L’INNOVATION ET LES FORCES ARMÉES

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Bill Gates (à gauche), le président de Microsoft, et les PDG John Conner et Steve Ballmer discutent avec leurs employés des futurs plans de croissance et d’innovation au siège social de la société à Redford, dans l’état de Washington, en juillet 2004.

Votre organisation est-elle vraiment novatrice?

par Gordon Bennett

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Le lieutenant-colonel Gordon Bennett est le commandant du Centre d’instruction de logistique des Forces canadiennes. Il a occupé divers postes d’un océan à l’autre, notamment au sein du 1er Bataillon des services, des Services techniques de Gagetown, du Commandement des opérations interarmées du Canada et de la 1re Division du Canada. Le lieutenant-colonel Bennett est titulaire d’un doctorat en administration des affaires et diplômé du Programme de commandement et d’état-major interarmées, cours qui se donne à Toronto. Ses travaux universitaires les plus récents sont axés sur l’innovation et la réflexion conceptuelle.

Introduction

Le monde regorge de mots à la mode que les gens utilisent sans les comprendre ou en connaître le sens. « Innovation » est souvent l’un de ces mots à la mode. Il est utilisé fréquemment, mais bien moins fréquemment compris ou mis en pratique. La vraie question est la suivante : « Comment savons-nous si nous sommes des champions des mots à la mode ou si nous sommes vraiment novateurs? » Pour connaître la réponse à cette question, il faut définir l’innovation et ensuite procéder à une évaluation pour déterminer où nos organisations se situent.

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Le président américain George W. Bush applaudit Peter Drucker après lui avoir remis la médaille présidentielle de la Liberté à la Maison Blanche, le 9 juillet 2002.

Les définitions de l’innovation sont générales et diversifiées. Le célèbre gourou de la gestion et auteur Peter Drucker déclare ce qui suit : « L’innovation peut se définir comme une action visant à doter les ressources humaines et matérielles d’une capacité nouvelle et supplémentaire de création de richesses1. » Au sens militaire, la capacité de création de richesse peut être synonyme d’une efficience accrue de l’utilisation du matériel, d’une façon plus efficace de faire la guerre, d’une formation et d’une gestion améliorées du personnel et, en fin de compte, de l’optimisation des ressources disponibles compte tenu de limites données. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) définit l’innovation comme un ensemble d’améliorations substantielles touchant la production, les procédés, les techniques, l’équipement, la conception, la promotion ou les pratiques2, ce qui précise la façon dont l’innovation devrait fonctionner au sein du gouvernement. C’est une définition générale, qui convient à la plupart des situations.

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Le logo de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

L’innovation ne se limite pas à de simples progrès technologiques ou à une course aux armements. C’est beaucoup plus que les efforts qui visent à faire plus avec moins. L’innovation est une mentalité et une partie de la culture d’une organisation qui s’efforce de faire progresser et de mettre au point des procédés, des stratégies, des pratiques et un équipement nouveaux ou améliorés. Elle offre par-dessus tout la souplesse nécessaire pour réagir à des exigences de plus en plus grandes et pour optimiser l’utilisation des ressources. L’innovation et le changement ne sont pas synonymes. Le changement peut être présent d’emblée et ne pas être novateur. Il peut être de nature administrative ou être un changement sans autre fondement que celui du plaisir de changer. Il peut être fait pour des raisons d’avancement professionnel ou en réaction au milieu. Il est important d’établir dès le début cette distinction, car l’innovation n’est pas fondée sur des aspirations professionnelles ou des personnalités; elle repose plutôt sur un état final recherché.

Bref, l’innovation, au MDN, pourrait être définie comme suit : la découverte, la mise en œuvre ou l’élaboration de méthodes, de procédés ou d’outils nouveaux qui maximisent les contributions du ministère à la société, à l’économie et au combat. Cette définition met l’accent sur l’innovation dans un contexte ministériel tout en englobant les définitions élémentaires de l’innovation que l’on trouve dans l’industrie. Cela donne une combinaison dynamique d’attributs de l’innovation qui peuvent être axés sur les efforts que le MDN devrait faire pour innover – quelque chose qui fait déjàpartie, de façon intrinsèque, des organisations novatrices et que celles-ci ne définissent pas en ces termes.

Dans un contexte militaire, la réflexion novatrice s’applique depuis le niveau tactique jusqu’au niveau stratégique-politique. Au niveau tactique, elle peut offrir des solutions uniques dans tout un spectre allant des moyens à prendre pour combattre efficacement et de façon éthique des insurgés à la manière par laquelle une chaîne logistique est organisée pour une efficacité maximale dans des situations dont la doctrine ne traite pas. Au niveau opérationnel, la réflexion conceptuelle novatrice servira de moteur à l’élaboration des plans, depuis les ordres provenant du niveau stratégique, tout en équilibrant les moyens opérationnels, comme les plaques tournantes logistiques, au soutien de théâtres d’opérations multiples. Au niveau stratégique, les programmes concernant par exemple les carburants renouvelables destinés au matériel d’instruction, la conception du matériel en vue des opérations dans l’Arctique, les partenariats avec les milieux industriels et universitaires, la concession de licences découlant des découvertes de R et D à l’industrie, le recrutement, le soutien de l’industrie et la spécialisation des capacités ne sont que quelques-uns des domaines qui se prêtent à l’innovation.

DVIDS photo 517854 prise par le Airman 1st Class Christophe Williams

L’amiral William McRaven

L’amiral à la retraite de la US Navy (Forces navales des États-Unis) William McRaven laisse entendre que l’innovation est, pour les opérations des forces spéciales, un élément contributif : « L’innovation simplifie un plan en aidant à éviter ou à éliminer les obstacles… c’est aussi l’application de tactiques non classiques3 » [TCO]. D’autres aspects de la doctrine des opérations spéciales des États-Unis, selon laquelle les opérations spéciales sont exécutées par des « […] unités qui appliquent des habiletés particulières en recourant à l’adaptabilité, à l’improvisation et à l’innovation4 » [TCO], soutiennent cette observation. Les forces armées du Canada, qui sont peu nombreuses, s’attendent à ce que leurs membres soient capables de s’adapter, à ce qu’ils apprennent à improviser et à ce qu’ils soient novateurs.

Il faut séparer la définition des besoins en matière d’innovation de trois concepts, à savoir la technologie, l’évolution et l’adaptation. L’évolution technologique repose sur l’innovation et les découvertes scientifiques. L’adoption d’une technologie n’indique toutefois pas nécessairement qu’une organisation est novatrice. Elle peut signifier que l’organisation évolue simplement parce qu’elle utilise de la technologie. L’évolution est un changement au sein de l’organisation, mais elle n’indique pas non plus qu’une organisation est novatrice. La plupart des entreprises utilisent de nos jours des ordinateurs plutôt que du papier carbone. L’adoption des ordinateurs est un changement évolutif, pas une mesure novatrice pour l’entreprise qui en utilise maintenant, même si l’efficience et l’efficacité sont améliorées. L’adaptation et l’adaptabilité peuvent être vues sous deux angles différents. L’adaptation à un milieu, à un procédé, à une technologie ou à une situation qui sont nouveaux ne signifie pas nécessairement que l’organisation est novatrice. Il est possible que l’adaptation soit simplement un mécanisme de survie ou une réaction banale à une situation qui évolue. Un magasin peut modifier ses méthodes de vente pour s’adapter à un concurrent. Le changement ne devrait être considéré comme novateur que s’il est sans précédent ou représente à tout le moins quelque chose de nouveau pour l’industrie. Le fait de réduire les prix ou de passer d’employés qui touchent une commission à des employés qui touchent un salaire est simplement une adaptation, pas une innovation. La distinction entre être adaptable et accepter des adaptations, c’est que l’adaptabilité est basée sur la souplesse et que l’adaptation aux conditions est une réponse forcée.

L’innovation est ce qui distingue le meneur du suiveur. [TCO]
~Steve Jobs

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Steve Jobs

La désinnovation

La « désinnovation » ne consiste pas simplement à faire le contraire de l’innovation ou à ne pas innover; c’est lutter contre l’innovation. De par leur nature actuelle, les organisations bureaucratiques contemporaines sont des sources de désinnovation. La désinnovation est une conséquence du « cloisonnement », de visions à courte vue, d’un manque de diversité, du carriérisme, d’une définition inappropriée du risque, de l’apathie, d’un manque de formation professionnelle, d’une mauvaise communication, de la bureaucratie, de pratiques d’embauches inappropriées, d’une piètre culture de l’innovation et du défaut de prendre des décisions rapidement.

Patricia Schaeffer, autrice spécialiste du monde des affaires, suggère cinq actions qui tuent l’innovation5. Le premier facteur qui tue l’innovation est le fait que l’initiative est punie lorsque des problèmes surgissent. Le fait de punir l’initiative et l’échec est contraire aux pratiques de l’entreprise de conception et de conseil technique IDEO, tant dans la documentation qu’ainsi que cela a été constaté à l’occasion d’une visite de ses locaux. Le fait de punir l’échec à un stade expérimental élimine l’initiative, fait croître la méfiance et fait naître la peur. Dans un contexte militaire, le fait de punir un échec découlant d’une prise d’initiative, ou lorsque les plans ne se concrétisent pas à cause d’événements imprévus, est très différent du fait de punir un soldat parce qu’il ne s’est pas conformé à un ordre ou à une exigence prévus par la loi ou légitimes. Il faut mettre en place une culture de confiance pour favoriser l’innovation et faire progresser l’organisation. Il peut à cette fin être nécessaire de courir un risque raisonnable, pas de punir l’échec, et de transformer l’échec en occasion de croissance. Certains peuvent soutenir que l’acceptation de l’échec peut se solder par des pertes sur le champ de bataille ou le fait que l’on n’accepte pas la responsabilité des problèmes nationaux d’acquisition, mais elle pourrait encore servir d’excuse pour des résultats insatisfaisants. Ces arguments ont un certain mérite, mais, quand on les prend dans un contexte de leadership, il incombe au chef de bien équilibrer les choses. De plus, les échecs découlant de l’incompétence, de l’apathie ou de la négligence ne sont simplement pas acceptables à quelque stade que ce soit.

Le deuxième facteur qui tue l’innovation, selon Patricia Schaeffer, c’est la « microgestion » des projets ou des tâches. Une partie du processus de perfectionnement du leadership laisse à la personne désignée la liberté dont elle a besoin pour accomplir ses tâches. Il est permis de penser que la microgestion renvoie aussi l’échec et la responsabilité au superviseur tout en tuant l’innovation. Madame Schaeffer recommande aux chefs, pour tuer la microgestion, de ne pas faire des conjectures sur les décisions du personnel ou annuler ses décisions6. Des exceptions à ces recommandations s’appliqueraient dans des circonstances extrêmes ou lorsque l’intention du chef n’est pas respectée.

Le troisième facteur qui tue selon elle l’innovation est l’absence d’une mentalité d’amélioration continue. Madame Schaeffer fait valoir que trop de personnes se cachent derrière des politiques et des procédures et en font le prétexte du défaut d’innover. Encourager le personnel à évaluer régulièrement ses pratiques et à rechercher des façons nouvelles de s’améliorer devrait faire partie de la culture.

Pour terminer, Patricia Schaeffer suggère que « […] l’organisation [qui] favorise une concurrence interne énergique » [TCO] va miner les objectifs de l’innovation. La concurrence doit être mise en équilibre avec un sens de la collectivité dans le milieu de travail. Les adversaires font valoir que, dans les forces armées, la concurrence est un trait culturel existant qui est, au combat, très souhaitable. C’est vrai, mais est-il nécessaire pour les activités du ministère? La concurrence peut contribuer à l’innovation si elle a principalement pour but d’améliorer l’institution et qu’elle n’est pas axée sur un gain personnel, par exemple l’avancement professionnel. L’avancement professionnel peut, pour ce qui est de faire croître l’innovation, être un avantage, mais ce n’est pas l’état final.

Les professeurs Bernd Kriegesmann, Thomas Kley et Markus Schwering, de la FH Münster University of Applied Sciences et de l’Institute for Innovation Research and Management laissent entendre qu’il existe dans l’industrie une culture d’intolérance à l’erreur qui a un effet négatif sur la façon dont les organisations encouragent l’innovation7. Ils soulignent que la plupart des entreprises ne punissent pas les écarts aux protocoles établis8. Ils déclarent également que les organisations qui, en matière de prévention des erreurs, font preuve de rigidité souscrivent trop souvent verbalement à l’innovation, car les structures d’encouragement créent une aversion pour le risque. Selon eux :

Celui qui sort des sentiers battus pour se lancer délibérément dans un processus d’innovation en prenant un risque calculé ne devrait pas, en cas d’échec, être l’objet de moqueries et être tourné en ridicule; il devrait plutôt être encouragé à prendre dans un esprit d’optimisme davantage de risques sensés.

Pourquoi les institutions de la fonction publique n’innovent pas assez

Peter Drucker cite trois raisons pour lesquelles les institutions de la fonction publique ne sont pas novatrices9. Le MDN et les FAC peuvent être inclus dans son analyse, même si, selon lui, les forces armées ne sont pas à proprement parler une institution de la fonction publique. Ses déclarations sont basées sur ses observations et sur son parcours dans l’industrie.

Pour commencer, il laisse entendre que les institutions publiques se considèrent comme définies par un budget plutôt que par les gains pécuniaires. Plus le budget est élevé, plus le gestionnaire a de prestige. Plus l’organisation est novatrice, moins l’organisation a besoin d’argent et moins le gestionnaire a de prestige. Dans une organisation définie par les gains pécuniaires, les profits sont la source du prestige, pas les dépenses engagées, comme c’est le cas au gouvernement.

La deuxième raison, selon lui, est le pouvoir de veto des électeurs. De par son concept, le gouvernement est au service de l’ensemble, alors qu’une entreprise est au service des clients les plus avantageux. Un gouvernement qui ne dessert pas une petite minorité serait considéré comme une organisation inefficace – c’est pourquoi même les groupes peu nombreux semblent disposer d’une sorte de pouvoir de veto. Cela explique aussi, toutefois, pourquoi les gouvernements se doivent d’être novateurs : ils doivent pouvoir desservir ces marchés minoritaires de façon économique ou efficiente. Il fait valoir que les services publics existent pour « faire le bien » et qu’ils estiment avoir une mission morale absolue et non pas une mission économique. Dans ce cas, l’aspect coûts-avantages est laissé de côté en faveur de facteurs moraux jugés supérieurs : « Le niveau optimal se situe, pour la plupart des organisations, entre 75 et 80 p. 10010 » [TCO], déclare-t-il en parlant du service des clients les plus avantageux. Autrement dit, desservir 100 p. 100 des clients, ainsi que le gouvernement le fait, nécessite beaucoup plus d’argent et le rendement est nettement décroissant. Il continue ainsi : « Le problème, pour ce qui est de satisfaire le désir de bien faire pour tous, c’est que les coûts augmentent de façon exponentielle alors que les avantages chutent de la même manière. Plus il travaille fort pour atteindre ses objectifs en faisant ce qu’il fait actuellement, plus il devient frustré en utilisant en même temps une quantité de plus en plus grande de ressources11. » [TCO]

Le point de vue moral voit un effort important associé à un rendement qui est décroissant. C’est pourquoi le gouvernement se doit en fait d’innover. Si le gouvernement cherche à desservir toute la population d’un point de vue moral, il se doit d’être novateur afin de réduire les ressources nécessaires pour desservir les 20 p. 100 de la société qui consomment le plus.

Fontaines d’innovation

La base de l’innovation organisationnelle fait actuellement l’objet d’un débat12. Andrea Ovans, rédactrice principale à la Harvard Business Review, souligne le débat qui fait rage entre trois champs de réflexion parallèles : les personnes, les procédés et la culture. Elle note que l’ancien président de Pixar et de Walt Disney Animation Studios, Ed Catmull, a sondé son personnel pour déterminer quelle est selon celui-ci la source de la créativité de Pixar : soit l’embauche de personnes qui ont beaucoup de talent, soit des procédés permettant d’obtenir des idées novatrices. Son sondage montre une répartition 50-50 même pour cette organisation très novatrice. Un ancien professeur d’études commerciales de Stanford, James (Jim) Collins, qui figure sur la liste de 2017 des 100 plus grands esprits vivants du milieu commercial de Forbes, suggère que les bonnes personnes faisant preuve d’un bon leadership vont donner des résultats spectaculaires, quel que soit le chemin suivi13. Sean Atkins, qui est un officier de la USAF et un innovateur, parle à cet égard de leadership assorti d’une vision offrant une énergie novatrice14. Dans cet exemple, il définit les bonnes personnes moins du point de vue du talent, même si celui-ci compte, qu’en fonction du fait que les personnes qui sont portées à réussir au sein d’une équipe veulent que l’entreprise et l’équipe connaissent du succès.

Le rôle de la culture

Le professeur Ramudu Bhanugopan, de l’université australienne Charles Sturt, et Roy Shanker, qui vient du milieu de l’industrie, déclarent que la perception que l’employé a du climat a une incidence sur la mesure dans laquelle des solutions novatrices sont encouragées, soutenues et mises en œuvre15. Leur travail suggère qu’il existe un lien étroit entre la mise en place d’un climat d’innovation et l’esprit d’innovation des employés. Les recherches menées à partir des pratiques de l’industrie et l’observation directe faite au cours d’une visite d’entreprises novatrices ont confirmé ces conclusions, c ’est-à-dire le fait que la culture est le facteur de succès principal menant à une organisation novatrice. En ce qui concerne le MDN, la culture militaire et gouvernementale et la culture novatrice ne sont pas incompatibles.

Une culture d’innovation compensatrice constante est la raison principale, mentionnée dans des conversations avec son personnel, pour laquelle IDEO est si novatrice. Ses employés sont encouragés à concevoir de meilleurs produits, de meilleurs services et des procédés améliorés. Les ouvrages écrits par des membres du personnel d’IDEO et les principes d’IDEO (les frères Kelley) soutiennent ce que les employés ont déclaré durant une visite de ses locaux. Selon les conseillers en gestion de Booz & Company (qui est maintenant une filiale de PricewaterhouseCoopers) Barry Jaruzelski, John Loehr et Richard Holman, le rôle que joue la culture d’entreprise est toutefois plus important que n’importe lequel des différents éléments16. Chez IDEO, l’embauche joue un rôle majeur dans la formation de la culture. La culture découle en conséquence de la passion du personnel embauché dans le cadre de l’accomplissement de la mission, des procédés élaborés par les fondateurs et d’une attitude d’exploration et d’expérimentation. La motivation vient de la pulsion de création de l’individu.

Le modèle de la pyramide de l’innovation

Nous pouvons déterminer le niveau d’innovation qui existe au sein d’une organisation au moyen de la pyramide de l’innovation. Ce modèle est basé sur les recherches menées en vue du présent projet et il inclut une expérience directe, l’observation des pratiques en vigueur au sein du MDN et des comparaisons avec des observations faites directement chez IDEO et dans d’autres organisations qui ont des pratiques internes novatrices. Le modèle montre aux gestionnaires la voie à suivre et les signes qu’ils devraient s’attendre à voir lorsqu’ils font croître l’innovation au sein de leur organisation. Le modèle peut être utilisé pour des organisations de petite taille telles qu’un peloton ou être appliqué à des organisations de plus grande taille telles que le bureau d’un sous-ministre adjoint ou l’ensemble du ministère. Il est très possible que des organisations de petite taille soient des innovateurs et que des organisations de plus grande taille du MDN ne soient pas du tout novatrices. Il est aussi possible qu’une unité d’un niveau peu élevé, par exemple une s ous-unité, soit novatrice dans son domaine de compétence, mais que le quartier général dont elle relève soit loin de l’être.

La culture est le cœur de la pyramide. Une culture d’innovation va pousser l’innovation vers le haut, alors qu’une culture de désinnovation et des attitudes du genre « on fait comme l’an dernier », « cela n’a pas été inventé ici », « je ne peux pas » ou « ce n’est pas mon travail » empêcheront une progression vers le haut. Il est important de reconnaître qu’une culture est un moteur de la mobilisation stratégique. Le modèle commence au niveau d’innovation le plus bas – essentiellement, l’innovation est nulle ou au maximum très limitée à une petite échelle au niveau de certains individus, mais pas en ce qui concerne l’organisation. L’innovation commence lorsque des individus commencent à envisager l’innovation comme un outil. L’apprentissage commence par une recherche des leçons que d’autres ont retenues dans un domaine particulier. Si l’on prend l’exemple des carburants de remplacement destinés aux flottes militaires de véhicules commerciaux, des innovateurs curieux commencent par déterminer ce que d’autres organisations ont mis au point ou utilisé. À ce stade, ils s’intéressent simplement à la recherche d’une information de base sur un sujet précis. Il est vraisemblable qu’ils n’essaient pas de répondre à une question associée à une recherche et que la culture résiste de façon importante à l’innovation.

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Figure 1 – Niveaux d’innovation.

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Il est important de trouver des leçons retenues, mais celles-ci doivent être accompagnées d’une solution d’acceptation en trois parties. La première nécessite un moyen de recueillir les pratiques et les leçons retenues de l’organisation en matière d’innovation. Ce pourrait être une bibliothèque des innovations du MDN, un bulletin ou une autre méthode permettant de recueillir, de diffuser et de promouvoir un apprentissage interne et externe. Combien de fois le personnel a-t-il dû préparer des notes de synthèse sur des sujets ayant fait l’objet d’un exposé un an ou deux plus tôt ou sur un savoir ministériel perdu à cause des mutations ou des départs à la retraite? Un dépôt de l’information sur l’innovation qui est revue régulièrement dans le cadre de la formation et de l’instruction et qui est mise de l’avant dans les communications du MDN (par exemple la Feuille d’érable, les journaux régionaux, les bulletins techniques, les courriels diffusés à la grandeur du MDN, un portail qui renvoie à une liste d’abonnés et ainsi de suite) est nécessaire pour faciliter des pratiques exemplaires et ensuite leur adoption.

Au stade des « pratiques exemplaires », l’innovateur – qui peut être ou ne pas être un chef en bonne et due forme au sein de son organisation – étend ses activités pour déterminer les pratiques exemplaires qui existent au sein de l’organisation. À leur niveau fondamental, ces pratiques peuvent être des pratiques qui devraient avoir été acceptées, mais qui ne sont pas ou qui sont des pratiques qui sont utilisées sans tambour ni trompette. Les pratiques exemplaires devraient tenir en même temps compte tant des éléments à court terme que des éléments à long terme, ainsi que le confirme la société d’experts-conseils Deloitte17. Les pratiques exemplaires peuvent être élaborées de deux manières. La première est l’exposition à une formation en innovation et la deuxième consiste à faire connaître les réussites en matière d’innovation au sein du MDN.

L’adoption inclut la mise en œuvre des pratiques exemplaires, y compris les leçons retenues, à la grandeur du MDN. Elle est accompagnée d’attitudes culturelles qui changent à l’égard de l’innovation et de la progression du niveau d’innovation au sein de l’organisation. Adopter l’innovation, c’est accepter et appliquer des principes et des pratiques venant d’autres secteurs, notamment de l’extérieur du ministère. L’adoption voit des concepts provenant d’autres sources et modifiés en fonction des besoins de l’organisation. Jack Ma, d’Alibaba, est un excellent exemple, dans l’industrie, du stade de l’adoption. Il a suivi les mêmes principes novateurs qu’eBay, sauf qu’il les a utilisés pour des ventes entre entreprises plutôt que pour des ventes entre des consommateurs ou des entreprises. L’adoption par Jack Ma de ce qui est essentiellement un eBay pour entreprises a eu lieu quatre ans après le lancement d’eBay et deux ans après qu’eBay est officiellement devenue « eBay ». Quand Alibaba a été fondée, eBay avait déjà vendu plus d’un million d’articles et était entrée en bourse18.

Le développement combiné débute quand l’organisation commence à adopter une pratique régulière de culture d’innovation à un stade avancé de l’élaboration d’un produit ou d’un service. Il se manifeste clairement dans la collectivité médicale, où les forces armées des États-Unis réalisent des projets conjoints avec des collaborateurs du domaine médical. Les collaborations avec l’industrie et avec la Defense Advanced Research Projects Agency des États-Unis élaborent des technologies avec des partenaires de l’extérieur et beaucoup de ces partenariats ont amélioré les innovations médicales pour le secteur militaire et le secteur privé.

La valorisation du développement, dans le modèle, est le niveau situé directement sous le sommet de l’innovation. La valorisation de l’innovation signifie que la culture a été transformée : une organisation dans laquelle l’innovation est nulle ou à peu près nulle devient une organisation qui est un chef de file dans un secteur particulier. Le maintien en puissance dans l’Arctique, les biocarburants, les vêtements de combat centrés sur l’humain, les rations de combat et l’aide humanitaire ne sont que quelques exemples de domaines dans lesquels le MDN pourrait, compte tenu des réussites actuelles ou des domaines dans lesquels des travaux de développement sont en cours, être un chef de file. La valorisation du développement signifie que l’organisation est reconnue comme un chef de file dans le domaine de l’innovation, à tout le moins dans la même l’industrie ou dans le même secteur. Il n’est pas nécessaire que la valorisation du développement soit seulement stratégique. Le fait de repérer des occasions au niveau de l’unité ou de la formation peut aussi amorcer un projet de valorisation du développement. Une valorisation du développement homogène nécessite toutefois un changement de culture. Lorsque des projets homogènes sont soutenus et que les résultats sont recueillis, ou que des leçons novatrices découlant des échecs sont retenues et appliquées, le développement a lieu dans de multiples organisations et un nouveau développement se produit; c’est seulement à ce moment qu’on peut considérer que l’organisation a atteint le stade de la valorisation du développement.

Enfin, au sommet de la pyramide de l’innovation se trouve la mobilisation stratégique. À ce niveau, l’organisation a adopté une culture d’innovation, même si les projets et les solutions sont peu coûteux et discrets et qu’ils ne sont pas axés sur la technologie. La grande majorité des membres de l’organisation ont une mentalité novatrice et réfléchissent à des manières d’améliorer leurs domaines individuels et collectifs de responsabilité. Le niveau de la mobilisation stratégique prend alors ces réflexions et ces pratiques collectives, il assure la mobilisation et il est pour d’autres entités un chef de file à l’extérieur des partenariats courants. La mobilisation stratégique peut donner des innovations de haut niveau, notamment des demandes de brevets, une refonte des politiques et des procédures du ministère, du pays et des alliés, le mentorat d’autres organisations pour les aider à devenir novatrices et la démonstration de hauts niveaux d’efficacité. À ce niveau, les échecs sont acceptés et surmontés dans le cadre de l’instruction et du perfectionnement. 3M, IDEO, Apple, Salesforce.com et Pixar sont des exemples d’entreprises dans cette catégorie. À ce niveau, les chefs novateurs établissent des contacts avec d’autres personnes à l’extérieur de leur organisation et font croître un leadership novateur à l’intérieur.

Logo de 3M

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Logo de Pixar

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Conclusion

Pour comprendre l’innovation, il faut une définition claire de ce que l’innovation est. L’innovation véritable est liée à la culture, et à mesure que la culture s’améliore, l’innovation s’améliore. Nous pouvons utiliser la pyramide de l’innovation pour déterminer d’où nous sommes partis et où nous devons aller pour être vraiment novateurs. En se fondant sur la pyramide de l’innovation, les organisations peuvent élaborer une feuille de route donnant une innovation véritable.

Notes

  1. Peter Drucker, Devenez manager! : l’essentiel de Drucker, Paris : Village Mondial, 2006, p. 29.
  2. Organisation de coopération et de développement économiques, 2016, à https://www.oecd.org/site/innovationstrategy/defininginnovation.htm.
  3. William H. McRaven, The Theory of Special Operations, Monterey, Californie, Post Naval School, 1993, p. 17-20.
  4. Ibid., p. 20.
  5. Patricia Schaeffer, « Five Cultures That Kill Innovation », dans IEEE Engineering Management Review 44(3), troisième trimestre, septembre 2016.
  6. Ce serait le cas si l’on exclut un risque pour la sécurité ou un risque important auquel l’employé n’est pas habitué. Si toutefois il faut annuler des décisions d’un employé, il convient de lui communiquer les motifs et de l’encourager à poursuivre des activités novatrices. Des annulations multiples suggèrent un problème de culture, d’expérience, de formation ou de leadership.
  7. Bernd Kriegesmann, Thomas Kley et Markus G Schwering, « Making Organisational Learning Happen: The Value of “Creative Failures” », dans Business Strategy Series, 8(4), p. 270-276.
  8. Bernd Kriegesmann, Thomas Kley et Markus G Schwering, « Making Organisational Learning Happen: The Value of “Creative Failures” », dans Business Strategy Series, 8(4), p. 270-276.
  9. Peter F. Drucker, Les entrepreneurs, Paris : L’Expansion : Hachette : J.-C. Lattès, 1985.
  10. Ibid.
  11. Ibid.
  12. Andrea Ovans. « Is Innovation More About People or Process? », dans Harvard Business Review. (27 février 2015), à https://hbr.org/2015/02/is-innovation-more-about-people-or-process.
  13. James C. Collins, Good to Great: Why Some Companies Make the Leap ... and Others Don’t, New York, NY, HarperBusiness, 2001.
  14. Sean Atkins, « Staff Sergeant Disruptor: Observations on Leading Innovation », dans War on The Rocks, 2 novembre 2016, à https://warontherocks.com/2016/11/staff-sergeant-disruptor-observations-on-leading-innovation/.
  15. Roy Shanker et Ramudu Bhanugopan, « Relationship between Organizational Climate for Innovation and Innovative Work Behavior in Government-linked Companies », International Conference on Human Ressource Management and Professional Development for the Digital Age (HRM & PD), Proceedings, 2014, p. 21.
  16. Barry Jaruzelski, John Loehr et Richard Homan. Strategy+Business Magazine, Booz & Company, Preprint 11404, à http://www.strategyand.pwc.com/media/file/Strategyand-Global-Innovation-1000-2011-Culture-Key.pdf.
  17. Deloitte, Public Sector Disrupted: How disruptive innovation can help government achieve more for less, à https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/global/Documents/Public-Sector/dttl-ps-publicsectordisrupted-08082013.pdf.
  18. Les dates de l’historique d’Alibaba et d’eBay ont été comparées à https://www.ebayinc.com/our-company/our-history et http:/www.alibabagroup.com/en/about/history.