CRITIQUES DE LIVRES

Couverture de l’ouvrage « The Allied Intervention in Russia 1918-1920: The Diplomacy of Chaos »

The Allied Intervention in Russia 1918-1920: The Diplomacy of Chaos

par Ian Moffat
Londres, Palgrave-MacMillan, 2015
317 pages, 57,07 $
ISBN – 13 : 978-1137435712
ISBN – 10 : 1137435712

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Critique de Terry Loveridge

L’ouvrage The Allied Intervention in Russia 1918-1920 de Ian Moffat répond à un besoin. L’épisode et la période de l’intervention alliée en Russie ne sont pas bien connus ou compris, bien qu’il s’agisse pourtant d’un moment fondamental dans la création du monde moderne. C’est là l’un des résultats les plus importants, bien que négligé, de la Grande Guerre.

Dans son ouvrage, Moffat nous livre une histoire diplomatique classique se concentrant sur les intentions, les actions et l’inaction de plusieurs acteurs clés dans une série de décisions qui ont établi le cadre politique dominant de l’histoire mondiale des soixante-dix années qui ont suivi. Le point de vue étant politico-diplomatique, le lecteur ne doit pas s’attendre à grand-chose en matière d’analyse des campagnes militaires, de conflits socioculturels ou de grande histoire, ce qui fait que cet ouvrage est destiné à ceux qui ont une certaine connaissance de cette époque et de ses événements.

L’ouvrage est organisé par blocs chronologiques et géographiques. L’introduction décrit d’un point de vue économique le déroulement de la Grande Guerre et présente les principaux dirigeants, indiquant dès lors quel sera le point de vue tout au long du livre : de l’ouest vers l’est. Plus précisément, de Londres, avec des regards occasionnels vers Paris, Washington et Ottawa.

L’intervention occidentale comme telle est présentée en trois parties, théâtre par théâtre (Mourmansk et Arkhangelsk, le Caucase et la Sibérie). La première partie décrit les événements de mars 1917 à novembre 1917, alors que le but était de « préserver l’alliance avec la Russie ». La deuxième partie couvre la période allant de novembre 1917, suite à la Révolution bolchévique, à novembre 1918, lorsque l’objectif est d’empêcher la Russie de signer une paix séparée. Puis la troisième partie, de novembre 1918 à la défaite des Blancs, où l’objectif semblait être de tenter d’arriver à une certaine forme de stabilisation ou de confinement du bolchévisme.

L’ouvrage se termine par une courte conclusion analytique qui permet de dégager un certain nombre d’excellents points. Certains d’entre eux indiquent des domaines prometteurs pour de futurs travaux, notamment l’évolution des relations entre la Grande-Bretagne et ses Dominions, et peut-être même un lien entre l’intervention et les relations tendues entre les États-Unis et le Japon.

L’ouvrage profite d’un traitement approfondi, mais, comme indiqué dans l’introduction, d’un point de vue très spécifique. Les événements à Paris, Moscou, Washington, Tokyo et Ottawa ne sont interprétés, pour la plupart, que du point de vue de Londres. L’énoncé clé définissant ce point de vue se trouve à la page 13, où l’auteur écrit que « le résultat le plus significatif de l’effondrement de la Russie a été la création d’une nouvelle géographie stratégique pour la Grande-Bretagne » [TCO]. Cette déclaration aurait été tout aussi valable sans les trois derniers mots, mais, pour ce livre, cela s’avère être un thème.

Ce point de vue est résumé dans l’introduction, où le déroulement de la guerre souligne la motivation des acteurs principaux. Il n’y a pas de résumé parallèle pour le front de l’Est, la Révolution russe ou la guerre civile qui s’ensuit. David Lloyd George, Woodrow Wilson et Georges Clemenceau sont présentés et décrits comme des acteurs principaux, tandis que Lénine et Trotski font partie du groupe « également influent », aux côtés de Churchill, Balfour et Borden. Mais bon, au moins ils sont nommés, contrairement aux « Blancs » en général. Pour ces derniers en effet, Anton Denikine, l’un des principaux généraux des armées blanches, de même que l’Amiral Alexandre Koltchak, le chef de la lutte antibolchevique, ne sont mentionnés que bien après le début du récit, tout comme les Allemands et les Japonais. Le point de vue extérieur et occidental est présent tout au long du livre et laisse le lecteur désireux d’en savoir plus sur ce que les Russes, les Japonais et les Allemands pensaient réellement, plutôt que sur ce que les Britanniques et, dans une moindre mesure, les Américains, pensaient qu’ils pensaient...

L’analyse de Moffat a un thème : le chaos d’une politique alliée incomprise et mal appliquée. Moffat, un officier de carrière de la marine, excelle ici à décrire les effets des décisions prises (ou non) par les décideurs, les visionnaires et les hommes sur le terrain. En fait, Moffat décrit leurs actions, leurs desseins contradictoires et leurs communications mal comprises avec tant de détails qu’il subvertit son propre titre. Il démontre que ce n’est pas tant un véritable chaos qui régnait, mais plutôt le résultat d’une concentration d’un « nombre trop élevé de chefs » qui ont transformé un repas-partage complexe en un buffet désordonné et compétitif. Lénine, mentionne l’auteur, a été le seul qui a réussi à faire un repas satisfaisant.

Bien qu’il présente les trois grands dirigeants occidentaux comme des personnages clés, Moffat précise rapidement qu’une série d’intermédiaires et de représentants locaux ont joué un rôle moteur dans les événements. Des politiciens comme Winston Churchill et Robert Borden, une coterie de généraux comme l’Américan Graves et les Britanniques Ironside et Dunsterville, et une série effacée de diplomates officiels ou autoproclamés, dont le Britannique Lockhart, l’Américain Lansing et le Français Noullens, interagissent avec une gamme confuse de Rouges et de Blancs (mais surtout de Blancs). Tous agissent selon ce qui leur semble le mieux, et même si cela s’avère parfois en contradiction avec les attentes de leurs pays respectifs, la plupart semblent croire qu’ils obtiennent les résultats que leurs supérieurs veulent vraiment. Certains, cependant, ont cherché à façonner les politiques en présentant des résultats de facto à leurs gouvernements respectifs qu’ils considéraient comme naïfs ou mal informés. Moffat fournit une annexe bien utile énumérant tous ces vilains héroïques (ou héros vilains), comme il sied à une œuvre dont les personnages rivalisent avec ceux de Guerre et Paix.

Le livre découle d’une thèse de doctorat bien documentée, et cela parait. L’adaptation pour plaire au lecteur général ou informé toutefois a entrainé un certain nombre de problèmes syntaxiques qui auraient dû être relevés par le rédacteur en chef. Ainsi, beaucoup trop de phrases commencent par des conjonctions; beaucoup de phrases et de termes sont redondants; des mots comme « adverse » et « averse » sont interchangés; le baron Wrangel est rebaptisé baron Wrangle; et ainsi de suite. L’ouvrage insiste sur l’utilisation du terme « Alliés », courant dans les œuvres sur la Grande Guerre, même s’il s’agit d’une erreur technique. Les alliés de l’Entente de la Première Guerre mondiale ont fini par devenir les puissances alliées et associées. Aussi l’emploi du terme « Alliés » en Russie devient-il techniquement peu judicieux, puisque la Russie était un allié, alors que les États-Unis étaient des cobelligérants. La note de l’auteur concernant l’utilisation de l’expression raccourcie a peut-être été supprimée lors de l’adaptation.

L’auteur s’appuie sur une abondante documentation britannique et canadienne, ainsi que sur un formidable corpus d’articles et de monographies, tant publiés que non publiés. Il étaye certes un point de vue anglocentrique, mais fournit également quelques clés pour une perspective internationale plus large. Enfin, l’ouvrage comprend un certain nombre de cartes reproduites et utilisables, bien que la carte de la Sibérie orientale n’ait pas d’échelle.

Pour ceux qui souhaitent une vue d’ensemble et détaillée de cette importante intervention de l’Occident en Russie qui façonna l’histoire, ce livre vaut la peine d’être lu. La plupart des lecteurs y verront s’y dérouler un drame politique dans lequel les États-Unis et le Japon se disputent à l’est de la scène, tandis que la Grande-Bretagne et la France luttent pour établir leur domination à l’ouest. Reprenant ou refusant de reprendre les dialogues des principaux acteurs, le lecteur voit des acteurs secondaires, comme le Canada, l’Estonie et la Finlande, approcher de l’avant-scène au fur et à mesure que l’Allemagne se retire. Dans cette production cependant, bien que la Russie serve de toile de fond et fournisse la majeure partie de la distribution, les Russes – Rouges, Blancs, Cosaques, membres de la Légion tchèque et Kerenskistes –ne tiennent que des petits rôles secondaires au passage.

Le lieutenant-colonel (ret) T.W. Loveridge, CD, a servi pendant de nombreuses années comme officier d’infanterie dans l’Armée canadienne. Il est actuellement professeur adjoint d’histoire au Collège militaire royal du Canada.