CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de l’ouvrage « Appel: A Canadian in the French Foreign Legion »

Appel: A Canadian in the French Foreign Legion

par Joel Adam Struthers
Waterloo, Ontario, Wilfrid Laurier Press, 2019
260 pages, 30 illustrations, 24,99 $
ISBN 978-1-77112-105-7 (couverture souple)
ISBN 978-1-77112-106-4 (EPUB)
ISBN 978-1-77112-390-7 (PDF)

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Critique de Michael Boire

Si vous souhaitez découvrir la réalité des soldats de la Légion étrangère contemporaine, sans vous empêtrer dans le mythe et la prétention qui caractérisent nombre des descriptions existantes de la Légion, ce livre est fait pour vous. Dans ces mémoires amusants et réfléchis, Joel Struthers nous raconte en toute sincérité ses six années dans la Légion. Il a eu la chance de passer la plus grande partie de son service dans la composante aéroportée élite de la Légion, l’incomparable 2e Régiment étranger de parachutistes (le REP), qui était et est encore à l’avant-garde des Forces spéciales françaises.

Pendant sa jeunesse au Canada, à peine sorti de l’école secondaire, il était de son propre aveu plein de rancœur. Ses aptitudes physiques à l’agressivité éclipsant sa maturité, l’auteur ne se sentait pas à sa place dans un milieu qu’il considérait comme morne et ordinaire. Issu d’une famille cultivant le goût des voyages et une tradition militaire dans l’ARC – elle avait commencé son long et honorable service envers le Canada un siècle plus tôt, pendant la guerre des Boers – Struthers a eu envie d’entamer une carrière militaire pour retrouver le droit chemin et se concentrer sur son avenir. La profession des armes, qui avait été une si grande source d’honneur et de fierté pour son grand-père et son père, deviendrait le moyen par lequel il connaîtrait le succès et l’épanouissement, et mettrait fin à ses remises en question.

Cette quête de maturité commence donc lorsque Struthers s’enrôle dans le Royal Westminster Regiment, l’une des pierres angulaires de la milice de la Colombie-Britannique. Rassuré par cette nouvelle vie militaire et fasciné par les défis de l’entraînement au manège militaire de son régiment et dans les grands espaces de Wainwright, le jeune Joel a trouvé la mesure du bonheur. Bien qu’il soit occupé et appliqué, son insatisfaction demeurait néanmoins. Quelque chose lui manquait. Pendant son cheminement vers l’âge adulte dans la milice canadienne, Joel a entendu l’appel au clairon lancé par la Légion dans le cadre d’une campagne de promotion musclée. Pour ce jeune homme qui cherchait à s’épanouir en partant au combat à l’autre bout du monde, l’attrait de la Légion a été irrésistible. Il a rapidement compris que « bien que la Légion fasse partie des forces armées françaises, elle a son histoire propre, ses traditions distinctives et une discipline exclusive. Dans les forces armées françaises, il est entendu que le légionnaire s’élève au-dessus du soldat ordinaire par sa discipline et les attentes qu’il doit satisfaire [TCO] » (p.35). Voilà à quoi ressemblerait la nouvelle vie de l’auteur.

Le livre consiste en un tour d’horizon de la Légion. Outre l’abondance de détails sur cette forme spéciale et unique de vie militaire, le livre offre aussi la précision technique d’un roman de Tom Clancy qui aurait été composé avec une touche de sensibilité. Struthers nous raconte ses six années d’aventure en 24 chapitres captivants, chacun d’entre eux regorgeant de détails sur son instruction de base et sa spécialisation, ses qualifications officielles et officieuses, ses multiples missions en Afrique où il a frôlé la mort à plusieurs reprises, et son admission définitive dans le groupe le plus exclusif de la Légion : le Groupe des commandos parachutistes, les éclaireurs du REP.

L’auteur s’efforce de remettre les pendules à l’heure quant à bon nombre des pratiques actuelles de la Légion, qui sont souvent enveloppées de mystère. Qualifiée de refuge pour les fugitifs recherchés par les autorités dans leurs pays d’origine, la Légion d’aujourd’hui n’est pas le sanctuaire des hors-la-loi dépeint dans les films de série B d’autrefois. Le service de sécurité de la Légion, surnommé « la Gestapo », soumet les recrues potentielles à un interrogatoire rigoureux, qui peut mener à une expulsion immédiate si elles ne disent pas toute la vérité. Les légionnaires s’encouragent entre eux à dire la vérité sur leurs origines, ainsi que sur les raisons de leur enrôlement. Le but est d’éviter de gaspiller du temps et des efforts pour des recrues qui pourraient être impossibles à former, être réfractaires à la discipline ou mettre la Légion dans l’embarras. De plus, le mythe selon lequel tous les légionnaires reçoivent une fausse identité au moment de l’assermentation est une exagération. Seules les recrues dont le pays d’origine interdit à ses citoyens de s’enrôler dans des forces armées étrangères doivent adopter une fausse identité pour se protéger. Struthers a conservé son nom, parce qu’il est citoyen du Canada, dont les lois passent cette question sous silence.

Cependant, Struthers explique très clairement que la réputation bien établie quant à l’instruction exigeante – et brutale – de la Légion est exacte. Le recours aux châtiments corporels par le personnel d’instruction était la norme. L’auteur a d’ailleurs subi ce traitement à plus d’une occasion. Il admet néanmoins qu’il existait un souci d’équité dans la Légion : les soldats et les sous-officiers pouvaient s’entendre pour régler leurs comptes « dans la cour arrière » sans risque de mesures disciplinaires, tant pour le vainqueur que pour le vaincu.

L’auteur résume son expérience de l’instruction de base en quelques mots : conditionnement physique, langue française, et faim. Alors que l’entraînement physique extrême était constant, les vivres ne suffisaient pas par rapport aux efforts déployés. Les recrues ont souffert de la faim durant les quatre longs mois d’instruction à gravir et à descendre les montagnes du Sud de la France. De plus, comme la Légion se compose de soldats de 150 nationalités différentes, il ne faut pas s’étonner que son plus grand défi d’instruction soit la langue française. Le groupe de recrues de Struthers passait la plus grande partie de son temps en salle de classe à apprendre les rudiments de sa nouvelle langue. Il n’en reste pas moins que, pour tout le mythe entourant la Légion, « la réalité est que, en vue de se démarquer, la Légion fait régner une discipline de fer et restreint énormément les libertés personnelles. À court terme, c’est une solution qui fonctionne, mais elle donne lieu à un roulement de personnel élevé [TCO] » (p.168).

L’auteur admet toutefois que l’obsession de la Légion pour les chants lors des marches, à table, dans la salle de classe – bref, partout et en tout temps – ne lui convenait pas. Cela dit, il admet que, « avec le recul, j’apprécie aujourd’hui que chaque unité militaire maintienne la tradition, puisque cela fait naître un sentiment d’identité, et dans le cas de la Légion, commémore les opérations et guerres menées. Les chants tracent la carte de l’histoire militaire, et comme la Légion est une institution ancrée dans la tradition, les chants en sont une partie essentielle. Mais je n’ai pas pu m’y habituer [TCO] » (p.43).

L’élément qui porte le plus à réfléchir dans les descriptions que Struthers donne de sa vie dans la Légion est peut-être sa justification du code d’honneur du légionnaire. Ce vœu solennel prononcé en groupe à la fin de l’instruction de base exprime la place de la vertu dans le credo de la Légion. Une telle importance est à la foi unique et impérieuse. En voici un extrait :

Légionnaire, tu es un volontaire servant la France… Chaque légionnaire est ton frère d’arme … Respectueux des traditions, attaché à tes chefs, la discipline et la camaraderie sont ta force, le courage et la loyauté tes vertus… La mission est sacrée, tu l’exécutes jusqu’au bout… Au combat tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, tu n’abandonnes jamais ni tes morts, ni tes blessés, ni tes armes (p. 47-48).

En conclusion, Joel Struthers nous offre un portrait touchant et très personnel de la vie de soldat dans la Légion étrangère d’aujourd’hui. Le choix du terme français « appel » en première de couverture met en évidence la notion que la Légion est en effet une vocation, et par conséquent, ne convient qu’à quelques personnes.

Michael Boire, officier de l’Armée canadienne à la retraite, a fait deux missions en tant qu’officier d’échange dans l’Armée française. Il est actuellement instructeur et conseiller au Collège militaire royal à Kingston.