L’ÉGALITÉ EN MATIÈRE D’EMPLOI

Photo du MDN IS01-2015-0005-058, prise par le sergent Yannick Bédard
Le matelot-chef Rebecca Gallant, plongeur d’inspection portuaire au sein de l’Unité de plongée de la Flotte (Atlantique), est au garde à vous lors de la cérémonie de clôture de la première phase de l’exercice Tradewinds 15, à Saint Kitts et Nevis, le 9 juin 2015.
Les obstacles dressés devant les femmes dans les Forces armées canadiennes
par James Pierotti
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Le lieutenant-colonel James Pierotti est opérateur de systèmes de combat aérien; il a cumulé 4 500 heures à bord d’avions C-130 Hercules au cours de missions de transport aérien tactique, de recherche et de sauvetage et de ravitaillement air-air. Il a signé des ouvrages sur l’histoire des services canadiens de recherche et de sauvetage, il a commandé le Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage – Victoria, et il enseigne actuellement l’art du ciblage à l’École de l’OTAN, à Oberammergau en Allemagne.
Introduction
Par une journée ensoleillée du printemps, au cours des années 1980, je suis rentré de l’école secondaire de très mauvaise humeur. Nous avions étudié les lois sur l’emploi et sur les pratiques de ce domaine au Canada et nous avions analysé un exemple fourni par la Gendarmerie royale du Canada : un homme et une femme avaient tous deux posé leur candidature au dernier nouveau poste à doter. La femme avait été choisie même si son pointage était de 5 p. 100 inférieur à celui de l’homme à l’examen, mais elle était malgré tout nettement au-dessus du seuil à atteindre pour être embauchée. Étant donné le difficile contexte de l’emploi à ce moment-là , j’étais outré, non seulement en faveur de l’homme qui n’avait pas réussi à obtenir le poste malgré son pointage supérieur, mais aussi parce que je m’inquiétais de mes propres chances de trouver un emploi. Je craignais que, peu importe mes efforts les plus vaillants ou la qualité de mes notes à l’examen, je risquerais malgré tout de ne pas être embauché après mes études secondaires parce que les hommes de race blanche risquaient désormais de se heurter à des obstacles sur le marché du travail, et cela me paraissait carrément injuste. Mon père m’a aidé à situer la question dans un meilleur contexte – et j’y reviendrai plus loin – parce que les points de vue des jeunes gens présentent beaucoup de pertinence quand on parle des obstacles à l’emploi.

Photo du MDN IS2013-2006-103, pr ise par le caporal chef Marc André Gaudreault
Le lieutenant Sharon Ong, sapeur de combat réserviste et officier de liaison de l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe (EICC), évalue les besoins de la population locale durant l’opération Renaissance à Estancia, aux Philippines, le 25 novembre 2013.
Les obstacles à l’emploi n’ont rien de nouveau, mais il importe de savoir où de telles barrières existent pour les femmes dans les Forces armées canadiennes (FAC), comment ils ont influé sur l’emploi dans les milieux militaires dans le passé et comment ils touchent les femmes dans les FAC aujourd’hui. L’importance des femmes pour les FAC deviendra on ne peut plus claire, car ce segment de la population constitue un des rares bassins de recrutement encore accessibles aux FAC qui cherchent à accroître leur effectif global et à respecter les objectifs de la politique du gouvernement canadien. Le présent article décrit la situation des femmes dans l’appareil militaire canadien et il examine les obstacles historiques à l’emploi des femmes dans les FAC, à commencer par les deux grandes guerres du XXe siècle et les années 1950. Les changements rapides survenus dans les années 1980 et après, en faveur de ce qui a semblé être l’abolition de tous les obstacles, mettront en lumière le bon travail que les FAC ont accompli pour remédier à une politique déficiente au cours des récentes décennies. Les recherches montreront que les femmes ont fait face à des barrières pénibles et que les hommes et les femmes ne semblent avoir bénéficié que récemment d’un traitement égal dans le milieu militaire. Ensuite, j’examinerai les obstacles qui persistent. Certains sont évidents et d’autres non, mais je ferai valoir que des barrières considérables demeurent au niveau du recrutement et du maintien en poste des femmes dans les FAC.
Bien que les hommes risquent de voir des obstacles à leur emploi et d’en faire l’expérience, la mise en garde ici consistera à dire que de grands progrès vers l’égalité des femmes en matière d’emploi n’ont pas éliminé dans les FAC, une culture dominée par les hommes qui fait obstacle aux femmes. Pour que les FAC deviennent un employeur de choix et que la diversité y soit à l’honneur, les hommes doivent aider à résoudre les problèmes qui persistent. Comme le monde n’est toujours pas en paix et que les FAC sont nécessaires pour protéger et faire croître le pays, nous devons tous et toutes faire ce que nous pouvons pour abattre les barrières et faire passer la participation des femmes dans les FAC aux niveaux exigés par notre gouvernement. Ce n’est pas là une question qui touche uniquement les femmes, mais plutôt l’ensemble de l’effectif militaire canadien.
Les femmes dans l’appareil militaire canadien
La situation actuelle de l’emploi féminin, non seulement au Canada mais partout dans le monde, porte à croire que l’égalité entre les hommes et les femmes ne se réalisera pas rapidement. Abramson et Moran, deux auteurs bien connus d’ouvrages sur la diversité, écrivent que, partout dans le monde, « un écart important demeure [sur le marché du travail] quant à la représentation des femmes par rapport aux hommes, à leur rémunération aux échelons supérieurs de la main-d’œuvre mondiale et à la possibilité pour elles d’avoir les mêmes droits que les hommes sur tous les plans1 » [TCO]. Au Canada, les femmes constituent 46 p. 100 de la main-d’œuvre bien qu’elles représentent la moitié de la population, et il a été établi que « les employées occupent surtout des postes de premier échelon ou de niveau intermédiaire2 » [TCO]. Malgré l’adoption de lois et les attentes de la société, le fait est que les possibilités d’emploi ne sont pas les mêmes pour les femmes que pour les hommes. Dans des documents internes, les FAC souscrivent à cette opinion et indiquent que « des obstacles systémiques persistent qui font des forces armées un choix moins que souhaitable pour la majorité des jeunes Canadiennes3 » [TCO]. Indéniablement, certains facteurs limitent les possibilités d’emploi des femmes dans toute la gamme des postes, tant au Canada qu’à l’échelle mondiale.
Le fait qu’il n’y ait pas suffisamment de femmes dans les forces armées est reconnu et constitue une préoccupation internationale. Les Nations Unies ont prescrit que, « pour les missions d’observation telles que celle menée dans le Soudan du Sud, 15 p. 100 des postes d’officier d’état-major et d’observateur militaire de chaque pays doivent être occupés par des femmes4 » [TCO]. On pourrait penser que cela ne poserait pas problème dans les FAC, mais en fait, le Canada a failli perdre l’occasion de mener une mission au Soudan du Sud en 2018 parce que la force qu’il comptait déployer là -bas ne comptait pas assez de femmes. Cette situation embarrassante a probablement été due au petit nombre de postes administratifs au sein du contingent canadien, l’administration étant un domaine où les femmes sont plus nombreuses5. Comme le Canada a grandement milité en faveur des droits des femmes dans les forces armées et partout dans le monde, il doit veiller à « traduire dans les faits » sa position sur l’autonomisation des femmes. Cependant, la situation montre bel et bien que des normes mondiales sont en jeu en ce qui concerne la représentation des femmes dans les missions menées par le Canada; or, les FAC doivent respecter les normes établies par les Nations Unies quant à l’emploi des femmes.

Photo du MDN 20200201PRA0016D001, prise par le caporal Yongku Kang
Le matelot de 1re classe Molly Cameron, maître d’équipage à bord du NCSM Glace Bay, observe le taximètre durant l’opération Projection-Africa, le 1er février 2020.
On penserait que la solde et les promotions fondées sur le rendement constituent des facteurs importants faisant des FAC un employeur attrayant, car les promotions y reposent sur le mérite, et la solde, sur le grade. Cependant, la proportion de femmes employées dans les FAC n’a à peu près pas changé depuis 2009 alors qu’elle se situait à 15 p. 1006, et les tout derniers chiffres situent cette proportion à 15,7 p. 100 des effectifs7. Ce faible pourcentage ne correspond pas au seuil-repère voulu : dans sa politique, le chef d’état-major de la défense (CEMD) exige que le taux de représentation des femmes dans les FAC passe à 25 p. 100 d’ici 20268. Des efforts considérables, décrits dans les prochaines pages, ont été déployés pour accroître le nombre de femmes dans les forces armées, mais les chiffres ont à peine changé en une décennie.
La proportion de 25 p. 100 fixée dans la politique n’est pas le fruit du hasard; il s’agit plutôt un ratio souhaité entre les hommes et les femmes pour que les questions de genre cessent sensiblement d’être une préoccupation dans le milieu de travail militaire. Karen Davis et Brian McKee, deux auteurs canadiens qui ont écrit sur la diversité, indiquent ce qui suit : « pour que le statut des femmes dans les forces armées s’apparente à celle d’une population minoritaire » – autrement dit, pour que les femmes aient effectivement leur mot à dire sur tous les aspects du milieu de travail –, « le ratio doit être d’au moins 65/359 ». La professeure Rosabeth Kanter, une autre chercheuse, estime que la masse critique réelle nécessaire pour que les femmes dans les forces armées exercent une influence digne de mention dans le milieu de travail se situe entre 20 p. 100 et 25 p. 100 de l’effectif10. Sans cette masse critique, « le problème de la mesure symbolique se pose lorsque le ratio homme/femme chez le personnel est inférieur à 85/1511 », et cela signifie que la culture en demeure une au sein de laquelle les femmes ne sont pas vraiment acceptées, ce qui peut entraîner des ramifications telles que le harcèlement. Comme j’en parlerai plus loin, même une proportion de 15 p. 100 ne suffit pas pour accroître fondamentalement le degré d’acceptation des femmes dans les FAC. Je traiterai du manque d’acceptation dans le contexte des obstacles à l’emploi des femmes dans les FAC dans le passé, mais ce qui importe ici, ce sont les recherches montrant ce que le taux de représentation des femmes doit être dans une organisation militaire pour réduire les problèmes actuels liés à la représentation symbolique. L’atteinte d’un pourcentage « médian » par rapport à ceux que les chercheurs susmentionnés ont cités pour accroître l’acceptation culturelle des femmes constitue probablement une importante raison ayant amené le CEMD à exiger un taux de représentation des femmes de 25 p. 100 dans les FAC. Il s’agit là d’une étape clé à franchir pour parvenir à l’égalité.
Deux autres raisons principales sous-tendent la recherche de la représentation souhaitée des femmes dans les FAC : accroître l’effectif de celles-ci et en transformer la culture pour en faire un employeur plus intéressant pour tous les membres de la population canadienne. L’accroissement de l’effectif de nos forces armées est un objectif déclaré du gouvernement libéral actuel, mais la tâche est devenue complexe à l’issue des années 2011 à 2016, où le nombre de militaires ayant quitté les FAC chaque année a dépassé de plusieurs milliers le nombre d’enrôlements12. Le maintien en poste des effectifs est aussi un problème qui est examiné de près, mais il se peut que le recrutement de Canadiens de race blanche, principal bassin de recrutement, ait déjà atteint son maximum dans le contexte économique actuel. La diversification de l’embauche est sans doute la seule façon de trouver de nouvelles sources d’employés éventuels, elle n’a pas été facile. Le recrutement d’un nombre accru de femmes, en particulier, a constitué un défi, parce que les FAC se sont donné pour « objectif d’accroître la proportion de femmes de 1 % par année », mais malheureusement « sans [fixer de] cible précise pour chacun des groupes professionnels13 », ce qui signifie qu’aucune stratégie particulière n’est employée pour concrétiser l’augmentation des effectifs. En dépit de la politique, les efforts de recrutement n’ont pas mis l’accent sur les femmes jusqu’ici et, par conséquent, il est peu probable que les FAC parviennent à leur objectif – à savoir que les femmes constituent le quart de leurs effectifs – dans un proche avenir14. Sans accroître de façon spectaculaire le nombre de femmes dans leurs rangs, les FAC ont peu de chances de parvenir à leur effectif total souhaité.

Photo du MDN TM01-2018-0022-020, prise par le caporal Ken Beliwicz
Le capitaine Jackie Ruis (à droite) et le capitaine Chris Ware, pilotes d’hélicoptères Chinook CH-147F, s’apprêtent à effectuer un vol durant l’opération Presence-Mali, au départ du Camp Castor, à Gao, au Mali, le 2 août 2018.
Un des moyens employés récemment pour aider à accroître le nombre de recrues féminines a résidé dans un effort de recrutement qui limite aux femmes l’embauche dans certains groupes professionnels. Des lignes directrices sur l’équité en matière d’emploi sous-tendent les contingents et, au cours de certaines semaines, les forces armées ferment périodiquement certains de ses quelque 100 groupes professionnels à tout le monde, sauf aux femmes15. Les critiques disent que les FAC ont peut-être créé ainsi un régime de recrutement à deux paliers, soit « un pour les hommes de race blanche, et l’autre pour les femmes et les minorités visibles16 » [TCO]. Cependant, la raison d’être du programme consiste à accroître le nombre de recrues féminines, étant donné que les hommes seront sans doute acceptés plus tard au cours du processus d’enrôlement.
Une autre formule mise à l’essai a été le programme « Les femmes font la force », qui offrait « aux femmes la possibilité de se familiariser avec la vie militaire avant de prendre la décision de s’enrôler17 ». Comme bien d’autres initiatives, ce programme n’a pas contribué à accroître considérablement la représentation des femmes dans les FAC. Cent vingt places ont été offertes, et quatre-vingt-dix-huit femmes se sont inscrites au programme; cependant, mais en date d’avril 2018, seulement neuf s’étaient enrôlées ou étaient en train de le faire18. Ce programme n’a pas suffisamment porté fruit pour qu’on le poursuive après ce premier effort. Ces démarches valaient la peine d’être tentées, mais elles n’ont pas véritablement permis de recruter plus de femmes dans les FAC.
Si les efforts visant à recruter plus de femmes sont infructueux, il faut accroître le taux de maintien en poste des effectifs. Un programme a été lancé en 2016 pour permettre « [aux femmes auparavant] membres des Forces et ayant été libérées au cours des cinq dernières années » d’y revenir sans avoir à passer par le processus complet de réenrôlement19. Par ailleurs, le Groupe de travail sur le recrutement et la diversité a été mis sur pied en 2017 et s’est consacré « au développement, à la planification et à l’exécution d’activités visant à accroître les niveaux de groupes en matière de diversité20 ». Cependant, en date de septembre 2018, il manquait encore 3 500 militaires pour compléter l’effectif autorisé de 71 500 membres de la Force régulière21. Jusqu’ici, tant par leurs efforts de recrutement que par leurs initiatives de conservation des effectifs, les FAC n’ont pas réussi à accroître sensiblement la représentation des femmes dans leurs rangs.
Un facteur clé expliquant ce problème réside dans le manque flagrant de femmes aux plus hauts échelons des forces armées au Canada. La recherche montre clairement qu’il existe une « barrière de verre » empêchant les femmes de parvenir aux postes haut placés tant à l’échelle mondiale qu’au Canada22. Notre société veut que cela change, car 66 p. 100 des répondants canadiens interrogés lors de sondages disent qu’il faut abattre les obstacles empêchant les femmes d’atteindre les postes supérieurs de l’appareil gouvernemental et politique23. En 2019, les sondages ont révélé tout aussi clairement que 35 p. 100 de l’ensemble de la population canadienne croit que le tout premier enjeu en matière de genre au Canada est l’équité salariale entre les hommes et les femmes24. Un aspect important de l’équité salariale concerne le nombre de femmes occupant des postes de commandement élevés. En janvier 2018, il y avait 130 généraux et amiraux dans les FAC25, et seulement 10 d’entre eux étaient des femmes26. Cela équivaut seulement à 7,7 p. 100 de tous les généraux et amiraux, c’est-à -dire la moitié de ce que la proportion devrait être, étant donné que les femmes composent 15,7 p. 100 des effectifs actuels de toutes les FAC. Cette représentation insuffisante évidente des femmes dans les postes de commandement est publiquement visible, et il faudra que cela change pour que les femmes en arrivent à croire que la promotion est effectivement fondée sur le mérite, et pour que la population perçoive les FAC comme étant un employeur équitable.
Afin de résumer la situation des femmes dans les Forces armées canadiennes à l’heure actuelle, disons que leur taux de représentation est de 15,7 p. 100 et que le seuil souhaité a été fixé à 25 p. 100 pour favoriser la croissance des FAC et un changement culturel. Au cours de la dernière décennie, malgré de nombreuses tentatives pour améliorer les taux de représentation des femmes, ces derniers n’ont à peu près pas bougé, et le nombre de femmes occupant des postes de commandement est trop faible pour faire valoir le mérite comme moyen de promotion employé équitablement. Il faut remédier à ce problème pour que les FAC atteignent leur objectif global quant à l’effectif militaire de la Force régulière, et pour transformer la culture de l’appareil militaire de manière qu’elle représente davantage la diversité du Canada. Afin de comprendre comment nous en sommes arrivés à cette situation, il est impérieux que de comprendre le passé.

MDN/Bibliothèque et Archives Canada, photo PA-001305
Conducteur d’ambulance du DAV canadien envoyé au front durant la Première Guerre mondiale.
Obstacles dans le passé
C’est un fait que les femmes se sont heurtées à des obstacles à l’emploi dans les FAC dans le passé, mais au cours des 125 dernières années, de profonds changements se sont produits grâce auxquels les FAC constituent maintenant un employeur solide et bien respecté de Canadiennes. En effet, les États-Unis ont vu dans le Canada un modèle de rôle positif après que notre pays eut éliminé les obstacles à l’accession des femmes à des postes de combat en 1989; les États-Unis ne sont parvenus à ce stade qu’en 201327. Une revue rapide de l’histoire militaire canadienne montrera comment et quand ces barrières ont été supprimées.
L’histoire du Canada nous apprend que les femmes n’ont pas été admises dans les forces armées avant 1898, année où des infirmières ont commencé à appuyer la Troupe de campagne du Yukon28. Ensuite, le nombre de femmes soutenant les forces armées à titre d’infirmières est passé à 2 800 au cours de la Première Guerre mondiale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, environ « 50 000 Canadiennes ont fini par s’enrôler dans les trois armées » [TCO] et ont assumé des rôles au-delà des domaines de l’administration et du soutien29. Cependant, les femmes n’ont pas été autorisées à servir dans les forces armées après la Seconde Guerre mondiale, en dépit du succès évident qu’elles avaient remporté en contribuant à la victoire. Jusqu’en 1950, les femmes n’ont pas été autorisées à faire partie de l’appareil militaire.

MDN/Bibliothèque et Archives Canada, photo PA-142415/ Lieutenant F. Roy Kemp
WREN de 1re classe June Whiting, du Service féminin de la Marine royale du Canada (WRCNS), débarque à Liverpool, en Angleterre, en avril 1945.
Les FAC ont accompli de grands progrès au cours de l’histoire récente. En 1951, les femmes ont de nouveau pu s’enrôler, mais leurs fonctions ont été limitées aux domaines traditionnels de la médecine, des communications, de la logistique et de l’administration30. Fait digne d’intérêt, les attitudes envers les femmes militaires avaient déjà commencé à changer, sans doute par suite du constat que les femmes avaient assumé des rôles dangereux pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Un bon exemple de ce changement d’attitude s’est produit dans l’Aviation royale canadienne (ARC), quand sept infirmières qui servaient dans des unités de sauvetage se sont portées volontaires pour devenir spécialistes de la recherche et du sauvetage. On leur a alors donné le surnom affectueux de « parabelles31 ». Elles ont été acceptées dans ce rôle à cause d’importants problèmes de conservation des effectifs dans les unités de recherche et de sauvetage au début des années 1950, alors que les forces armées cherchaient plutôt à accroître leurs effectifs de combat pour appuyer nos troupes dans le cadre de la guerre de Corée.

Photo du MDN ZK-273
Trois femmes militaires marchent devant le Parlement à Ottawa durant la Deuxième Guerre mondiale.
Ces infirmières ont exécuté des missions de sauvetage physiquement très exigeantes, dans un des groupes professionnels les plus difficiles de l’ARC, et ce, des décennies avant que les femmes soient autorisées à servir dans des rôles opérationnels32. L’infirmière Grace Woodman a été la première de ces femmes à exécuter une mission opérationnelle de recherche et de sauvetage. Voici la description qu’elle en a donnée :
Je me suis empêtrée dans les branches à environ 125 pieds au-dessus du sol et, comme mon harnais était un peu trop grand pour moi, il n’a pu me retenir, et je me suis retrouvée pendue, accrochée par une seule jambe, la tête en bas! [...] Je me suis peu à peu dégagée de cette position inconfortable. En me servant d’une corde de nylon de 100 pieds de longueur, que nous emportions à cette fin, j’ai amorcé ma lente descente jusqu’au sol. Malheureusement, mes gants étaient tombés au sol, de sorte que, pendant ma descente par glissement, j’ai subi de graves blessures de frottement aux mains33. [TCO]
Woodman a bravement accompli sa mission et a porté secours à son patient. Les autres parabelles et elle se sont distinguées dans leur travail, mais le programme a échoué à cause d’un obstacle imposé alors qui rendait les femmes inadmissibles au service dans ce rôle si elles se mariaient. Les parabelles se sont toutes mariées et ont quitté l’unité entre 1954 et 1957, de sorte que le programme a pris fin à cause du coût de l’entraînement de leurs remplaçantes34. Le programme a eu un aspect positif, en ce sens qu’il a prouvé à son tour que les femmes pouvaient assumer des rôles militaires physiquement exigeants.
Malgré la persistance de l’obstacle lié au mariage, le nombre de femmes avait dépassé 5 000 en 1955, car l’enrôlement visait à appuyer l’effort fait dans le cadre de la guerre de Corée35. Cependant, pour des raisons obscures, en 1965, l’enrôlement des femmes a été limité à 1 500 pour l’ensemble des trois armées, ce qui a confiné leur taux de représentation à 1,5 p. 100 dans les FAC36. Cet obstacle apparemment fixé au hasard n’a pas duré longtemps, car en 1970, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme a formulé six recommandations qui visaient expressément à abattre les barrières telles que la limite de 1 500 femmes, la libération obligatoire des femmes après la naissance d’un enfant, la politique interdisant aux femmes de fréquenter les collèges militaires canadiens ainsi que les restrictions concernant les groupes professionnels militaires et les spécialités à la portée des femmes37. D’autres changements importants ont eu lieu après la signature de la Charte des droits et libertés en 1982, et les FAC ont alors su qu’elles devraient tôt ou tard rendre les groupes professionnels de combat accessibles aux femmes38. En 1989, les femmes sont devenues admissibles à tous les groupes professionnels militaires (GPM), sauf ceux du personnel servant à bord des sous-marins, et en 2001, cette dernière exclusion a été abolie39. Tous les obstacles évidents ont été supprimés, 38 ans après l’abrogation de la règle qui interdisait aux femmes de servir dans les FAC.
Il importe de savoir que les États-Unis ont fait à peu près le même cheminement. Leurs forces armées et les nôtres ont entretenu des liens très étroits, et les attitudes envers les femmes militaires étaient aux États-Unis très semblables aux nôtres également. Les États-Unis ont adopté une loi en 1948 qui limitait le taux de représentation des femmes à 2 p. 100 des forces armées; le grade le plus élevé accessible aux femmes était celui de lieutenant-colonel/capitaine de corvette, et les femmes n’étaient pas admises dans les armes de combat40. Dans les années 1970, certaines barrières ont été supprimées, et le taux de représentation dans les forces armées est passé à 5 p. 100 de l’effectif global en 1976, à 10 p. 100 en 1985 et à 15 p. 100 en 200441. À l’heure actuelle, les femmes constituent 16 p. 100 de l’appareil militaire américain, ce qui est très semblable à la situation observée au Canada42. L’élimination des barrières s’est produite plus ou moins de façon parallèle au Canada et aux États-Unis, mais tous les obstacles ne sont pas évidents, et ils n’ont pas tous été faciles à abattre.
En 2004, Davis et McKee ont publié un document de recherche qui contestait l’hypothèse courante selon laquelle les femmes ne pouvaient pas « supporter les rigueurs physiques et mentales du combat43 ». Malgré la Charte des droits et libertés, malgré l’orientation adoptée par le gouvernement et en dépit des attentes de la société, certains doutaient encore que les femmes pussent faire le même travail que les hommes. Cela a été on ne peut plus évident dans les Forces spéciales. Même si les groupes professionnels de combat avaient été ouverts aux femmes en 1989, il n’y en avait toujours aucune dans les forces d’opérations spéciales en 200444. Il existait de profonds préjugés internes dont les partisans résistaient au fait que les différences réelles entre les hommes et les femmes sont très peu pertinentes lorsqu’il s’agit de satisfaire aux exigences de la profession militaire45. L’obstacle subtil résidait dans le fait que les normes à respecter pour faire partie des forces d’opérations spéciales étaient tellement élevées qu’elles empêchaient en pratique les femmes de faire partie des unités d’élite telles que la Deuxième Force opérationnelle interarmées (FOI 2), et il y avait ouvertement lieu de se demander « si les normes exigées [reflétaient] les exigences réelles46 ». Les obstacles de ce genre sont plus difficiles à repérer et encore plus pénibles à éliminer, dans une culture dominée par les hommes depuis tellement longtemps. Le fait que les bureaux créés par les FAC pour aider à résoudre ces problèmes manquaient souvent de fonds n’a pas aidé les choses47. La preuve que les femmes possédaient les qualités voulues et l’élimination des obstacles juridiques ne suffisaient pas.
En 2006, cependant, une bonne partie des préoccupations au sujet des femmes au combat ont été dissipées par le capitaine Nichola Goddard en Afghanistan. C’était une professionnelle des armes de combat : « appuyée par son équipe composée de trois hommes, l’officier très respecté de 26 ans venait d’exécuter des missions avec des explosifs brisants et des tirs éclairants, à l’appui des manœuvres de troupes canadiennes contre un ennemi connu – aucun autre soldat canadien n’avait fait cela depuis la guerre de Corée, plus de 50 ans auparavant48 » [TCO]. Pendant cette mission, tragiquement, des éclats d’obus venus on ne sait d’où ont frappé la jeune militaire derrière la tête et l’ont tuée sur le coup. Adoptant une attitude stéréotypée, le lendemain, la Chambre des communes n’a pas tant évoqué sa bravoure et son sacrifice, mais bien son genre49. Notre société est tellement fascinée par la présence des femmes dans les forces armées que celles qui s’illustrent dans la profession des armes attirent constamment le feu persistant des projecteurs. Voilà qui n’aide aucunement à abattre les barrières! L’accent mis sur le genre continue à en faire un sujet d’actualité qui, aujourd’hui, pourrait bien dissuader certaines femmes de s’enrôler dans les forces armées.
Il n’y a pas à douter que des progrès considérables ont été accomplis au cours de l’histoire récente relativement à l’emploi des femmes dans les forces armées. Les parents des militaires en service peuvent se rappeler l’époque où les femmes n’étaient pas admises dans les FAC, ou encore celle où de rigoureuses restrictions limitaient leur capacité d’y servir. En 1989, la plupart des obstacles juridiques ont été abolis, de sorte que le taux de participation des femmes dans les forces armées est passé de 1,5 p. 100 des effectifs en 1971 à 11,4 p. 100 en 2001. De subtiles barrières subsistaient encore qui y restreignaient leurs options professionnelles, mais les recherches et l’évolution de la société amenuisaient ces obstacles également. Les FAC étaient en train de devenir un grand employeur de femmes dans toute la gamme des groupes professionnels.
Les obstacles à l’heure actuelle
Malgré tous les progrès, les FAC ne sont toujours pas l’employeur sûr et souhaitable de femmes qu’elles souhaitent être. Il y existe d’autres questions et barrières que j’aborderai ici brièvement, mais la principale préoccupation qui persiste concerne la crainte de la violence sexuelle qui ébranle les FAC depuis 2014. Il ne s’agit pas là d’une question propre au Canada, car « partout dans le monde, les femmes âgées de 15 à 44 ans sont plus susceptibles de mourir ou d’être mutilées aux mains d’hommes violents que des suites confondues du cancer, du paludisme ou d’un accident de la route50 » [TCO]. Cependant, au Canada, cette violence est un obstacle qui endommage insidieusement la culture des FAC et qui perdure à ce jour, malgré les nombreuses mesures adoptées pour rectifier la situation.

Photo du MDN AT2011-0021-12a, prise par le caporal-chef Rory Wilson
Femme officier qui a fait preuve d’excellence à titre d’officier général… Le lieutenant-général Christine Whitecross (photographiée ici au grade de major-général) en 2011 après avoir été décorée pour son service méritoire au sein de la FIAS en Afghanistan.
Au-delà des actes de violence troublants, le harcèlement continue de poser problème au Canada, même après l’adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1985 ainsi que la mise en œuvre, en 2001, d’une politique qui visait à améliorer les comportements et sa mise à jour en 2012, vu « l’importance de faire preuve de dignité humaine dans les relations professionnelles51 ». De toute évidence, la politique n’a pas suffi, de sorte que l’inconduite sexuelle et le harcèlement dans les FAC ont fait les manchettes en 201452. Un rapport ultérieur commandé par les FAC a établi qu’environ quatre « membres de la Force régulière [sur cinq] ont été témoins de comportements sexualisés, ou en ont entendu parler, ou ont été personnellement ciblés par des comportements de ce genre dans le milieu de travail militaire », et que 27,3 p. 100 des femmes – une proportion ahurissante – « ont été, au moins une fois depuis leur enrôlement dans les FAC, victimes d’une agression sexuelle53 ». L’opération Honour a été lancée par le chef d’état-major de la défense en 2015 pour lutter contre ces problèmes, mais même après quatre ans d’efforts intensifs, des cas de comportement problématique continuent de se manifester54.

Photo du MDN KW11-2019-0070-17, prise par le caporal Ryan Moulton
Encore une autre… le major-général Jennie Carignan prend officiellement le commandement de la mission de l’OTAN en Iraq (MOI) en relève du major général Dany Fortin lors d’une cérémonie de transfert d’autorité qui a eu lieu à Bagdad, en Iraq, le 26 novembre 2019.
Le nombre de cas de harcèlement en milieu de travail qui n’ont pas été signalés est un élément moins choquant, mais non moins troublant. Voici un exemple fourni par le Sénat du Canada : il s’agit « d’une situation où des femmes militaires entrent dans des salles de réunion et trouvent sur les tableaux des remarques très offensantes, des mots inacceptables qui, de toute évidence, visaient les femmes55 ». Cela met en lumière la perpétuation d’une culture dominée par les hommes qui, dans les forces armées, continuera de faire obstacle au recrutement de femmes tant qu’elle perdurera. Cependant, il existe d’autres problèmes que dissimulent les manchettes et qui se rapportent aux comportements impropres et illicites.
Le Bureau du Conseil privé a cerné cinq raisons clés pour lesquelles les femmes hésitent à s’enrôler : « les déménagements fréquents, les congés sans solde, l’aide à la garde d’enfants, la capacité de demander la libération et les attitudes envers les femmes56 » [TCO]. L’attitude envers les femmes dans les forces armées continue de toute évidence de faire problème, et j’en ai déjà parlé, mais une raison en particulier mérite un examen un peu plus rigoureux. On peut faire valoir que les quatre autres raisons mentionnées touchent aussi bien les hommes que les femmes, mais elles ne sont pas perçues de la même façon par les deux genres. En particulier, l’aide à la garde d’enfants est une question que les femmes envisagent fort probablement sous un angle différent par rapport à celui des hommes. Ceux-ci sont loin d’être aussi susceptibles que les femmes d’avoir à élever des enfants par eux-mêmes, et notre société continue à compter sur les femmes pour ce faire. Les forces armées sont typiquement indifférentes aux besoins des parents célibataires et elles leur demandent de partir en déploiement, quelle que soit leur situation; à cet égard, au moins une femme membre de la Marine royale canadienne a affirmé que « la Marine la forçait à choisir entre son enfant et une carrière militaire57 » [TCO]. Tant que les forces armées ne s’obligeront pas à faire preuve d’une souplesse accrue pour gérer les problèmes de ce genre, les enjeux tels que la garde d’enfants continueront sans doute de faire obstacle à un enrôlement plus considérable chez les femmes. Afin de résoudre ces problèmes, les dirigeants masculins devront manifester une plus grande sensibilité et une meilleure compréhension des préférences des femmes en matière d’emploi.

Photo du MDN HS2011-E024-005, prise par le caporal Chris Ringius
Le lieutenant de vaisseau Teri Mullins, officier des opérations maritimes de surface et sous-marines à bord (MAR SS) du NCSM Charlottetown, utilise un sextant pour déterminer l’emplacement actuel du navire sur une carte. Bien que les officiers des MAR SS utilisent rarement des sextants, ils doivent toujours y avoir recours en cas d’urgence, si leur système satellite de positionnement global (GPS) ne fonctionne pas.
Une statistique semble correspondre à un obstacle, mais ce n’est peut-être pas le cas : le pourcentage des femmes parvenant au niveau des généraux et des amiraux. Plus haut, j’ai mentionné que les femmes représentaient 15,7 p. 100 des effectifs des FAC, mais que seulement 7,7 p. 100 d’entre elles atteignaient les grades les plus élevés. Cependant, il faut environ 30 ans pour former un général et un amiral; par conséquent, il est utile de rappeler ici que le nombre de femmes dans les forces armées a commencé à augmenter après 1989 et qu’il s’est établi à environ 12 p. 100 dans les années 199058. À supposer que les effectifs féminins dans les forces armées étaient inférieurs à 10 p. 100 aux environs de 1990, date où les femmes qui parviennent aujourd’hui aux grades les plus élevés se sont enrôlées, l’écart entre le nombre de femmes et d’hommes atteignant ces grades est aujourd’hui considérablement moins grand qu’il ne le paraissait au début. L’écart entre la proportion de femmes dans les forces armées en 1990 et celle que l’on y observe aujourd’hui dans les grades les plus élevés se situe à deux ou trois pour cent, mais le nombre de promotions était proche du taux de représentation des femmes à mesure qu’elles gravissaient les échelons de la hiérarchie. Les données de l’appareil militaire américain sont semblables : en effet, aux États-Unis « le nombre de femmes accédant aux grades de général ou d’amiral est passé de 1,2 p. 100 en 1994 à 7,3 p. 100 de tous les titulaires de ces grades en 201159 » [TCO]. Cependant, le rapport entre le nombre d’hommes et de femmes dans ces grades doit changer, et vite, sinon le message sur la promotion au mérite ne résistera pas à l’examen public. Aspect important, vu le petit nombre de femmes prenant des décisions d’ordre institutionnel aujourd’hui, leurs voix sont tellement peu nombreuses qu’il sera très difficile d’opérer des changements internes durables tant que leur présence dans les FAC ne deviendra pas beaucoup plus forte.
Nous savons que ce changement sera difficile à provoquer, car, il y a une dizaine d’années, la sociologue canadienne Lynn Gouliquer, Ph.D., a rédigé une thèse sur les femmes dans les FAC. Dans sa conclusion, elle disait notamment ce qui suit, relativement à l’incapacité des femmes d’opérer des changements à l’interne :
Par le biais [...] des lois et de leur idéologie connexe, les forces armées rendent quasi inexistante la probabilité que des critiques soient formulées à l’interne et elles annulent presque la possibilité de susciter des changements. Par conséquent, le contexte militaire rend très difficile aux femmes militaires la tâche consistant à cerner le caractère commun et les aspects négatifs de leurs expériences60.
Malheureusement, il y a eu bien peu de changements au cours des dix dernières années, et la majorité des décisions concernant la représentation des femmes et les politiques sous-jacentes continuent quasi certainement d’être prises par des hommes. Des hommes vont devoir parler au nom des femmes si celles-ci continuent d’avoir du mal à influer sur l’apport de changements positifs, en raison des restrictions muselant quiconque critique l’organisation.

Photo de la US Air Force/Justin Connaher, 160724-F-LX370-019
Le major Chelsea Anne Braybrook, commandant de la compagnie Bravo du 1er Bataillon du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry de l’Armée canadienne, passe à côté de son véhicule blindé Coyote, près de Fort Greely, en Alaska, durant l’exercice interarmées multinational Arctic Anvil, le 24 juillet 2016.
La critique est justifiée. Le Sénat a bien précisé que les FAC doivent aller au-delà de « la prévention du harcèlement et de la gestion des plaintes afin de changer la culture et l’organisation plus en profondeur61 ». Des rapports récents montrent qu’elles sont conscientes de la nécessité d’accroître leurs efforts si elles veulent atteindre l’objectif de l’organisation, soit une proportion de 25 p. 100 de femmes dans leurs rangs 62. Le recrutement doit porter surtout sur des groupes professionnels particuliers, et les dirigeants masculins occupant les postes les plus élevés devront faire preuve d’une compréhension accrue pour que cet objectif soit atteint. À l’heure actuelle, il existe encore dans les FAC des obstacles à l’emploi des femmes : ces derniers ne sont désormais plus conformes à la loi. Ils sont subtils et perpétuent une culture dominée par les hommes, en dépit des directives venant d’en haut et prescrivant le changement.

Photo du MDN KA2003-D067D, prise par le caporal Doug Farmer
Durant l’opération Athena, le bombardier Marie Robert, membre de l’équipe respondable de l’aéronef télépiloté (UAV) à Petawawa, en Ontario, guide un UAV Sperwer sur la rampe de catapultage avant son lancement.
Résumé
Revenons à mon histoire des années 1980 : mon père m’a dit que la réglementation et les pratiques favorisent les hommes plutôt que les femmes depuis une époque immémoriale. La seule façon dont nous, en tant que société, pouvons parvenir vraiment à l’équité consiste à laisser le pendule du favoritisme se déplacer en faveur des femmes, de manière que, tôt ou tard, il puisse s’arrêter au milieu; en outre, les jeunes hommes doivent laisser ce processus suivre son cours. Sa sagesse d’il y a trente ans, en avance sur son temps à n’en pas douter, se reflète dans les convictions contemporaines. Des sondages récents ont révélé que les deux tiers de la population mondiale « croient que les femmes ne parviendront pas à l’égalité, chacune dans son pays, à moins que les hommes ne prennent des mesures eux aussi pour soutenir les droits des femmes63 » [TCO]. Dans les FAC, où le personnel est composé d’au moins 84 p. 100 d’hommes, la réalité est que les hommes vont devoir transformer la culture militaire et accueillir favorablement les femmes. Nous devons tous aider le pendule du favoritisme à aller vers l’enrôlement des femmes dans les forces armées pour mieux refléter la composition du pays et la société que celles-ci servent.
Rappelons-nous que l’objectif fixant la représentation des femmes à 25 p. 100 repose sur la recherche; ce n’est pas une proportion choisie au hasard. Bon nombre des problèmes culturels existant dans les forces armées aujourd’hui sont dus au fait que l’emploi des femmes s’inscrit encore dans la catégorie « symbolique » : autrement dit, elles ne sont pas totalement acceptées. Comme la proportion actuelle de 15,7 p. 100 n’a pas entraîné de changement culturel visible, il faut absolument atteindre l’objectif de 25 p. 100 pour créer un environnement où les femmes seront suffisamment représentées pour exercer une influence digne de mention aux niveaux de commandement supérieurs. Pour que les FAC arrivent à réparer les dommages causés à leur image récemment, les hommes doivent modifier la culture de manière à éliminer le harcèlement dans le milieu de travail et à encourager l’adoption de régimes de travail souples pour tout le personnel des forces armées. Les hommes qui dirigent et façonnent les FAC doivent faire de cet objectif une priorité, car celles-ci ont déjà du mal à maintenir la taille de leur effectif exigé par le gouvernement.
D’aucuns ont fait valoir que les obstacles juridiques avaient été supprimés en partie à la fin des années 1950, puis éliminés totalement en 2001. Cependant, il a aussi été montré que des obstacles physiques artificiellement élevés qui gênaient l’entrée dans certains groupes professionnels avaient été tolérés bien que les femmes aient prouvé leurs capacités en période de conflit tout au long de l’histoire récente. Face à un manque d’acceptation implicite et à une discrimination sexuelle manifeste, les changements apportés à la loi n’ont pas suffi pour modifier sensiblement la culture des FAC. L’opération Honour portera sans doute fruit en temps et lieu, mais il reste encore beaucoup à faire pour encourager l’enrôlement des femmes dans les FAC et donner ainsi à celles-ci une image reflétant celle du Canada. Afin de réaliser cet objectif, il faut accroître sensiblement le nombre de femmes dans les fonctions de général et d’amiral. Le taux de représentation des femmes dans les FAC doit augmenter considérablement. Il importe d’accroître la souplesse des régimes de travail pour que les femmes – et les hommes – puissent en arriver à un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Les obstacles sont peut-être difficiles à voir, mais ils sont bel et bien là et ils entachent l’image que le public se fait des FAC et nuisent au rendement de leurs effectifs. La suppression des obstacles qui entravent encore l’enrôlement des femmes dans les Forces armées canadiennes permettra de réaliser l’équité dans le milieu de travail; leur élimination est dans l’intérêt de toutes les parties concernées.

Photo du MDN IS06-2019-0020-002, prise par le caporal-chef P.J. Létourneau
Le maître de 2e classe Stewart porte le bâton à exploits lors du dévoilement d’un monument dédié aux Canadiens qui ont combattu et perdu la vie durant la Deuxième Guerre mondiale, lors des cérémonies commémoratives dans le cadre du 75e anniversaire du jour J et de la bataille de Normandie, à Chambois, en France, le 4 juin 2019.
Notes
- N. R. Abramson et R. T. Moran, Managing Cultural Differences: Global Leadership for the 21st Century, 10th Edition, Routledge, New York, 2018, p. 149.
- Ibid., p. 154.
- David Pugliese, « Military: Shorter Skirts, Disaster Relief and Highlighting Medals as 'Bling' Might Bring More Women In », Ottawa Citizen. Article extrait le 10 février 2020 du site https://ottawacitizen.com/news/national/defence-watch/shorter-skirts-disaster-relief-and-highlighting-medals-as-bling-might-bring-more-women-into-the-military.
- Murray Brewster, « Canada Nearly Lost 2018 UN Mission Because it Didn’t Have Enough Women in Uniform », CBC News. Article extrait le 19 février 2020 du site https://www.cbc.ca/news/politics/canada-un-united-nations-sudan-women-soldiers-1.5467722.
- Ibid.
- Grazia Scoppio, « Lessons Learned on Diversity Across Military Organizations », dans Managing Diversity in the Military: The Value of Inclusion in a Culture of Uniformity, Rutledge, Milton Park, Canada, 2012, p. 113.
- Défense nationale et Forces armées canadiennes, « Les femmes dans les Forces armées canadiennes », gouvernement du Canada. Article extrait le 2 octobre 2019 du site http://www.forces.gc.ca/fr/nouvelles/article.page?doc=les-femmes-dans-les-forces-armees-canadiennes/izkjqzeu.
- H. D. Arcouette, « Recruiting Women in the CAF: The Challenges of a 25 Percent Representation », Collège des Forces canadiennes, 2018-2019. Article extrait le 26 janvier 2020 du site https://www.cfc.forces.gc.ca/259/290/308/192/arcouette.pdf, p. 1.
- Karen Davis et Brian Mckee, « Les femmes chez les militaires : confrontées au cadre », Défis et changements chez les militaires : enjeux touchant à l’égalité des genres et à la diversité, Bureau d’édition de la 17e Escadre Winnipeg pour l’Institut de leadership des Forces canadiennes, Winnipeg, Manitoba, 2004, p. 37.
- Ibid., p. 40.
- Ibid., p. 37.
- Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport 5 — Recrutement et maintien de l’effectif dans les Forces armées canadiennes — Défense nationale, 2016. Dernière consultation du site https://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_oag_201611_05_f_41834.html, le 8 février 2020, p. 5.110.
- Ibid., p. 5.33.
- Ibid.
- Christie Blatchford, « The Canadian Forces Jobs Where Only Women Need Apply », dans The National Post. Dernière consultation du site https://nationalpost.com/news/canada/the-canadian-forces-jobs-where-only-women-need-apply, le 19 avril 2020.
- Ibid.
- Ministère de la Défense nationale, « Le programme Les femmes font la force, une nouvelle initiative des Forces armées canadiennes pour les femmes », 31 mai 2017. Dernière consultation du site https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/nouvelles/2017/05/
le_programme_lesfemmesfontlaforceunenouvelleinitiativedesforcesa.html, le 26 janvier 2020. - Acrouette, « Recruiting Women … », p. 4.
- Bureau du vérificateur général du Canada, Rapport 5, p. 5.34.
- Ibid.
- Gouvernement du Canada, « Mandat de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes », texte modifié la dernière fois le 24 septembre 2018, https://www.canada.ca/fr/ministere-defense-nationale/organisation/mandat.html.
- Abramson et Moran, Managing Cultural Differences …, p. 165.
- Journée internationale des femmes, « Resources, International Women’s Day Study », 2019. Dernière consultation du site, le 3 février 2020 : https://s3-us-west-2.amazonaws.com/internationalwomensday/resources/IWD2019-ResearchStudy-global.pdf.
- Ibid.
- David Pugliese, « A 60 per cent increase in Canada’s generals - Vance says more to come », dans Ottawa Citizen, 5 mai 2018. Dernière consultation du site, le 7 février 2019 : https://ottawacitizen.com/news/national/defence-watch/a-60-per-cent-increase-in-canadas-generals-vance-says-more-to-come.
- CTV News, « Meet Brigadier-General Jennie Carignan, One of the Highest-ranking Women in the CAF », 3 janvier 2019. Dernière consultation du site, le 7 février 2020 : https://montreal.ctvnews.ca/meet-brigadier-general-jennie-carignan-one-of-the-highest-ranking-women-in-the-caf-1.4239064.
- Joseph Bongiovi, « Fighting for Equal Opportunity: Women’s’ Changing Roles in the U.S. Military », Understanding and Managing Diversity (6th Edition), Pearson Education Inc., New Jersey, 2015, p. 235.
- Défense nationale, « Les femmes dans les Forces armées canadiennes ».
- Ibid.
- Ibid.
- James Pierotti, Becoming a No-Fail Mission: The Origins of Search and Rescue in Canada, Lulu Publishing, 2018, p. 155.
- Ibid.
- Ibid., p. 156.
- Ibid.
- Défense nationale, « Les femmes dans les Forces armées canadiennes ».
- Ibid.
- Ibid.
- Forces armées canadiennes, « Les femmes dans les Forces armées canadiennes », gouvernement du Canada, 2 octobre 2019. Dernière consultation du site, le 7 février 2020 : https://forces.ca/fr/les-femmes-dans-les-fac/.
- Ibid.
- Bongiovi « Fighting for Equal Opportunity … », p. 229.
- Ibid.
- Mary Dever, « With Historic Number of Women in Uniform, the Vet Community Is About to Change », Military.com, 11 mars 2019. Dernière consultation du site, le 1er juin 2020 : https://www.military.com/daily-news/2019/03/11/historic-number-women-uniform-vet-community-about-change.html.
- Davis et Mckee, « Les femmes chez les militaires … », p. 9.
- Ibid., p. 32.
- Ibid., p. 9.
- Ibid., p. 53.
- Scoppio, « Lessons Learned … », p. 114.
- Valerie Fortney, « Fortney: A Decade After Capt. Nichola Goddard’s Death, Her Family Continues Her Legacy », dans Calgary Herald, 16 mai 2016. Dernière consultation du site, le 17 février 2020 : https://calgaryherald.com/news/local-news/fortney-a-decade-after-capt-nichola-goddards-death-her-family-continues-her-legacy.
- Ibid.
- Abramson et Moran, Managing Cultural Differences …, p. 150.
- Gouvernement du Canada, « Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement », 2012. Dernière consultation du site, le 26 janvier 2020 : https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=26041, p. 3.1.
- Sénat du Canada, Rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense - Le harcèlement et la violence sexuels dans les Forces armées canadiennes, mai 2019. Dernière consultation du site, le 7 février 2020 : https://sencanada.ca/content/sen/committee/421/SECD/Reports/
SECD_Report_harassment_May_19_f.pdf, p. 11. - Ibid.
- Ibid., p. 18-19.
- Ibid., p. 14.
- Acrouette, « Recruiting Women … », p. 4.
- Pugliese, « Military: Shorter Skirts … ».
- Gouliquer, Lynn, « Soldiering in the Canadian Forces: How and Why Gender Counts! », Université McGill, Montréal, 2011. Dernière consultation du site, le 17 février 2020 : https://www.collectionscanada.gc.ca/obj/thesescanada/vol2/QMM/TC-QMM-96779.pdf, p. 12.
- Bongiovi, « Fighting for Equal Opportunity … », p. 230.
- Gouliquer, « Soldiering in the Canadian … », p. 275.
- Sénat du Canada, « Rapport du Comité … », p. 24.
- Pugliese, « Military: Shorter Skirts … »
- Journée internationale des femmes, « Resources … »