TECHNOLOGIE MILITAIRE

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La Station spatiale internationale ayant pour toile de fond l’espace et la Terre.

Des modèles de systèmes d’information et de communication favorisant la résilience organisationnelle

par Joseph Long

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Le capitaine Joseph Long est officier des transmissions et praticien certifié en sécurité des systèmes d’information. Il a obtenu un baccalauréat ès sciences en informatique du CMR en 2011.

Introduction

L’environnement opérationnel des Forces armées canadiennes (FAC) devient de plus en plus ambigu et sujet à des changements rapides. On s’attend à ce que les dirigeants et les organisations soient mis au-devant de situations plus complexes que jamais. On retrouve dans le paysage opérationnel contemporain des organisations extrémistes violentes, les changements climatiques, des cybermenaces, des urgences humanitaires et d’autres défis nouveaux et uniques en leur genre1. Le ministère de la Défense nationale et les FAC font un excellent travail à instruire, éduquer et équiper les militaires afin qu’ils soient en mesure de relever les défis opérationnels attendus, mais les systèmes d’information et de communication (SIC) actuellement utilisés par ces militaires et organisations ne sont pas conçus pour optimiser les opérations.

Cet article analysera trois organisations adaptatives et résilientes reconnues pour leur succès aux niveaux tactique, opérationnel et stratégique, et accordera une attention particulière à la façon dont ces organisations utilisent les systèmes d’information et de communication. Des leçons retenues et des pratiques exemplaires permettront de voir comment les organisations adaptatives peuvent être optimisées grâce à des SIC qui créent une conscience commune, qui ont peu de barrières à l’entrée et qui reproduisent les modèles de communication naturels. L’article examinera également les compromis qui doivent être faits au nom d’une meilleure résilience et montrera comment l’application de ces leçons améliorera le développement et la conception des futurs SIC des FAC.

L’environnement opérationnel contemporain

Complexité environnementale

Dans l’environnement opérationnel contemporain, les acteurs étatiques et non étatiques sont de plus en plus puissants et interconnectés. Ces acteurs, incapables d’assembler une puissance pour permettre une confrontation traditionnelle « force contre force » contre les forces militaires industrialisées occidentales, utilisent toutes les techniques à leur disposition pour obtenir un avantage. La connectivité mondiale et la rapidité des communications accroissent de façon exponentielle le nombre et la diversité d’acteurs ayant des intérêts divergents qui sont en mesure de participer à un conflit donné.

L’ancien modèle de commandement « descendant » selon lequel les commandants pouvaient lire des rapports soigneusement rédigés et recueillis auprès de leurs subordonnés, concocter des plans élaborés et complexes, et exécuter des opérations selon un calendrier précis n’existe plus. Pour réussir, les forces militaires doivent intégrer un large éventail de connaissances et d’expertises en fusionnant rapidement divers points de vue afin de réagir instantanément aux conditions changeantes. Les pouvoirs décisionnels ont descendu les échelons, les détachements déployés devenant plus petits et les temps de réaction requis, plus courts.

Couverture du document intitulé « Protection, Sécurité, Engagement »

Défense nationale/Gouvernement du Canada

Résilience

La nouvelle politique de défense du Canada – Protection, Sécurité, Engagement, parle d’« [u]ne nouvelle approche canadienne en matière de défense : Anticiper. S’adapter. Agir », précisant que « [l]’anticipation des menaces et des défis émergents est essentielle à la sécurité du Canada. L’Équipe de la Défense améliorera sa capacité de fournir rapidement de l’information aux décideurs et de permettre au gouvernement d’identifier et de comprendre les événements et les crises émergents, d’intervenir de manière appropriée et de minimiser les effets dévastateurs des conflits prolongés ».

Cette capacité à réagir rapidement et adéquatement à des situations changeantes peut être appelée « agilité » ou « résilience »2. Lorsque les situations se complexifient de sorte qu’elles ne peuvent être comprises et supervisées entièrement par un seul commandant, les pouvoirs décisionnels doivent être transmis aux niveaux inférieurs, de même que les connaissances, le renseignement et le contexte nécessaires pour permettre à ces décideurs subalternes d’agir au mieux. L’évolution rapide des situations exige également des équipes et des structures qui évoluent rapidement pour faire face à ces changements. Des spécialistes, des facilitateurs et des opérateurs de diverses unités, organisations gouvernementales et non gouvernementales (ONG) et zones géographiques doivent rapidement s’unir pour former une force efficace, puis se dissoudre tout aussi rapidement et se réformer autrement pour la prochaine mission.

Commandement et réseau

Cette dynamique organisationnelle changeante selon laquelle les organisations se transforment et se réforment n’est possible que lorsque les membres sont habilités à établir des liens horizontaux rendus possibles par la confiance de leurs supérieurs. Les membres à tous les niveaux de la hiérarchie doivent établir des liens à l’extérieur de leur chaîne de commandement officielle pour faciliter la transmission plus rapide et plus précise de l’information afin de produire un contexte pour la prise de décisions. Il est alors facile d’obtenir l’expertise nécessaire au moment où l’on en a besoin auprès de la source la plus compétente. Cette organisation en réseau est illustrée dans les schémas suivants3.

Auteur

Figure 1 : Commandement

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Auteur

Figure 2 : Commandement d’équipes

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Auteur

Figure 3 : Équipe d’équipes

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Conscience commune

La structure en réseau « équipe d’équipes », tout en étant importante pour la prise de décisions et la coordination des actions, ajoute le plus de valeur à une organisation en réseau en permettant d’avoir une « conscience partagée ». Chaque membre d’une organisation résiliente doit avoir une perception commune de la situation, de la mission et du contexte dans lequel l’organisation fonctionne. Comme la prise de décision est déléguée à des niveaux inférieurs, les décideurs (à noter que l’Examen de la politique de défense parle de « décideurs » et non de « commandants »4) doivent disposer de l’information nécessaire pour décider correctement et de façon optimale en fonction des besoins de l’organisation.

La conscience commune réduit également les frictions au sein des organisations. Les différends entre les sous-unités au sujet des ressources partagées peuvent être réduits au minimum lorsque chaque sous-groupe comprend pourquoi les autres sous-groupes demandent la ressource, ainsi que la façon dont les autres groupes l’utiliseront pour accomplir la mission commune.

Études de cas

Afin d’illustrer les facteurs importants de la conception et de la maintenance d’un SIC résilient, trois organisations résilientes efficaces seront examinées. La Cajun Navy et Occupy Sandy illustreront la résilience de forces d’intervention rapide qui ont réussi sur le plan tactique. La description que fait le General Stanley McChrystal de sa force interarmées d’opérations spéciales en Irak est un excellent exemple de réussite opérationnelle d’une formation militaire. Enfin, l’équipe ouverte qui a mis au point le « noyau » [la couche de base d’un système d’exploitation – note du rédacteur en chef] du populaire système d’exploitation Linux montrera un exemple de résilience dans une grande organisation de « niveau stratégique » et de développement de capacités.

DVIDS/Photo prise par le Petty Officer 3rd Class Jon Paul Rios (U.S. Coast Guard)/1125049

Des officiers mariniers de la Garde côtière américaine évaluent le degré de pollution dans le sillage de l’ouragan Sandy, le 11 novembre 2012.

Cajun Navy et Occupy Sandy

L’un des exemples récents les plus frappants de résilience et d’adaptation ayant été facilitées par la technologie est l’émergence de groupes d’aide communautaires à la suite de catastrophes naturelles survenues aux États-Unis.

À la fin octobre 2012, l’ouragan Sandy a frappé la côte Est de l’Amérique du Nord, entraînant la mort de plus de 150 personnes, détruisant au moins 650 000 maisons et causant plus de 71,4 milliards de dollars (USD) de dégâts aux États-Unis seulement5. Lorsque les organismes d’aide officiels ne suffirent pas à la tâche, et quelques heures après que l’ouragan ait touché terre, les membres du mouvement Occupy Wall Street [Occupy Sandy] sur les médias sociaux ont commencé à coordonner de l’aide et de l’assistance ponctuelles. En quelques jours, environ 60 000 bénévoles fournissaient une aide directe (nourriture, eau, chaleur), des soins médicaux et psychologiques, un soutien à la réhabilitation et à la reconstruction, des services de gestion de cas et d’aide juridique, et avaient mis sur pied une collecte de fonds6.

De façon semblable, des organisations citoyennes émergentes ont été observées à la suite d’autres catastrophes majeures, profitant souvent des médias sociaux pour coordonner leurs efforts. Un groupe similaire, la Cajun Navy, un regroupement plus ou moins structuré de bénévoles ayant des bateaux de pêche privés, a mené des missions de recherche et sauvetage aux côtés de premiers intervenants, formés7 au Texas et en Louisiane après le passage de l’ouragan Harvey dans le sud des États-Unis à l’été 2017. En utilisant des applications gratuites pour téléphones intelligents pour coordonner toutes les missions, des centaines de bénévoles ont secouru des milliers de concitoyens. Par la suite, le gouvernement fédéral a officiellement reconnu que les bénévoles avaient sauvé des milliers de vies.

« L’équipe d’équipes » du General McChrystal

En 2003, le General Stanley McChrystal, alors Major General et aujourd’hui à la retraite, a pris le commandement d’une force interarmées d’opérations spéciales en Irak, la faisant passer d’une organisation réactive et « en silos » à une force antiterroriste efficace et efficiente, qui est finalement parvenue à découvrir et à tuer le dirigeant d’Al-Qaïda en Irak, Abu Musab alZarqawi. Dans un nouveau livre, Team of Teams, le General McChrystal décrit les mesures qu’il a prises pour transformer son organisation efficace, mais rigide et hiérarchique, en « équipe d’équipes » capable de s’adapter et de réagir rapidement à de nouveaux éléments de renseignement et à de nouvelles situations opérationnelles.

Bien que le livre du General McChrystal contienne d’excellentes leçons pour le gestionnaire et leader qui désire créer des organisations adaptatives, expliquant clairement le « comment » et le « pourquoi » des changements procéduraux, culturels et organisationnels, relativement peu de pages sont consacrées à la description des technologies de l’information et des communications qui sous-tendent la transformation. Le peu qu’il y a, cependant, décrit une architecture technique très différente de la plupart des SIC au niveau de l’entreprise. En décrivant ses réunions quotidiennes des opérations et du renseignement (O&R), des vidéoconférences quotidiennes auxquelles assistaient virtuellement les membres de la force opérationnelle de tous les niveaux, les organismes partenaires et le personnel de commandement, le General McChrystal écrit : « Avec le temps, les gens en sont venus à comprendre la valeur de la compréhension systémique. La participation aux réunions O&R s’est accrue à mesure que la qualité de l’information et de l’interaction augmentait. Au bout d’un certain temps, sept mille personnes y assistaient presque quotidiennement pendant deux heures (les caractères gras sont ajoutés par l’auteur)8 [TCO] ». Il va presque sans dire qu’un appel vidéo de deux heures pour sept mille personnes nécessite des solutions SIC uniques et des considérations technologiques.

Linux

En 1991, Linus Torvalds, un étudiant d’université finlandais de 21 ans, a commencé à travailler sur un projet visant à développer un système d’exploitation pour un nouvel ordinateur qu’il avait reçu. Pensant que d’autres utilisateurs d’ordinateurs pourraient vouloir aussi utiliser ce système d’exploitation, il a publié le code pour un usage public gratuit. Par la suite, d’autres ont commencé à collaborer en ligne pour apporter des améliorations à ce système, maintenant toujours l’esprit de collaboration ouverte. Aujourd’hui, les systèmes d’exploitation fondés sur Linux sont les plus largement utilisés dans le monde, ils sont employés dans tous les appareils personnels Android, la plupart des serveurs Web, la Station spatiale internationale9 et les 500 superordinateurs les plus puissants au monde, en date de 201710.

L’adaptabilité et la résilience du noyau Linux sont attribuables au processus de développement collaboratif « source ouverte » en ligne, où le code en entier est librement disponible et modifiable, et la communauté de développement en ligne peut suggérer et apporter des modifications au code officiel, qui est examiné par d’autres membres de la communauté de confiance avant sa mise en œuvre. En 2006, on estimait que plus de 13 500 développeurs de plus de 1 300 entreprises avaient contribué au code depuis 200511.

Principes de la résilience facilitée par les SIC

Bien que la Cajun Navy, la force interarmées d’opérations spéciales du General McChrystal et la communauté de développement du noyau Linux ont des structures organisationnelles, des cultures, des objectifs et des méthodes très différents, il existe des similitudes frappantes entre ces acteurs. Chacun d’eux a émergé en réponse à des situations difficiles uniques, tous mettent l’accent sur la collaboration et la communication, et tous ont fait preuve d’une résilience et d’une capacité d’adaptation remarquables, menant au succès.

Un examen attentif permet de constater que chaque organisation utilise des SIC spécialement adaptés pour permettre les niveaux élevés de communication et de collaboration requis, et que des modèles particuliers d’utilisation et d’adoption technologique sont en train d’émerger. Ces modèles forment la base de cet article. La création de SIC pour les organisations adaptatives et résilientes exige des méthodes et des priorités différentes de la planification et de la conception des systèmes de communications militaires traditionnels. Plus précisément, chacune de ces organisations utilise des SIC qui créent une conscience commune, minimisent les obstacles à la participation et reproduisent des modèles de communication naturels, à tous les niveaux.

Construire la ou les places de marché

  La conscience commune est le facteur le plus important pour permettre à une organisation d’analyser efficacement l’information et de relever les nouveaux défis. Même les organisations les plus rigides et les plus inflexibles auront tout de même un certain niveau de conscience commune (souvent seulement sous la forme d’un organigramme et d’un mandat de poste), mais les organisations agiles qui connaissent du succès passent au niveau suivant. Lorsque l’on planifie la mise en place d’un SIC pour soutenir une organisation agile, l’une des questions qui doivent être posées est : « Où existera la conscience commune? » ou « Où est la « place du marché » dans laquelle les diverses équipes peuvent échanger leurs connaissances? ».

Le modèle de développement logiciel « à source ouverte » soutenu par la communauté de développement du noyau Linux est fondé sur un engagement envers l’échange des connaissances. Tous les codes de production, les changements proposés et la plupart des discussions de travail peuvent être consultés par toute personne intéressée. La « place de marché » existe à deux endroits : GitHub, une base de données de gestion de code en ligne en lecture seule contenant le noyau Linux, ainsi que les modifications proposées et antérieures12, et les listes de diffusion auxquelles les développeurs intéressés peuvent s’inscrire. De ces forums faciles d’accès, un grand nombre de sous-communautés spécialisées, de tutoriels et de groupes de travail ont vu le jour pour concentrer et développer plus efficacement leur expertise13.

Le General McChrystal décrit le succès de ses réunions O&R comme « […] l’élément le plus critique de la transformation, le muscle cardiaque de l’organisme que nous avons cherché à créer et le pouls selon lequel il allait vivre ou mourir14 [TCO] ». Les réunions O&R, auxquelles ont participé physiquement ou virtuellement des milliers de personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la force opérationnelle, permettaient d’assurer que l’information et le contexte étaient communs dans l’ensemble de la force. Au niveau tactique, la Cajun Navy, à la suite du passage d’Harvey, s’est appuyée sur deux plates-formes clés : Zello, une application « walkie-talkie » pour téléphone intelligent utilisée pour créer des canaux de répartition, et Glympse, une application de connaissance commune de la position15. Ces interprétations modernes d’anciens moyens de communication (communication radio de la circulation et de l’emplacement) ont permis de planifier et de coordonner des milliers de sauvetages.

À partir d’une certaine taille, les « places de marché » peuvent devenir encombrantes et encombrées. Tout SIC pour des organisations résilientes doit prêter attention à la fois aux forums centralisés d’échange des connaissances et aux endroits où des communautés spécialisées peuvent travailler en petits groupes. Comme le souligne le General McChrystal, « […] bon nombre des caractéristiques qui ont rendu nos équipes si bonnes ont aussi rendu incroyablement difficile l’adaptation de ces caractéristiques à l’échelle d’une organisation […] Construire une seule équipe de la taille de notre force opérationnelle serait impossible16 [TCO] ». Pour résoudre ce problème, la communauté de développement du noyau Linux maintient de plus petits dépôts de code spécialisés et des listes de distribution par courriel dédiés à divers sous-éléments du noyau, tels que le traitement graphique, les pilotes réseau et la sécurité.

Faciliter la participation

Dans un article pour The Harvard Business Review, le scientifique des données Alex « Sandy » Pentland examine les modèles de communication d’équipes hautement performantes, et note que les équipes les plus performantes recherchent davantage de liens avec l’extérieur. Il appelle « exploration » cette mesure objective des liens externes d’une équipe et constate que bien réussir l’exploration est d’une grande importance pour les équipes créatives, comme celles responsables de l’innovation, qui ont besoin de nouvelles perspectives17. Il incombe au concepteur du SIC de s’assurer que ces équipes puissent effectuer cette exploration en réduisant au minimum les obstacles (coûts financiers, politiques ou défis techniques, par exemple) à l’ajout de nouveaux nœuds au réseau.

Décrivant ses systèmes de communication, le General McChrystal dit : « Nous savions que la création d’un réseau neuronal qui faciliterait notre analyse émergente de problèmes complexes était vitale pour notre succès à long terme18 [TCO] », et il s’est donc assuré que la force opérationnelle prenne des mesures concrètes pour permettre l’accès. Occupy Sandy et la Cajun Navy ont réussi en coordonnant les efforts des bénévoles, et la communauté de développement du noyau Linux permet aux programmeurs informatiques du monde entier d’apporter facilement leur expertise, des contributions qui seraient presque certainement moindres s’il était incommode de les faire.

DVIDS/Photo prise par le Captain Loyal Auterson (U.S. Army Reserve)/3730464

Des aviateurs de l’Army Reserve collaborent avec des bénévoles civils au transport en lieu sûr de personnes âgées ayant survécu à l’ouragan Harvey, le 30 août 2017.

Reproduire des modèles de communication familiers

À petite échelle, les humains ont naturellement tendance à s’auto-organiser en organisations résilientes, comme en témoigne leur survie depuis des millénaires. Par conséquent, les concepteurs de SIC devraient, pour permettre aux organisations d’être résilientes, chercher à reproduire autant que possible les moyens de communication naturels. Alex Pentland, dans sa recherche sur les modèles de communication en équipe, a découvert que « […] la forme de communication la plus utile est le face à face. Le deuxième moyen le plus utile est la téléconférence ou la vidéoconférence, mais attention toutefois : plus le nombre de personnes participant à l’appel ou à la conférence est grand, moins ces technologies sont efficaces. Les formes de communication les moins utiles sont le courrier électronique et les messages texte19 [TCO]. »

Un SIC qui permet, autant que possible, des communications naturellement résilientes devrait chercher à prioriser la voix plutôt que le texte et la communication directe plutôt que la communication indirecte. Les réunions O&R du General McChrystal en sont un excellent exemple, les contacts quotidiens par voix et par vidéo que les membres de la force opérationnelle ont eus avec lui ont permis le passage de plus que de simples données d’opérations et de renseignement, ils lui offrait « […] une scène pour présenter la culture qu’il cherchait à promouvoir20 [TCO] ». Même si l’application Zello utilisée par la Cajun Navy n’était pas nécessairement bien connue en soi, l’interface « walkie-talkie », elle, l’était. Un moyen de communication simple a permis au cerveau humain de se concentrer sur la résolution collaborative de problèmes, et non sur la navigation dans des SIC inconnus.

Il est intéressant de noter que la communauté de développement du noyau Linux évite presque complètement les communications vocales et se fie plutôt à des listes de distribution par courriel. La plupart des membres de la communauté sont des programmeurs informatiques expérimentés, et configurent donc leur courriel pour afficher les chaînes de courriels dans un format de « forum en ligne ». Dans ce cas, la nature distribuée de la communauté et le niveau de confort technique permettent un moyen de communication différent, mais qui n’est pas inconnu des membres.

Mises en garde

Un SIC résilient nécessite l’appui du commandement

La planification de SIC ne doit pas ou ne peut pas toujours placer la résilience organisationnelle avant tous les autres facteurs. La priorité accordée à la résilience par rapport à d’autres facteurs lors de la conception et de la maintenance des SIC exige un soutien délibéré et conscient du commandement, car les compromis nécessaires pour permettre la résilience peuvent être importants.

Les réseaux résilients sont moins sûrs

Les Ordonnances et directives de sécurité de la Défense nationale (ODSDN)21 sur la sécurité des technologies de l’information précisent des exigences extrêmement strictes en matière de sécurité de l’information. Les normes de « privilège minimum » – chacun se voit accorder le moins de droits possible nécessaires à son travail et son rôle – et de « fonctionnalités minimum » – aucun SIC n’a plus de fonctionnalité que ce qui est absolument nécessaire pour la tâche conçue – sont obligatoires. Ces concepts sont bons pour la sécurité et le cloisonnement de l’information, mais ils limitent considérablement la résilience.

À un niveau plus granulaire, le test du « besoin de savoir » couramment appliqué restreint également la résilience. Dans le cadre de ce test, chaque élément d’information communiqué est examiné afin de déterminer si le destinataire prévu a un besoin d’accès justifié. Étant donné que le but d’un SIC favorisant la résilience est de mieux communiquer l’information et le contexte pour élaborer des solutions collaboratives, une philosophie plus utile pour permettre l’agilité est l’idée du « besoin de communiquer ». Dans ce modèle, l’information est partagée le plus largement possible par défaut, et elle n’est restreinte qu’au cas par cas lorsque faire autrement constituerait un risque inacceptable.

Les réseaux résilients sont moins « efficaces »

Chaque communauté utilisant un SIC donné aura des préférences et des désirs différents en matière de fonctionnalité, de performance et de convivialité. Bien que le désir d’« agilité » puisse se traduire par un désir d’ajouter constamment des fonctionnalités ou de modifier autrement le SIC, il est important de se rappeler que nous recherchons à créer une agilité pour permettre la résilience organisationnelle, et non des changements rapides pour répondre aux goûts individuels. Les concepteurs et les gestionnaires de SIC devraient résister à l’ajout de nouvelles fonctionnalités et de nouveaux outils, et surtout de dépôts de gestion de l’information (GI), qui pourraient être gérés de façon fonctionnelle par les structures existantes. L’utilisateur ne devrait jamais avoir à se demander où se trouve une information nécessaire ou comment contacter une autre personne, même si cela signifie que des méthodes sous-optimales sont utilisées. Il est essentiel de maximiser la connectivité, et non d’optimiser une tâche en particulier.

Dans de nombreux cas, cela se manifestera par un manque de capacités. Si un sousensemble d’utilisateurs préfère les structures de fichiers de type disque partagé, un autre sous-ensemble préfère les programmes collaboratifs, comme SharePoint, et un autre veut une structure ressemblant davantage à celle des pages Web, il est préférable pour la « pollinisation croisée » de l’information essentielle aux organisations résilientes de regrouper l’information dans un système unifié, mais la plupart des communautés percevront le système moins efficace que leur idéal.

Résister à l’envie de modifier et de changer continuellement le SIC pour qu’il réponde aux goûts individuels exigera un appui solide de la part des hauts niveaux de commandement, et les gestionnaires du SIC doivent demeurer les ambassadeurs du système actuel et veiller à ce que les utilisateurs aient les compétences et les connaissances nécessaires pour utiliser les systèmes actuels de manière à en tirer pleinement profit. Il ne faut pas oublier que l’un des principes de la conception de SIC favorisant la résilience consiste à réduire les obstacles à l’entrée, et la formation est l’un de ces obstacles.

Randall Hill/Reuters/RTS21HX9

Un résident et un membre de la Cajun Navy aident à évacuer une personne d’un parc de maisons mobiles menacé par l’inondation, pendant l’ouragan Florence, le 15 septembre 2018.

Planifier la résilience

Ces principes de résilience facilitée par les SIC devraient constituer la base de la planification militaire des SIC, mais ils servent davantage de principes directeurs que de directives de planification pratiques. Dans cette section, je ferai des recommandations à l’intention des professionnels des TI concernant la planification de SIC pour des organisations résilientes.

À quoi sert le SIC?

La première question à laquelle il faut répondre lors de la conception d’un SIC favorisant la résilience est la suivante : « À quelle fin est conçu le réseau? » La réponse n’est pas toujours évidente, mais la définition de la raison d’être d’un SIC en réseau permettra de définir les facteurs clés. De façon générale, il est conçu pour appuyer une certaine combinaison de coordination des opérations et de gestion des ressources, et la mesure dans laquelle chaque fonction est requise déterminera les considérations de conception.

Dans un contexte militaire, un SIC qui coordonne les opérations devrait accorder la priorité à la résilience, ce qui permettrait aux partenaires opérationnels de se joindre au réseau et d’échanger l’information. La « place de marché » sera souvent un clavardage en direct où tous les participants sont informés, tel que Mirc, et les communications vocales sont considérées comme essentielles. La disponibilité est plus importante que la plupart des autres considérations de sécurité. Les concepteurs devraient se concentrer sur la simplicité et les normes communes. L’utilisation de Zello (voix) et de Glympse (connaissance de la position) par la Cajun Navy est un exemple extrême de SIC conçu pour coordonner des opérations.

En revanche, un SIC conçu pour la gestion des ressources devrait mettre l’accent sur le maintien collectif de bases de données exactes et vérifiables. L’intégrité de l’information est privilégiée par rapport à l’ouverture, afin d’assurer la fiabilité des bases de données. L’information est normalement échangée par des moyens plus formels et structurés, comme des rapports normalisés, une messagerie asynchrone (courriel) et des bibliothèques de documents. La communauté de développement du noyau Linux repose sur le développement progressif et le maintien d’un référentiel de code stable, et les principaux moyens de communication sont la base de données de code en ligne GitHub, et les listes de diffusion de type forum Internet. La plupart des réseaux de SIC efficaces se situent quelque part au milieu de ces deux extrêmes : les réunions O&R quotidiennes du General McChrystal pour coordonner les opérations et intégrer les rapports sur le renseignement étaient rendues possible grâce à de vastes bases de données de partage du renseignement et à un système de courrier électronique au niveau de l’entreprise.  

Communiquer latéralement

Comme il a été mentionné précédemment, le General McChrystal décrit le concept d’individus et d’organisations en réseau comme une « équipe d’équipes »22. Dans les « équipes » par opposition aux « commandements », les liens horizontaux entre les membres se créent naturellement et sont aussi importants que les liens verticaux inhérents à la chaîne de commandement. Il explique comme suit : « […] nous n’avions pas besoin que tous les membres de la force opérationnelle connaissent tout le monde; nous avions simplement besoin que tout le monde connaisse quelqu’un dans chaque équipe […] Nous devions permettre à une équipe travaillant dans un environnement interdépendant de comprendre les ramifications de l’effet papillon de leur travail et de leur faire connaître les autres équipes avec lesquelles ils devraient coopérer [TCO]. » De la même manière, tout concepteur de SIC favorisant la résilience doit déterminer comment les utilisateurs et les nœuds communiqueront entre eux.

Bien que la détermination de ce que sera la « place de marché » pour une communauté donnée soit le plus gros problème de conception à résoudre, il faut aussi porter une attention particulière à la façon dont les utilisateurs individuels et les communautés communiqueront entre eux. Là encore, des moyens facilement extensibles qui imitent le plus possible la communication naturelle de l’être humain sont préférables. Des normes ouvertes supportées par une vaste gamme de produits sont préférables aux formats propriétaires, qui ont moins de fonctionnalités ou un coût plus élevé.

Planifier l’accès

Toute organisation agile changera tout au long de sa vie, et un SIC favorisant la résilience doit être prêt à permettre ce changement. Lors de la planification d’un SIC, il faut répondre à la question « Comment d’autres nœuds auront-ils accès au système? ». Qui plus est, le coût de l’ajout de nouveaux utilisateurs devrait être réduit autant que possible.

Andrew Burton/Reuters/RTR3A901

Une femme vient chercher de la nourriture dans un abri érigé par Occupy Sandy dans le quartier de Rockaway Beach, dans le district de Queens, à New York, le 10 novembre 2012

Selon les exigences en matière de sécurité de l’information, il y a deux façons de permettre l’accès. En employant une philosophie « ouverte », des normes communes peuvent être utilisées, ce qui permet aux nouveaux utilisateurs de mieux choisir les moyens de se joindre au réseau. Une analyse du Department of Homeland Security a révélé que Occupy Sandy « […] a utilisé des plates-formes logicielles libres gratuites parce qu’elles étaient bien connues et accessibles. La faible courbe d’apprentissage et la formation minimale ont permis au réseau de fonctionner efficacement et ont aidé les bénévoles actuels et potentiels à maintenir une connaissance de la situation23. » Le « coût » d’intégrer le réseau est le temps qu’il faut pour télécharger l’application et les frais de données d’un forfait Internet. La communauté de développement du noyau Linux est encore plus ouverte; le courrier électronique et les pages Web n’exigent pas des utilisateurs qu’ils téléchargent un programme autre qu’un navigateur Web, ce qui est une caractéristique standard sur presque tous les appareils.

Une autre approche, déjà mentionnée comme ayant été utilisée par la force opérationnelle du General McChrystal, consiste à assumer les coûts pour de nouveaux nœuds potentiels. Il décrit comment la force opérationnelle « [...] a conçu des ensembles de communications préemballés que les équipes pourraient apporter sur le terrain, où qu’elles se trouvent dans le monde. […] Nous avons investi dans la bande passante pour nous permettre d’atteindre toutes les composantes de notre force et nos partenaires […] tout membre de la force opérationnelle, et tout partenaire que nous invitions, finissait par pouvoir se joindre aux réunions O&R de façon sécuritaire à partir de leur ordinateur portable et écouter à l’aide de leurs écouteurs24 [TCO].

Dans les deux cas, le concepteur doit planifier comment ajouter des nœuds et les intégrer en tant que membres fonctionnels de la communauté. Les procédures et les autorisations nécessaires doivent être déterminées à l’avance et bien connues. La formation des nouveaux membres doit être planifiée, soit au moyen d’écrans d’accueil, de foire aux questions (FAQ) et de tutoriels, soit en utilisant des technologies et procédures déjà familières aux nouveaux utilisateurs potentiels.

La Presse canadienne/AP photo/Dennis Cook/4504598

Le Major General Stanley McChrystal renseigne les journalistes sur la progression de la guerre en Iraq pendant une conférence de presse, au Pentagone, le 14 avril 2003.

Conclusion

L’agilité organisationnelle, ou la résilience, ne dépend pas simplement de l’environnement ou de la culture du commandement. Dans le monde distribué moderne, les organisations résilientes ont besoin de systèmes d’information et de communication qui permettent à cette résilience de se développer. Les systèmes d’information et de communication doivent être spécialement conçus pour permettre la création d’organisations résilientes, le concepteur et la communauté étant pleinement conscients des compromis qui doivent être faits en matière de fonctionnalité, de sécurité et de coût. Cependant, les avantages de la création d’une conscience commune, de la réduction du coût de la participation et de l’imitation de modèles de communication humaine familiers sont importants.

Notes

  1. Protection, Sécurité, Engagement. La politique de défense du Canada, Ottawa, Gouvernement du Canada, 2017.
  2. Michael A. Bell, The Five Principles of Organizational Resilience, Gartner, 2002, à : <www.gartner.com/doc/351410/principles-organizational-resilience>.
  3. General (ret) Stanley McChrystal, Team of Teams, New York, Penguin, 2015, p. 129.
  4. Protection, Sécurité, Engagement. La politique de défense du Canada, « L’anticipation des menaces et des défis émergents est essentielle à la sécurité du Canada. L’Équipe de la Défense améliorera sa capacité de fournir rapidement de l’information aux décideurs et de permettre au gouvernement d’identifier et de comprendre les événements et les crises émergents, d’intervenir de manière appropriée et de minimiser les effets dévastateurs des conflits prolongés ».
  5. U.S. Department of Commerce, Service Assessment: Hurricane/Post-Tropical Cyclone Sandy, October 22–29, 2012, à : <https://www.weather.gov/media/publications/assessments/Sandy13.pdf>.
  6. U.S. Department of Homeland Security, The Resilient Social Network, États-Unis, Homeland Security Studies and Analysis Institute, 2013 : « Occupy Sandy est un mouvement bénévole local de secours en cas de catastrophe qui a apporté un soutien novateur aux efforts de rétablissement après Sandy. En quatre mois, Occupy Sandy a recruté 60 000 bénévoles, recueilli près d’un million de dollars en dons pour Sandy Survivors et distribué de la nourriture, des vêtements, des fournitures médicales et des matériaux de construction. Occupy Sandy a touché des milliers de survivants à New York et au New Jersey. Parmi les réalisations notables d’Occupy Sandy, mentionnons les suivantes :
    • Établir des centres de distribution alimentaire à Brooklyn et dans d’autres pôles, tels que Coney Island;
    • Mettre en place des sites de dons en ligne et de médias sociaux pour les bénévoles;
    • Servir près de 10 000 repas par jour dans la semaine après que Sandy ait touché terre, grâce à 15 000 bénévoles recrutés au moyen de sites de médias sociaux;
    • Coordonner les parcs de véhicules pour transporter les équipes de construction et les comités médicaux jusqu’aux survivants sur le terrain. » [TCO]
  7. Emily Wax-Thibodeaux, ‘Cajun Navy’ races from Louisiana to Texas, using boats to pay it forward, dans « Chicago Tribune », 28 août 2017, à : <www.chicagotribune.com/news/nationworld/ct-cajun-navy-hurricane-harvey-20170828-story.html>.
  8. McChrystal, p. 168.
  9. Joel Gunter, International Space Station to boldly go with Linux over Windows, dans « The Telegraph », 10 mai 2013, à : <www.telegraph.co.uk/technology/news/10049444/International-Space-Station-to-boldly-go-with-Linux-over-Windows.html>. « Nous avons migré des fonctions clés de Windows vers Linux parce que nous avions besoin d’un système d’exploitation stable et fiable, un système qui nous donnerait un contrôle interne. Donc, si nous avions besoin d’apporter des correctifs, des ajustements ou des adaptations, nous pourrions le faire. » [TCO]
  10. Systèmes d’exploitation des 500 plus gros projets, accédé le 10 janvier 2018, à : <https://www.top500.org/statistics/details/osfam/1>.
  11. Linux Foundation, Linux Kernel Development Report, 2016, accédé le 12 janvier 2018, à : <www2.thelinuxfoundation.org/linux-kernel-development-report-2016>.
  12. <github.com/Torvalds/Linux>.
  13. <www.kernel.org/doc/html/v4.13/process/howto.html>.
  14. McChrystal, p. 164.
  15. Facebook.com/LaCajunNavy.
  16. McChrystal, p. 132.
  17. Alex « Sandy » Pentland, The new Science of Building Great Teams, dans « The Harvard Business Review », avril 2012.
  18. McChrystal, p. 164.
  19. Pentland.
  20. McChrystal, p. 227.
  21. Ministère de la Défense nationale, Ordonnances et directives de sécurité de la Défense nationale, 2015, chap 7.
  22. McChrystal, p. 128.
  23. U.S. Department of Homeland Security.
  24. McChrystal, p. 164.