ÉTHIQUE MILITAIRE

La planète Terre vue de l’espace.

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La durabilité, l’éthique et la guerre

par Peter Denton

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Peter H. Denton, Ph.D, est professeur agrégé adjoint d’histoire au Collège militaire royal du Canada, où il enseigne sur les thèmes de la technologie, de l’art de la guerre et de la société depuis 2003. Il est titulaire d’un doctorat en religion et en sciences sociales (McMaster) et il est ministre ordonné de l’Église Unie du Canada. Il a récemment signé une trilogie sur la durabilité [Gift Ecology: Reimagining a Sustainable World (2012); Technology and Sustainability (2014); et Live Close to Home (2016)], parus chez Rocky Mountain Books.

Introduction

Au moment où nous soulignons le centenaire de la Grande Guerre (1914-1918), il est difficile de ne pas penser que chaque génération fait face à son propre défi particulier, à son propre combat déterminant. Pour notre génération, ce défi consiste à jeter les bases d’un avenir durable au milieu d’un monde en proie aux changements climatiques. D’autres générations ont dû relever leur défi par la force des armes, mais nous devons en fait trouver d’autres moyens que la force pour régler le problème de la durabilité pour tous, et pas seulement pour nous-mêmes. L’avenir sera durable et viable pour tous, ou il ne le sera pour personne.

La durabilité est fondamentalement un enjeu social et culturel, et non un problème technique. La solution nécessite une évolution sociale et culturelle, et non scientifique et technologique. Parler de la durabilité dans un contexte militaire est paradoxal, car on peut facilement faire valoir que la propension humaine à faire la guerre et les énormes sommes d’argent affectées actuellement aux forces armées partout dans le monde rendent carrément impossible l’avènement d’un avenir durable. Cependant, la réponse ne consiste pas à transformer la dichotomie proverbiale entre « la force rouge et la force bleue » en une « force mauve » mondiale combinée pour favoriser la paix étant donné que les raisons historiques des conflits actuels ne sont pas si faciles à transcender. Ce dont le monde a besoin, plutôt, c’est d’une nouvelle « force verte » fondée sur l’admission dans tous les camps de l’impératif éthique de trouver un autre moyen pour régler l’urgent problème de la durabilité au niveau local, partout dans le monde.

Library of Congress Prints and Photographs Division /Harris & Ewing/LC-H25-45605-BC

Raymond Fosdick.

Comme l’a écrit le distingué érudit, avocat et fonctionnaire de longue date Raymond Blaine Fosdick, en 1928, quand le monde était sur le point de sombrer dans le marasme de la Grande Crise et de la Seconde Guerre mondiale, nous faisons face au problème du « vieux sauvage dans la nouvelle civilisation1 » [TCO]. Notre évolution morale n’a pas été aussi rapide que nos progrès scientifiques et technologiques, ce qui a procuré au « même vieux sauvage » des armes beaucoup plus destructrices que les pierres et les bâtons des époques anciennes et, par conséquent, la capacité de causer des dégâts beaucoup plus considérables. « Le sauvage » doit évoluer sur le plan moral s’il veut survivre. Essentiellement, pour résoudre le problème de la durabilité et de la guerre, il faut mettre l’accent sur l’éthique tant sociale qu’individuelle.

J’ai donc été enchanté de trouver deux articles récents parus dans la Revue militaire canadienne (RMC) sur le sujet de l’éthique, soit « Les aumôniers des Forces armées canadiennes (FAC) ont-ils un rôle à jouer sur le plan de l’éthique? », par les aumôniers Yvon Pichette et Jon Derrick Marshall, et la réponse fournie par Stephen Hare, « L’humanisme et la conscience militaire : réplique à Pichette et Marshall2 ». Non seulement ces articles ont amorcé une discussion nécessaire, mais ils ont également permis de rappeler comment le Programme d’éthique de la défense a trouvé son origine et son élan dans les résultats de l’enquête sur l’affaire somalienne, en soulignant la nécessité que les membres des FAC adoptent un comportement éthique tant au Canada qu’à l’étranger, de même que la responsabilité qui incombe au ministère de la Défense nationale (MDN) de fournir l’infrastructure voulue pour enseigner la prise de décisions fondées sur l’éthique.

J’aimerais ajouter une troisième dimension à la discussion sur l’éthique dans les FAC. Cette dimension se rapporte aux rôles que jouent les militaires dans leur vie professionnelle et leur vie personnelle et à celui qu’assume l’institution de la Défense dans toutes les opérations des FAC, dans le but de déterminer comment nous pouvons et devons opérer de meilleurs choix pour assurer un avenir durable. S’il faut (comme je le soutiens) un concept de la « force verte » dans les opérations militaires pour jeter les bases d’un tel avenir, il n’y a aucune raison pour laquelle le Canada ne peut pas montrer la voie à cet égard.

Depuis près de 30 ans, je dois composer avec les problèmes pratiques inhérents à l’enseignement du processus décisionnel éthique en matière de technologie et de durabilité3, et cela m’a amené à préférer une approche pragmatique pour assurer une « présence éthique sur le terrain » qui entraîne le genre de transformation personnelle et sociale que nécessite la création d’un avenir durable. Le terme « moralité » correspond à ce que les gens pensent être bon ou mauvais; le terme « éthique » se rapporte à ce que les gens font à cet égard. La moralité a ses racines dans la personne : ce que l’individu croit être bon ou mauvais, multiplié par le nombre de personnes qui partagent cette opinion, pour aboutir à la moralité associée à une culture ou à une société, ce qui est ensuite traduit dans les lois que la société adopte et dans les règles qu’elle suit. Quand la moralité personnelle diverge de la moralité sociale, les lois sont violées, ce qui mène à une forme quelconque de punition de l’individu lorsque le crime est défini.

S’il n’y a ni règles, ni lois, ni punition infligée à quiconque les enfreint, il n’existe en fait plus de limites éthiques quant à ce que les gens décident de faire dans la société. Si l’éthique est entièrement personnelle, quelles que soient vos raisons propres, celles-ci guident les gestes que vous posez. Personne n’a le droit de critiquer ce que vous faites, et il n’y a aucune bonne raison de vous punir parce que vous avez fait quelque chose de mal, car (en fait) il n’y a rien qui soit « mal ».

De toute évidence, en tant que Canadiens, nous ne vivons pas dans un monde comme celui-là, où l’éthique sociale n’existe pas. Nous avons élaboré nos règles, règlements et codes juridiques en réfléchissant bien aux meilleurs choix éthiques que les individus doivent faire si ces derniers veulent vivre ensemble dans une société pacifique, juste et équitable. Les recrues ne sont pas autorisées à définir le code d’éthique des FAC; on leur enseigne le comportement éthique qui est attendu d’un membre des FAC, et elles apprennent comment se comporter, parfois à leurs dépens, si elles veulent faire une carrière militaire.

Pour assurer un avenir durable, nous devons intégrer la durabilité environnementale dans la matrice éthique de nos modes de vie et des choix que nous faisons en tant qu’individus et en tant que société. Cette durabilité doit aussi faire partie de ce que l’on attend des membres des FAC sur le plan éthique. Les mêmes principes et règlements environnementaux doivent être appliqués aux affaires militaires, au Canada et à l’étranger, comme ils le sont aux personnes et aux institutions dans la société canadienne. Par conséquent, l’éthique environnementale importe dans les Forces armées canadiennes; l’uniforme n’en exempte aucun de leurs membres, et aucune exemption ne doit être accordée quant à la façon dont les FAC exécutent leurs opérations militaires.

Il semble peut-être tout à fait absurde de s’inquiéter des effets écologiques de la production de matériel militaire ou de se préoccuper des écosystèmes d’une région où nous larguons des bombes, mais ce sont là des exemples fondamentaux du lien existant entre la durabilité, l’éthique et la guerre. Nous devons trouver des façons d’atténuer ou de réduire au minimum notre incidence sur l’environnement dans tous nos rapports les uns avec les autres ainsi qu’avec la Terre. Dans le cas contraire, nous nous garantissons un avenir cauchemardesque. La destruction mutuelle assurée n’est pas seulement une option nucléaire; la guerre écologique aura une issue tout aussi certaine à plus long terme.

Je renforce mon argument en soulignant que, si nous voulons avoir une véritable chance de connaître un avenir durable, nous devons cesser d’agir comme si les activités militaires n’avaient aucun lien avec leurs effets sur l’environnement. Dans un monde caractérisé par les changements climatiques, si nous combattons impunément ou sans réfléchir, nous préparons un désastre écologique d’envergure planétaire qui aurait été évitable autrement. Les gouvernements, et leur organisation militaire, doivent tenir compte des facteurs écologiques quand ils préparent des opérations de combat ou y participent. Lorsqu’une sortie irréfléchie cause plus de dégâts environnementaux en un endroit qu’il ne serait possible d’en réparer en un siècle d’efforts de recyclage ailleurs, par exemple, les résultats nous rappellent que les guerres locales peuvent avoir des répercussions mondiales et que le proverbial « caporal stratégique » prend également des décisions éthiques au sujet des systèmes écologiques.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les opérations militaires du XXIe siècle doivent donc autant que possible viser à protéger l’environnement, à gérer les conflits et à favoriser le développement durable, en vue de faire des acteurs de tous les camps une « force verte » mondiale.

Paysage côtier dans une forêt humide.

robertharding/Alamy Stock Photo D9FPJ5

Par les propos formulés ci-après, j’espère montrer clairement que la concrétisation de cette notion n’est ni improbable ni impossible et qu’en fait, cette voie nous offre les meilleures chances de connaître un avenir durable dans les circonstances actuelles.

Afin de saisir les liens entre la durabilité, l’éthique et la guerre, nous devons tout d’abord comprendre les conséquences des changements climatiques, la nécessité du développement durable de la planète et la façon dont ces deux éléments se rapportent ensemble aux préoccupations en matière de sécurité et à la possibilité pour les Forces armées canadiennes et les autres forces militaires, y compris celles déployées par les Nations Unies, de montrer la voie à suivre pour parvenir à la durabilité.

Un monde en proie aux changements climatiques

En avançant péniblement dans une région éloignée du Kenya pendant la saison sèche, il y a trois ans, j’ai demandé à mes compagnons masaï pourquoi les huttes que nous rencontrions sur notre chemin n’avaient pas de toit ou que celui qu’elles avaient était mal couvert de chaume. Quelque peu incrédules après avoir entendu ma question qui leur a paru absurde, ils m’ont répondu qu’il n’avait pas suffisamment plu au cours des dernières années pour faire pousser les longues herbes nécessaires pour faire le chaume, puis ils m’ont demandé si j’avais déjà entendu parler des changements climatiques là où je vivais.

L’absurdité liée au fait que la nature et l’ampleur des changements climatiques fassent encore l’objet de débats dans certains cercles de pays industrialisés, tandis que les peuples autochtones du monde entier en ressentent clairement les effets, suscite des doutes quant à savoir si la voix de la science moderne est suffisamment forte pour que les décideurs l’entendent et suivent ses conseils. Plus ces décideurs vivent dans de grands centres urbains riches et essaient de s’isoler des effets des changements climatiques (ou de n’importe quel climat), plus les politiques environnementales qu’ils mettent en œuvre risquent de ne pas correspondre à la réalité.

Les dirigeants peuvent certes priver les scientifiques de fonds et passer outre à leurs constats, mais notre mère la Terre ne sera pas ignorée aussi facilement. Il est incontestable que le climat de la planète est en train de changer; les effets régionaux particuliers éventuels demeurent incertains, mais ces changements semblent s’opérer plus rapidement qu’on ne l’avait prédit à l’origine, surtout en ce qui concerne les températures enregistrées dans les régions polaires, ce qui entraîne la disparition de la couverture de glace et la probabilité correspondante de voir monter le niveau de la mer et la température des océans.

Lorsqu’il s’agit de prendre des décisions au sujet de conflits au XXIe siècle, la compréhension des mécanismes des changements climatiques et des régions clés où de tels changements auront de plus en plus de conséquences pour la sécurité devrait donc constituer un sujet de réflexion fondamental pour les forces armées du monde entier. Par exemple, dans les régions où les réserves d’eau propre sont minimes, des conflits risquent d’éclater si les voisins en amont menacent l’approvisionnement en eau des populations en aval. Par ailleurs, quiconque souhaite forcer une migration des habitants d’une telle région n’a qu’à gêner l’approvisionnement en eau et à laisser la sécheresse, la famine et la maladie chasser les gens de leurs foyers, au lieu de recourir autrement à la force. Si l’accès aux minéraux est l’objectif, la provocation de l’insécurité écologique de cette façon obligera les petits exploitants agricoles à quitter leurs terres en quête d’endroits plus sûrs.

Les renseignements scientifiques sur les changements climatiques sont facilement accessibles, et il convient donc de les intégrer régulièrement dans les cycles de planification et d’instruction des Forces armées canadiennes. Le rapport le plus récent (et le plus complet) est l’ouvrage intitulé Perspectives mondiales en matière d’environnement 6 (GEO 6), publié par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (devenu récemment ONU Environnement), qui comprenait six évaluations régionales au moment de sa diffusion en mai 2016. (Un GEO 6 mondial combiné est en voie d’élaboration et paraîtra en 2019.) Le GEO 6 est offert gratuitement sur Internet et, pour chacune des six régions, il décrit l’état de l’environnement et cerne les situations où les changements climatiques poseront des défis aux populations qui vivent à cet endroit4. Par conséquent, le GEO 6 est descriptif plutôt que normatif, car il met l’accent davantage sur les États et les tendances au lieu d’indiquer expressément aux différents États membres ou régions ce qu’ils doivent faire. Bien que ces préoccupations nationales et sous-nationales se situent officiellement en dehors de la portée des activités d’ONU Environnement, le besoin d’améliorer la réglementation environnementale et, en particulier, les mécanismes d’application de cette dernière par les gouvernements à tous les niveaux persiste partout dans le monde.

Pourtant, qu’il s’agisse d’une sécheresse qui déstabilise les régions et cause une famine qui engendre une migration et favorise les conflits, ou que ce soit le manque de stabilité politique qui suscite les conflits, entraîne la famine et accélère la « désertification » et la sécheresse, ces éléments sont tous inextricablement liés. On peut constater un troublant degré de chevauchement quand on superpose à une carte des conflits actuels d’autres cartes montrant les zones où sévissent la sécheresse, la famine et les phénomènes météorologiques extrêmes, à tel point qu’un auteur a décrit cette ceinture néfaste entourant le globe comme étant « le tropique du chaos »5. Lorsque de récentes publications populaires portent des titres horribles tels que Climate Wars6 ou Les guerres du climat : pourquoi on tue au XXIe siècle7, ce qui est évident aux yeux des lecteurs devrait couramment faire l’objet de discussions dans n’importe quelle organisation militaire qui se prépare aux conflits à venir dans un monde en proie aux changements climatiques.

Objectifs de développement durable

De même, il faut explorer plus avant la nécessité du développement durable, surtout dans les régions où les populations civiles sont les plus menacées par les répercussions des changements climatiques. Le réchauffement de la planète, en général, résulte de l’accroissement de la population humaine et des niveaux non viables de production et de consommation : plus de personnes produisent et consomment plus de « choses », ce qui impose à la planète un fardeau grandissant et l’amène dangereusement à la limite ou au dépassement de ses capacités. La disparité mondiale entre les pays riches et pauvres ainsi que les disparités entre les riches et les pauvres au sein des pays ou des régions sont des sources de conflits continus risquant d’être dévastateurs. Les régions industrialisées doivent réduire leur consommation pour compenser la nécessité de développer davantage les régions où le gros des populations arrive à peine à subsister.

Les complexités de ce problème ont été abordées dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, approuvé par les Nations Unies en octobre 2015. Les dix-sept Objectifs de développement durable (ODD), accompagnés de leurs sous-objectifs et de leurs cibles, cernent ce qu’il faut faire pour orienter la population mondiale vers un avenir durable d’ici 20308. Choisis par consensus à l’issue de la plus vaste consultation jamais entreprise à laquelle les gouvernements, l’industrie et la société civile ont pris part, les objectifs du Programme à l’horizon 2030 traduisent, à n’en pas douter, une projection ambitieuse du stade auquel la société mondiale doit parvenir par rapport à celui où elle se situe aujourd’hui. Le Programme suppose une collaboration collective pour atténuer les effets des changements climatiques et pour tendre vers un objectif planétaire commun axé sur la durabilité environnementale, sociale et économique.

Le Programme à l’horizon 2030 est un noble effort, mais dans tous ses volets, on suppose que, d’une façon ou d’une autre, le monde atteindra ces objectifs paisiblement et que les conflits seront même moins nombreux que maintenant9. Les ODD partent du principe que la transition planétaire vers la durabilité sera dirigée par les pays qui disposent des richesses voulues pour gérer et financer la transition. Malheureusement, ces pays ont aussi les fonds nécessaires pour déployer ou soutenir des forces armées qui dénueraient les ODD de tout sens. L’environnement et le développement sont inextricablement liés. À moins que nous ne résolvions le problème du développement en réduisant la consommation dans les pays riches et en l’augmentant dans les pays pauvres – et que nous le fassions d’une façon qui n’entraînera pas davantage les changements climatiques –, l’avenir s’annonce plutôt sombre. De plus, il en sera de même si, en même temps, nous ne trouvons pas les moyens de faire en sorte que l’organisation militaire, dans toutes ses opérations nationales et internationales, accentue les virages nécessaires en matière de sécurité, d’écologie et de développement aux niveaux locaux, au lieu de les empêcher10.

Si nous examinons les conflits récents ou en cours, il est clair que les considérations environnementales ne sont pas primordiales dans la conduite de la guerre à l’heure actuelle11. Bien que l’on ait observé les dangers liés à l’établissement d’un lien entre l’aide humanitaire, le développement et les opérations militaires12, parallèlement, il est évident qu’après la dévastation humaine et environnementale causée par la guerre, une intervention de la part de forces militaires extérieures est souvent essentielle. Si de telles interventions sont exécutées de manière à réduire au minimum la possibilité de futurs conflits, à rétablir et à reconstruire les écosystèmes et l’infrastructure et à procurer aux populations locales les moyens de subvenir à leurs besoins, elles peuvent jeter les fondements d’un avenir durable à cet endroit. En outre, il existe un ensemble grandissant d’excellents ouvrages qui montrent l’importance et la nécessité de lier l’environnement et la consolidation de la paix, avec des exemples tirés d’une vaste gamme d’expériences mondiales13.

Pour tendre ainsi vers la durabilité, les forces armées, leurs membres et les gouvernements dont elles relèvent doivent effectuer des choix éthiques délibérés. Ce ne peut pas être des choix accidentels, et les actions de ces intervenants ne peuvent pas être fortuites; les choix et les actions doivent reposer sur la conviction qu’ils sont justifiés par de bonnes raisons, à l’endroit dont il s’agit.

On peut trouver de bonnes raisons dans les répercussions environnementales et sociales dévastatrices des guerres industrielles passées et actuelles. Il n’est pas difficile de trouver des preuves de ce qui arrive quand on se limite à voir dans la dévastation environnementale de simples dommages collatéraux de la guerre et que les considérations éthiques relatives à l’environnement ne sont pas prises en compte.

Collection d’art militaire Beaverbrook/Musée canadien de la guerre/CWM 19710261-0100

Ablain St-Nazaire, 1918, par John William Beatty.

Collection d’art militaire Beaverbrook/Musée canadien de la guerre/CWM 19710261-0121

Returning to the Reconquered Land, par Sir George Clausen.

Au moment où nous repensons aux événements de la Grande Guerre, il est encore facile de voir comment la guerre industrielle moderne a produit plus que des effets générationnels sur le paysage et sur la vie des personnes qui vivent là où les batailles ont été livrées. Des milliers d’acres où les lignes de bataille ont été tracées sont encore interdits d’accès, à cause de qui est enfoui et caché sous la surface. Chaque année, des agriculteurs déterrent (et, parfois, font exploser) des munitions datant de la guerre, y compris des obus remplis d’agents de guerre chimiques. La décomposition de ces munitions altère l’eau souterraine et y ajoute des métaux lourds en concentration suffisante pour présenter des dangers pour la santé humaine, même là où les bombes sont inactives et risquent peu d’être trouvées.

Ces munitions devaient exploser, mais elles sont restées intactes. En concentration moindre et éparpillées sur des superficies plus grandes, des munitions de la Seconde Guerre mondiale font encore surface au cours de travaux d’excavation dans les villes et les villages, ce qui oblige les populations à évacuer les lieux pendant que les unités de neutralisation des munitions font leur travail. De même, les répercussions chimiques des dioxines et d’autres agents utilisés pendant la guerre du Vietnam continuent d’affecter la santé de la population civile14.

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Photo de la guerre du Vietnam montrant des cratères formés au Laos par des bombes larguées de B-52 américains.

Eye Ubiquitous/Alamy Stock Photo B95GD3

Photo de la guerre du Vietnam montrant une femme transportant un panier de légumes sur sa tête alors qu’elle passe près des ruines d’immeubles endommagés par la guerre, au Vietnam du Nord.

Des efforts ont été déployés pour modifier la mise au point et la trajectoire de déploiement des munitions qui présentent des dangers résiduels pour la population civile dans les zones de conflit longtemps après la fin de la guerre. L’utilisation massive de mines antipersonnel, surtout en Afghanistan, a mené à la rédaction et à la signature, à Ottawa, de la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (1997). Pourtant, bien que le Canada se fût fait le champion de ce traité, les principaux acteurs (les États-Unis, la Russie et la Chine) et d’autres refusent encore de le signer. De même, bien que le droit international interdise l’emploi d’agents chimiques et biologiques contre les populations civiles, on pense que, dans tous les camps, il en existe des stocks considérables, et des cas de déploiement d’agents chimiques, à tout le moins, ont été signalés en Irak et en Syrie15.

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En Afghanistan, le 1er juin 2004, près de la base aérienne de Bagram, un membre de HALO Trust en train de neutraliser des mines terrestres.

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Ruines à Kaboul (Afghanistan).

Les cadres juridiques internationaux ont une certaine valeur lorsque l’on veut déterminer le comportement des combattants. Après tout, pour ce qui est de statuer sur le sort des personnes, la collectivité internationale a imposé aux conflits un cadre juridique qui permet de poursuivre a posteriori les auteurs de « crimes de guerre » ou de « crimes contre l’humanité ». En théorie, pareil cadre juridique sert d’outil de dissuasion et influe sur le comportement des combattants en fixant des limites éthiques à ce que l’on attend d’eux ou que l’on tolérera. Il serait sans doute possible d’élargir ce cadre éthique pour criminaliser, au moins dans une certaine mesure, les délits environnementaux ou écologiques. En fait, l’écocide est plus lourd de conséquences que le génocide, car il fait de l’infraction immédiate un crime contre les générations futures.

Il y a quarante ans, les graves dangers environnementaux inhérents à la guerre industrielle ont mené à l’adoption de la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (CNMOD), qui est entrée en vigueur le 5 octobre 1978. Bien avant que la volatilité du climat soit perçue comme un problème, cette convention visait à restreindre l’utilisation ou la destruction délibérée de l’environnement en temps de guerre. Bien que de grands intervenants aient signé et ratifié le document, ou y aient adhéré, très peu des pays situés dans les zones de conflit actuelles figurent dans la liste. En outre, la CNMOD devait faire l’objet d’examens périodiques, mais le dernier examen prévu a été annulé en 2014 par suite du manque d’intérêt de la part des États signataires16.

Toutefois, étant donné tout ce qui s’est passé depuis 1978, tant au chapitre des changements climatiques qu’à celui de la science de la modification de l’environnement, il est peu probable qu’en elle-même, cette CNMOD fournisse le cadre juridique nécessaire pour garantir la protection de l’environnement. La Commission du droit international de l’ONU continue de s’atteler au problème, mais les progrès demeurent lents et, quelles que soient les décisions qui seront prises, la Convention ne s’appliquera encore qu’aux séquelles des dommages causés à l’environnement17. Parallèlement, une résolution sur la protection de l’environnement dans les régions touchées par les conflits armés a néanmoins été adoptée par consensus par les États membres, à la seconde Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (ANUE-2), à Nairobi, en mai 2016, ce qui permet d’espérer d’autres efforts dans le même sens18.

On franchirait certes une étape positive en faisant du crime environnemental en soi un élément qui relèverait de la compétence de la Cour pénale internationale, mais d’un point de vue réaliste, toute punition ne serait infligée que longtemps après la fin du conflit, à supposer que les responsables auraient survécu et pourraient être traduits en justice.

Cependant, les poursuites a posteriori n’apportent pas un grand réconfort à ceux qui ne vivent pas assez longtemps pour voir la justice triompher. La relation entre la guerre et l’environnement doit comporter plus que les scénarios de restauration ou de réhabilitation après le conflit. Par ailleurs, la poursuite après coup des auteurs de crimes écologiques n’est pas nécessairement un outil efficace pour décourager les comportements qui détruisent l’écologie dans une zone de conflit quand les combats font rage. À la lumière de ce que nous savons sur les séquelles de la guerre à l’ère moderne, il nous faut donc, en ce qui a trait à la durabilité, un cadre éthique qui atténue les dommages que la guerre peut causer, bien avant qu’ils ne se produisent, voire qui en empêche la concrétisation en tout premier lieu.

En utilisant l’éthique pour créer une jonction entre la durabilité et la guerre, nous cernons un lien fondamental au sein des processus décisionnels actuels où s’opèrent des choix qui détermineront si nous aurons un avenir durable, ou, dans un contexte nucléaire où tout échange risquerait d’entraîner l’annihilation de la Terre, si nous nous priverons d’un avenir, tout simplement.

Malheureusement, ce lien éthique ne semble pas être bien compris, non plus que les bons outils conceptuels utilisés qui permettraient une gamme de décisions judicieuses relativement aux répercussions écologiques de la planification et de l’exécution des opérations militaires par les Forces armées canadiennes, ou par d’autres forces armées un peu partout dans le monde.

Une courte digression s’impose ici… La planification et les exercices de simulation de combat constituent un énorme volet de l’instruction contemporaine, car ils permettent d’évaluer les résultats par rapport aux options présentées aux forces adverses « rouges » et « bleues », sans livrer bataille concrètement.

Or, la validité de ces simulations dépend de l’exactitude et de la complexité de la modélisation; si l’éthique (et les bons choix) en temps de guerre ne dépendait que du choix des meilleures conséquences pour soi-même et pour ses propres forces, alors personne ne perdrait jamais une bataille ou une guerre.

Cependant, si les modèles n’intègrent pas les dommages environnementaux (de même que sociaux et culturels) que cause un conflit même à l’échelle locale, ce sont dès lors des représentations tridimensionnelles de systèmes multidimensionnels qui seront inévitablement faux à des égards essentiels, surtout à plus long terme.

Pour faire de meilleurs choix, il faut donc de meilleurs outils d’analyse et d’éthique. Les guerres n’ont plus lieu sur les « champs de bataille » d’autrefois; au cours des vingt dernières années, l’expression privilégiée a été « espace de bataille ». Je crois que même cette expression ne convient pas, et c’est là un point que j’ai expliqué en détail dans un article paru dans un numéro précédent de la RMC. Je propose donc qu’il vaut mieux utiliser l’expression « sphère de combat » pour décrire les effets des actions des systèmes multidimensionnels durant la guerre, au fil du temps : « La sphère de combat est la sphère opérationnelle dynamique d’un conflit particulier, délimitée dans tous les sens par ses relations de cause à effet. Cette sphère comprend les relations dynamiques des éléments géographiques, logistiques, tactiques, stratégiques et humains qui entrent en jeu19. »

Les philosophes anciens faisaient souvent allusion à « la musique des sphères » pour décrire la façon dont chaque action se réverbérait dans les cieux, sur la terre et sous la terre, ce qui démontrait l’unité de toutes les forces de vie et les interactions entre elles. Plus nous en apprenons sur ces interactions – souvent à la dure, à mesure que les paysages terrestres ou marins changent et que des espèces disparaissent – plus l’idée de l’écosphère devient puissante. Les humains sont inextricablement liés à cette écosphère; nous ne pouvons aller nulle part sur la planète sans constater que les activités humaines ont influé sensiblement sur la façon dont d’autres créatures vivent.

Rivière calme dans une forêt tropicale humide luxuriante.

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Le mouvement écologique nous avertit de la nécessité de mieux comprendre ces systèmes complexes, dynamiques et vivants avant qu’ils ne deviennent des éléments d’un nouvel équilibre planétaire qui rendrait la vie humaine difficile ou impossible. La Terre survivra; sera-ce le cas des humains? Cela dépend de nous. En termes simples, ce que nous faisons a un effet sur le monde autour de nous; ce que nous faisons sans réfléchir cause des dommages involontaires, mais c’est tout aussi mal que si nous avions attaqué délibérément notre propre habitat ou intentionnellement détruit le monde où nos enfants sont censés pouvoir vivre.

Si nous comprenons la sphère de combat comme étant la sphère de tous les effets d’une action militaire, la taille de cette sphère et sa durée dépendent de l’intensité des actions posées. Certains de ces effets sont écologiques, et nous pouvons les cerner en définissant l’intersection entre la sphère de combat et l’écosphère. La superficie du chevauchement et sa persistance illustrent la gravité des effets. Abattez un arbre pour éliminer un point d’observation éventuel, et les effets sont locaux et de courte durée; défoliez et brûlez toute une forêt pour priver des guérilleros d’une couverture, et les effets sont au moins générationnels : ils modifient l’hydrologie de la région, la vie de la faune et les moyens d’existence axés sur la forêt, et ainsi de suite. Les produits chimiques résiduels (comme les dioxines) peuvent continuer à causer des problèmes de santé pendant très longtemps.

Plus le chevauchement entre la sphère de combat et l’écosphère est grand, plus les systèmes sont touchés à long terme et plus les répercussions des mesures prises pendant un conflit deviennent graves par conséquent. En cas de guerre nucléaire, par exemple, la sphère de combat couvrirait entièrement l’écosphère, et les effets des armes utilisées altéreraient toute chose. La guerre totale, comme on a décrit les conflits du XXe siècle, entraînerait le même chevauchement complet au XXIe siècle, étant donné l’interdépendance accrue de la société mondiale ainsi que le degré de perfectionnement et la gamme des armes pouvant être employées pour la cyberguerre, la guerre spatiale, la guerre biochimique, et ainsi de suite. Le résultat global pourrait être tout aussi meurtrier pour l’humanité qu’un conflit nucléaire.

Nous devrions déjà savoir tout cela, et ce constat devrait influer sur la façon dont nos forces armées planifient et exécutent leurs opérations. Après plus d’un siècle de guerres industrielles modernes, il est tout simplement inacceptable de prétendre que les effets environnementaux catastrophiques de la guerre sont des résultats involontaires et imprévus de celle-ci. Il existe une abondance de problèmes environnementaux postérieurs aux conflits dont il faudrait tenir compte dans le processus décisionnel militaire; par conséquent, toute répercussion écologique involontaire de la guerre résulte plutôt de l’ignorance ou d’une piètre planification, et non de la malchance uniquement. Nous devons faire de meilleurs choix.

Par ailleurs, il existe au moins une autre sphère à prendre en considération, une sphère qui nous ramène au lien entre la durabilité, l’éthique et la guerre. La sphère de combat créée par suite d’une action militaire entraîne plus que des incidences écologiques. Les effets d’une action au cours de la bataille se répercutent aussi sur les systèmes personnels, sociaux et culturels touchés. Ces effets sur ces autres systèmes risquent d’être dévastateurs et plus durables que les effets écologiques et d’être moins faciles à expliquer; le trouble du stress post-traumatique (TSPT) constitue un excellent exemple des effets subis à long terme par les combattants ayant participé à des conflits, et il faut alors, pour les comprendre, un autre cadre qui dépasse les sphères des répercussions physiques.

Je préfère utiliser le terme que l’éminent anthropologue Wade Davis a proposé à l’origine, soit le mot « ethnosphère », pour décrire cette troisième sphère en corrélation avec les deux autres20, mais j’en ai élargi et redéfini la portée pour en accroître l’utilité. Alors que le terme « écosphère » et l’expression « sphère de combat » sont descriptifs, le terme « ethnosphère » est explicatif. L’ethnosphère est « […] la totalité des motivations humaines à l’égard des activités personnelles, sociales et culturelles et l’interprétation de leur signification ». C’est aussi le contexte où se situent nos décisions et les raisons pour lesquelles nous agissons de telle ou telle façon, et le site du processus décisionnel éthique. Par conséquent, « [si] l’écosphère désigne l’endroit où nous vivons et la sphère de combat, ce qui se passe pendant le combat, l’ethnosphère désigne non seulement qui nous sommes, mais aussi comment nous répondons à cette question, notamment au niveau de nos interactions les uns avec les autres ainsi qu’avec la planète21 ».

Notre ethnosphère personnelle est un peu comme notre moralité personnelle – la sphère qui contient ce que chacun de nous croit (littéralement) au sujet de la vie, de l’univers et de toute chose. Quand cette ethnosphère personnelle nous amène à faire quelque chose, cela crée un moment éthique. Nos actions revêtent immédiatement un caractère social et écologique, car tout ce que nous faisons (en raison de ce que nous croyons) influe sur autrui. Les outils qu’il nous faut pour gérer le chevauchement entre ce que nous croyons et ce que nous faisons sont par conséquent des outils éthiques.

Les idées au sujet de la « nature » et de la « guerre » se situent dans l’ethnosphère; ce qui importe, c’est ce que nous faisons de ces idées. Lorsqu’elles ne sont pas contestées par d’autres, elles peuvent persister dans notre ethnosphère personnelle pendant longtemps et même être renforcées par des personnes qui les partagent. Les débats au sujet de la réalité des changements climatiques, des possibilités offertes par le développement durable ou de l’éventualité de la paix mondiale ont par conséquent lieu dans l’ethnosphère, ce qui explique pourquoi certaines idées sont encore d’actualité longtemps après que toute personne raisonnable aurait dû les rejeter.

Ce qui constitue un avenir durable, la question de savoir s’il est possible ou non de l’établir et ce qu’il faut changer pour y arriver sont donc des thèmes de discussion trouvés dans l’ethnosphère de la société canadienne et de notre société mondiale. La façon dont nous réglerons ces questions quand elles se poseront dans la vie d’autres personnes et au sein des systèmes écologiques de la Terre contribuera à façonner notre avenir collectif.

Cependant, nous nous sommes éloignés considérablement de l’insistance que j’ai mise sur l’éthique transformatrice exprimée sous la forme d’une « présence éthique sur le terrain »; je veux donc offrir quelques propositions particulières sur les mesures à prendre pour transformer les FAC en une « force verte » :

  1. Veiller à intégrer les meilleures données scientifiques existantes recueillies auprès de toutes les sources dans toute discussion sur les effets environnementaux ou le développement durable dans les contextes de l’instruction, de la planification et de l’exécution des opérations militaires. La planification doit permettre d’éviter autant que possible les répercussions écologiques, et non pas essayer d’y remédier après coup;
  2. Appliquer les meilleurs principes de durabilité aux bases, aux installations et aux opérations (au Canada ou à l’étranger) des FAC; ne pas se limiter simplement à respecter les règlements en vigueur sur l’environnement, mais en dépasser les exigences pour réduire ou éliminer l’empreinte écologique locale des FAC;
  3. Appliquer l’analyse de rentabilité sur la durabilité aux opérations des FAC pour améliorer les gains d’efficacité, accroître la résilience, réduire la dépendance à l’égard des livraisons des articles essentiels « juste à temps » sur de longues distances, non seulement pour réduire l’empreinte écologique, mais aussi pour réaliser des économies qui aideront à répondre à d’autres besoins opérationnels. « L’écologisation » ne doit pas seulement être plus intelligente, mais plus économique également;
  4. « Écologiser » la chaîne d’approvisionnement en imposant de rigoureuses normes de durabilité, que tous les fournisseurs de matériel des FAC devront respecter, et faire de l’observation de ces normes une condition obligatoire des contrats d’approvisionnement;
  5. Comprendre les principes du développement durable et les intégrer dans tous les déploiements à l’étranger, en exploitant les changements locaux d’une façon durable, en respectant les conditions écologiques locales et, si possible (dans l’esprit des objectifs énoncés dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030) en utilisant intentionnellement les ressources et le personnel des FAC en déploiement pour favoriser la réalisation des Objectifs de développement durable concernant la population locale;
  6. Pendant les déploiements, dans la mesure du possible, utiliser le personnel des FAC pour rassembler et transmettre à ONU Environnement les données environnementales essentielles sur les zones de conflit que les organismes civils ne sont pas à même de recueillir;
  7. Repérer les façons dont les changements climatiques accroissent les risques et la vulnérabilité, tant au Canada qu’à l’étranger. Intégrer des stratégies d’adaptation, d’atténuation et de résilience dans l’instruction, la planification et les cycles opérationnels pour tout le personnel des FAC;
  8. À commencer par le personnel supérieur, veiller à ce que l’éducation, l’instruction et l’expérience en matière d’éthique, dans les contextes des changements climatiques, de la durabilité et du développement durable, deviennent des atouts fondamentaux de tous les officiers et MR des FAC et à ce que ces éléments s’inscrivent dans les responsabilités de la personne chargée de l’éthique dans chaque unité.

En conclusion, un nouveau Livre blanc sur la défense pour les Forces armées canadiennes se fait attendre depuis longtemps. Étant donné la nécessité de travailler ensemble dans le respect de l’éthique pour tendre vers un avenir durable, peut-être devrait-il s’agir d’un Livre vert sur la défense…

Palette de couleurs automnales.

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Notes

  1. Raymond Blaine Fosdick, The Old Savage and the New Civilization, New York, Doubleday Doran, 1928. Il s’agit d’un recueil de discours prononcés aux cérémonies de remise des diplômes par Fosdick, qui est ensuite devenu président de la Fondation Rockefeller et qui a milité pour que l’on mette moins l’accent sur les sciences dites « dures » au profit des sciences sociales.
  2. Yvon Pichette et Jon Derrick Marshall, « Les aumôniers des Forces armées canadiennes (FAC) ont-ils un rôle à jouer sur le plan de l’éthique? », Revue militaire canadienne, vol. 16, no 1, hiver 2015, p. 59-66. Stephen Hare, « L’humanisme et la conscience militaire : réplique à Pichette et Marshall », Revue militaire canadienne, vol. 16, no 3, été 2016, p. 60-65.
  3. Pour se renseigner sur une approche basée sur des cas du processus décisionnel transformateur respectueux de l’éthique, voir mon article intitulé « Making Better Choices: Ethics, Technology and Sustainability », dans World Trends on Education for Sustainable Development, Walter Leal Filho (sous la dir. de), FrankfortsurleMain, Peter Lang, 2011, chapitre 13, p. 219-234.
  4. J’ai eu le privilège de faire partie de l’équipe de rédaction pour l’Évaluation de la région de l’Amérique du Nord, en particulier pour le chapitre sur les perspectives, et d’avoir été élu rapporteur lors de la consultation intergouvernementale mondiale multipartite, qui a eu lieu à Berlin du 21 au 23 octobre 2014 et qui a établi les paramètres du GEO 6. L’expérience a confirmé à quel point nos renseignements scientifiques publics dépendent d’un consensus (et tendent, par conséquent, à présenter des résultats conservateurs). On peut consulter les six rapports d’évaluation régionaux à l’adresse suivante : http://www.unep.org/geo/.
  5. Christian Parenti, Tropic of Chaos: Climate Change and the New Geography of Violence, New York, Nation Books, 2012.
  6. Gwynne Dyer, Climate Wars, Toronto, Random House, 2008.
  7. Harald Welzer, Les guerres du climat : pourquoi on tue au XXIe siècle, traduit de l’allemand par Bernard Lortholar, Paris, Gallimard, 2009.
  8. http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/
  9. Jeffrey Sachs offre un bon exemple dans The Age of Sustainable Development, New York, Columbia University Press, 2015. Dans cet ouvrage de plus de 500 pages, aucun chapitre n’est consacré aux problèmes de la paix et de la sécurité ou aux conflits au milieu des changements climatiques.
  10. Même le déploiement de forces militaires dans une zone de conflit ou sur les lieux d’une catastrophe peut en lui-même avoir d’importantes conséquences écologiques qu’il faut envisager et atténuer. Voir Annica Waleij et Birgitta Liljedahl, The Gap between Buzz Words and Excellent Performance: The Environmental Footprint of Military and Civilian Actors in Crises and Conflict Settings, Stockholm, FOI, mars 2016.
  11. Pour trouver un excellent réseau de ressources dirigé par la société civile et concernant les effets de la guerre sur l’environnement, voir The Toxic Remnants of War Project à l’adresse http://www.toxicremnantsofwar.info. Je souhaite remercier particulièrement Doug Weir (TWRP) pour l’aide qu’il m’a fournie au cours de mes recherches menées aux fins du présent article. Le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) est une autre excellente source (https://www.sipri.org/), tout comme la Swedish Defence Research Agency (FOI) (https://www.foi.se).
  12. Samantha Nutt, Guerriers de l’impossible : l’argent, les armes et l’aide humanitaire, Montréal, Boréal, 2014.
  13. <Environmentalpeacebuilding.org> est une communauté de praticiens créée par l’Environmental Law Institute, le Programme des Nations Unies pour l’environnement, l’Université McGill et l’Université de Tokyo. Son projet quinquennal (2008-2013) a produit cinq excellentes anthologies, qui sont maintenant accessibles en ligne et qui détaillent les nombreuses facettes de la consolidation de la paix axée sur l’environnement; la dernière a été publiée en 2016. Voir : http://environmentalpeacebuilding.org/books
  14. Donovan Webster, Aftermath: The Remnants of War, New York, Vintage, 1998.
  15. http://www.telegraph.co.uk/news/2016/08/25/un-proves-assad-regime-dropped-chemical-bombs-on-civilians/.
  16. Lettre du secrétaire général de l’ONU, 27 janvier 2014. Voir le site https://www.un.org/disarmament/geneva/enmod/.
  17. En septembre 2016, le Bureau du Procureur à la Cour pénale internationale a publié un mémoire précisant que les dommages environnementaux devaient être considérés comme un facteur pour déterminer si une mise en accusation était justifiée. Voir l’adresse suivante : https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/20160915_OTP-Policy_Case-Selection_Fra.pdf. C’est là un petit pas en avant, depuis la parution en 2009 du rapport du PNUE qui a effectivement mis en exergue l’insuffisance des cadres juridiques existants pour examiner ne serait-ce que les dommages environnementaux postérieurs aux conflits. Voir Protecting the Environment During Armed Conflict: A Inventory and Analysis of International Law, dans le site http://postconflict.unep.ch/publications/int_law.pdf.
  18. Ambassadrice Marie G. Jacobsson, Working to Protect the Environment in Armed Conflict, à l’adresse https://medium.com/@UNEP/working-to-protect-the-environment-in-armed-conflict-ce9aff1aa479#.61netajmg. Elle a été présente aux discussions initiales et au débat qui a eu lieu à l’ANUE2 (à titre de représentante régionale des grands groupes et intervenants pour l’Amérique du Nord au PNUE). En général, les délégués ont reconnu la nécessité de cette protection, mais ils ne se sont pas entendus sur les moyens par lesquels elle pourrait se concrétiser. La résolution a été un compromis issu de plusieurs autres proposées initialement qui mettaient l’accent sur des régions précises. L’ANUE2 a donc marqué un pas en avant, mais un petit, j’en ai bien peur, pour ce qui concerne la réglementation internationale des effets de la guerre sur l’environnement. Toutefois, d’autres qui travaillaient dans le domaine ont exprimé un point de vue plus optimiste. Voir le site http://www.trwn.org/unea-2-passes-most-significant-resolution-on-conflict-and-the-environment-since-1992/.
  19. Peter H. Denton, « De l’espace de combat à la sphère de combat », Revue militaire canadienne, vol. 12, no 4, automne 2012, p. 28.
  20. Il la définit comme suit : « […] la somme des pensées et des intuitions, des mythes et des croyances, des idées et des inspirations auxquels l’imagination des hommes a donné vie depuis qu’ils sont doués de conscience. » Wade Davis, Pour ne pas disparaître : pourquoi nous avons besoin de la sagesse ancestrale, Paris, Albin Michel, 2011, p. 12.
  21. Denton, p. 31.