RENSEIGNEMENT MILITAIRE

Le logo du «?Groupe des cinq?»

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La valeur de l’échange de renseignement pour le Canada : le cas du « Groupe des cinq »

par Sylvain Rouleau

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Le major Sylvain Rouleau, B.A., MAP, MED, est un officier du renseignement occupant actuellement le poste de commandant de l’École de météorologie des Forces canadiennes, à Winnipeg. Il possède une expérience antérieure dans le domaine du renseignement, ayant notamment participé à des opérations du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) et à des opérations expéditionnaires aériennes à Bagotville, au Québec. Il a également pris part à l’élaboration de politiques au sein de la Délégation conjointe du Canada auprès de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), à Bruxelles. Il est diplômé de l’Université du Québec à Trois-Rivières, du Collège militaire royal du Canada à Kingston et du Collège des Forces canadiennes à Toronto.

Introduction

Le monde du renseignement demeure intrinsèquement assez secret. Peu d’études existent concernant la valeur que représente l’échange de renseignement pour un pays comme le Canada. Cela dit, la participation active du Canada à l’échange d’information classifiée avec de multiples partenaires internationaux est désormais d’ordre public. La plus récente politique de défense du Canada énonce cet engagement : « Le Canada continuera d’améliorer et de resserrer ses relations d’échange de renseignements dans un esprit de réciprocité [avec le réseau de partenaires du Groupe des cinq et d’autres alliés1] ». Dans ce contexte, quels sont les avantages et les inconvénients de l’échange réciproque d’information entre le Canada et le Groupe des cinq, composé du Canada, des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande2? La réponse à cette question permettra de tracer la voie à suivre à l’égard de cette alliance unique, de cerner les défis qu’elle présente et de définir sa valeur pour la population canadienne.

En principe, dans le Groupe des cinq, le Canada est considéré comme un associé minoritaire et un bénéficiaire net de produits de renseignement3. D’un point de vue rationnel, ce statut donne à penser que les avantages de l’entente d’échange, dans leur ensemble, l’emportent sur les inconvénients. Le Canada devrait donc aspirer à maintenir et à renforcer l’entente qui existe actuellement avec les partenaires du Groupe des cinq. En suivant cette voie, le Canada serait toutefois confronté à des défis persistants en matière de coopération et demeurerait essentiellement dépendant de l’appareil de renseignement et des politiques générales des États-Unis pour approfondir sa propre connaissance exhaustive de la situation mondiale4. L’autonomie nationale s’en trouverait affectée, mais cette option, comme il sera expliqué, est ancrée dans des liens historiques profonds. L’engagement du Canada dans cette voie doit également être perçu comme une décision nationale délibérée fondée sur une volonté de rapprochement avec les États-Unis et d’autres pays partageant les mêmes valeurs dans un monde compétitif et multipolaire. Par conséquent, il serait dans l’intérêt stratégique du Canada d’optimiser sa sécurité nationale grâce à une participation continue et renforcée au réseau du Groupe des cinq. Entre-temps, le Canada et ses partenaires devraient s’attaquer aux défis actuels de la collaboration en matière de renseignement en mettant en place des politiques novatrices fondées sur la transparence et les pratiques exemplaires.

Afin de traiter de la question globale des avantages et des inconvénients liés à la participation canadienne au Groupe des cinq, le corps de cet article est divisé en trois parties. La première partie trace l’histoire de l’échange du renseignement entre les pays occidentaux au cours du XXe siècle et décrit les défis actuels liés à cet échange sur les plans de la sécurité, du respect de la vie privée et de la responsabilisation. Basée sur des sources non classifiées disponibles, la deuxième partie approfondit davantage les débuts du réseau du Groupe des cinq et décrit l’état actuel de la situation au sein de cette communauté d’intérêts dans le but d’évaluer les avantages et les inconvénients de l’alliance pour le Canada. Enfin, la dernière partie propose une voie à suivre en matière d’échange du renseignement entre le Canada et ses partenaires du Groupe des cinq.

Les défis de l’échange du renseignement

Les questions relatives à la diffusion du renseignement ne constituent pas une nouveauté. Rose Mary Sheldon, spécialiste de l’Empire romain et professeure à l’Institut militaire de Virginie, abonde dans ce sens : « Prendre un ennemi pour cible et récolter des renseignements doivent aller de pair avec la capacité de transmettre les informations à ceux qui en ont le plus besoin. L’un des besoins fondamentaux de l’armée romaine était donc de pouvoir transmettre le renseignement5 ». Elle explique en outre que les Romains prenaient part à toute une série d’activités du renseignement traitant à la fois des champs politique et militaire6. Elle conclut que la capacité d’accéder au renseignement était déjà essentielle au processus décisionnel politique à l’époque de la Rome antique7. Mille ans plus tard, l’Empire byzantin, qui était alors la plus grande puissance du monde depuis des siècles, a prouvé lors de la bataille de Manzikert que même le pays le plus fort d’une époque peut être irrévocablement vaincu si ses dirigeants interprètent mal des circonstances stratégiques et passent à côté ou font fi de dangers imminents8. Un autre millier d’années plus tard, pendant la Deuxième Guerre mondiale, la valeur stratégique du renseignement avait peu changé; l’impératif de l’échanger avec d’autres spécialistes et de le transmettre aux décideurs ne se limitait toutefois plus aux empires ou aux États-nations indépendants.

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Illustration de la bataille de Manzikert, 1071.

En 1976, après le début de la déclassification des documents de la Deuxième Guerre mondiale, le journaliste William Stevenson a publié un livre captivant sur la guerre secrète qui a eu lieu pendant le conflit. Dans l’ouvrage Nom de code : Intrepid (version française parue en 1979), Stevenson raconte l’histoire d’un centre de renseignement très efficace, connu sous le nom de la British Security Coordination (BSC9). Dès 1940, la BSC a pris part à l’échange du renseignement entre la Grande-Bretagne et les États-Unis à la suite des menaces proférées par l’Allemagne nazie, le Japon impérial et l’Italie fasciste10. L’organisation clandestine basée à New York était dirigée par le Canadien sir William Stephenson, connu sous le nom de code « Intrepid », qui était chargé d’établir un lien pour l’échange du renseignement entre Churchill et Roosevelt quelques mois avant l’entrée en guerre officielle des États-Unis11. Ultimement, grâce à l’échange de renseignements électromagnétiques (SIGINT) classés « Très secret » provenant du décryptage des messages ennemis, cette coopération en matière de renseignement a contribué de manière décisive à la victoire des Alliés, notamment en rendant le plan de déception du jour J possible et crédible12.

En rétrospective, le regroupement des principaux acteurs du monde anglophone dans le cadre d’un échange du renseignement de degré élevé durant une période d’incertitude mondiale sans précédent fait en sorte que l’effort de collaboration entre la BSC et son homologue américain (connu plus tard sous le nom de Bureau des services stratégiques, le prédécesseur en temps de guerre de l’Agence centrale de renseignement [CIA] créée en 1947) émerge en tant que pilier de ce qui deviendra plus tard le réseau du Groupe des cinq13. Cet effort de collaboration marque aussi le début d’une plus grande tendance en matière d’échange de renseignement entre les pays occidentaux pendant et après la Guerre froide. L’OTAN, le NORAD et l’Union européenne, par exemple, ont tous mis en place des cadres d’échange du renseignement entre leurs membres au fil des ans, tout comme les États-Unis l’ont fait avec de nombreux partenaires bilatéraux ou multilatéraux partout dans le monde14.

DVIDS photo 4390625 prise par Lewis Carlyle

Quartier général du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) et du Commandement de l’Amérique du Nord (USNORTHCOM) à Colorado Springs, au Colorado.

Cependant, malgré cette tendance, l’échange de renseignement au-delà d’une initiative nationale propre à un pays, que ce soit au moyen d’un accord bilatéral ou multilatéral, peut poser certaines difficultés pour diverses raisons. La collaboration accrue entre les États et les organisations a en fait mis en lumière les risques et les difficultés de la coopération en matière d’échange de renseignement. La condition préalable évidente à la collaboration est la confiance entre les partenaires. Le professeur de science politique Andrew O’Neill, de l’Université Griffith, décrit cette réalité : « La formation d’alliances, leur fonctionnement dans le temps et leur viabilité à long terme dépendent de toute une série de facteurs. La fiabilité perçue des garanties et des assurances en matière de sécurité, en particulier, est essentielle aux alliances15 » [TCO]. Cela dit, la confiance entre les alliés n’est pas immuable. Le désir d’échanger et les politiques nationales des partenaires prenant part à l’échange transnational de renseignement peuvent être remis en question, comme en témoigne le nombre croissant de documents sur le sujet. Des préoccupations peuvent également être soulevées concernant la sécurité, le respect de la vie privée et la responsabilisation16. Reposant sur l’histoire moderne, le présent examen de ces trois aspects de l’échange de renseignement facilitera l’analyse qui suit concernant la valeur pour le Canada de son adhésion au Groupe des cinq.

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Jeffrey Paul Delisle quitte la salle d’audience à la suite de son enquête sur le cautionnement à la cour provinciale, à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 30 mars 2012.

Selon le brigadier-général canadien à la retraite James Cox, expert en sécurité nationale, « la population canadienne n’est généralement pas consciente de la mesure dans laquelle la sécurité nationale du Canada repose sur le renseignement du Groupe des cinq17 » [TCO]. Ainsi, les véritables conséquences de l’arrestation de l’enseigne de vaisseau de 1re classe Jeffrey Paul Delisle, en janvier 2012, pour avoir fourni des renseignements classés « Très secret » à la Russie ont été difficiles à évaluer à ce moment par les commentateurs des médias et la population canadienne18. Cet événement a néanmoins permis aux Canadiens en général de se rendre compte que les cas d’espionnage, comme celui-ci, peuvent nuire à la réputation du Canada ainsi qu’à sa capacité de collaborer avec des partenaires internationaux à l’échange de renseignement. Le brigadier-général à la retraite Cox affirme donc que « le Canada doit s’efforcer de regagner la confiance de ses partenaires du Groupe des cinq19 » [TCO]. Cela mène à une première conclusion concernant la sécurité de l’information et du renseignement : un seul manquement par un partenaire au sein d’une alliance pourrait compromettre des années de collaboration fructueuse et mettre à l’épreuve le degré de confiance existant entre ses membres.

Le revers de cette conclusion est que les pays membres d’une alliance d’échange de renseignement peuvent également subir les conséquences de violations de la sécurité ou de divulgations par un autre membre du réseau. D’un point de vue gouvernemental, la divulgation, par tout acteur d’un réseau secret collaboratif, d’information de nature délicate non destinée initialement au public peut compromettre des politiques et des programmes existants ou potentiels, exposer des sources, des opérations ou des vulnérabilités, et même causer un embarras national20. En 2020, les noms Julian Assange, Chelsea Manning et Edward Snowden, tous associés à la divulgation délibérée de documents classifiés des États-Unis et du Groupe des cinq au moyen de sites tels que Wikileaks, sont bien connus du grand public21. L’information visée et son exactitude dépassent la portée du présent article, mais il semble pertinent d’évaluer l’incidence de sa divulgation. Par exemple, le journaliste de CBC Peter Zimonjic met en évidence que selon les documents de Wikileaks, le Canada aurait offert son aide pour envahir l’Irak en 2003 tout en défendant publiquement une position diamétralement opposée22.

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Julian Assange

Une deuxième conclusion peut être tirée de cet exemple concernant la sécurité de l’information et du renseignement dans le contexte du cadre de collaboration multinationale : des violations de la sécurité, des divulgations et d’autres formes de diffusion imprévues peuvent se produire et se produiront très probablement à un certain moment. Dans ce cas, quelle que soit la manière dont la divulgation se produit et la source au sein du réseau, les conséquences, d’un point de vue national, peuvent être considérables sur le plan de l’efficacité opérationnelle du renseignement et de la crédibilité générale23. Le risque de divulgation accidentelle de renseignements classifiés, qui pourrait être préjudiciable à l’intérêt national d’un ou de plusieurs des pays participant à l’effort de coopération, doit donc être soigneusement comparé aux avantages apparents de l’alliance. Vraisemblablement, d’un point de vue statistique, plus l’alliance est grande, plus le risque de divulgation est important, mais tout bien considéré, la nature qualitative d’une divulgation semble plus notable que la quantité d’occurrences. Quoi qu’il en soit, les conséquences des divulgations imprévues peuvent être considérables, conduisant parfois à des débats politiques ou publics, comme dans les cas où des questions de respect de la vie privée ou de responsabilisation sont soulevées.

Selon l’ancien analyste du renseignement Patrick Walsh et le chercheur universitaire (Enseignement) Seumas Miller, « la controverse opposant la collecte légitime d’information pour la sécurité nationale et le droit à la vie privée au sein des États démocratiques libéraux s’est nettement accentuée depuis les événements du 11 septembre24 » [TCO]. Dans les années suivant cette attaque sur le sol américain, les membres du Groupe des cinq ont tous mis en œuvre des mesures de réforme donnant à leur organisation de renseignement respective « des capacités de surveillance et de collecte beaucoup plus importantes pour détecter, déstabiliser et arrêter de manière proactive les personnes présentant des menaces non étatiques difficiles à appréhender, comme les terroristes et les criminels transnationaux actifs avant le 11 septembre25 » [TCO]. Si une telle approche peut être justifiée par les gouvernements pour promouvoir les intérêts nationaux et transnationaux en matière de sécurité, elle peut également miner certains aspects de la souveraineté nationale, soit la capacité des États à contrôler et à réglementer les activités sur leur territoire26. Plus précisément, les associés minoritaires au sein d’une alliance peuvent être limités dans leur capacité à protéger la vie privée de leurs propres citoyens si les flux de renseignements qui intéressent l’alliance sont de nature transnationale ou si les orientations stratégiques du groupe sont dictées, ou du moins fortement influencées, par son acteur le plus puissant.

Craig Forcese, professeur de droit de l’Université d’Ottawa, affirme ce qui suit sur les considérations liées au respect de la vie privée dans le contexte des activités de collaboration en matière de renseignement : « L’échange de renseignement comporte deux dimensions importantes de la protection de la vie privée : l’incidence de la capacité d’interception mondiale dans un monde où la vie privée est réglementée à l’échelle nationale et les conséquences de l’échange transfrontalier de renseignements privés27 » [TCO]. Il est possible de tirer une autre conclusion en tenant compte de ces considérations liées au respect de la vie privée et des conclusions de Walsh et de Miller selon lesquelles (1) les réformes mises en œuvre après le 11 septembre par les autres pays du Groupe des cinq étaient essentiellement le reflet de celles des États-Unis et visaient à assurer la continuité de la collaboration, et (2) les révélations de Snowden sur les capacités de collecte générale de données des organisations du Groupe des cinq (écoute électronique, métadonnées, médias sociaux, etc.) mettent en évidence, par définition, une violation du droit à la vie privée28. Il convient d’en conclure que l’échange de renseignement entre les pays peut mener, à dessein ou indirectement, à une limitation du droit à la vie privée des citoyens des États membres, en particulier des associés minoritaires ayant peu d’autorité en matière d’établissement des programmes. Comme il a été mentionné, l’adhérence au groupe a une incidence sur l’autonomie; l’utilité de ce « sacrifice » en matière de souveraineté nationale doit être évaluée par rapport à l’ensemble des avantages de l’alliance.

Enfin, la question de la responsabilisation, un troisième aspect de l’échange de renseignement transnational, soulève également des préoccupations. À l’instar de la question du respect de la vie privée, ces préoccupations sont le résultat d’une coupure apparente entre les responsabilités et les obligations à l’échelle nationale et internationale. Le professeur de droit Ian Leigh, de l’Université de Durham, explique que depuis le 11 septembre, « certaines expressions de la coopération en matière de renseignement ont mené à des controverses très médiatisées, comme les révélations sur l’extradition, l’interrogation et la détention secrète exceptionnelles de terroristes présumés29 » [TCO]. Il ajoute, en revanche, que la « coopération internationale a, de manière générale, échappé au contrôle des structures nationales de surveillance et d’examen, lesquelles ont été conçues pour une tout autre époque et en réponse à un ensemble de violations très différent30 » [TCO]. En d’autres termes, il est possible d’observer des lacunes sur le plan de la responsabilisation à l’échelle nationale par rapport aux activités du renseignement menées sur la scène internationale. En outre, la tendance grandissante d’une coopération pour l’échange de renseignement entre les pays au cours des dernières décennies ne correspond pas à un degré semblable de collaboration entre les organismes nationaux de surveillance et d’examen; les lacunes sur le plan de la responsabilisation comportent donc également un aspect transnational31.

En contexte canadien, la question de la responsabilisation afférente à la sécurité nationale fait l’objet d’études depuis quelque temps. Les professeurs Reg Whitaker et Stuart Farson, de l’Université York et de l’Université Simon Fraser respectivement, exploraient déjà cette question il y a dix ans et proposaient des pistes différentes en vue d’accroître le degré de responsabilisation imposé aux organismes de sécurité et de renseignement du Canada32. L’une des principales recommandations formulées, soit la mise sur pied d’un comité parlementaire sur la sécurité nationale, a éventuellement été adoptée par le gouvernement du Canada et s’est traduite par l’établissement du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement en 2017. Ce comité, composé de membres des deux chambres tous titulaires d’une habilitation de sécurité de niveau « Très secret », détient un mandat vaste visant à examiner toute question liée à la sécurité nationale et au renseignement en matière de politique, de finances, d’administration ou d’activités33.

Cela dit, même les défenseurs d’un cadre national rigoureux de responsabilisation en matière de renseignement, comme Whitaker et Farson, reconnaissent la nécessité d’user de discrétion dans le traitement des questions de sécurité nationale. « Les divers organismes de la communauté de la sécurité et du renseignement du Canada imposent des exigences particulières et nécessaires en matière de confidentialité qui excèdent ces mêmes exigences dans d’autres domaines d’activité gouvernementale34. » [TCO] L’une des principales raisons justifiant un tel degré de confidentialité est la dépendance du Canada aux renseignements échangés à titre confidentiel avec des gouvernements étrangers35. De ce fait, même avec un cadre national rigoureux de responsabilisation en matière de renseignement, l’obligation bilatérale de confidentialité implicite à toute entente d’échange de renseignement peut mener à certaines formes de lacunes sur le plan de la responsabilisation à l’échelle supranationale. Par conséquent, le problème de la responsabilisation présenté ci-dessus permet de conclure que l’échange de renseignement entre partenaires internationaux comprend un contrôle limité sur l’utilisation, par les autres partenaires, de l’information fournie confidentiellement aux membres du réseau; aucune garantie réelle de responsabilisation n’est donc offerte au-delà de l’échelle nationale.

Le réseau de renseignement du Groupe des cinq

Après le récit de l’histoire moderne de la collaboration concernant l’échange de renseignement entre les pays occidentaux jusqu’au milieu du siècle dernier et la mise en contexte de la problématique actuelle en la matière relativement aux questions de sécurité, de respect de la vie privée et de responsabilisation, il convient de présenter les particularités du réseau du Groupe des cinq. De nombreux termes et expressions ont été utilisés au fil des ans pour décrire ce réseau exclusif, dont les activités reposent sur une série d’ententes et de procédures établies entre ses membres, mais qui n’est pas un organisme régi par un traité comme l’OTAN36. Alors que Miller et Walsh décrivent le Groupe des cinq comme une alliance d’espionnage et de cyberespionnage, d’autres évoquent, sur un ton plus critique, un système de surveillance secret et omniprésent imposé au reste du monde par le gouvernement américain et ses « États clients37 ». Compte tenu des différentes connotations dans la description du Groupe des cinq faite par divers auteurs, un rappel factuel de la genèse du réseau et une description complète de ses fonctions et de ses particularités semblent essentiels à la discussion à ce stade.

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Siège de l’OTAN à Bruxelles, en Belgique.

Selon O’Neil, « le Groupe des cinq constitue le réseau de renseignement officiel le plus vieux du monde et trouve son origine dans l’expansion considérable de la coopération et des échanges de renseignement entre les Alliés durant la Deuxième Guerre mondiale38 » [TCO]. Cette coopération est particulièrement évidente dans le domaine du SIGINT39. De plus, en raison de sa durabilité, le Groupe des cinq est devenu un fondement de la conceptualisation de la coopération en matière de renseignement dans le milieu universitaire au cours des dernières décennies40. Pourtant, la connaissance du public à l’égard des modalités de ce partenariat et de la nature de la collaboration entre ses partenaires demeure limitée. Cela peut s’expliquer par le fait que le degré actuel de transparence des gouvernements à propos du Groupe des cinq est relativement récent41. Selon la recherche menée par Felicity Ruby, Gerard Goggin et John Keane, chercheurs de l’Université de Sydney, la toute première reconnaissance officielle de l’existence du Groupe des cinq a eu lieu en Australie en 1999, lorsque Martin Brady, alors directeur de la Defence Signals Directorate, a déclaré à la télévision que son organisation coopérait avec ses homologues étrangers responsables du SIGINT et dans le cadre de l’accord entre le Royaume-Uni et les États-Unis (UKUSA42).

Ce soi-disant accord est essentiel à la compréhension du lien qui unit aujourd’hui les pays membres du Groupe des cinq. Jeffrey Richelson, agrégé supérieur de recherches aux Archives de la sécurité nationale de Washington, présente la genèse de l’accord UKUSA comme une série d’initiatives de coopération en matière de SIGINT en temps de guerre entre les États-Unis et le Royaume-Uni (y compris les dominions britanniques) qui ont successivement vu le jour à partir de 1940 et qui ont finalement été officialisées sous une égide unique en 195443. « L’objectif premier de l’accord était de prévoir une division des responsabilités en matière de collecte de SIGINT entre la première partie (États-Unis) et les parties de seconde part (Australie, Royaume-Uni, Canada et Nouvelle-Zélande44) » [TCO]. Dans le cadre de ce partage permanent des responsabilités prévu par l’accord, les partenaires du Groupe des cinq ont chacun leur mandat en matière de SIGINT, qui vise une partie du monde au profit de l’ensemble de la communauté. Les États-Unis surveillent la Russie, le nord de la Chine et la majorité des pays d’Asie et d’Amérique du Sud. L’Australie s’occupe du sud de la Chine, de l’Indochine et de ses régions voisines (comme l’Indonésie). Le Royaume-Uni surveille l’Afrique et les pays à l’ouest de l’Oural au sein de l’ancienne Union soviétique. Enfin, la Nouvelle-Zélande est responsable de la région du Pacifique occidental et le Canada, des régions polaires de la Russie45.

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La nouvelle Defence House (Maison de la défense) à Wellington, en Nouvelle-Zélande.

Cependant, tout au long de son existence, le lien entre le Groupe des cinq s’est transformé pour devenir « plus qu’un accord visant à coordonner des activités de renseignement menées séparément et à communiquer le renseignement recueilli46 » [TCO]. Ce lien a été consolidé par la présence d’installations américaines au Royaume-Uni, en Australie et au Canada, par des opérations interarmées dans le monde entier et par des échanges de personnel. D’autre part, au fil des ans, l’accord a entraîné la mise en place de pratiques exemplaires professionnelles dans le domaine du renseignement, comme l’élaboration de procédures de familiarisation communes à l’intention des producteurs et des utilisateurs de renseignement, de protocoles d’accès à l’information stricts et de dispositifs de sécurité intégrés pour le traitement des données47. En outre, grâce à une série d’efforts de collaboration au cours des 60 dernières années, et jusqu’à ce jour, les partenaires du Groupe des cinq participent collectivement à la surveillance des océans et des zones maritimes, à l’analyse du renseignement scientifique et du renseignement de défense, au renseignement médical, au renseignement géospatial, à la contre-ingérence, à la lutte contre le terrorisme et, enfin et surtout, à l’échange continu de produits du renseignement au moyen d’une base de données collective de niveau « Très secret » connue sous le nom de Stone ghost48.

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Le bâtiment du ministère de la Défense à Canberra, en Australie.

Ce dernier point est très important du point de vue de la valeur du Groupe des cinq pour le Canada. L’existence d’un tel système permettant aux membres de la communauté du renseignement d’effectuer des recherches dans un environnement hautement classifié et d’accéder à des produits dérivés des capacités de collecte et de traitement de l’ensemble du réseau représente un atout extrêmement précieux en soi. La base de données met également en lumière le fait que les partenaires du Groupe des cinq ont atteint un degré très élevé d’interopérabilité au fil du temps. Le bureau du directeur du renseignement national des États-Unis fait l’affirmation suivante concernant la collaboration en matière de renseignement : « L’établissement de la confiance et de l’interopérabilité entre deux ou plusieurs organisations voulant partager de l’information constitue un obstacle considérable à l’échange de l’information49 » [TCO]. Avant d’échanger du renseignement, les organisations cherchent à s’assurer que tous les partenaires concernés mettent en œuvre des politiques et des normes dignes de confiance50.

De ce fait, l’accès continu aux systèmes et à la base de données du Groupe des cinq (qui est présumé, selon la politique de défense du Canada de 2017) donne à penser que le Canada, malgré l’affaire Delisle, demeure digne de confiance au sein de la communauté du Groupe des cinq et qu’il peut ainsi accéder à une vaste quantité de produits du renseignement, soit plus qu’il ne pourra jamais produire de lui-même de façon réaliste.

Le réseau du Groupe des cinq est indéniablement asymétrique à l’égard du partage des charges. D’un point de vue transactionnel, tant la capacité de collecte que le ratio de production entre la première partie et les parties de seconde part, également appelés associés minoritaires, favorisent clairement ces dernières51. Le professeur de science politique Loch Johnson met en lumière ce déséquilibre : « les États-Unis continuent de disposer de l’appareil de renseignement le plus important et le plus coûteux du monde, sans précédent dans l’histoire de l’humanité52 » [TCO]. En conséquence, les États-Unis fournissent un nombre beaucoup plus élevé de données au réseau que tout autre pays. Par conséquent, étant donné l’affirmation de Cox selon laquelle le Groupe des cinq contribue à alimenter et à façonner les évaluations nationales canadiennes menées par le Secrétariat de l’évaluation du renseignement du Bureau du Conseil privé et par le Chef du renseignement de la Défense, il faut conclure que, dans les circonstances actuelles, le Canada dépend dans une large mesure de l’appareil de renseignement américain pour établir sa propre connaissance nationale de la situation et informer les décideurs des questions de renseignement mondial53.

Un tel déséquilibre entre les partenaires d’échange du renseignement est inhabituel. Le professeur de science politique James Walsh de l’Université de Caroline du Nord, à Charlotte, explique que ce déséquilibre se produit souvent à dessein, car les gouvernements cherchant à échanger du renseignement établissent des relations hiérarchiques dans le but de gérer les risques, de contrôler la conformité et de faciliter le processus décisionnel global au sein de l’alliance54. « Les gouvernements acceptent d’établir de telles hiérarchies et d’y prendre part, même lorsqu’elles portent atteinte à l’autonomie décisionnelle nationale, étant donné qu’elles constituent un moyen fiable d’atténuer les craintes de défection et d’établir une coopération mutuellement bénéfique55 » [TCO]. Pour des destinataires comme le Canada, le principal avantage est l’acquisition de renseignement précieux pour les décideurs et impossible à obtenir autrement à un coût acceptable56. L’acteur principal, les États-Unis dans ce cas, tire également avantage du partenariat en sélectionnant ses partenaires, en déterminant les orientations stratégiques de la coalition, en étendant sa portée mondiale et en ayant accès à un plus grand nombre de spécialistes et d’analystes du renseignement57. En résumé, bien qu’il soit asymétrique, le Groupe des cinq constitue un partenariat de longue date très avantageux pour le Canada et les autres associés minoritaires puisqu’il contribue grandement à leurs initiatives respectives en matière de sécurité nationale. Ce partenariat comporte toutefois un abandon partiel de l’autonomie nationale.

Francis Vachon/Alamy Stock Photo/BT2551

Quartier général de la Défense nationale du Canada à Ottawa.

La voie à suivre pour le Canada

Dans les limites du paradigme libéral des études en matière de sécurité, l’idée de renoncer à certains aspects de la souveraineté est parfois justifiable. Si une forme de coopération interétatique est jugée suffisamment importante, l’intérêt national peut transcender l’autonomie et la souveraineté, ce qui mène les pays à redéfinir leurs intérêts afin d’adopter la nécessaire limitation de l’indépendance requise par la coopération58. En ce qui concerne l’adhésion du Canada au Groupe des cinq, cette explication clarifie la volonté constante du gouvernement de collaborer avec les pays du monde anglophone partageant la même vision. Ce partenariat remonte après tout aux années 1940 et a été très fructueux au fil du temps : d’abord avec la victoire des Alliés durant la Deuxième Guerre mondiale, rendue possible en partie grâce au travail de collaboration en matière de SIGINT, puis avec des tendances ininterrompues de coopération concernant l’échange de renseignement dans de multiples domaines d’expertises jusqu’à ce jour59. Autrement dit, la relation avec le Groupe des cinq procure au Canada d’énormes avantages par rapport à l’inconvénient que constitue la limitation de l’autonomie nationale. Il est donc dans l’intérêt stratégique du Canada de maintenir et de renforcer son partenariat avec le Groupe des cinq. Néanmoins, les défis susmentionnés liés à la collaboration en matière de renseignement concernant la sécurité, le respect de la vie privée et la responsabilisation doivent être relevés afin de tracer la voie à suivre pour le Canada et ses partenaires du Groupe des cinq.

La question de la sécurité pourrait très bien représenter le premier obstacle pour le Canada sur la voie d’une collaboration renforcée avec les autres pays membres du Groupe des cinq. Comme il a été mentionné, une seule atteinte à la sécurité de la part du Canada peut compromettre le degré de confiance accordé par ses partenaires. Fort heureusement, l’affaire Delisle en 2012 a eu peu d’effet à long terme, mais une autre affaire, sans doute beaucoup plus problématique, a récemment fait surface dans les médias. En septembre 2019, Cameron Otis, directeur général du Centre national de coordination du renseignement (CNCR) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), a été arrêté sous des chefs d’accusation relatifs à la communication ou à la confirmation de renseignements opérationnels spéciaux à l’intention de parties non autorisées60. La journaliste de CBC Catharine Tunney déclare avoir consulté l’évaluation des dommages produite par le Centre de la sécurité des télécommunications du Canada (CSTC) : « L’évaluation préliminaire du CSTC conclut que les dommages causés par la divulgation de ces rapports et de ce renseignement sont de degré ÉLEVÉ et potentiellement dévastateurs dans la mesure où ils porteraient gravement atteinte aux intérêts nationaux du Canada61 » [TCO].

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Le quartier-général du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) à Ottawa.

Étant donné que les lignes de démarcation entre les enquêtes criminelles et les enquêtes de sécurité, ainsi qu’entre le renseignement national et international, se sont estompées depuis les événements du 11 septembre, un plus grand nombre d’organismes canadiens, dont la GRC et le Service canadien du renseignement de sécurité, participent couramment à l’échange de renseignement avec le Groupe des cinq62. Cela concorde avec l’élargissement du mandat du Groupe des cinq au fil des ans : de la mise sur pied d’une organisation axée sur la défense et uniquement sur le SIGINT à l’établissement d’un réseau étendu d’échange de renseignement de toutes sources. En conséquence, de nombreux organismes pourraient être touchés par une restriction de l’échange d’informations imposée au Canada par les pays partenaires. Le gouvernement du Canada doit donc mener une enquête approfondie sur l’affaire Otis, mettre en place des mesures d’atténuation empêchant d’autres atteintes à la sécurité de degré élevé, et garantir aux partenaires du Groupe des cinq que les procédures de sécurité et les mesures d’habilitation de sécurité déjà mises en œuvre demeurent adéquates. Le défaut de prendre ces mesures pourrait compromettre l’accès à long terme du Canada au réseau du Groupe des cinq et porter atteinte aux intérêts de la sécurité nationale.

Pour ce qui est du deuxième défi de sécurité susmentionné posé par la collaboration, c’est-à-dire le risque de divulgation accidentelle de renseignements par d’autres membres du réseau pouvant avoir un effet préjudiciable sur le Canada, la transparence semble la meilleure stratégie étant donné que des fuites continueront probablement de se produire de temps à autre. Afin d’éviter tout manque de crédibilité, toute théorie du complot ou tout embarras national, le Canada et les autres membres du Groupe des cinq doivent continuer de mettre en œuvre des pratiques transparentes à l’égard de la reconnaissance de leurs accords et programmes collaboratifs de renseignement. Cela ne signifie pas qu’il faut entièrement délaisser la confidentialité entourant le travail des professionnels du renseignement. Il s’agit plutôt de reconnaître les attentes raisonnables des citoyens des États démocratiques par rapport à l’information véhiculée sur les mécanismes qui sous-tendent le bien collectif de la sécurité nationale63. En fait, la reconnaissance officielle de l’existence du Groupe des cinq au cours des vingt dernières années par les différents gouvernements des pays participants représente certainement un pas dans la bonne direction. Ce type d’initiatives équilibrant les impératifs de sécurité et les pratiques de divulgation ouverte doivent être encouragées par des efforts de transparence mesurés, mais notables.

Le défi lié au respect de la vie privée est plus difficile à relever. La recherche d’un équilibre parfait entre vie privée et sécurité constitue un problème récurrent dans les sociétés démocratiques; il est redoutable, car il n’existe pas de solution facile pour satisfaire simultanément les deux impératifs. En réalité, l’engagement continu du Canada auprès du Groupe des cinq peut, dans certaines circonstances, miner le droit à la vie privée de ses citoyens. Cela est d’autant plus vrai étant donné que le Canada a une influence limitée sur les orientations stratégiques de l’alliance et doit parfois accepter certaines pratiques dictées par les États-Unis afin d’assurer l’interopérabilité et de maintenir le partenariat64. Cela dit, une approche de divulgation préventive fondée sur la transparence pourrait, une fois de plus, atténuer les répercussions de la restriction de la protection de la vie privée des Canadiens liée à l’adhésion du Canada au Groupe des cinq. Ainsi, la population serait au moins informée des conséquences communes de la participation du Canada au partenariat d’échange de renseignement le plus prospère de l’histoire.

En ce qui concerne la responsabilisation en matière de renseignement, tous les membres du Groupe des cinq sont assujettis à des organismes de surveillance et d’examen au sein de leur propre pays. Comme l’indique un rapport de recherche produit par la Bibliothèque du Parlement, chacun des cinq pays a mis sur pied « un cadre qui comprend un système de freins et de contrepoids qui couvre les diverses directions du gouvernement et qui vise à garantir que les organismes sont responsables de leur administration et de leurs dépenses ainsi que de la légalité et du bien-fondé de leurs activités65 ». À présent, afin de combler les lacunes susmentionnées en matière de responsabilisation à l’échelle internationale, il est nécessaire d’atteindre une forme plus complète de responsabilisation. Pour ce faire, la prochaine étape est la mise en réseau officielle des différents organismes d’examen du Groupe des cinq. À cet égard, Leigh affirme que les organismes de surveillance pourraient tenter d’adopter le comportement de l’organisation qu’ils supervisent et établir un réseau. Ils pourraient par exemple mettre sur pied des comités mixtes, échanger de l’information ou mettre en place des organismes supranationaux66. Si l’approche précise à adopter doit faire l’objet d’une discussion entre les gouvernements, une telle idée montre que le défi de la responsabilisation internationale en matière de collaboration liée à l’échange de renseignement n’est pas insurmontable.

Conclusion

Grâce au travail de liaison concernant l’échange de renseignement de la BSC et de son directeur canadien pendant la Deuxième Guerre mondiale, et grâce à l’exploitation commune actuelle de la base de données Stone ghost, les partenaires du Groupe des cinq ont montré, sur plusieurs décennies, leur capacité et leur volonté de travailler conjointement à la sécurité collective, dans l’intérêt de leurs populations et du monde occidental dans son ensemble. Bien que le Canada contribue à la production globale de renseignement de l’organisation par ses capacités spécialisées, notamment la collecte de SIGINT dans l’Arctique, il demeure un associé minoritaire au sein de l’alliance et un bénéficiaire net de renseignement. Par conséquent, les avantages du partenariat l’emportent nettement sur les inconvénients. Sans son adhésion au Groupe des cinq, le Canada devrait consacrer une quantité considérable de ses ressources à la collecte de renseignement pour maintenir un niveau de capacité semblable à ses capacités actuelles. Par conséquent, il serait dans l’intérêt stratégique du Canada d’optimiser sa sécurité nationale grâce à une participation continue, voire renforcée, au réseau du Groupe des cinq.

En empruntant cette voie, le Canada continuera toutefois de dépendre de l’appareil de renseignement américain pour produire ses propres évaluations nationales à l’intention des décideurs nationaux. Cette dépendance aux capacités étrangères a certainement une incidence sur l’autonomie nationale, mais cet inconvénient est jugé acceptable compte tenu des avantages de l’alliance, comme un vaste accès à des produits de renseignement de toutes sources. Un engagement renouvelé auprès du Groupe des cinq a également pour conséquence de mettre en lumière la nécessité persistante de relever les défis liés à l’échange de renseignement. Les questions de sécurité, de respect de la vie privée et de responsabilisation resteront prédominantes alors que le Canada continue de coopérer dans une forte mesure avec ses alliés en matière de renseignement. Cependant, comme il a été démontré, ces problèmes peuvent être atténués grâce à des pratiques exemplaires, telles que l’examen et la surveillance, et à des politiques novatrices fondées sur la transparence et la divulgation ouverte.

Notes

  1. Ministère de la Défense nationale, Protection, Sécurité, Engagement : la politique de défense du Canada, Ottawa, ministre de la Défense nationale, 2017, p. 65.
  2. Ibid., p. 64.
  3. Andrew O’Neil, « Australia and the ‘Five Eyes’ Intelligence Network: The Perils of an Asymmetric Alliance », Australian Journal of International Affairs, 2017, vol. 71, no 5, p. 537.
  4. Ibid., p. 529.
  5. Rose Mary Sheldon, Renseignement et espionnage dans la Rome antique, Paris, Belles lettres, 2009, p. 267.
  6. Ibid., p. 42-43.
  7. Ibid., p. 352-354.
  8. Jai Galliott et Warren Reid, « Introduction », Ethics and the Future of Spying, J. Galliott et W. Reid, New York, Routledge, 2016, p. 1-2.
  9. William Stevenson, Nom de code : Intrepid, Montréal, Nouvelles éditions de poche, 1979.
  10. Ibid., p. 9-10.
  11. Ibid.
  12. Ibid., p. 590.
  13. Ibid., p. 596.
  14. Craig Forcese, « The Collateral Casualties of Collaboration: The Consequences for Civil and Human Rights of Transnational Intelligence Sharing », International Intelligence Cooperation and Accountability, Hans Born, Ian Leigh, et Aidan Wills, éd., New York, Routledge, 2011, p. 73-76.
  15. O’Neil, ouvr. cité, p. 531.
  16. Voir les notes et la bibliographie présentées ci-après pour obtenir les références précises sur chacun des éléments.
  17. James Cox, Canada and the Five Eyes Intelligence Community, publication du groupe de travail sur les études stratégiques, Conseil international du Canada et Institut canadien de la défense et des affaires étrangères, Calgary, décembre 2012, p. 4.
  18. Ibid.
  19. Ibid., p. 9.
  20. Warren E. Snyder, « Leaks and Their Consequences: A Guide to the Controversy Over Secrecy vs. Open Government », American Intelligence Journal,2015, vol. 32, no. 2, p. 13-14.
  21. Michael R. Touchton et coll., « Whistleblowing or Leaking? Public Opinion toward Assange, Manning, and Snowden », Research and Politics 7, 2020, janvier-mars, no 1, p.1.
  22. Peter Zimonjic, « 9 Canadian Stories WikiLeaks Helped Bring to Light », CBC News, 12 avril 2019. Voir le site https://www.cbc.ca/news/politics/9-canadian-stories-wikileaks-helped-bring-to-light-1.5094640
  23. Snyder, ouvr. cité, p. 16.
  24. Patrick F. Walsh et Seumas Miller, « Rethinking ‘Five Eyes’ Security Intelligence Collection Policies and Practices Post Snowden », Intelligence and National Security, 2016,vol. 31, no 3, p. 345.
  25. Ibid., p. 346.
  26. Stephen D. Kasner, « The Persistence of State Sovereignty », International Politics and Institutions in Time, Orfeo Fioretos, éd., Oxford, Oxford University Press, 2017, p. 41.
  27. Forcese, ouvr. cité, p. 79.
  28. Walsh et Miller, ouvr. cité, p. 345-346, 350.
  29. Ian Leigh, « Accountability and Intelligence Cooperation: Framing the Issue », International Intelligence Cooperation and Accountability, Hans Born, Ian Leigh et Aidan Wills (éd.), New York, Routledge, 2011, p. 3-4.
  30. Ibid., p. 4.
  31. Ibid.
  32. Reg Whitaker et Stuart Farson, « Accountability in and for National Security », IRPP Choices, 2009, vol. 15, no 9, p. 40-42.
  33. Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, « À propos de nous : Mandat », dernière consultation le 1er mai 2020, à l’adresse suivante : https://www.nsicop-cpsnr.ca/index-fr.html
  34. Whitaker et Farson, « Accountability in and for National Security », p. 8.
  35. Ibid., p. 9.
  36. O’Neil, ouvr. cité, p. 530-531.
  37. Seumas Miller et Patrick Walsh, « The NSA Leaks, Edward Snowden, and the Ethics and Accountability of Intelligence Collection », Ethics and the Future of Spying, Jai Galliott et Warren Reed, New York, Routledge, 2016, p. 202; Jeremy Wisnewski, « WikiLeaks and Whistleblowing », Ethics and the Future of Spying, Jai Galliott et Warren Reed, New York, Routledge, 2016, p. 213
  38. O’Neil, ouvr. cité, p. 533.
  39. Ibid.
  40. Zakia Shiraz et Richard J. Aldrich, « Secrecy, Spies and the Global South: Intelligence Studies Beyond the ‘Five Eyes’ Alliance », International Affairs, 2019, vol. 95, no 6, p. 1313-1314.
  41. Felicity Ruby, Gerard Goggin et John Keane, «‘Comparative Silence’ Still? Journalism, Academia, and the Five Eyes of Edward Snowden », Digital Journalism, 2017, vol. 5, no 3, p. 355.
  42. Ibid., p. 356.
  43. Jeffrey T. Richelson, The US Intelligence Community, 6e édition, Boulder, Colorado, Westview Press, 2012, p. 348-349.
  44. Ibid., p. 349.
  45. Ibid.
  46. Ibid., p. 350.
  47. Ibid.
  48. Ibid., p. 351-352.
  49. Canada, Bureau du directeur du Centre national de coordination du renseignement, « Establishing Trust and Interoperability in the Information Sharing Environment », dernière consultation le 3 mai 2020, à l’adresse suivante : https://www.dni.gov/index.php/who-we-are/organizations/national-security-partnerships/ise/ise-archive/ise-mission-stories/1824-establishing-trust-and-interoperability-in-the-information-sharing-environment
  50. Ibid.
  51. O’Neil, ouvr. cité, p. 529.
  52. Loch K. Johnson, « The United States », PSI Handbook of Global Security and Intelligence: National Approaches, Volume 1: The Americas and Asia, Stuart Farson, Peter Gill, Mark Phythian, et Shlomo Shpiro (éd.), Westport, Praeger, 2008, p. 64.
  53. Cox, ouvr. cité, p. 7-9.
  54. James I. Walsh, « Defection and Hierarchy in International Intelligence Sharing », Journal of Public Policy, 2007, vol. 27, no 2, p. 152.
  55. Ibid.
  56. Ibid., p. 157.
  57. Richelson, ouvr. cité, p. 347-356.
  58. Patrick Morgan, « Liberalism », Contemporary Security Studies, 5e édition, Alan Collins, éd., Oxford, Oxford University Press, 2019, p. 35.
  59. Stevenson, ouvr. cité, p. 590; Richelson, ouvr. cité, p. 350-352.
  60. Catharine Tunney, « Intelligence Community Reeling after RCMP Director Accused of Violating Secrets Act », CBC News. Dernière modification le 18 septembre 2019. Voir le site https://www.cbc.ca/news/politics/rcmp-security-chage-1.5280643
  61. Catharine Tunney, « RCMP Head Says Allies Concerned, But Supportive in Wake of Spy Charges », CBC News, 17 septembre 2019. Voir le site https://www.cbc.ca/news/politics/rcmp-cameron-ortis-update-1.5286563
  62. Forcese, ouvr. cité, p. 74.
  63. Mark Jensen, « The Virtues of Bond and Vices of Bauer: An Aristotelian Defence of Espionage », Ethics and the Future of Spying, New York, Routledge, 2016, p. 15.
  64. Walsh et Miller, ouvr. cité, p. 345-346.
  65. Canada, Bibliothèque du Parlement, « Surveillance des organismes de renseignement : comparaison des pays du “Groupe des cinq” », Série des rapports de recherche, 2017-2018, ISSN 2203-5249, Ottawa, Parlement, 2017, p. 2.
  66. Leigh, ouvr. cité, p. 9-10.