérogative royale. Voir Philippe Lagassé, « The Crown’s Powers of Command-in-Chief: Interpreting Section 15 of Canada’s Constitution Act, 1867 », Review of Constitutional Studies, vol. 18, no 2, 2013, p. 214.
  5. La responsabilité et l’obligation de rendre compte de conseiller le gouvernement par les hauts fonctionnaires sont depuis longtemps reconnues par les conventions, les précédents et les pratiques du système gouvernemental de Westminster. En fait, très peu de hauts fonctionnaires du gouvernement canadien ont la responsabilité légale de conseiller le gouvernement. L’un d’eux est l’administrateur en chef de la santé publique du Canada, « [qui] fournit au ministre et au président des conseils en matière de santé publique élaborés sur une base scientifique ». Voir la Loi sur l’Agence de la santé publique du Canada, L.C. 2006, chap. 5, par. 7(1.1). Voir le site https://lois-laws.justice.gc.ca/fra/lois/P-29.5/page-1.html.
  6. Plusieurs discussions et échanges de courriels avec le lieutenantcolonel Erik Liebert (Groupe des initiatives du CEMD), 13 et 14 février 2020.
  7. L’expression « rouages politiques », employée dans le titre et le présent article, est située dans le contexte du modèle classique des jeux politiques bureaucratiques décrits par Graham Allison, jeux dans le cadre desquels les résultats sont décidés par les rapports politiques – « négociations en fonction de circuits régularisés entre des acteurs occupant des postes hiérarchiques dans l’appareil gouvernemental » [tco]. Les résultats, à savoir les politiques et les décisions du gouvernement, sont déterminés par le pouvoir, l’expertise et les influences. Par conséquent, l’emploi de l’expression « rouages politiques » ne vise pas à suggérer que les chefs militaires canadiens se servent de leur influence pour intervenir dans des domaines dont on dirait qu’ils s’apparentent à la politique partisane (autrement dit, pour procurer au gouvernement un avantage électoral). Graham Allison, Essence of Decision: Explaining the Cuba Missile Crisis, Boston, Little Brown, 1971, p. 162-184.
  8. Depuis la création du QGDN en 1972, le poste de VCEMD a toujours été reconnu comme relevant à la fois du CEMD et du SM, et aussi considéré comme le chef d’état-major du QGDN. Les personnes qui ont occupé ce poste au fil des ans ont joué un rôle essentiel dans le bon fonctionnement de la dyarchie CEMD-SM. L’évolution de la position du VCEMD et son influence sur la dyarchie dépasse le cadre de cet article, mais mérite certainement une étude distincte.
  9. R.L. Raymont, The Formulation of Canadian Defence Policy from 1945-1964, Ottawa, ministère de la Défense nationale, 1981, annexe A, p. 19-27.
  10. Bland, Chiefs of Defence: Government and The Unified Command of the Canadian Armed Forces, Toronto, CISS, 1995, p. 74. Bland a toujours été un critique passionné de la mise sur pied du QGDN en 1972; il a fait valoir que le quartier général des FC et celui du Ministère devaient être séparés pour en accroître l’autorité et l’obligation redditionnelle. Par conséquent, il faut lire avec circonspection certaines de ses déductions et de ses interprétations, surtout celles portant sur la relation entre le CEMD et le SM.
  11. Paul Hellyer, Débats de la Chambre des communes, 8 mai 1964, p. 3213-3214.
  12. Bland, Chiefs of Defence, p. 87-88; voir aussi Paul Hellyer, Damn the Torpedoes: My Fight to Unify the Canadian Forces, Toronto, McClelland & Stewart, 1990, p. 32-38.
  13. Bland, The Administration of Defence Policy in Canada, 1947 to 1985, Kingston, R.P. Frye & Co, 1987, p. 4446.
  14. Bland, Chiefs of Defence, p. 74.
  15. Au sujet de l’évolution du rôle des civils au MDN, voir Daniel Gosselin, « Les agents non élus et non armés de l’État » in Revue militaire canadienne, vol. 14, n° 3, été 2014, p. 38-52.
  16. Les deux citations proviennent de la Commission royale d’enquête sur l’organisation du gouvernement, Rapport 20 : Ministère de la Défense nationale, Ottawa, Imprimeur de la Reine, janvier 1963, p. 78-79.
  17. Hellyer, Débats, 8 mai 1964, p. 3216.
  18. Bland, Administration of Defence Policy, p. 46. Au sujet de la crise dans les relations civilomilitaires, voir Daniel Gosselin, « La tempête autour de l’unification des forces armées », dans Les insubordonnés et les insurgés: des exemples canadiens de mutinerie et de désobéissance, de 1920 à nos jours, Howard G. Coombs (sous la dir. de), Kingston (Ontario) Presse de l’Académie canadienne de la Défense, 2007, p. 307-340.
  19. Au sujet des symptômes cernés par le GÉG, voir Management of Defence in Canada – Report in Brief, MDN, Ottawa, 1972, dans Douglas L. Bland (sous la dir. de), Canada’s National Defence, Volume 2 Defence Organization, Kingston, Université Queen’s, School of Policy Studies, 1998, p. 185-200.
  20. Ibid., p. 209.
  21. Ibid., p. 220.
  22. Ibid., p. 191.
  23. J.L. Granatstein et Robert Bothwell, Pirouette: Pierre Trudeau and Canadian Foreign Policy, Toronto, University of Toronto Press, 1990, p. 236.
  24. Bland, Administration of Defence Policy, p. 209-215.
  25. Ibid., p. 213-214.
  26. Peter Kasurak, « Civilianization and the Military Ethos: Civil-Military Relations in Canada », Administration publique du Canada, vol. 25, no 1, printemps 1982, p. 108-129; Bland, Chiefs of Defence, p. 27-74, passim.
  27. Bland, volume 2, p. 249.
  28. Groupe de travail chargé d’étudier l’unification des Forces canadiennes, Rapport final, MDN, Ottawa, 15 mars 1980, dans Bland, volume 2, p. 304.
  29. Bland, Chiefs of Defence, p. 107.
  30. Ibid., p. 109-116; Bland, volume 2, p. 343-350. Il y avait déjà un Conseil des forces armées (CFA) qui fonctionnait sous la direction du CEMD et dont étaient membres les commandants des trois armées : la Force mobile, le Commandement aérien et le Commandement maritime.
  31. Bland, Chiefs of Defence, p. 160-165.
  32. Amiral Falls, cité dans Bland, Chiefs of Defence, p. 161-162.
  33. Gerry Thériault, « Democratic Civil-Military Relations: A Canadian View », dans Jim Hanson et Susan McNish (sous la dir. de), The Military in Modern Democratic Society, Toronto, Institut canadien d’études stratégiques, 1996, p. 9-10.
  34. Bland, Chiefs of Defence, p. 117-121 et 160-165.
  35. C.R. Nixon, « Rôle du sous-ministre du ministère de la Défense nationale », présentation faite au Collège d’étatmajor des FC, à Toronto, le 9 septembre 1981. Les autres domaines montrés dans la diapositive étaient les suivants : fonction publique, administrateur du Ministère; vérification, emploi des ressources; politiques; planification; instruction; plans opérationnels; fonctionnement des FC; orientation interne. Les italiques ont été ajoutés.
  36. Robert Fowler, « The Organization of Canadian Defence », MDN, Ottawa, 1994, document rédigé pour le Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes.
  37. Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie (CEDFCS), dans Un héritage déshonoré : Les leçons de l’affaire somalienne, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 1997, vol. 5, p. 1611-1614.
  38. Ibid., p. 1643.
  39. Ibid., p. 1638 et p. 1642-1645.
  40. Young, Rapport au premier ministre, p. 33.
  41. Ibid.
  42. Ibid., p. 34.
  43. Douglas M. Young, « Autorité, responsabilité et reddition de comptes : lignes directrices pour les membres des Forces canadiennes et les employés du ministère de la Défense nationale ». Document rédigé aux fins du Rapport au premier ministre, Ottawa, MDN, 1997.
  44. Ibid., p. 6.
  45. Douglas L. Bland et Sean M. Maloney, Campaigns for International Security: Canada’s Defence Policy at the Turn of the Century, Kingston, McGill-Queen’s UP, 2004, p. 149-150.
  46. Philippe Lagassé et Joel J. Sokolsky, « A larger ‘footprint’ in Ottawa: General Hillier and Canada’s shifting civilmilitary relationship, 2005–2008 », dans La politique étrangère du Canada, vol. 15, no 2, p. 16-40.
  47. Janice Stein and Eugene Lang, The Unexpected War: Canada in Kandahar, Toronto, Penguin, 2007, p. 147-148.
  48. Bill Graham, The Call of the World: A Political Memoir, Victoria, One Point Press, 2016, p. 354.
  49. Stein et Lang, The Unexpected War, p. 149-151; voir aussi « Too Few Hilliers: The General Goes Where Ottawa Mandarins Fear to Tread », dans The Walrus, vol. 4, avril 2008, p. 34-39.
  50. Voir Daniel Gosselin et Craig Stone, « Du ministre Hellyer au général Hillier », dans Revue militaire canadienne, vol. 6, n° 4, hiver 2005-2006, p. 5-15.
  51. En 1995, Bland avait rêvé de cette possibilité. Bland, Chiefs of Defence, p. 124.
  52. L’auteur œuvrait à cette époque au sein de l’Équipe de transformation des FC. Soulignons que le général Hillier voulait faire du poste de CDF un poste de lieutenantgénéral ou de viceamiral qui relèverait directement de lui. Les trois armées lui ont résisté sur ce point, et Hillier a renoncé à l’idée.
  53. Voir Lieutenant-général (à la retraite) Michael K. Jeffery, Inside Canadian Forces Transformation: Institutional Leadership as a Catalyst for Change, Kingston, Presses de l’ACD, 2009, p. 48-50. Pour être juste envers le général Hillier, il faut dire qu’il avait formulé certaines de ses idées sur la transformation de l’appareil militaire canadien dans une lettre rédigée quand il était chef d’état-major de l’Armée de terre en 2003.
  54. Lawrence Martin, « In Defence, the civilian side is on the slide », dans The Globe and Mail, 7 septembre 2006, p. A21.
  55. L.R.C., 1985, chap. F-11, Loi sur la gestion des finances publiques, par. 16(4). Voir le site https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/f-11/index.html.
  56. Ibid.
  57. Alan Gilmore, « The Canadian Accounting Officer: Has it Strengthened Parliament’s Ability to Hold the Government to Account », chapitre 4 dans Christopher Dunn (sous la dir. de), The Handbook of Canadian Public Administration, Don Mills, Oxford UP, 2010, p. 75-84.
  58. Général Rick Hillier, A Soldier First: Bullets, Bureaucrats and the Politics of War, Toronto, HarperCollins, 2009, p. 427.
  59. En 2012-2013, le SMA(Finances), qui relève du SM et est aussi le dirigeant principal des finances (DPF) du Ministère, a essayé d’intégrer l’organisation du Chef de programme (C Prog) dans son groupe. Le C Prog relève du VCEMD et est responsable des stratégies ministérielles et des analyses sur la planification et l’affectation des ressources. Le CEMD et le VCEMD ne l’ont pas appuyé, et le SM a fait marche arrière.
  60. Entrevues confidentielles.
  61. Entrevue confidentielle.
  62. Entrevues confidentielles.
  63. Ministère de la Défense nationale, « Organisation et reddition de comptes : Guide à l’intention des membres des Forces canadiennes et des employés du ministère de la Défense nationale », Ottawa, MDN, 1999.
  64. L’auteur a participé à l’examen d’une des versions du document ARR. Aussi, entrevue confidentielle.
  65. Ward Elcock, table ronde de l’Institut de la Conférence des associations de la défense sur la gouvernance du MDN, Ottawa, 27 janvier 2017.
  66. Robert Fonberg, Ibid. Aussi, échange de courriels avec l’auteur entre le 13 et 15 août 2020.
  67. Ibid.
  68. Leslie Pal, Beyond Policy Analysis: Public Issue Management in Turbulent Times, Toronto, Nelson, 2014, p. 2.
  69. Glen Milne, L’élaboration de politiques : Un guide sur le fonctionnement du gouvernement fédéral, Ottawa, Milne, 2014, p. 18.
  70. L.R.C., 1985, ch. A-1, Loi sur l’accès à l’information, art. 21(1). Voir le site https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/a-1/TexteComplet.html.
  71. Commission à l’information du Canada, Guide des enquêteurs pour l’interprétation de la Loi sur l’accès à l’information, Article 21 : Avis ou recommandations. Voir le site https://www.oic-ci.gc.ca/fr/guide-des-enqueteurs-pour-linterpretation-de-la-loi-sur-lacces-linformation/article-21-avis-ou.
  72. Gouvernement du Canada, Bureau du Conseil privé, « Guide du sous-ministre ». Voir le site https://www.canada.ca/fr/conseil-prive/services/publications/guide-sous-ministre.html#TOC1_5. Les italiques ont été ajoutés.
  73. Gouvernement du Canada, Défense nationale, « Sous-ministre de la Défense nationale ». Voir le site https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/organisation/structure-organisationnelle/sous-ministre-defense-nationale.html.
  74. Young, « Autorité, responsabilité et reddition de comptes », p. 6.
  75. Graham, Call of the World, p. 351-352.
  76. D’anciens CEMD et SM interviewés aux fins du présent article ont confirmé cela, mais beaucoup avaient un point de vue différent sur ce qui constituait ces domaines exclusifs.
  77. Au sujet du besoin de synchronisation : entrevues confidentielles. On peut faire valoir que, si les domaines de responsabilité et les sphères où il incombe au CEMD et au SM de donner des conseils étaient clairement cernés et exclusifs, la dyarchie CEMDSM ne serait pas nécessaire. C’est précisément à cause de ce vaste espace, où les deux assument ensemble la même responsabilité, qu’une dyarchie s’impose.
  78. Entrevues confidentielles.