AvertissementCette information est archivée à des fins de consultation ou de recherche.

Information archivée dans le Web

Information identifiée comme étant archivée dans le Web à des fins de consultation, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’a pas été modifiée ni mise à jour depuis la date de son archivage. Les pages Web qui sont archivées dans le Web ne sont pas assujetties aux normes applicables au Web du gouvernement du Canada. Conformément à la Politique de communication du gouvernement du Canada, vous pouvez la demander sous d’autres formes. Ses coordonnées figurent à la page « Contactez-nous »

Préoccupations stratégiques et opérations futures

Michael Deiber t IPS 20080417

Le poids d’une intervention: La communauté internationale et le Congo

par James McKillip

Imprimer PDF

Pour plus d'information sur l'accessibilité de ce fichier, veuillez consulter notre page d'aide.

Officier de l’Arme blindée possédant une vaste expérience à l’étranger, le Major James McKillip travaille aujourd’hui au sein de la Direction de l’histoire et du patrimoine, à Ottawa. Il termine actuellement des études doctorales qui portent notamment sur l’histoire coloniale, autochtone et militaire comparée. Il a l’insigne honneur d’être titulaire de deux décorations pour service méritoire du Canada dans le domaine militaire.

Introduction

Le 30 juin 1960, le Congo accéda à l’indépendance en vertu d’un accord entre les dirigeants congolais et le gouvernement de l’autorité coloniale, la Belgique1. Presque aussitôt,  le nouveau gouvernement fut bouleversé, ce qui amena les forces belges et d’autres forces étrangères à intervenir rapidement dans le conflit. Les résultats obtenus furent néanmoins discutables et fort controversés. Trente-six ans plus tard, dans le contexte d’une catastrophe humanitaire imminente, la communauté internationale envisagea d’intervenir à nouveau dans ce pays. L’intervention, à laquelle le Canada devait être appelé à contribuer largement, ne se concrétisa cependant pas. En effet, aucune force combattante ne fut alors dépêchée au Congo.

La guerre, complexe et d’une rare violence, continua de sévir au pays. Malgré un cessez-le-feu conclu en 1999, de même qu’un accord plus global négocié en 2002, le Congo demeure l’un des pays les plus dangereux de la planète. En dépit de la présence d’une mission de maintien de la paix des Nations Unies dotée d’un effectif important et croissant – il s’agit du plus gros effort du genre à l’heure actuelle –, la communauté internationale s’entête à refuser d’intervenir directement au Congo, bien qu’elle prétende souvent le contraire et mène des activités du même type dans d’autres parties du globe, telles que l’ex-Yougoslavie, le Timor-Leste, la Sierra Leone, et, tout récemment, la Libye. La longue et malheureuse histoire de l’intervention internationale au Congo continue aujourd’hui encore de troubler les décideurs du monde occidental.

Contexte

On ne saurait parler d’intervention étrangère au Congo sans comprendre les origines de l’action de pays étrangers sur son territoire. Il faut remonter pour cela à la fin du XVe siècle, soit l’époque des premiers contacts entre les peuples d’Europe et les populations indigènes de la région. Les premiers explorateurs portugais accostèrent à la recherche d’or, d’épices et de pierres précieuses, dont auraient recelé les terres mystérieuses et inexplorées situées au sud de l’obstacle musulman qu’était l’Afrique du Nord. Outre l’appât du gain, les récits du légendaire empire chrétien du prêtre Jean, que l’on disait caché dans les profondeurs du continent, ont contribué à attirer les explorateurs sur place. Le premier Européen arrivé au Congo, Diego Cao, a foulé le sol à l’embouchure du fleuve Congo en 1482, et vite fait de proclamer que le territoire avait été « découvert » au nom du roi du Portugal2. L’idée même de la « découverte », qui faisait abstraction de la présence de populations ou de sociétés indigènes, donnait le ton à la négation ultérieure des droits fondamentaux des populations indigènes qui serait l’un des thèmes insistants de l’époque des découvreurs. En effet, les « découvertes » européennes, au cours des siècles qui suivirent, furent lourdes de conséquences pour l’Afrique en général et les populations du bassin congolais en particulier.

Quand les Portugais firent leurs premières incursions sur le continent, une décennie après avoir en foulé la côte, ils apprirent que le peuple Kongo occupait la région au sud de l’embouchure du fleuve Congo3. Le royaume des Kongos, qui donna son nom au fleuve, fut l’interlocuteur de l’Europe dans une relation qui allait durer plus ou moins 400 ans4.  Cette relation, d’abord accueillie favorablement par les Kongos, était fondée sur le commerce des esclaves, qui fut le principal intérêt des Européens en Afrique jusque tard dans le XIXe siècle. Toutefois, constatant l’appétit insatiable des Européens, qui n’avaient jamais assez d’esclaves pour exploiter les mines et les plantations des Amériques, les Africains ne tardèrent pas à comprendre que ce commerce menaçait leur propre existence. Il en résulta dès 1665 un conflit déclaré entre les Kongos et les Portugais. Les Kongos perdirent la guerre, et leur roi, le Manikongo, fut décapité. Dès lors, les Européens ne rencontrèrent plus aucune résistance concertée jusqu’à la fin du XIXe siècle5.

Le commerce transatlantique des esclaves déclinant au cours de la première moitié du XIXe siècle, les échanges entre l’Afrique et l’Europe s’axèrent davantage sur l’exportation de produits de consommation vers l’Europe6.  Ces produits, surtout de l’ivoire et de l’huile de palme, étaient si mal payés que le commerce était pour ainsi dire unilatéral. Déjà à cette époque, les nouvelles théories commerciales contemporaines exigeaient que les importations de matières brutes soient financées par des exportations de biens manufacturés. Il devenait clair qu’il n’était pas dans l’intérêt à long terme des puissances coloniales de maintenir leurs politiques coloniales purement exploiteuses. Ajoutons à cela que les premières puissances coloniales devenaient de plus en plus conscientes du coût véritable de la domination formelle de contrées lointaines. Ensemble, ces influences firent hésiter les puissances européennes à annexer de nouvelles colonies. Malheureusement pour l’Afrique, l’hésitation fut de courte durée. Malgré la logique commerciale qui avait freiné le colonialisme vers le milieu du XIXe siècle, l’Europe fut prise d’un nouveau et puissant zèle colonisateur au cours de la deuxième moitié du siècle, qui était le fruit d’un nationalisme dynamique, de la ferveur des missionnaires chrétiens, de la quête de marchés, de la recherche de nouvelles possibilités d’investissement pour les capitaux excédentaires, ainsi que de notions mal définies de prestige impérial. Nul ne symbolisa davantage l’union de ces influences que le singulier roi de Belgique Léopold II.

L’obsession de Léopold II pour l’Afrique est un des faits les plus particuliers de toute l’histoire du colonialisme. Par une série de manœuvres personnelles, financières et diplomatiques tortueuses, le roi Léopold II parvint à revendiquer presque toute la région baignée par le fleuve Congo et ses tributaires7. Il réclama officiellement ces terres en 1885, à la conclusion de la Conférence de Berlin qui avait été organisée pour mettre de l’ordre dans l’expansion coloniale en Afrique, que l’on appelait déjà la « course aux colonies ». Le 29 mai 1885, l’État indépendant du Congo fut établi officiellement par un décret royal de la Belgique. Durant un quart de siècle, le roi de Belgique régna sur son fief personnel du Congo d’une manière qui incarna le pire du colonialisme et transforma profondément la nature des sociétés et des peuples congolais. La Belgique exploita le pays comme une simple entreprise commerciale et fit régulièrement usage de la coercition et de la terreur à des fins lucratives. Le principal produit du Congo était alors le caoutchouc, qui était laborieusement recueilli à la main sur les hévéas indigènes du territoire. Pour rendre ce commerce rentable, l’administration de l’État indépendant du Congo rétablit dans les faits l’esclavage au profit de l’Europe.

En 1908, la communauté internationale connaissait la véritable nature du règne de Léopold II sur le Congo et l’avait presque unanimement condamné. Embarrassé, le gouvernement belge arriva à contraindre le roi de transférer à l’État belge les rennes de l’État indépendant du Congo8. Il mit ainsi fin aux pires excès de la puissance coloniale belge, mais ne prit aucune mesure digne de faire oublier le règne du roi Léopold II. La Belgique tenta bien de nier sa complicité dans le règne de terreur du roi, mais il demeure qu’elle avait amplement profité de l’exploitation sauvage de la région. En Belgique, plus d’un palais et d’un ouvrage public avaient été financés par l’exploitation du peuple congolais9.

Si le passage du règne personnel du roi Léopold II à celui de l’État belge améliora certainement la situation, le Congo n’en était pas moins dominé par un pays étranger. Certes, l’administration du gouvernement belge était moins oppressive que celle de son prédécesseur, mais la relation entre les deux pays était toujours fondée sur la présomption que le Congo était un bien à exploiter. Au cours des 52 années de l’administration belge, presque rien ne fut fait pour préparer le pays à l’indépendance10.

Débats sur la situation du Congo aux Nations Unies.

Nations Unies, photo 214006

Débats sur la situation du Congo aux Nations Unies.

La vague de décolonisation qui suivit l’indépendance du Ghana, en 195711, gagna rapidement d’autres régions de l’Afrique, dont le Congo. Après une longue période de violences et d’émeutes dans la capitale Léopoldville en 1959, le gouvernement belge s’empressa d’organiser une conférence où l’on discuterait de l’éventuelle indépendance du pays12. Or, dès le départ, il était clair que la Belgique n’avait rien prévu pour l’indépendance du Congo13. À l’ouverture de la conférence, le 20 janvier 1960, la Belgique déposa une vague proposition prévoyant l’accession à l’indépendance dans quatre ans14. Quand la conférence prit fin, les parties avaient convenu que le nouveau pays serait créé moins de cinq mois plus tard, le 30 juin 196015.

L’échéance fut respectée. Cependant, moins d’une semaine après l’accession à l’indépendance, les soldats congolais se mutinèrent contre les officiers belges restés dans l’armée nationale conformément aux modalités de la convention d’indépendance. La Belgique eut tôt fait d’intervenir, soi-disant pour garantir la sûreté de 80 000 et quelques ressortissants qui demeuraient au Congo. Le nouveau gouvernement congolais, craignant à juste raison que la Belgique tente par cette intervention de s’arroger le pouvoir, demanda alors l’aide des États-Unis, qui refusèrent, puis des Nations Unies. Le Conseil de sécurité accepta rapidement d’accorder de l’assistance militaire au Congo et adopta à cette fin la résolution S/4387 le 14 juillet16.  La situation se compliqua davantage quand la province du Katanga, une province du sud riche en minerais, fit sécession moins d’une semaine après l’indépendance du Congo, suivie un mois plus tard de la province du Sud-Kasaï17.

Le 5 septembre 1960, le président du Congo, Joseph Kasa-Vubu, limogea le premier ministre Patrice Lumumba, qui réagit en tentant de lui dérober la présidence. Une semaine plus tard, l’armée congolaise, commandée par Joseph Mobutu18 et appuyée par le président, prit le pouvoir avec l’encouragement et l’assistance des États-Unis19, aux dires de certains observateurs.  S’ensuivit une année de bouleversements, pendant laquelle Lumumba fut assassiné et l’humeur s’échauffa à l’étranger20.  Des discussions et des pourparlers entre les diverses factions aboutirent à la formation d’un gouvernement réceptif à l’Occident. Encore une fois, les arguments et l’aide financière des États-Unis y auraient été pour quelque chose21.   Parallèlement, en application de la résolution S/5002 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 24 novembre 196122, on condamna la sécession de la province du Katanga et contraignit son dirigeant, Moïse Tshombe, à réintégrer le Katanga dans l’État congolais. Tshombe accepta de renoncer à la sécession, mais des retards dans la ratification de l’accord entraînèrent de nouvelles confrontations. À l’insistance des États-Unis, l’effectif des Nations Unies fut renforcé et Tshombe fut forcé d’abdiquer.23.

Même s’ils avaient rejeté la demande d’assistance initiale du Congo, les États-Unis appuyèrent activement la création de la mission des Nations Unies. Au cours de la planification de l’opération, les Américains fournirent un soutien précieux, entre autres en ce qui a trait au transport, à l’approvisionnement et à l’équipement. Surtout, les États-Unis financèrent en grande partie l’opération24.

La démarche des Belges avait justifié l’intervention de la communauté internationale dans les affaires du nouveau pays, mais on jugea à l’époque que c’était plutôt la rivalité entre l’Est et l’Ouest qui avait aiguillonné les principales puissances. Précisons que le gouvernement congolais, essuyant le refus initial des États-Unis, s’était tourné vers l’Union soviétique. En réponse à sa demande d’aide, les Soviétiques offrirent une assistance considérable au Congo25. Aux Nations Unies, aux États-Unis et au sein même du gouvernement du Congo, des groupes tirèrent parti du fait que l’Ouest craignait la pénétration des Soviétiques en Afrique26. La mission mise sur pied par les Nations Unies jouit donc d’un large appui qui était attribuable au désir sincère d’éviter de nouvelles confrontations entre l’Est et l’Ouest. L’Opération des Nations Unies au Congo (ONUC) fut perçue à l’Ouest comme un organisme de stabilisation fort utile sis à un carrefour international potentiellement périlleux27.

Tandis que la situation au Congo se stabilisait vers le milieu de 1962, le discours public sur l’importance de l’Afrique pour l’Ouest était plutôt centré sur la notion conventionnelle des intérêts nationaux. Dans cette optique, il était évident que, abstraction faite des réactions émotives et intellectuelles, les États-Unis avaient de très minces intérêts en Afrique28. En 1965, les organismes du service extérieur américain voyaient l’Afrique globalement, et le Congo plus précisément, comme ayant principalement de l’intérêt pour les puissances coloniales sortantes, et non pour les États-Unis29. L’Afrique figurait au dernier rang des intérêts américains, conformément à ce qui avait presque toujours été l’appréciation du Département d’État30.

L’aéronef North Star de l’Aviation royale canadienne qui faisait partie des forces de l’ONUC.

Nations Unies, photo 72369

L'aéronef North Star de l'Aviation royale canadienne qui faisait partie des forces de l'ONUC .

En 1977, une série d’événements déclenchée par l’accession à l’indépendance de l’Angola entraîna une nouvelle intervention étrangère d’envergure au Congo, devenu le Zaïre sous le président Mobutu en 1971. L’Angola, voisin du Congo au sud, s’approchait de l’indépendance, en 1975, après une longue et rude bataille contre le gouvernement portugais. À l’instar des Belges au Congo, les Portugais n’avaient fait presque aucun préparatif en vue de la cession de l’administration du pays aux nouvelles autorités nationales. Le retrait du Portugal n’étant plus qu’une question de temps, par suite d’un coup d’État perpétré au Portugal, la lutte fit surface entre les diverses factions cherchant à diriger l’Angola. Mobutu décida alors d’appuyer les éléments théoriquement pro-occidentaux, plus particulièrement le Frente Nacional de Libertação de Angola (FNLA)31. Faisant grand étalage de sa puissance, la brigade Kamanyola, prétendument composée de l’élite brigade des Forces armées zaïroises (FAZ), mena l’invasion de l’Angola en juillet. Progressant lentement vers le sud, elle n’était plus qu’à 40 kilomètres de la capitale angolaise, Luanda, à la fin du mois de novembre.  Toutefois, quand les troupes du Movimento Popular de Libertação de Angola (MPLA), d’allégeance prosoviétique, furent complétées par des troupes régulières cubaines équipées d’artillerie lance-roquettes, les forces zaïroises s’effritèrent et devinrent rien de moins que des bandes désordonnées de pilleurs32.

La cuisante défaite des FAZ mit en lumière le peu de progrès qu’avait réalisés l’armée depuis l’époque de la guerre civile et montra que les FAZ auraient beaucoup de mal à véritablement défendre l’État. La faiblesse manifeste de l’armée incita un groupe de rebelles du Katanga nommé le Front pour la libération nationale du Congo (FLNC), établi en Angola et financé par ce dernier, à attaquer le Zaïre dans le but de provoquer un soulèvement populaire qui aboutirait enfin à l’indépendance de la province du Katanga. L’invasion du FLNC débuta le 8 mars 1977, menée par une force composée de moins de 2 000 combattants mal entraînés et légèrement équipés. Cette force, aussi faible fut-elle, eut tout de même raison des FAZ . Au-delà des communiqués de presse optimistes relatant des luttes héroïques, la presse internationale rapporta que les FAZ évoquaient davantage les foules paniquées et indisciplinées qui tenaient lieu d’unités armées congolaises au début des années 1960. « Elles fuient plus qu’elles ne combattent », lisait-on à l’époque33. L’attaque avança lentement; le FLNC prit d’abord une série de centres administratifs et miniers. Ensuite, vers la mi-avril, il devint évident pour le monde que les FAZ n’agissaient pas vraiment pour freiner l’avancée. Enfin, le gouvernement français annonça qu’il assurerait le transport, par voie aérienne, de troupes régulières marocaines qui se préparaient à assister les FAZ . Le FNLC, de toute évidence réticent à affronter l’armée du Maroc34, commença à se désengager du Katanga dans la semaine qui suivit son arrivée dans la région. Vers la fin du mois de mai, la province était de nouveau complètement occupée par les forces gouvernementales.

Cet épisode de l’histoire du Zaïre eut deux grandes conséquences. La première fut qu’au lendemain de la reprise de la province du Katanga, les FAZ menèrent contre la population une campagne punitive sans pitié, qui fit fuir plus de 200 000 réfugiés katangais vers le nord de l’Angola. L’exode eut pour effet de grossir les rangs des recrues potentielles du FNLC, en plus de motiver considérablement ce dernier à récidiver. La seconde grande conséquence de l’invasion ratée toucha la communauté internationale, qui constata qu’en dépit de l’importante aide occidentale consentie et des nombreux programmes de formation d’appoint offerts au fil des ans35, les FAZ étaient toujours incapables de protéger la province du sud, riche en minerais, et étaient peu susceptibles d’être du moindre secours dans les efforts de l’Ouest visant à contrer l’influence soviétique sur le continent africain.

L’aéronef North Star de l’Aviation royale canadienne qui faisait partie des forces de l’ONUC.

Nations Unies, photo 184413

Les troupes de l'ONUC récupèrent une jeep en panne.

Moins d’un an après la fin de la première invasion, le FNLC attaqua de nouveau la province du Katanga. L’offensive qu’il lança le 13 mai 1978 fut beaucoup mieux préparée que celle de l’année précédente. Outre le fait que le FNLC disposait d’un effectif plus grand, mieux équipé et mieux entraîné, ses objectifs politiques étaient bien mieux définis. Dès la chute de la première ville, Kolwezi, le FNLC annonça l’établissement d’un gouvernement katangais provisoire36. Cette fois, la réaction internationale ne tarda pas à venir. En effet, une force constituée de membres de la Légion étrangère française et de parachutistes belges fût dépêchée sur place presque sur-le-champ et se mit en branle le 19 mai, reprenant Kolwezi le jour même. Les États-Unis assurèrent l’appui aérien de la force, fournissant à la fois le transport aérien et des avions d’attaque au sol qui assaillirent directement les troupes du FNLC. Bien que des opérations de suivi se poursuivirent jusqu’au mois de juin, l’invasion fut réellement défaite après moins d’une semaine. Une force multinationale composée principalement de troupes marocaines fut vite organisée pour maintenir une présence dans la région37. Après deux invasions du Katanga en deux ans, Mobutu accrût considérablement le nombre d’instructeurs et de conseillers militaires étrangers qui servaient aux côtés des officiers des FAZ . En plus de fournir de l’assistance directe, ces conseillers jouèrent un rôle encore plus important, compte tenu de l’inefficacité patente des FAZ . Comme le sénat des États-Unis l’indiqua dans un rapport, la présence évidente du soutien occidental revêtait une valeur symbolique qui dépassait largement celle du nombre réel d’étrangers sur place : ces effectifs étrangers, tels des déclencheurs, garantissaient dans les faits que les puissances étrangères interviendraient en cas de crise38.

Retombées

Le Congo connût 15 années de calme relatif, pendant lesquelles l’Occident maintint une présence discrète sur le territoire. C’est l’économie qui prit alors l’avant-scène, car la chute du prix du cuivre, survenue en 1974, entraîna le Congo dans une profonde crise financière. Les problèmes de paiements, alourdis par le fardeau des dispositions financières relatives à des projets de construction de très grande envergure tels que celui du barrage Inga39 et celui des aciéries de Maluka40, enfoncèrent le pays dans une crise économique quasi permanente. D’autres facteurs, comme la hausse du prix du pétrole, les coûts liés aux crises en Angola et les insuccès du secteur agricole, aggravèrent tous la situation à tel point que le Congo se trouva, à l’aube des années 1990, au bord de l’effondrement économique complet41.

Carte de la République démocratique du Congo.

Car te 30728 du Bureau des publications de la 17e Escadre Winnipeg

Carte de la République démocratique du Congo.

À la même époque, le Rwanda, situé à la frontière est du pays, vivait des événements qui allaient être marquants pour le Congo42. En effet, le pays fut balayé en 1994 par un vent de violence meurtrière qui laissa le monde pantois. La réaction internationale, anémique, n’eut que peu d’effet sur la situation, et en quelques semaines à peine, le Rwanda fut plongé dans une guerre civile à grande échelle. La victoire rapide des forces rebelles, puissantes et bien organisées, entraîna l’exode massif d’une grande partie de la population rwandaise dans l’est du Congo. Le nombre des réfugiés grimpa jusqu’aux millions, et l’on se mit à craindre la menace d’une gigantesque catastrophe humanitaire. Pourtant, la communauté internationale ne réagit que timidement. En 1996, on convenait globalement qu’il était temps d’agir, mais rares furent les pays qui daignaient affecter du personnel et des ressources à une intervention au Rwanda. On remarqua l’absence manifeste des pays qui auraient été les plus aptes à réagir, soit les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’ancienne puissance coloniale de l’endroit, la Belgique, s’abstint également de toute action positive. On s’intéressa un moment aux démarches canadiennes visant à parrainer et à diriger une force multinationale d’intervention dans l’est du Congo, mais cette force ne vit finalement jamais le jour. En fin de compte, des facteurs internes au Rwanda ramenèrent le gros des réfugiés sans que la communauté internationale n’intervienne de façon importante.

Depuis 15 ans, le Congo souffre des guerres civiles continuelles, de la tourmente politique et de niveaux de désordre civil et de violence qui en font l’un des pays les plus précaires et les plus dangereux du monde. En date de 2011, la Central Intelligence Agency des États-Unis classait le Congo au 199e rang, sur 222 pays, pour ce qui a trait à l’espérance de vie, et estimait que 71 pour 100 de la population de plus de 70 millions d’habitants vivait sous le seuil de la pauvreté. Non seulement évalue-t-on à quatre millions43 le nombre de personnes tuées par les combats et l’anarchie généralisés, mais on donne aussi au Congo les tristes appellations de « capitale mondiale du viol » et de « pire endroit sur terre pour les femmes »44. Une nouvelle mission des Nations Unies dans le pays fut mise sur pied par suite de l’accord de Lusaka, conclu en 1999, mais elle mit du temps à s’établir, et ne commença que récemment à déployer au pays des troupes en quantité appréciable. Même si elle en venait à atteindre l’effectif prévu de quelque 22 000 militaires, cette nouvelle force onusienne échouerait lamentablement à répondre aux besoins d’un pays très peuplé comptant plus de 200 groupes ethniques et ayant à peu près le quart de la superficie du Canada.

Le Congo sur l’échiquier mondial

Avant de mesurer les répercussions de ces événements sur l’attitude contemporaine qui se répandit en Occident, il convient de les situer dans le contexte des grands événements internationaux. Commençons par rappeler qu’au moment où le Congo accéda à l’indépendance, le monde était en pleine guerre froide. Définie à l’origine par sir Winston Churchill en 1946, dans son discours sur le « rideau de fer »45, l’idée d’une confrontation permanente entre l’Ouest, mené par les États-Unis, et le « monde communiste » mené par l’Union soviétique, fut codifiée dans la politique d’« endiguement » expliquée dans le fameux article de X rédigé par George Kennan46. En mai 1949, le blocus de Berlin et le pont aérien établi en réaction à ce dernier montrèrent à quel point l’Est et l’Ouest étaient brouillés après la Seconde Guerre mondiale. Au mois d’octobre de la même année, la guerre civile en Chine se solda par une victoire presque totale des communistes47. En 1953, la première grande confrontation Est-Ouest, en Corée, aboutit à une impasse. À Cuba, Fidel Castro acheva sa conquête en janvier 1959 et amorça la transition vers le communisme. Enfin, l’érection du mur de Berlin (1961), la crise des missiles cubains (1962) et le début de l’intervention américaine massive au Vietnam (1964) se produisirent tous pendant la guerre civile au Congo. Quand le Katanga fut envahi (en 1977 et en 1978), les États-Unis avaient déjà connu la défaite au Vietnam, et il découlait de cet échec une réticence généralisée à intervenir dans des régions qui ne répondaient pas de façon évidente à l’intérêt national.

Des événements encore plus dramatiques suivirent la chute soudaine de l’Union soviétique qui, en 1989, marqua la fin de la guerre froide. Vint ensuite la réaction massive à l’invasion du Koweït par l’Iraq, en 1990. La victoire des puissances occidentales au Koweït, à laquelle l’absence d’obstruction soviétique n’est absolument pas étrangère, fit croire avec optimisme, en 1991, que l’on était à l’aube d’un nouvel ordre mondial48. Or, cet ordre nouveau fut presque aussitôt mis à l’épreuve par la crise qui secoua la Somalie en 1992. À peine un an plus tard, l’absence d’embellie en Somalie, le coût croissant de l’intervention et les nombreux décès parmi les contingents de maintien de la paix firent largement douter des bienfaits du nouvel ordre mondial49. La désillusion éprouvée se fit sentir le long des crises au Rwanda. Déjà, en 1996, le bref intérêt de la communauté internationale pour l’intervention humanitaire s’était évaporé. Les grandes puissances, comme on le fit remarquer avec sarcasme, n’étaient pas prêtes à « mener la politique étrangère du travail social50 ».

L’histoire des interventions étrangères au Congo est celle d’une action continuellement motivée par des intérêts nationaux clairement définis. Entre 1960 et 1989, les politiques étrangères à l’égard du Congo étaient dominées par la perception générale que le pays faisait rempart à l’expansionnisme soviétique en Afrique. Néanmoins, après la chute de l’Union soviétique, les intérêts étrangers au Congo furent presque exclusivement commerciaux. Ils suffisaient à maintenir un niveau d’activité commercial modéré, mais pas à motiver une intervention gouvernementale officielle digne de ce nom. Les interventions passées s’étaient avérées beaucoup trop coûteuses. Les décideurs occidentaux qui envisageaient d’intervenir au Congo furent accueillis par une longue série de refus, et cet état de fait persiste aujourd’hui encore. Faute de grand principe justificateur ou motivateur comme la guerre froide, faute de possessions essentielles au Congo, faute d’assurance qu’une intervention aurait des chances de réussir dans ce pays chaotique et, enfin, faute de volonté de prendre de grands risques pour des motifs altruistes, on imagine facilement quelle serait la réponse de la communauté internationale si une nouvelle intervention au Congo devait être proposée dans un avenir prochain.

MDN, photo IS2011-1005-17

Le Major André Martin visite le village de Kimpoko pendant l'opération Crocodile afin de faire le suivi d'un projet
canadien visant à construire et à rénover des habitations et des puits pour les veuves de guerre et leurs enfants au
Congo, 15 mars 2011.

NOTES

  1. Quand il est question du Congo, les noms sont une source perpétuelle de confusion. Non seulement ce pays a-t-il changé plusieurs fois de nom, mais c’est aussi le cas de pays voisins et de certaines personnalités de la région.  Aux fins du présent article, nous utiliserons le nom Congo pour désigner à la fois l’État indépendant du Congo, le Congo belge, le Congo, le Zaïre et la République démocratique du Congo. La province méridionale du Congo, le Katanga, fut renommée Shaba par le président Mobutu en 1971, et sa capitale, Léopoldville, devint Kinshasa.

  2. Adam Hochschild. Les Fantômes du roi Léopold II : un holocauste oublié, Paris, Belfond, 1998, p. 17.

  3. Winsome J. Leslie. Zaire: Continuity and Political Change in an Oppressive State, Oxford, Westview Press, 1993, p. 5-8.

  4. Hochschild, p. 27.

  5. Ibid., p. 25.

  6. Le commerce d’esclaves au sein de l’Afrique, ainsi que l’exportation d’esclaves en Orient, continuèrent longtemps après l’abolition officielle de l’esclavage par les pays d’Europe. Pour un exemple, voir David N. Gibbs. The Political Economy of Third World Intervention: Mines, Money and US Policy in The Congo Crisis, Chicago, University of Chicago Press, 1991, p. 38-39.

  7. Pour une description de ces manœuvres, voir Hochschild, p. 33-124.

  8. Leslie, p. 10.

  9. L’ouvrage de Hochschild décrit de façon vivante l’histoire du règne de la terreur du roi Léopold II sur le Congo. 

  10. Pour en savoir plus long sur cette période, voir Jean van den Bosch. Pré-Zaïre: Le Cordon mal coupé, Bruxelles, Le CRI, 1986.

  11. Le Ghana, c’est-à-dire l’ancienne colonie britannique de la Côte-d’Or, a accédé à l’indépendance en mars 1957.

  12. Gibbs, p. 74-75.

  13. Pour connaître les idées, initiatives et intentions du gouvernement belge, voir A.A.J. Van Bilsen. Vers l’indépendance du Congo et du Ruanda-Urundi, Kinshasa, Presse universitaire du Zaïre, 1977.

  14. Alan James. Peacekeeping in International Politics, Londres, MacMillan Academic and Professional Ltd., 1990, p. 291.

  15. On attribue fréquemment à la transition rapide de la domination coloniale à l’indépendance une importante partie des difficultés que connût le Congo à ses débuts. Pour un exemple de polémique particulièrement intense, voir Jean-Grégoire Kalonda Djessa. Du Congo prospère au Zaïre en débâcle, Paris, L’Harmattan, 1991, p. 158-159.

  16. Arthur Lee Burns et Nina Heathcote. Peace-Keeping by UN Forces: From Suez to Congo, New York, Frederick A. Praeger, Inc., 1963, p. 249. Au cours des quatre années suivantes, la force des Nations Unies au Congo fut portée à plus de 20 000 soldats. Elle participa activement à des opérations militaires à l’appui du gouvernement, transgressant ainsi de façon évidente son mandat initial qui prévoyait qu’elle n’emploierait la force qu’en légitime défense.

  17. James, p. 295. Pour en savoir davantage sur les sentiments d’appartenance ethnique et nationale au Katanga, voir Edouard Bustin. Luanda Under Belgian Rule: The Politics of Ethnicity, Cambridge, Harvard University Press, 1975, p. 236-238.

  18. Le nom de Mobutu est source de confusion, comme celui du pays. Au moment de l’indépendance, on l’appelait le Colonel Joseph Désiré Mobutu. Après sa prise de pouvoir en 1961, on l’appelait généralement le Général Mobutu. Il devint dictateur en 1965 et s’arrogea le titre de premier ministre, qu’il remplaça en 1970 par celui de président. Enfin, en 1972, il devint Mobutu Sese Seko.

  19. James, p. 295.

  20. Par exemple, les Soviétiques accusèrent le Secrétariat des Nations Unies d’agir dans le but délibéré de chasser Lumumba. Ibid.

  21. Ibid., p. 296.

  22. Burns, p. 254-255. 

  23. James, p. 297. Selon un autre point de vue, si la sécession échoua, ce n’était pas grâce au torrent de paroles des États africains, mais plutôt à la persévérance des Nations Unies, dont les principaux appuis – contre les faux-fuyants des Britanniques et des Français – étaient les États-Unis, plus particulièrement l’ambassadeur Edmund Gullion, et la presse libérale américaine qui appuya un Kennedy exaspéré par les doutes et les hésitations de Dean Rusk, d’Averill Harriman et de nombreux autres. Russell Warren Howe. « Man and Myth in Political Africa », dans Foreign Affairs: An American Quarterly Review, avril 1968, p. 596.

  24. Aucun membre permanent du Conseil de sécurité ne fournit de troupes de combat. James, p. 292.

  25. Les Soviétiques offrirent cette aide malgré la méfiance que leur inspirait le caractère de Lumumba. Ils voyaient effectivement ce dernier comme résolument à gauche, mais jugeaient que sa nature de caméléon en faisait un allié potentiel peu attrayant. Ibid., p. 294.

  26. Ce point de vue est inspiré en grande partie de Stephen R. Weissman. American Foreign Policy in the Congo 1960-1964, Ithaca (New York), Cornell University Press, 1974.

  27. James, p. 294.

  28. Rupert Emerson. « American Policy in Africa », dans Foreign Affairs: An American Quarterly Review, janvier 1962, p. 303.

  29. Arnold Rivkin, « Lost Goals in Africa », dans Foreign Affairs: An American Quarterly Review, octobre 1965, p. 111-126.

  30. Rivkin, p. 113. Pour voir l’orientation américaine d’un œil différent, voir David Louis Cingranelli. Ethics, American Foreign Policy and the Third World, New York, St. Martin’s Press Inc., 1993, p. 155-56.

  31. Les éléments pro-occidentaux en Angola comprenaient aussi l’União Nacional para a Independência Total de Angola (UNITA) et des unités de la South African Defence Force (SADF).

  32. Crawford Young et Thomas Turner. The Rise and Decline of the Zairian State, Madison (Wisconsin), University of Wisconsin Press, 1985, p. 254.

  33. Washington Post, 25 mars 1977. Cité dans Young et Turner, p. 256.

  34. Ibid.

  35. Ibid.

  36. Ibid., p. 258.

  37. Cette « force interafricaine de maintien de la paix » était composée de 1 500 militaires marocains et complétée par des contributions symboliques du Sénégal, de la Côte-d’Ivoire, du Togo, du Gabon et de la République centrafricaine. Tous les pays membres de cette force entretenaient des liens étroits avec la France et le président Mobutu. Young, The Rise and Decline, 258.

  38. Comité du sénat sur les relations étrangères, Zaïre, juillet 1982, 97e Congrès, 2e session, p 5. Cité dans Young et Turner, p. 268.

  39. Pour plus de précisions, voir Ibid., p. 298.

  40. Pour plus de précisions, voir Ibid., p. 296.

  41. Leslie, p. 294-325. 

  42. Les répercussions à long terme des événements de 1994-1996 au Rwanda débordent le cadre de cet article. Il fait cependant peu de doute que ces événements ont contribué à l’instabilité générale qui entraîna le renversement de Mobutu, l’assassinat du président Laurent Kabila, ainsi que les guerres intérieures et extérieures qui font toujours rage au Congo.

  43. Il s’agit là du nombre de morts estimé par l’ONU pour la seule période de 1998 à 2003.

  44. C’est l’expression employée en 2010 par Margot Wallstrom, représentante spéciale de l’ONU chargée de la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits armés.

  45. Discours prononcé au Westminster College de Fulton (Missouri), le 5 mars 1946. Churchill n’était plus premier ministre à l’époque, car il avait perdu l’élection générale de 1945. Thomas G. Paterson, J. Garry Clifford et Kenneth J. Hagan. American Foreign Relations: A History since 1895, Boston, Houghton Mifflin Company, 2000, p. 237.

  46. X, « Zaire: The Sources of Soviet Conduct », dans Foreign Affairs: An American Quarterly Review, juillet 1947, p. 566-582.

  47. Seule l’île de Taïwan continua d’être dirigée par le gouvernement nationaliste du Kuomintang.

  48. Le discours du président Bush sur le « nouvel ordre mondial » se trouve dans « Address to Congress on Persian Gulf Crisis », 11 septembre 1990, Public Papers of the Presidents of the United States, George Bush, 1990, Washington, D.C., U.S. Government Printing Office, 1991, volume II, p. 1218-1222.

  49. Paul F. Diehl. International Peacekeeping, Baltimore (Maryland), The Johns Hopkins University Press, 1994, p. 190.

  50. Michael Mandelbaum, « Foreign Policy as Social Work », dans Foreign Affairs, janvier 1996, p.1.

 

Haut de la page