CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de livre - Kiss the kids for dad, don’t forget to write

Couverture de livre - Kiss the kids for dad, don’t forget to write

Kiss the kids for dad, don’t forget to write. The Wartime Letters of George Timmins, 1916-18

par Y.A. Bennet. édit.
Vancouver, UBC Press, 2009, 224 pages,
85 $, couverture rigide, ISBN : 9780774816083;
32,95 $, livre de poche, ISBN : 9780774816090

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Critique de Craig Mantle

Bien souvent, les recueils «édités » de lettres rédigées lors de la Première Guerre mondiale reproduisent simplement des documents originaux tels qu’ils ont été écrits. Certains éditeurs n’offrent guère plus que quelques corrections grammaticales et peut‑être une brève notice biographique du soldat auteur, se contentant de laisser parler les lettres et laissant au lecteur le soin de se faire une opinion sur leur contenu et de tirer ses propres conclusions quant à l’importance de ces documents comme artefacts littéraires et historiques. Cette approche a certainement ses mérites, car le fait de rendre des récits contemporains plus accessibles est sans doute ce qui importe le plus, quelle que soit l’ampleur des détails que l’éditeur a ajoutés à l’ouvrage. Pourtant, la lecture de ce type de recueil peut être une expérience décevante, faute de renseignements contextuels ou d’autres détails sur les différents sujets commentés par l’auteur. Kiss the kids for dad, don’t forget to write n’entre certainement pas dans cette catégorie.

George Timmins, le soldat dont les lettres sont reproduites dans ce recueil, s’enrôle dans le 116th Battalion (à Uxbridge, en Ontario) en mars 1916. Au mois d’octobre suivant, il est muté au 18th Battalion (de London, en Ontario), au sein duquel il servira jusqu’à la fin de la guerre. Promu au grade de caporal suppléant peu après Vimy, il combat en outre à Passchendaele, puis est blessé à Amiens. Profondément personnelles et touchantes, les lettres de Timmins révèlent que, comme tant d’autres, il combattait dans deux guerres distinctes : l’une pour contribuer à la victoire sur le front occidental et l’autre pour conserver une place pertinente dans la famille qu’il avait laissée au Canada. Dans sa correspondance avec sa femme, May, et parfois avec sa fille ainée, Winnifred Mary, ou simplement Winnie, on découvre un homme déchiré entre ses devoirs de soldat et ses responsabilités de mari et de père. Le stress et l’anxiété générés par ce double engagement auprès de l’armée et de sa famille ressortent encore plus clairement à mesure que s’écoulent les mois et qu’augmente le nombre de lettres envoyées à la maison.

Même si elles ont été écrites durant la guerre, les lettres de Timmins sont de nature plus sociale que militaire, tant par leur caractère que par leur ton. Craignant parfois d’ennuyer sa femme en lui parlant de questions purement militaires qui n’ont pas d’intérêt pour elle, Timmins s’attache plutôt à des préoccupations d’ordre domestique, comme sa fille, qui devient graduellement une femme, la quantité de travail que sa femme accomplit et son incidence sur sa santé, le budget familial précaire et le besoin pressant, pour ses enfants, de s’acquitter d’un plus grand nombre de corvées. Ses lettres ne sont aucunement dépourvues de tout élément militaire – un historien militaire pourrait y trouver son compte – mais elles tendent à mettre un peu plus d’emphase sur le non‑militaire. Par prudence, il mentionne l’importance du courrier et l’influence des responsables de la censure, à qui rien n’échappe, sa lassitude croissante de la guerre, le service obligatoire et son engagement à combattre jusqu’à la victoire, malgré ses critiques à l’égard de l’armée, de son administration et de certains de ses chefs. La prévalence des questions domestiques par rapport aux questions militaires n’a toutefois rien d’exceptionnel. Dans l’historiographique plus vaste de la Première Guerre mondiale du point de vue canadien, d’autres lettres publiées dans des recueils ont un ton comparable. C’est le cas de l’ouvrage de John Macfie, où on retrouve la correspondance de trois frères qui ont tous servi dans le Corps expéditionnaire canadien et tenté de gérer leurs intérêts personnels à distance et par procuration.1

Les lettres de Georges Timmins sont importantes parce qu’elles nous plongent dans le quotidien et les relations, à la maison et à l’étranger, d’un fantassin canadien marié.2 Empreints de compassion et de la douleur de la séparation, ses mots pour sa femme et ses enfants (et parfois ses délicats conseils à l’intention des deux), ouvrent une fenêtre sur la dynamique interne et les mécanismes d’adaptation d’une famille canadienne dont la vie est perturbée par la guerre. Les enfants de Timmins ont été forcés de vieillir plus rapidement pour assurer le bon fonctionnement de la maisonnée, et les responsabilités décisionnelles et de la famille en soi, dont les questions financières, sont en grande partie, voire entièrement, retombées sur les épaules de sa femme. Ses lettres offrent un regard sur l’impact de la Première Guerre mondiale sur les sociétés canadienne et britannique, particulièrement les familles, ce qui fait de Kiss the kids for dad une ressource utile pour l’étude du front intérieur durant la période de 1914 à 1918.

L’éditrice, Yvonne Aleksandra Bennett, professeure agrégée à l’université Carleton, à Ottawa, a en outre publié antérieurement un ouvrage sur la pacifiste britannique Vera Brittain3. Elle a produit ici un document des plus pertinents et exhaustifs. George Timmins était un rédacteur prolifique, et il semble que seulement une partie de sa correspondance de guerre ait survécu. Ce qui reste n’est toutefois pas négligeable : quelque 67 lettres, dont 4 ont été écrites à des membres de sa famille dans les années 60 et 70, et 4 fragments de lettres sont présentés dans l’ouvrage de Bennett. Le livre débute par un récit qui présente habilement les chapitres suivants. L’auteure fournit non seulement des informations biographiques importantes sur la famille Timmins, mais elle démontre aussi comment la perception qu’avait George Timmins de la guerre et ce qu’il jugeait pertinent de noter étaient influencés par les différentes communautés d’intérêts auxquelles il était relié, à savoir sa famille, sa ville (Oshawa en Ontario) les hommes dans les tranchées et les civils derrières les lignes.

Peut-être plus important encore, Bennett a suivi toutes les pistes trouvées dans chaque lettre, offrant d’autres renseignements sur des personnes et des questions que Timmins avait jugé bon de mentionner. Le résultat de cette enquête : une section détaillée de notes dont la longueur rivalise avec celle du texte des lettres. Bennett a pris soin de citer bon nombre des principaux ouvrages universitaires dans le domaine, ainsi que les documents d’archives qu’elle a consultés dans des dépôts canadiens et britanniques et qui apportent autorité et crédibilité à ses notes lorsqu’on les considère dans leur ensemble. Une bibliographie exhaustive combinée à un index complet font de Kiss the kids for dad un ouvrage largement supérieur à d’autres du même genre. Il est clair que l’auteure a consacré une énergie et un effort considérables à la préparation des lettres en vue de leur publication.

Il ne fait aucun doute que Kiss the kids for dad est un excellent ouvrage qui donne un aperçu des multiples défis que doivent affronter un soldat canadien au front et une famille canadienne demeurée à la maison, en Ontario. Georges Timmins a été séparé des siens pendant plus de deux ans; ses fréquentes lettres à sa famille révèlent la difficulté d’entretenir une relation adulte à distance. Mari et femme, père et enfants, tous s’efforcent de soutenir le moral des autres. Il est clair que le courrier reçu au front avait pour effet de remonter le moral, peut-être davantage que la très attendue ration quotidienne de rhum. Il est donc malheureux que les lettres que Timmins a reçues de sa famille n’aient pas survécu, car elles auraient été le seul moyen de savoir s’il a réussi dans ses efforts pour aider sa famille à s’adapter à son absence, heureusement temporaire. 

Craig Leslie Mantle est officier chargé des recherches à l’Institut de leadership des Forces canadiennes; il est aspirant au doctorat à l’université de Calgary.
  1. Macfie, John, édit. Letters Home, Meaford, Oliver Graphics, 1990.

  2. Bennett, Kiss the kids for dad, p. 2.

  3. Bishop, Alan et Bennett, Y. Aleksandra, édit. Wartime Chronicle: Vera Brittain’s Diary, 1939-1945, Londres, Victor Gollancz, 1989; Bennett, Y. Aleksandra. Introduction dans l’ouvrage de Vera Brittain, One Voice: Pacifist Writings from the Second World War, Londres, Continuum, 2005, pp. xiii-xxvii.