COMMENTAIRES

© Commonwealth of Australia, RAAF, Image ID S20202698

Deux bombardiers Hawk 127 de la Royal Australian Air Force (RAAF) du 79e Escadron durant l’exercice Western Phoenix.

Mise à jour 2020 sur la défense de l’Australie : des leçons pour le Canada, et l’avenir des Snowbirds

par Martin Shadwick

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À une époque où la plupart des établissements de défense attendent avec inquiétude la tombée d’éventuelles compressions budgétaires et capacitaires, où les gouvernements de la planète peinent à composer avec les gigantesques dépenses engagées pour contrer les répercussions de la COVID-19 dans les sphères médicales, socioéconomiques, industrielles, et cetera, il est révélateur que le gouvernement de l’Australie ait lancé, à la mi-pandémie, l’ambitieux projet de renouveler sa stratégie de défense et, dans une moindre mesure, la structure de ses forces. Ce projet n’est pourtant pas un signe que l’Australie veut omettre le sujet dans sa nouvelle politique. Bien au contraire. Les conséquences apparentes ou éventuelles de la pandémie sur la sécurité de ce pays sont évoquées à moult reprises dans l’énoncé de la politique. Bien que l’orientation vers une Australie plus concurrentielle et disputée n’ait pas été fondamentalement changée par les effets de la pandémie, cette orientation rend plus marqués certains aspects de la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine et incite certains pays à vouloir exploiter la situation pour accroître leur influence. La pandémie a également mis en relief l’importance des chaînes d’approvisionnement industrielles de défense.

Couverture de « 2020 Defence Strategic Update. »

© Commonwealth of Australia, gouvernement australien, ministère de la Défense

Couverture de « 2020 Force Structure Plan ».

© Commonwealth of Australia, gouvernement australien, ministère de la Défense

Dévoilée le 1er juillet 2020, la nouvelle stratégie de 63 pages, 2020 Defence Strategic Update, est brutale. Son volumineux document connexe abondamment illustré, 2020 Force Structure Plan, décrit en 123 pages les défis de l’environnement stratégique de l’Australie et les répercussions sur la planification de défense. À titre de comparaison, l’énoncé de la politique de défense du Canada de 2017, Protection, Sécurité, Engagement, compte 113 pages. La stratégie australienne présente un nouveau cadre de politique stratégique visant à ce que le pays soit capable — il est entendu qu’il y est disposé — de déployer une puissance militaire pouvant façonner l’environnement, dissuader les actes contre nos intérêts, et au besoin, lancer des interventions militaires.

La politique de 2020 reconnaît qu’il existe six facteurs persistants, tels que mentionnés dans le 2016 Defence White Paper, qui façonnent l’environnement stratégique de l’Australie, mais que plusieurs de ces facteurs se sont intensifiés depuis 2016, et que dans certains cas, leurs répercussions posent de nouveaux défis. Voici les facteurs : rôles des États-Unis et de la Chine, défis posés à la stabilité de l’ordre international fondé sur des règles, menace permanente du terrorisme, fragilité de l’État, rythme de la modernisation militaire dans notre région, émergence de nouvelles menaces complexes et non géographiques. L’Australie affronte maintenant un environnement de concurrence stratégique accrue, l’arrivée de systèmes militaires plus performants rendue possible par le changement technologique, l’emploi de plus en plus poussé de diverses tactiques de zone grise pour forcer les États sous le seuil pour une réponse militaire conventionnelle. Cet environnement de sécurité, qui diffère grandement de celui relativement bon enfant d’il y a à peine quatre ans, présente une possibilité accrue de calculs militaires fautifs. Cela pourrait engendrer un conflit interétatique auquel pourrait participer l’Australian Defence Force (ADF) là où les intérêts australiens seraient menacés. Ainsi, la défense doit être mieux préparée à l’éclatement possible d’un conflit de haute intensité.

La 2020 Defence Strategic Update souligne que la planification antérieure supposait un avertissement stratégique de dix ans pour une attaque conventionnelle majeure contre l’Australie. Cette base n’est plus appropriée. Des activités de coercition, de concurrence et de zone grise sont menées à l’heure actuelle. Accroître les capacités militaires régionales, et la vitesse à laquelle elles peuvent être déployées signifie que l’Australie ne peut plus s’attendre à un avertissement opportun avant que le conflit se produise. Des délais d’avertissement réduits signifient que les plans de la défense ne peuvent plus présumer que l’Australie aura le temps d’adapter progressivement sa capacité militaire et son niveau de préparation en réponse aux défis émergents. Sans oublier l’approvisionnement de munitions spécialisées et les besoins logistiques comme le carburant.

Dans la mise à jour stratégique de 2020, on affirme que l’application du 2016 Defence White Paper (document ambitieux et nécessaire) a permis de faire avancer considérablement la mise sur pied de la force de défense australienne vers la puissance, la capacité et la souplesse voulue, mais on souligne que d’importantes modifications à la politique de la défense sont requises en raison de la rapide évolution de l’environnement stratégique. Par conséquent, la mise à jour stratégique 2020 remplace le cadre stratégique de la défense établi dans le livre blanc de 2016 par trois objectifs stratégiques : a) façonner l’environnement stratégique de l’Australie; b) dissuader les actes contre les intérêts australiens; c) lancer des interventions au moyen d’une force militaire crédible, au besoin.

Les nouveaux objectifs guideront tous les aspects de la planification de la défense, y compris la planification d’une structure des forces, la mise sur pied d’une force, l’engagement et les opérations à l’échelle internationale. Pour mettre en œuvre les nouveaux objectifs, la Défense fera ce qui suit :

  • établir des priorités dans notre région immédiate (le nord-est de l’océan Indien, en passant par l’Asie du Sud-Est maritime et continentale et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, et le sud-ouest du Pacifique) pour la concentration géographique de l’ADF;
  • accroître l’autonomie de l’ADF pour la production d’effets de dissuasion;
  • élargir la capacité de la Défense à répondre aux activités de zone grise, en étroite collaboration avec d’autres pouvoirs du gouvernement;
  • améliorer la létalité de l’ADF pour les types d’opérations de haute intensité les plus probables et de la plus haute priorité relativement à la sécurité de l’Australie;
  • maintenir la capacité de l’ADF à déployer des forces à l’échelle mondiale là où le gouvernement choisit de le faire, même dans le contexte de coalitions dirigées par les États-Unis;
  • améliorer la capacité de la Défense dans l’appui des pouvoirs civils en cas de catastrophes naturelles et de crises.

Le façonnement de l’environnement stratégique de l’Australie, le premier des trois nouveaux objectifs, préparera le pays à défendre activement et de façon assertive la stabilité, la sécurité et la souveraineté dans la région immédiate. Les partenariats de l’Australie avec les pays régionaux ont une longue histoire, mais ils devront être continuellement développés afin d’appuyer les intérêts partagés dans le contexte de l’environnement stratégique en évolution. Cela se traduira par l’élargissement des activités de diplomatie, de collaboration et de renforcement des capacités de défense, y compris la livraison d’une infrastructure liée à la sécurité. La mise à jour fait valoir que la capacité de mener des activités de défense en collaboration avec les pays de la région est essentielle pour façonner l’environnement stratégique. De plus, elle indique que pour la planification de la défense, le façonnement de l’environnement stratégique de l’Australie nécessite de pouvoir conserver l’accès opérationnel dans la région. Le document souligne que les dispositions de sécurité, l’interopérabilité, le partage du renseignement, et la collaboration technologique et industrielle entre l’Australie et les États-Unis demeurent essentiels pour la sécurité nationale de l’Australie, et que l’Australie continuera d’établir des priorités à l’égard des relations de mobilisation et de défense avec les partenaires (y compris le Japon, l’Inde et l’Indonésie), dont les rôles actifs dans la région seront essentiels pour la sécurité et la stabilité. L’Australie augmentera aussi l’investissement dans les capacités en appui à la connaissance de l’ADF de la région immédiate, y compris l’expansion du réseau de radars transhorizon Jindalee pour fournir une surveillance de zone étendue des approches est du pays.

En ce qui concerne la dissuasion des actes contre les intérêts de l’Australie, la mise à jour fait remarquer que l’Australie est dotée d’une force militaire très efficace, déployable et intégrée, soulignant toutefois que le maintien d’une force capable, mais largement défensive à moyen et à long terme ne permettra pas à l’ADF de dissuader des attaques contre l’Australie ou contre ses intérêts dans l’environnement stratégique contemporain. La nature des menaces actuelles et futures (y compris la coercition dans la région, des forces militaires régionales plus capables et actives et l’élargissement des capacités d’interdiction d’accès et de zone) fait en sorte que la Défense doit développer un ensemble de capacités différentes. Celles-ci doivent être en mesure de tenir les forces et l’infrastructure à risque des adversaires potentiels à plus grande distance, et par conséquent, d’influencer leurs calculs de ce qu’il en coûterait de menacer les intérêts australiens. Seules les capacités nucléaires et conventionnelles des États-Unis peuvent offrir une dissuasion efficace contre des menaces nucléaires qui viseraient l’Australie, mais l’intention du gouvernement australien est de faire assumer à l’Australie une plus grande part de responsabilité en ce qui concerne sa propre sécurité. Il est donc essentiel que l’ADF accroisse sa capacité d’autonomie afin de produire des effets de dissuasion. Les ressources pertinentes comprendront des armes de frappe à plus longue portée, des capacités cybernétiques et des systèmes d’interdiction de zone.

© Commonwealth of Australia, armée de terre australienne, S20202681 par le caporal Daniel Strutt

Retour d’Afghanistan de la compagnie Charlie ~ les COA M113AS4 ripostent par des tirs durant l’exercice Brolga Run, dans le secteur d’entraînement en campagne de Townsville, à Queensland.

L’élément final des trois objectifs, soit de lancer des interventions au moyen d’une force militaire crédible, fait ressortir que l’éventualité d’un conflit de haute intensité dans la région Indo-Pacifique, bien que toujours peu probable, reste très possible. L’ADF doit être mieux préparée pour un tel conflit si les mesures de dissuasion échouent, ou afin d’appuyer les États-Unis et d’autres partenaires là où les intérêts nationaux de l’Australie sont engagés. Cela signifie que l’Australie doit absolument continuer à améliorer la létalité et la préparation de l’ADF, de même que le soutien logistique requis pour un combat de forte intensité. Dans le cas d’un tel conflit, l’ADF doit avoir de la profondeur pour maintenir en puissance les capacités et le matériel essentiel, particulièrement les munitions. L’ADF devra également améliorer son soutien aux pouvoirs civils en réponse aux crises et aux catastrophes naturelles nationales et régionales, comme les pandémies, feux de brousse, inondations ou cyclones. Ceci comprend une planification détaillée pour fournir un soutien logistique, notamment, aux pouvoirs civils durant et après une catastrophe donnée.

En se fondant sur le 2016 Defence White Paper (qui pavait la voie à la plus grande expansion de la Royal Australian Navy depuis la Seconde Guerre mondiale), la mise à jour 2020 promet des investissements supplémentaires dans les capacités de guerre anti-sous-marine, de transport maritime, d’opérations de sécurité frontalière, de patrouille et de reconnaissance maritimes, de guerre aérienne, de contrôle des voies maritimes et de guerre sous-marine, et établit des priorités pour l’acquisition d’armes de frappe afin d’accroître les capacités de dissuasion maritime et de frappe à longue portée de l’ADF. L’acquisition globale est ambitieuse, comprenant douze sous-marins de classe K Attac, neuf frégates de classe Hunter (dérivées, comme le Navire de combat canadien, des frégates de type 26 britanniques), douze patrouilleurs hauturiers de classe Arafura, six bateaux patrouilleurs évolués de classe Cape, deux ravitailleurs de classe Supply, deux navires polyvalents de transport maritime et de ravitaillement, un navire de soutien et de sauvetage, jusqu’à huit nouveaux navires de lutte contre les mines et de fonctions hydrographiques, la modernisation des trois destroyers de classe Hobart nouvellement acquis, l’acquisition accrue de systèmes aériens de pilotage à distance tactiques maritimes et une foule d’autres projets.

© Commonwealth of Australia, mar ine royale australienne S20202675 par le LSIS Christopher Szumlanski

Le HMAS Stuart procède à un exercice de tir réel en utilisant son canon de 5 pouces Mount 51 durant l’exercice Rim of the Pacific 2020 au large des côtes de Hawaii.

Dans le domaine aérien, le plan de Canberra prévoit d’autres améliorations à certaines plateformes et capacités existantes, y compris le chasseur F-35A Lightning II, l’aéronef d’attaque électronique EA-18G Growler, l’aéronef d’alerte lointaine et contrôle aérien par moyens aéroportés E-7A Wedgetail et l’aéronef de patrouille maritime P-8A Poseidon. Le plan prévoit également l’acquisition de véhicules aériens télécommandés ou autonomes et le développement de capacités air-air et de frappe perfectionnées dotées d’une portée, d’une vitesse et d’une capacité de survie améliorées, et même la possibilité d’armes hypersoniques. La capacité de survie des forces déployées australiennes sera améliorée par de nouveaux investissements dans un système intégré de défense aérienne et antimissile perfectionné [...] Des ressources supplémentaires de renseignement, surveillance et reconnaissance (RSR) sont projetées. Les acquisitions de mobilité aérienne comprendront, le moment venu, une flotte élargie d’aéronefs de remplacement pour la flotte de C-130J Hercules. Le plan aborde également un successeur à l’avion de transport et de ravitaillement KC-30A. Il s’agit bien sûr d’une proposition à plus long terme, mais la simple mention d’un successeur aux jeunes KC-30A de la RAAF doit susciter l’angoisse dans certains milieux de l’ARC étant donné l’âge des infatigables aéronefs de transport et de ravitaillement Hercules et Polaris du Canada. Le plan inclut aussi un système de gestion de combat aérien entièrement intégré et de nombreux projets d’infrastructure.

Les besoins perçus d’accroître la puissance de combat de la force terrestre et d’offrir d’autres options pour déployer l’ADF dans l’environnement plus concurrentiel auquel l’Australie fait maintenant face, et qu’elle s’attend à affronter dans l’avenir, et d’améliorer la capacité de l’ADF pour appuyer le pays en temps de crise nationale et à répondre en région dans le cadre d’opérations d’aide humanitaire ou de stabilité génèrent également une longue liste de besoins en financement. Les initiatives d’approvisionnement actuelles et nouvelles comprennent le véhicule de reconnaissance Boxer, un véhicule de combat d’infanterie pour remplacer le transport de troupes blindé M113AS4, une modernisation — et un successeur éventuel — du char de combat principal, deux régiments d’obusiers automoteurs neufs, l’amélioration ou le remplacement de l’obusier léger tracté M777 et l’élargissement des plans antérieurs pour un système d’artillerie de roquettes et de missile de longue portée. On prévoit aussi de nouveaux véhicules de génie de combat blindés, de nouveaux camions, poids moyens et poids lourds, une flotte de futurs véhicules autonomes, plusieurs grands bâtiments amphibies, une flotte de bateaux de patrouille côtière/fluviale, un remplacement de l’hélicoptère de reconnaissance armée Tiger grâce à l’acquisition au milieu de l’année 2020 d’une capacité à voilure tournante pour les opérations spéciales, de systèmes aériens de pilotage à distance et de toute une gamme de projets de plus petite envergure. Ces derniers comprennent des systèmes d’armes légères et d’armes lourdes, de l’équipement de vision nocturne, du matériel de protection balistique personnelle et de transport de charge et des capacités médicales améliorées.

L’acquisition est complétée par de nombreux autres projets, comme ceux de commandement, contrôle et communication interarmées, ou encore de capacités interarmées cyberdéfensives, cyberoffensives et de guerre électronique (ce qui fait augmenter la portée et la quantité des stocks d’armes), divers projets de collaboration entre l’industrie et la défense, et des projets relativement à une infrastructure supplémentaire ou mise à niveau. Un investissement considérablement accru dans les capacités spatiales de l’ADF fera entrer en jeu un réseau de satellites servant à fournir une capacité de communication indépendante et souveraine.

La 2020 Defence Strategic Update prétend que le gouvernement est en voie de respecter son engagement de hausser le budget de la défense jusqu’à atteindre deux pour cent du produit intérieur brut de l’Australie [...] en 2020-2021, en accordant un financement de 42,2 milliards de dollars pour la défense [...] en 2020-2021. Ce financement augmentera au cours des dix prochaines années pour atteindre 73,7 milliards de dollars en 2029-2030. Le financement total de 575 milliards de dollars sur dix ans comprend environ 270 milliards de dollars d’investissements relatifs aux capacités, comparativement aux 195 milliards relatifs aux capacités pour la décennie se terminant en 2025-2026, c’est-à-dire celle durant laquelle le 2016 Defence White Paper a été publié. Fait important, le budget de la défense a été dissocié des prévisions du PIB afin d’éviter de devoir ajuster les plans de la défense selon les fluctuations du PIB.

Même s’il faut tenir compte de l’écart de trois ans entre la parution de Protection, Sécurité, Engagement en 2017 et l’arrivée des documents symbiotiques Defence Strategic Update et Force Structure Plan en 2020 (et les trois ans de climat de tension dans l’environnement géostratégique mondial) il n’en reste pas moins évident qu’il existe des distinctions importantes entre le traitement de certaines questions dans les documents de politique canadiens et australiens, et dans les philosophies et cultures stratégiques plus larges de sécurité et de défense d’Ottawa et de Canberra. Par exemple, en contraste frappant avec Protection, Sécurité, Engagement (mais en harmonie avec la poussée plus large de la politique de défense de l’Australie) les documents australiens portent une grande attention aux questions industrielles de défense, de préparation industrielle de défense, scientifiques de défense — et de préparation et de soutenabilité. Le traitement des questions liées aux gens est également nettement différent, là où Protection, Sécurité, Engagement porte une grande attention et met en évidence (c.-à-d. dans chapitre un) la qualité de vie, la diversité et l’inclusion ainsi que le changement culturel, sa contrepartie australienne est plus étroitement axée sur les questions de recrutement et de maintien de l’effectif ainsi que sur les augmentations prévues des effectifs. De façon peut-être un peu surprenante, Protection, Sécurité, Engagement accorde bien plus d’attention aux forces de réserve que les documents australiens. Ce qui est moins surprenant, c’est que le document canadien met davantage l’accent sur le maintien de la paix et les opérations de paix des Nations Unies.

Si l’on compare de façon plus large les approches canadiennes et australiennes à la sécurité et à la défense, l’Australienne semblerait refléter une volonté nettement plus importante de dépenser le trésor national pour les forces armées (bien que certains opposants canadiens diront sans doute que les Australiens ne mettront probablement pas en œuvre la totalité de leur programme de 2020, particulièrement en raison de la COVID-19, et du fait que, quoi qu’il en soit, une bonne partie des immobilisations prévues s’échelonne sur une durée comparativement longue), une propension de longue date et croissante à l’autonomie, une approche de realpolitik beaucoup plus brutale aux risques posés par un environnement géostratégique qui se dégrade (bien qu’il ait été façonné dans une large mesure par la présence de l’Australie dans une région particulièrement difficile) et une approche plus holistique à la politique de défense, étrangère, industrielle et scientifique. Les documents australiens conservent l’engagement à maintenir trois services bien équilibrés et aptes au combat. Le document Protection, Sécurité, Engagement en a fait de même (peut-être avec des points d’interrogation pour certains aspects de la mise à niveau de l’Armée), mais les Canadiens ne devraient pas se montrer indûment optimistes là-dessus. Selon les nombreux avertissements de feu Brian MacDonald (un des commentateurs en matière de défense les plus respectés au Canada, pendant des décennies), il y avait un risque persistant, après la guerre froide, que des contraintes budgétaires et des machinations politiques fassent en sorte que le Canada dispose d’un ou deux services intégraux et d’un ou deux services moins utilisables et moins aptes au combat (même de type constabulaire).

La réaffirmation franche d’autonomie de Canberra est sans doute révélatrice, à tout le moins dans une forme modifiée, étant donné les problèmes inquiétants générés par l’environnement international contemporain. Comme l’indiquait Thomas Axworthy, titulaire de la chaire sur la politique publique du Massey College de l’Université de Toronto (alors directeur du Bill Graham Centre for Contemporary International History au Trinity College de l’Université de Toronto) dans le Globe and Mail du 16 janvier 2020  : « Pour la première fois de l’histoire, le Canada est pratiquement seul au monde, ce qui entraîne des défis sans précédent pour notre politique étrangère. Plus que jamais, nous devons prendre notre diplomatie plus au sérieux. Les éléments tenaces très importants sont évidents : accroître les dépenses de défense afin qu’elles atteignent l’équivalent de deux pour cent du PIB afin de respecter nos obligations à l’égard de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et de soutenir l’aide internationale en fournissant bien plus que le dérisoire 0,26 pour cent du PIB actuel. [TCO] » Ces recommandations sont des plus intéressantes, mais comme l’a souligné John Ibbitson du Globe and Mail le 18 juillet 2020, « une position sur la politique étrangère qui accorde une plus grande importance à l’autonomie coûterait cher, et nécessiterait de nouveaux investissements d’envergure afin d’améliorer la défense dans l’Arctique [TCO] » et, pourrait-on ajouter, ailleurs. « Cependant, avec un déficit approchant la pleine capacité des dépenses fédérales, d’où viendra l’argent et comment pourrons-nous convaincre les contribuables de la fournir? [TCO] Â» Comment, en effet?

Photo du MDN CX2010-0144-27 prise par le sergent Robert Bottrill

Les Snowbirds volent en formation « Grande flèche » au dessus du détroit de Géorgie.

L’avenir des Snowbirds

Il est surprenant que la perte de deux Snowbirds CT-114 Tutor au cours de l’année dernière, le premier le 13 octobre 2019 près d’Atlanta, dans l’État de la Géorgie, et le deuxième, à Kamloops, en Colombie-Britannique, le 17 mai 2020 — où le capitaine Jennifer Casey, officier des Affaires publiques de l’équipe a tragiquement perdu la vie et le pilote a été gravement blessé — n’ait pas ravivé les débats de longue date sur l’âge et la pertinence de l’infatigable CT-114 Tutor de Canadair dans le rôle de démonstration aérienne, la portée et le calendrier du projet de modernisation et de prolongation de la durée de vie du Tutor et, à plus long terme, les options de rééquipement des Snowbirds. La question bien plus large et épineuse de savoir si le Canada devrait même continuer de compter sur une équipe militaire de démonstration aérienne de type Snowbird se profile déjà à l’horizon. Pour de nombreux Canadiens, tant au sein des forces armées qu’à l’extérieur de celles-ci, la réponse est on ne peut plus évidente; d’autres, attentifs aux répercussions financières potentielles (particulièrement celles liées, directement ou indirectement, à l’acquisition d’un remplacement du Tutor) ou à un assortiment varié d’autres préoccupations, sont toujours loin d’être convaincus. Les centristes sont ceux qui sont réceptifs à l’idée de la modernisation du Tutor et à celle de la prolongation de sa durée de vie, mais qui sont moins enthousiastes à l’égard du type d’engagement à long terme envers les Snowbirds que l’acquisition d’un remplacement du Tutor entraînerait.

Bien que son apparence lui donne un petit air de jeunesse, il faut bien admettre que le Tutor — mis en service par l’ARC à titre d’avion d’entraînement à réaction de base en 1963, et servant depuis la création des Snowbirds en 1971 — est devenu âgé. Cela dit, l’aéronef, à l’instar des Snowbirds, s’avère économique à exploiter et continue sans doute à fournir un excellent rapport qualité-prix sur le plan des relations publiques (pour les Forces armées canadiennes en général et non simplement pour l’ARC) et du recrutement (encore une fois, pour toutes les Forces armées canadiennes et non seulement pour le personnel navigant éventuel). On pourrait soutenir que les Snowbirds demeurent un symbole national impérissable d’un océan à l’autre dans un pays qui semble parfois souffrir d’un manque de tels symboles — civils ou militaires — et, à l’échelle internationale, ils sont d’efficaces ambassadeurs du Canada et une ressource médiatique stratégique respectée partout au monde. Le profil international des Snowbirds est en réalité assez remarquable, étant donné que l’équipe n’a jamais participé à des démonstrations aériennes à l’extérieur de l’Amérique du Nord. Sur le plan opérationnel, la taille et la vitesse modestes du Tutor continuent d’en faire une plateforme efficace de démonstration aérienne. En vertu d’une telle logique (et comme un successeur au Tutor, même si Ottawa finissait par l’approuver, n’est pas prêt d’arriver), les arguments en faveur d’un projet accéléré de prolongation de la durée de vie et de modernisation qui tiendrait compte des systèmes de sécurité (c.-à-d., le siège éjectable et les sous-systèmes connexes), de l’avionique (particulièrement la navigation et les communications) et d’autres domaines de préoccupation sont solides et convaincants.

Par contre, un remplacement pur et simple éventuel du Tutor présenterait des défis d’un tout autre ordre, en partie à cause des coûts financiers directs ou indirects beaucoup plus élevés et en même temps, de l’examen minutieux bien plus intense des médias, du public, de la classe politique et d’autres milieux, et en partie parce que le Canada n’a pas acquis auparavant de type d’aéronef destiné particulièrement aux démonstrations aériennes. Les F-86 Sabre des Gloden Hawks et les Tutor des Paladins du Centenaire et des Snowbirds ont été tirés de l’inventaire existant et déjà payé des aéronefs, et dans une certaine mesure à cause du besoin de déterminer la façon dont un remplacement du Tutor pourrait convenir, ou non, au projet de formation du personnel navigant de l’avenir (FPNA) (c.-à-d., le successeur prévu d’une gamme de formations du personnel navigant données à l’interne ou par un sous-traitant). L’acquisition d’un nombre suffisant d’aéronefs pour répondre aux besoins en matière de formation du programme de FPNA et de démonstration aérienne des Snowbirds entraînerait un certain nombre d’avantages de normalisation et autres, notamment la capacité de faire une rotation des aéronefs entre les rôles de formation et de démonstration aérienne — comme c’était le cas à l’origine avec les Snowbirds, et comme c’est le cas à l’heure actuelle, par exemple, avec les Pilatus PC-21 de la Royal Australian Air Force. Toutefois, si le personnel contractuel conservait les aéronefs destinés à la formation et à la démonstration aérienne, comment les Snowbirds rééquipés démontreraient-ils le professionnalisme et le travail d’équipe souvent cités du personnel navigant militaire et de l’équipe au sol militaire? Il faudrait aussi étudier la réaction du public face à un aéronef Snowbird de propriété privée et qui n’est pas la propriété de l’État. Il ne faut pas s’imaginer qu’un successeur éventuel du Tutor n’est pas envisageable. On veut plutôt faire valoir que de nombreux défis se profilent à l’horizon, et que ceux qui appuient les Snowbirds devront s’adapter, être novateurs et tournés vers l’avenir dans leur recherche d’un successeur au robuste Tutor.

USAF, photo 170930-F-BQ566-443, prise par l’aviateur de 1re classe Alexander Cook

Les Snowbirds font une démonstration à l’extérieur du pays lors du Breitling Huntington Beach Air Show 2017, à Huntington Beach, en Californie, le 30 septembre 2017.

Martin Shadwick a donné des cours sur la politique de défense du Canada à l’Université York pendant de nombreuses années. Il a déjà été rédacteur en chef de la Revue canadienne de défense, et il est actuellement le commentateur attitré en matière de défense à la Revue militaire canadienne.