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Un appareil CC177 Globemaster III des Forces canadiennes est ravitaillé au clair de lune à l’aéroport de Bamako, au Mali, le 25 janvier 2013.

Photo MDN IS2013-1007-04 prise par le sergent Matthew McGregor.

Un appareil CC177 Globemaster III des Forces canadiennes est ravitaillé au clair de lune à l’aéroport de Bamako, au Mali, le 25 janvier 2013.

Que doivent faire les Forces?

par Martin Shadwick

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Les aléas singuliers du Canada en matière d’acquisition de matériel de défense font l’objet de préoccupations politiques, bureaucratiques, militaires, médiatiques, académiques et publiques. Le processus dans son ensemble, aussi bien que les acquisitions considérées à la pièce, inspirent en effet de l’inquiétude. Mentionnons entre autres, et à titre d’exemple le plus frappant, l’acquisition d’un nouveau chasseur. Une des conséquences les plus désastreuses de ce constat est sans doute une décentralisation de l’effet collectif qui entoure le débat portant sur les priorités de la politique de défense du Canada de l’ère postafghane ainsi que sur leur définition. À quelles missions les Forces canadiennes seront-elles affectées au cours des prochaines années? Quelles priorités de défense rallieront l’appui politique et public le plus large? Quelles sont les perspectives de la profession des armes au Canada? Quelles sommes les Canadiens sont-ils prêts à investir pour leur sécurité? Compte tenu de la situation économique particulièrement difficile et d’un environnement géostratégique imprévisible qui a vu l’activité-phare militaire canadienne de la dernière décennie, à savoir la mission en Afghanistan, faire l’objet d’appuis mitigés au cours des quelques dernières années, où la politique de défense du Canada s’en va-t-elle?

On n’insinue pas ici que les forces armées canadiennes contemporaines sont confrontées à une crise de confiance ou à une crise de pertinence identique à celles qui ont prévalu pendant période de détente Est-Ouest, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, ou, dans une moindre mesure, au début de la période post-guerre froide. L’approche canadienne relativement détendue en matière de sécurité et de défense qui a caractérisé l’ère de la détente, par exemple, n’est ni prudente ni politiquement défendable depuis le 11 septembre. Ceci étant dit, il existe des similitudes entre l’environnement d’élaboration des politiques de 2013 et celui de l’ère de la détente. Pendant la détente, le gouvernement Trudeau était pour ainsi dire moins qu’enthousiaste au sujet des engagements du Canada envers l’OTAN et des missions de maintien de la paix des Nations Unies. En 2013, force est de constater que les liens du Canada s’amenuisent avec l’OTAN, s’érodent encore plus avec le retrait des systèmes aéroportés d’alerte et de contrôle (AWACS) et des capacités aéroportées de surveillance terrestre (AGS) et sont sérieusement mis à l’épreuve en raison des différences au sujet du rôle potentiel de l’OTAN dans l’Arctique. La participation du Canada aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies a atteint un très bas niveau. À l’époque, comme les deux piliers traditionnels de la politique étrangère et de la politique de défense canadiennes étaient minés ou impopulaires sous son gouvernement (appuyé par certains militaires sédentaires d’Ottawa), Trudeau a tenté de rééquilibrer les priorités de la défense du Canada et de mousser la pertinence perçue de ses forces armées en élargissant leur éventail d’engagements quasi militaires (c.-à-d. surveillance et contrôle, sécurité interne) et non militaires (c.-à-d. secours aux sinistrés, recherche et sauvetage). La capitale canadienne sera-t-elle tentée de jouer la même carte aujourd’hui?

Le gouvernement Trudeau a été élu pendant une ère de détente. Il s’est donc appuyé sur un environnement géostratégique plus bénin pour permettre des coupures massives dans les dépenses, les effectifs et les équipements militaires canadiens, particulièrement en matière d’engagements envers l’OTAN. Dans son livre blanc de 1971, Trudeau a également mis moins l’accent sur les missions de maintien de la paix des Nations Unies. Quant au NORAD, il gardait le cap. Il semble que le seul gagnant de cette nouvelle politique de défense était « […] la surveillance de notre territoire et de nos côtes, c’est-à-dire la protection de notre souveraineté, » une priorité qui comprenait l’aide au pouvoir civil (particulièrement d’actualité en raison de la crise d’octobre 1970), et un ensemble croissant de responsabilités quasi militaires et non militaires. Dans ce livre blanc de 1971, on peut lire que « même s’il existe d’abord et avant tout pour préserver la souveraineté et la sécurité, le ministère de la Défense nationale ne constitue pas moins une réserve de ressources et de possibilités sur lesquelles on a déjà compté par le passé et qui contribuent encore de plus en plus au développement économique et social du Canada. » Le texte mentionne ensuite qu’à l’étranger, les militaires « peuvent aussi apporter un appui supplémentaire aux objectifs de notre politique étrangère par une participation accrue aux programmes d’aide économique. La Défense nationale est en mesure d’apporter son aide dans des domaines tels que le génie et la construction, les systèmes de logistique, la formation professionnelle et technique, les services consultatifs, les analyses de projets et le transport aérien. »

Un CS2F Tracker des Forces canadiennes en vol au-dessus de la vallée de Comox, en Colombie-Britannique, le 21 août 1981.

Photo MDN CXC-81-2519.

Un CS2F Tracker des Forces canadiennes en vol au-dessus de la vallée de Comox, en Colombie-Britannique, le 21 août 1981.

Le livre blanc transpirait positivement de références à des tâches non militaires et quasi militaires. Il traitait notamment de la surveillance de l’Arctique, du développement du Nord, de la reconnaissance des glaces, de la surveillance des projets d’exploration et d’exploitation des ressources minières, de la protection des côtes et de la surveillance des pêches (ressuscitant ainsi la flotte maudite d’appareils Tracker). Il faisait également mention du secours aux sinistrés, au pays et à l’étranger, de la recherche et sauvetage (SAR), de la sécurité interne et, avec plus de détails, de « la protection de notre souveraineté » contre des menaces dites « en grande partie de caractère non militaire ». Ottawa a indiqué aussi, dans d’autres documents, que les nouveaux aéronefs de patrouille à long rayon d’action (APLRA), qui devaient remplacer l’appareil de lutte anti-sous-marine (LASM) Argus, pourraient ne comporter qu’un ensemble comparativement modeste de LASM, mais un large éventail d’équipements de télédétection ayant des applications civiles. Après avoir ainsi ouvert la porte aux missions non militaires et quasi militaires, Ottawa a rapidement reçu des demandes relatives à l’acquisition d’une flotte de bombardiers à eau CL-215 de Canadair, à être exploitée par le ministère de la Défense nationale (MDN), à la construction de routes provinciales (le génie militaire construisant déjà des ponts civils et des terrains d’aviation dans le Nord) et, de la part de communauté universitaire et scientifique, à la création de centres de logistique et de soutien exploités par les militaires pour la recherche scientifique civile dans l’Arctique. À ces demandes, le professeur T.C. Willett, de l’Université Queen’s, a ajouté une pléthore de projets potentiels, y compris dans les domaines « de la planification, de la reconnaissance et du développement initial de nouvelles villes et communautés projetées, particulièrement situées dans le Nord et dans d’autres régions non développées du pays » [TCO]. Il a ajouté à cette liste « la fourniture de services exclusivement aériens à des fins publiques non commerciales » [TCO] tels que ceux qui sont entre autres nécessaires pour le « maintien de l’ordre, les services ambulanciers [et] les sauvetages » [TCO]. Il terminait son énumération de besoins par « la mise sur pied et le déploiement d’équipes de développement social qui œuvreraient auprès des peuples autochtones partout au Canada » [TCO].

Le livre blanc ne prescrivait pas la mise sur pied d’une force militaire de quasi-gendarmerie. De fait, il énonçait une intention de « maintenir dans la mesure du possible un dispositif de combat polyvalent ». Mais sa forte orientation apparente pour l’attribution de rôles non militaires et quasi militaires a attisé les craintes que les forces armées du Canada fussent destinées à devenir une force de quasi-gendarmerie. À son tour, cette situation a lancé un débat sur la nature du professionnalisme militaire canadien. En 1973, Colin S. Gray exprimait l’opinion, dans Wellesley Paper, qu’un « traditionaliste militaire voit l’orientation nationale [du livre blanc] comme un engouement passager, dangereux pour la sécurité nationale, et/ou comme un possible signe avant-coureur de l’ultime effondrement de la profession militaire » [TCO]. Le moderniste partage l’hypothèse des traditionalistes que le Canada a besoin de forces armées. Il était cependant d’avis que les « forces armées doivent non seulement être manifestement plus pertinentes qu’elles l’ont été par le passé pour répondre aux besoins du Canada, mais, plus important encore, qu’elles doivent être perçues comme tel » [TCO]. Gray ajoutait que « ce même moderniste a cherché et trouvé un ensemble impressionnant de rôles nouveaux ou recentrés » [TCO], démontrant par le fait même « combien créative peut être la bureaucratie quand elle sent qu’elle est confrontée à l’obligation de présenter quelque chose qui est politiquement acceptable » [TCO]. Gray notait également et à juste titre que « les forces armées sembleraient peu à peu réaliser qu’il n’y pas vraiment beaucoup de tâches dont elles sont en mesure de s’acquitter à l’appui des autorités civiles sans empiéter dans les domaines de compétence des organisations civiles » [TCO] (ou, pourrait-on ajouter pour être mieux compris de nos jours, le secteur privé). Le MDN a également réalisé que la promotion à outrance de rôles quasi militaires ou non militaires pourrait donner l’impression d’une capacité militaire crédible n’était plus aussi nécessaire. Mais tout n’était pas perdu.

En 1975, la Révision de la structure de la Défense (RSD) du gouvernement Trudeau a rétabli l’OTAN au premier plan de la politique de défense du Canada et permis aux Forces canadiennes d’échapper à la tourmente financière et au risque de sa « transformation en force de quasi-gendarmerie ». Le produit d’un environnement stratégique plus bénin et des supplications de la part des alliés a fait en sorte que la RSD a annoncé une augmentation substantielle des dépenses de la Défense et une reconstruction majeure des capacités militaires canadiennes. Une partie des fonds ainsi octroyés a discrètement été affectée au domaine quasi militaire et non militaire (p. ex. par l’achat d’hélicoptères SAR additionnels). Cependant, l’orientation donnée par la RSD a fait en sorte que l’APLRA, l’Aurora, a été mis en service comme le meilleur appareil de LASM et qu’il n’a jamais été équipé de l’ensemble des équipements de télédétection d’applications civiles. Pour les mêmes raisons, l’intérêt du MDN pour l’Arctique a rapidement diminué.

Le très honorable Pierre Elliott Trudeau, premier ministre du Canada.

Bibliothèque et Archives Canada PA-212560.

Le très honorable Pierre Elliott Trudeau, premier ministre du Canada.

En dehors des banalités d’usage sur la nécessité de coopération interministérielle et la pertinence de forces armées pour accomplir des tâches telles que le secours aux sinistrés, les livres blancs ou énoncés majeurs de politique de 1987, de 1994, de 2005 et de 2008 ont par ailleurs, pour la majorité, accordé peu d’attention aux tâches non militaires et quasi militaires. Il s’en est cependant suivi d’intéressants méandres. Le livre blanc de 1987 du gouvernement Mulroney, par exemple, a différé de celui de 1971 par une approche militaire holistique, quasi militaire et non militaire de l’affirmation de la souveraineté. Le plan de remettre l’appareil Tracker à niveau et de l’équiper d’un nouveau moteur témoignait de l’adoption de cette approche. Cependant, le projet a été annulé dans le budget d’avril 1989 et le mandat de patrouille côtière de la Force aérienne a été sommairement transféré au secteur privé. Certains ont soutenu que la décision a été prise en raison des pressions financières et du rôle « non militaire » du Tracker. D’autres ont plutôt blâmé la diversification des modes de prestation des services à l’appui d’une idéologie politique, le lobby de l’industrie et l’exigence de faire sauter une justification clé du maintien des activités de la BFC Summerside, mais le résultat net a été la perte de presque tout le mandat de patrouille des pêches de la Force aérienne. Mais aussi peu que 15 mois plus tard, le gouvernement a de nouveau changé de cap en annonçant que la Force aérienne récupérait le mandat de patrouille côtière, initialement au moyen de trois appareils Challengerrecyclés. Cette volte-face, qui accordait au secteur privé le rôle de fournisseur majeur, était cohérente avec l’énoncé de défense gouvernemental amoindri de 1992, un document riche de références à des tâches non militaires et quasi militaires. Est-ce que ce document est le reflet d’une croyance sincère en l’importance de nouveaux paradigmes de sécurité post-guerre froide ou reflète-t-il plutôt une stratégie de survie militaire et bureaucratique au moment où l’avenir post-guerre froide des Forces canadiennes était particulièrement incertain?

Le livre blanc de Chrétien, en 1994, défendait farouchement comme suit le besoin d’une force de défense « polyvalente et apte au combat » et rejetait le modèle de quasi-gendarmerie fondé sur les rôles non militaires et quasi militaires : « Au cours des quatre-vingts dernières années, plus de 100 000 Canadiens sont tombés aux côtés de leurs alliés au cours de combats pour la défense de valeurs communes. Abandonner aujourd’hui à d’autres ce rôle de combattant, reviendrait à renoncer à défendre les grands principes qui doivent régir le comportement des États. En somme, opter pour des forces de quasi-gendarmerie (ni équipées, ni formées pour être vraiment utiles au combat) donnerait une très claire indication de la chaleur de notre engagement vis-à-vis de nos alliés et de nos valeurs; en trahissant notre réputation nous compromettrions notre avenir. » Une telle déclaration sans équivoque (même sous-financée?) était absente de l’énoncé de politique internationale de Martin, en 2005, mais l’attention qu’il accordait à la défense de la patrie dans le contexte d’après le 11 septembre, semblait offrir un certain potentiel de synergie, même s’il était mal défini, entre les tâches assorties de nature militaire, quasi militaire et non militaire. Sur la scène internationale, la même observation peut être retenue au sujet de la doctrine de la guerre à trois volets. La réflexion sur les tâches non militaires et quasi militaires de la Stratégie de défense : le Canada d’abord de 2008 du gouvernement Harper était également ténue, mais plusieurs de ces tâches, y compris le secours aux sinistrés, étaient comprises dans la liste de six « missions essentielles » des Forces canadiennes.

Un appareil CP140 Aurora de l’Aviation royale canadienne basé à la 14e Escadre Greenwood, en Nouvelle-Écosse, atterrit à la Marine Corps Base Hawaii, à Kaneohe Bay, à Hawaii, le 23 juillet 2012.

Photo MDN IS2012-2003-144 prise par le caporal-chef Marc-André Gaudreault.

Un appareil CP140 Aurora de l’Aviation royale canadienne basé à la 14e Escadre Greenwood, en Nouvelle-Écosse, atterrit à la Marine Corps Base Hawaii, à Kaneohe Bay, à Hawaii, le
23 juillet 2012.

Cinq ans après la publication de sa Stratégie de défense : le Canada d’abord, le gouvernement Harper serait-il tenté de porter une attention accrue sur les tâches non militaires et quasi militaires? La réponse est potentiellement complexe. Dans les premières années du gouvernement Trudeau, les tâches non militaires et quasi militaires représentaient une option de survie pertinente à une époque où l’utilité perçue de l’OTAN avait été réduite par l’ère de détente et que la valeur du maintien de la paix avait diminué après l’expulsion de la Force d’urgence des Nations Unies par l’Égypte, en 1967. L’environnement actuel de prise de décision est différent. De fait, depuis la fin de la guerre froide, les Forces canadiennes ont été étonnamment occupées dans tout le spectre des opérations militaires, quasi militaires et non militaires, au pays comme à l’étranger. Les Canadiens peuvent ne pas toujours être d’accord avec les tâches et les missions assignées à leurs forces armées, mais personne ne peut prétendre que les militaires ont été oisifs depuis le démantèlement de l’Union soviétique. Ceci étant dit, l’appui de la population aux opérations de la dernière partie du conflit en Afghanistan a pour le moins été tiède. Dans ce contexte, les perspectives sont imprévisibles pour ce qui est des futures missions de maintien de la paix, d’imposition de la paix, de sécurité de la personne et de responsabilité de protection (au même titre que, dans certains cas, l’acceptabilité de la contribution par le Canada), et l’utilité de l’OTAN pour influencer la liste des engagements de défense du Canada reste également contestable. Il est aussi intéressant de noter que des sondages de l’opinion publique continuent de montrer de très hauts niveaux d’appui pour des tâches non militaires et quasi militaires telles que la surveillance des côtes et de l’Arctique, le secours aux sinistrés et la recherche et sauvetage.

Mais cette situation comporte tout de même son lot de problèmes. Le gouvernement Harper a fait preuve de beaucoup d’intérêt, à très juste titre, pour la souveraineté et la sécurité dans l’Arctique. Cependant, ses plans au sujet d’une présence militaire accrue dans le Nord ont vu leur portée diminuer de façon alarmante et font continuellement l’objet de reports. Les gouvernements précédents ont rendu difficile toute progression du rôle militaire dans des domaines clés tels que la protection des ressources halieutiques et la SAR. Le gouvernement Mulroney a privatisé une vaste partie du rôle de surveillance des pêches par la Force aérienne (les trois Challenger recyclés n’ont pas été longtemps en opération) et le gouvernement Chrétien a privatisé la maintenance des hélicoptères de recherche et sauvetage Cormorant. L’exclusion du recours à des entrepreneurs civils, même lorsqu’il y a des raisons convaincantes de le faire pour le plus grand intérêt national, ne convient pas aux âmes sensibles (et peut, à certains égards, entrer en conflit avec les idéologies politiques du gouvernement Harper). La situation de la recherche et sauvetage deviendra encore plus confuse si la maintenance des aéronefs à voilure fixe proposés pour ces missions est privatisée, et se transformera en une perte nette pour le MDN si toute l’activité est privatisée. Il y a également un risque pour les projets d’immobilisation auxquels il est possible d’adjoindre des fonctions secondaires ou tertiaires quasi militaires ou non militaires comme compléments de leur raison d’être strictement militaire. L’utilité du navire de soutien interarmées dans des rôles comme le secours aux sinistrés ou pour servir de quartier général dans le cadre des activités de contrôle de la pollution continue à décliner devant les contraintes budgétaires.

Un CH149 Cormorant en mission d’entraînement de recherche et sauvetage.

Photo MDN IS2006-7002-01a prise par le caporal-chef Kevin Paul.

Un CH149 Cormorant en mission d’entraînement de recherche et sauvetage.

Si le gouvernement Harper opte pour la revitalisation de rôles non militaires et quasi militaires des Forces canadiennes, il doit les sélectionner avec soin, tenir compte de leur valeur holistique et éviter de miner la raison d’être militaire fondamentale des Forces canadiennes. Le choix inconsidéré ou excessif de responsabilités non militaires ou quasi militaires mettrait en péril les capacités de combat fondamentales, le professionnalisme militaire et l’ethos militaire des Forces canadiennes, ferait la promotion d’une « civilarisation » indésirable du monde militaire, générerait des attentes irréalistes de la part du public et inviterait à des disputes en matière de juridiction et de rentabilité avec les autres ministères de même qu’avec le secteur privé. Une institution militaire qui agit strictement comme gendarme n’est pas le type d’institution dont le Canada a besoin en cette ère d’inquiétante incertitude géostratégique.

Donc, des tâches non militaires et quasi militaires choisies avec soin au moyen d’une connaissance holistique et soignée des plus grands intérêts nationaux peuvent accroître le professionnalisme militaire et contribuer directement, ou à tout le moins indirectement, à la préservation des capacités de combat fondamentales des Forces canadiennes. À ceux qui seraient tentés de réduire, de larguer, de transférer ou de privatiser les tâches non militaires ou quasi militaires des Forces canadiennes – ou qui ne réussiraient pas à réacquérir les éléments de certaines tâches passées –, on pourrait faire valoir que de telles mesures auraient les conséquences suivantes : (a) elles seraient incohérentes avec les nouvelles définitions et les nouveaux paradigmes de la sécurité, de la souveraineté et du service de l’État dans le contexte post-guerre froide et post-11 septembre; (b) elles éroderaient l’expertise, les capacités et les ressources polyvalentes et pertinentes au combat déjà réduites; (c) elles priveraient les FC de synergies efficientes et potentiellement attractives entre des responsabilités militaires, quasi militaires et non militaires; (d) elles élimineraient l’exécution de tâches exigeantes et motivantes qui accroissent, au lieu de réduire, le professionnalisme et l’ethos militaires; (e) elles infligeraient des dommages importants au moral et à l’image que se font d’eux-mêmes les militaires; (f) elles contribueraient, avec une cruelle ironie, à l’indésirable « civilarisation » des forces armées en favorisant des liens nouveaux et très serrés entre le personnel militaire et civil (c.-à-d. les entrepreneurs); (f) elles contribueraient à isoler les Forces canadiennes du public canadien.

Il est correct et légitime de se demander si une institution militaire peut survivre lorsqu’elle s’acquitte de trop de tâches non militaires et quasi militaires, mais il est également correct et légitime de se demander si une institution militaire peut survivre si elle les évite ou est forcée de les éviter par des gouvernements qui ne jurent que par la diversification des modes de prestation des services et qui sont influencés par des lobbyistes. Trop souvent au Canada nous nous sommes penchés sur la première éventualité et nous avons ignoré la seconde.

Martin Shadwick enseigne la politique de défense canadienne à l’Université York. Il a été rédacteur en chef de la Revue canadienne de la Défense.