OPINIONS

DVIDS/Photo de l’U.S. Air Force prise par le Staff Sergeant Sean Martin/4076143

À l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan, le 13 janvier 2018, tir d’un système de lutte contre la menace roquettes artillerie-mortiers. Le système pouvait aussi servir à abattre les drones.

La montée des drones : développements technologiques des armes miniaturisées et défis posés à la Marine royale canadienne

par Patrice Deschênes

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Introduction

La prolifération et la miniaturisation des drones de toutes sortes, mais en particulier des mini-drones aériens, est un sujet brûlant chez les tacticiens des marines alliées, qui se rendent compte de la vulnérabilité croissante de leurs forces navales sans toutefois pouvoir y parer. Pourtant, cette menace n’est pas nouvelle. Depuis au moins dix ans, les forces terrestres sont confrontées à l’utilisation croissante de mini-drones par des acteurs non-étatiques.

La Presse canadienne/AP Images/Khalid Mohammed/14338312

Un officier iraquien inspecte des drones appartenant aux militants de l’État islamique, à Mossoul, en Iraq, le 27 janvier 2017.

Dans les conflits en Syrie et en Irak en particulier, au moins une demi-douzaine de groupes militants ont déjà utilisé des drones qui sont disponibles sur le marché à des prix relativement bas dans n’importe quel magasin d’électronique. Maintenant, même les groupes de combattants les plus pauvres peuvent imposer leur présence dans l’espace aérien du champ de bataille et mener des engagements efficaces contre des forces terrestres mieux armées. Les forces terrestres conventionnelles ont été prises de court par cette menace, à tel point qu’un officier des forces spéciales américaines, le lieutenant-colonel Joe Salinas, a déclaré que les forces américaines en Syrie avaient effectivement perdu le contrôle de l’espace aérien en-dessous de 3 500 pieds1.

Pour aussi peu que 500 $, les groupes terroristes peuvent se procurer auprès de détaillants locaux toute une gamme de drones faciles à utiliser, puis les transformer d’articles récréatifs en bombes guidées rudimentaires, mais néanmoins efficaces. Daesh a déjà utilisé des drones équipés de caméras à haute définition (habituellement intégrées à l’engin) pour guider à distance des véhicules remplis d’explosifs vers leurs objectifs. Lors de la bataille de Mossoul en Irak en juillet 2017, des dizaines de soldats irakiens ont été tués ou blessés, et des véhicules de combat ont été détruits par des grenades et de petites bombes larguées depuis des mini-drones2. Aujourd’hui, cette menace ne se limite plus aux champs de bataille du Moyen-Orient : elle prolifère dans le monde entier.

Aris Messinis/AFP/Getty Images/653711600

Une photo prise le 14 mars 2017 dans la ville de Mossoul, dans le nord de l’Iraq, fait voir un drone emportant deux grenades, lors d’un vol d’essai exécuté par des forces iraquiennes qui comptent s’en servir contre les combattants de l’État islamique (EI).

Les exemples d’incidents d’infraction à la sécurité liés à des drones commerciaux se sont multipliés au cours des dernières années – certains incidents ont mis en évidence la grande vulnérabilité de certaines installations stratégiques et des personnes importantes. Par exemple, en 2013, le Parti pirate, un parti politique allemand, a fait voler un drone sans la moindre opposition ou pression près de la chancelière Angela Merkel lors d’une activité à l’extérieur. Plus troublant encore, des drones ont été observés à plusieurs reprises à proximité d’installations nucléaires en France3. Si des groupes terroristes avaient été aux commandes de ces drones, ils auraient facilement pu assassiner la chef d’État allemande ou encore déclencher une catastrophe nucléaire en plein cœur de la France.

Les navires de guerre n’échappent plus eux non plus à la menace des drones miniatures, même lorsqu’ils sont bien amarrés en lieu sûr dans des bases et arsenaux hautement protégés et fortifiés. Des drones ont en effet été aperçus au-dessus de la base de sous-marins nucléaires de Kitsap-Bangor dans l’État de Washington4, et un petit drone Phantom IV s’est même posé sur le pont d’envol du porte-avions britannique HMS Queen Elizabeth en août 20175. Encore une fois, un individu mal intentionné aurait pu infliger des dommages matériels ou même des pertes en vies humaines.

Tactiques asymétriques

Les drones disponibles sur le marché peuvent certes être modifiés pour devenir des armes mortelles, mais ils peuvent également être utilisés pour poursuivre une gamme de tactiques encore plus vaste.

En effet, les drones peuvent être utilisés comme outil de surveillance et de collecte de renseignements. Dotés de caméras à haute fidélité, ils permettent à l’ennemi d’obtenir des renseignements précis et détaillés sur les infrastructures, le matériel sensible, la surveillance et la protection d’un objectif, les activités routinières ou encore le ciblage. En milieu urbain, des mini-drones commerciaux à 500 $ peuvent fournir à un ennemi potentiel un excellent niveau de fidélité d’imagerie et donc lui procurer une économie de l’ordre de 400 millions de dollars en satellites d’imagerie sophistiqués.

Des drones peuvent également être utilisés pour disperser des agents chimiques ou biologiques en milieu urbain. Une panoplie de drones commerciaux conçus pour irriguer les champs agricoles est facilement accessible et ceux-ci ne nécessiteraient aucune modification importante pour pouvoir disperser des agents toxiques. C’est là un moyen facile et peu coûteux pour un groupe terroriste de provoquer le chaos.

Utilisés par des acteurs étatiques toutefois, les mini-drones peuvent servir d’outils de collecte de renseignements électroniques et autres renseignements divers.

Détection, poursuite, identification et neutralisation

Les mini-drones représentent un danger réel pour les forces navales car ils sont pratiquement impossibles à détecter à une distance qui permet d’enclencher un processus décisionnel complet et efficace. Leur signature radar est minime et ils sont extrêmement difficiles à détecter, même à l’œil nu. Au moment de sa détection, un mini-drone peut être si près d’un navire ou d’une installation portuaire que l’effet de surprise subsiste. En outre, le temps nécessaire pour poursuivre et identifier le drone et pour confirmer l’intention de son pilote avant que les forces de protection navales ne se sentent obligées d’entreprendre une action défensive est réduit au minimum. Une telle compression du délai de décision peut être lourde de conséquences, notamment des dommages collatéraux, puisque le choix des mesures à prendre contre le drone détecté risque de ne pas être étayé sur des informations adéquates ou pertinentes et d’empêcher du coup l’application d’un processus de commandement et de contrôle approprié.

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Des navires évoluent dans des secteurs très peuplés, ce qui rend peu pratique l’emploi d’armes portatives/destructrices pour se défendre contre les drones, vu le risque de dommages collatéraux.

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Contrairement aux troupes terrestres déployées dans un théâtre de combat, les forces navales opèrent généralement dans des zones urbaines densément peuplées en temps de paix. Les navires de guerre sont en effet habituellement amarrés dans des ports fréquentés par le public et des civils, surtout lors d’escales diplomatiques. Cette caractéristique rend l’engagement et la neutralisation des mini-drones difficiles car ceux-ci présentent un risque élevé de dommages collatéraux. La poursuite et l’engagement à l’arme légère d’un drone en plein vol implique le déferlement d’une rafale de projectiles balistiques sans contrôle ni destination précise dans les airs sur une distance pouvant atteindre 700 mètres. À des fins de visualisation, 700 mètres équivalent à l’aller-retour entre le Québec et l’Ontario sur la rivière des Outaouais à la hauteur du parlement fédéral. Dans l’éventualité où une équipe de protection de la force devrait engager un mini-drone depuis un navire à quai, la population civile des quartiers avoisinant le port et les plaisanciers présents risqueraient de devenir victimes de dommages collatéraux.

Compte tenu de la difficulté que posent la détection et l’engagement d’un seul drone, une attaque coordonnée de plusieurs drones apparaît impossible à contrer avec les moyens dont disposent actuellement les navires de guerre canadiens. La technologie permettant une attaque coordonnée par une nuée de drones est déjà disponible sur le marché. De nouveaux algorithmes capables de synchroniser le vol de plusieurs drones en détectant la position des uns et des autres dans le ciel et de voler en formations cohérentes ont déjà démontré leur efficacité. Une démonstration particulièrement spectaculaire de synchronisation de drones a été faite lors des Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang de 2018, lorsque 1 218 drones parfaitement coordonnés ont illuminé les cérémonies d’ouverture.

Dans un contexte de protection de la force navale, un groupe de seulement deux à cinq drones équipés de petites quantités d’explosifs et effectuant un vol synchronisé téléguidé serait suffisant pour endommager gravement l’une de nos frégates ultramodernes et la mettre hors de combat pour une période indéterminée, en plus de blesser ou de tuer du même coup des membres d’équipage. Étant donné que les flottes de navires de combat de la Marine royale canadienne (MRC) ne comptent pas plus de quatre navires opérationnels par côte à la fois, une seule attaque de drone, pour un investissement d’aussi peu que 5 000 $, pourrait neutraliser 25 p. 100 ou plus de la capacité de combat de la MRC dans le Pacifique ou dans l’Atlantique pendant une période susceptible de se prolonger.

John Stilwell/PA Images/Getty Images/1074518728

Des équipements de lutte contre les drones installés sur un toit, à l’aéroport de Gatwick, que l’on avait fermé après que des drones eurent été repérés au-dessus de l’aérodrome pendant deux jours, en décembre 2018.

Solutions disponibles

Le marché des produits disponibles pour contrer les mini-drones est florissant. L’industrie est en plein boum depuis quelques années et il y a actuellement plus de 230 systèmes de détection et de défense anti-drones produits par 155 entreprises dans 33 pays6. Malgré cette profusion soudaine de systèmes anti-drones disponibles, les produits proposés, pour la plupart, n’ont pas encore atteint la maturité technologique requise ou ne sont pas adaptés pour permettre leur utilisation depuis un navire de guerre amarré en centre urbain. En effet, divers systèmes ont déjà été utilisés à plusieurs endroits, tels que certains aéroports et la périphérie de bases militaires, et pendant différentes activités, entre autres le marathon de Boston, mais aucun n’offre encore de solution satisfaisante et efficace en matière de protection d’une force navale à quai. Essentiellement, les systèmes disponibles sur le marché « promettent beaucoup mais accomplissent peu ».

Les différents systèmes de détection, des radars actifs aux capteurs acoustiques, en passant par les caméras et les systèmes infrarouges, ont tous leurs limites en milieu urbain, ce qui entraîne le même problème de détection tardive de la menace et le risque élevé de dommages collatéraux. Aujourd’hui, la détection la plus efficace d’une éventuelle attaque de drone passe par une alerte à priori provenant des services de renseignement et la neutralisation sur place des réseaux terroristes avant même que ceux-ci ne puissent déployer de drones.

Les moyens disponibles pour neutraliser les mini-drones sont également inappropriés pour la Marine. Par exemple, les brouilleurs de radiofréquences affectent la population civile et ils ne sont efficaces que contre certaines caractéristiques de certains drones. Les faisceaux d’énergie concentrés pour leur part n’ont pas atteint le niveau de développement nécessaire pour neutraliser un objet volant relativement vite, et tant les filets que les autres moyens moins destructeurs ne sont pas assez efficaces contre la menace d’une attaque de drones volant en nuée. Bref, les navires de guerre qui se déplacent vers la côte, mènent des opérations près des côtes ou qui se trouvent dans un port sont aujourd’hui extrêmement vulnérables à la menace des mini-drones.

À nos planches à dessin pour la recherche et le développement!

Cesser les escales diplomatiques, installer des filets protecteurs autour des navires en escale ou interdire et limiter la vente de mini-drones ne sont pas des solutions acceptables pour contrer efficacement la menace. Tant le secteur privé que nos centres de recherche et de développement doivent s’appliquer à développer la technologie et les moyens de contrer la menace que posent les mini-drones adaptés au contexte des navires de guerre.

Pour ce faire, les innovateurs doivent considérer les facteurs suivant dans le développement de leur système conceptuel. Premièrement, les systèmes de détection doivent être capables de détecter les objets volants non-identifiés depuis une distance appropriée tout en prévenant les risques d’interférence électromagnétiques et autres dangers de rayonnement en centre urbain. Un système de détection hybride comprenant un ou plusieurs capteurs actifs et passifs, combiné avec des capteurs électro-optiques capables de reconnaître des formes caractéristiques, doit donc être adapté aux fins d’utilisation à bord d’un navire. Enfin, ces capteurs doivent être intégrés à un système de gestion du combat (SGC) - idéalement celui du navire - afin d’optimiser la chaîne décisionnelle, de maximiser l’engagement de la menace et de favoriser le concept de la défense par couches.

Deuxièmement, un système de neutralisation de mini-drones doit tenir compte du fait que les opérations navales susceptibles d’être menacées par des mini-drones se déroulent en centre urbain, ce qui engendre des risques de dommages collatéraux élevés, particulièrement lorsque la menace est aérienne. Un tel système ne peut se limiter à l’engagement d’un seul mini-drone. Il doit être conçu pour pouvoir neutraliser une nuée de drones (un groupe de cinq appareils ou plus). Il y a lieu d’explorer d’autres solutions plus simples, telles que l’utilisation de munitions à portée restreinte à partir de systèmes d’armes télécommandés à haute stabilité, combinées à des systèmes électroniques avancés capables de prendre le contrôle des drones, afin de mettre en place un système de défense par couches.

Blighter Surveillance Systems/ http://www.blighter.com/images/images/pr/auds-counter-drone-system-without-stamp-high-res.jpg

L’AUDS est un système anti-drones conçu pour perturber et neutraliser les véhicules aériens sans pilote.

Conclusion

La montée des mini-drones ne fait que commencer, et la menace qui y est associée ne fera qu’augmenter. La MRC, comme les autres marines dans le monde, est très vulnérable aux mini-drones, et c’est pourquoi il faut mettre au point des moyens de défense efficaces le plus tôt possible. La probabilité d’une attaque au drone est aujourd’hui beaucoup plus élevée que celle d’une attaque au missile antinavire. Pourtant, les ressources allouées à la recherche et au développement en matière de défense contre la menace des mini-drones sont actuellement négligeables. Une seule attaque réussie contre un navire canadien pourrait neutraliser au moins 25 p. 100 de la capacité de combat de la flotte de la MRC pour une période indéterminée et faire des blessés chez les civils.

La technologie actuelle n’est pas adaptée aux conditions opérationnelles des navires de guerre et devra faire l’objet d’un important effort en recherche et développement. Nous suggérons fortement que des ressources et des efforts appropriés soient consacrés à l’élaboration d’un système complet de détection et de défense pour la MRC.

Le capitaine de corvette Patrice Deschênes, CD, MDS, est officier de guerre navale et titulaire d’un baccalauréat ès arts en sciences politiques et d’une maîtrise en études de la défense du Collège militaire royal de Kingston. Il est actuellement officier responsable de l’élaboration des tactiques de protection de la force et de guerre de surface au Centre de guerre navale des Forces canadiennes, à Halifax. Il a participé à des déploiements dans le golfe Persique lors des opérations Augmentation et Apollo.

Business Wire/ https://mms.businesswire.com/media/20180117005738/en/635584/5/
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Un tétracoptère est abattu par un système Liteye/Orbital ATK T-Rex à Fort Sill, dans l’Oklahoma, où l’U.S. Army exécute son Maneuver Fires Integrated Experiment.

Notes

  1. Andrew Clevenger Tweet: “LTC Joe Salinas, Army spec ops, tells DIB that because of drones, forces returning from Syria say US doesn’t control airspace below 3,500 feet,” 24 October 2017, at: https://twitter.com/andclev/status/922829571644325890?lang=en
  2. W.J. Hennigan, “Islamic State’s deadly drone operation is faltering, but U.S. commanders see broader danger ahead,” 28 September 2017, at: www.latimes.com/world/la-fg-isis-drones-20170928-story.html
  3. “More drones spotted over French nuclear power stations,” Agence France-Presse, 31 October 2014, at: https://www.theguardian.com/environment/2014/oct/31/more-drones-spotted-over-french-nuclear-power-stations
  4. Hal Bernton, “Who flew drone over Bangor submarine base? Navy wants to know.” 25 February 2016, at: https://www.seattletimes.com/seattle-news/crime/whos-flying-drones-over-bangor-submarine-base-navy-wants-to-know/
  5. “Tiny drone lands on Queen Elizabeth aircraft carrier,” 12 August 2017, BBC News, at: https://www.bbc.com/news/uk-scotland-highlands-islands-40910087
  6. Arthur, Holland, Michel, “Counter-Drone Systems,” Center for the Study of the Drone at Bard College, February 2018.