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LA RECHERCHE ET LE DÉVELOPPEMENT

Collection de l’auteur

Un des premiers chars d’assaut de la Première Guerre mondiale, un Mk 1 britannique, traverse une tranchée en France le 25 septembre 1916.

L’URANIUM APPAUVRI SUR LE CHAMP DE BATAILLE.

PARTIE I : POINT DE VUE BALISTIQUE

par William S. Andrews, Ph.D.

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Afin de briser l’impasse dans laquelle s’embourbait le front occidental durant la Première Guerre mondiale, des travaux ont été entrepris pour mettre au point des véhicules qui pourraient traverser le réseau de tranchées défensives qui s’étendaient de la Suisse à la mer du Nord. Ces tranchées, protégées par du fil barbelé et les feux croisés des mitrailleuses, étaient devenues pratiquement inattaquables pour des soldats sans protection, à pied ou à cheval. Le premier déploiement de tels véhicules, qui utilisaient un genre de chenilles continues et des plaques d’acier en guise de protection, a eu lieu lors de la bataille de la Somme, en France, le 15 septembre 1916. C’est là que 32 « chars » Mark 1 ont pris part à l’attaque, et certains ont contribué à la prise du village de Flers1. Cet épisode a marqué le début de l’inévitable jeu de va-et-vient, qui se poursuit encore aujourd’hui, entre la protection par blindage et les munitions perforantes conçues pour mettre en échec ces véhicules.

Figure 1 : Une représentation du blindage frontal d'un char de combat principal russe de l'ère moderne.

Figure 1 : Une représentation du blindage frontal d’un char de combat principal russe de l’ère moderne.

Cet article examine la place qu’occupe, en raison de ses propriétés balistiques, l’uranium appauvri (UA) dans l’arsenal de plusieurs armées modernes. Un article ultérieur (Partie 2) traitera de la menace que représente l’usage de l’UA pour les combattants de même que pour les Casques bleus et pour les civils. Il fera aussi état des études en cours sur les troupes, y compris des Canadiens, qui auraient été exposées à l’UA.

APERÇU HISTORIQUE

L’usage de véhicules de combat blindés dans les conflits armés s’est poursuivi sans répit depuis la Première Guerre mondiale, et on a utilisé de vastes déploiements de forces blindées pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Après la fin des hostilités en 1945, le marasme politique causé par la guerre froide a amené les nations membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et celles du Pacte de Varsovie à déployer de part et d’autre d’immenses forces mécanisées et blindées en Europe centrale. De part et d’autre, le véhicule le plus redoutable est devenu le char de combat principal (CCP), dont les versions actuelles pèsent environ 60 tonnes2. Une bonne partie de cette masse est due au blindage protecteur, lequel, jusqu’à la fin des années 1970, était généralement constitué de plaques d’acier appelées blindage homogène laminé (BHL) ou acier moulé. L’efficacité des munitions antichars allant en augmentant, surtout avec les jets en fusion d’ogives à charge creuse, il a fallu ajouter à la carapace d’acier des matériaux plus exotiques tels que la céramique, le verre, les composites et même le blindage réactif (BR). La figure 1 montre un exemple du blindage frontal d’un char de combat principal moderne, le T80U russe.

Figure 2 : Exemples de plombs perforants de calibre réel; de gauche à droite : de simples grenailles d’acier, une coiffe ajoutée pour que la balle ne se brise pas en éclats à l’impact (perforant à coiffe ou PC) et une coiffe balistique supplémentaire pour réduire la traînée aérodynamique en cours de vol (perforant à coiffe et coiffe balistique ou PCCB).

Figure 3 : Un exemple d’un ancien obusflèche à sabot détachable (OFSD) comportant un pénétrateur à noyau de tungstène au centre.

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Durant la Deuxième Guerre mondiale, l’acier était également le matériau principal de pénétration de blindage, utilisé dans les charges militaires de calibre réel (Figure 2), dans l’espoir que l’énergie de frappe du projectile (environ 10 MJ pour le canon de 88 mm des chars allemands Tiger) surclasse le blindage de la cible. On rapporte que le canon de 88 mm Kw.K.43 (L/71) du Tiger II pouvait percer environ 234 mm de blindage à 100 mètres3, 4. Cependant, cela résulte en l’application d’une charge impulsive de 1644 MJ/m2 sur la cible.

À mesure que le blindage protecteur a augmenté en épaisseur, on a utilisé comme pénétrateurs des noyaux denses sous-calibrés (d’abord, du carbure de tungstène puis, un alliage de tungstène), lesquels étaient équipés de pétales légers ou de sabots pendant que l’obus était dans le canon. Cela créait une plus grande aire de surface à la base de l’obus permettant aux gaz de propulsion d’augmenter la vitesse de départ (et par conséquent l’énergie initiale) de l’obus lors du lancement tout en permettant de frapper une plus petite partie de la cible.

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Figure 4 : Un obus-flèche empenné éjectant en vol son sabot détachable.

Le diamètre réduit diminuait également la traînée aérodynamique et permettait ainsi aux pénétrateurs de garder une plus grande partie de leur énergie initiale contre la cible. Ainsi l’obus-flèche à sabot détachable (OFSD) de 105 mm de l’OTAN, semblable à celui de la figure 3, avait-il une vitesse de départ de 1475 mètres/seconde, et aussi une énergie initiale d’environ 10 MJ. Cependant, l’énergie appliquée contre la cible était de l’ordre de 7800 MJ/m2. La rotation des obus en vol leur procurait la stabilité aérodynamique, et ils étaient donc limités à un rapport longueur/diamètre (L/D) d’environ 5 à 1. Afin d’améliorer la performance balistique à l’impact, on a utilisé des canons à âme lisse pour remplacer ceux à âme rayée qui étaient nécessaires pour produire une rotation du projectile avant le lancement. Les projectiles pouvaient maintenant atteindre la stabilité aérodynamique grâce aux ailerons d’empennage (Figure 4), c’est pourquoi on les appelle obus-flèche empenné à sabot détachable (OFESD) ou, plus simplement, barreaux de pénétration.

Figure 5 : La courbe balistique en forme de « S » qui illustre l'augmentation de pénétration en fonction de la vitesse croissante en deçà de la portée de l'arme et la non-dépendance du taux de pénétration en fonction de la vitesse dans la portée d'hypervitesse.

Figure 5 : La courbe balistique en forme de « S » qui illustre l’augmentation de pénétration en fonction de la vitesse croissante en deçà de la portée de l’arme et la non-dépendance du taux de pénétration en fonction de la vitesse dans la portée d’hypervitesse.

Cette modification technique a donc eu pour conséquence principale une augmentation spectaculaire du rapport L/D des OFESD, lequel était au départ d’environ 13:1 pour les projectiles russes/soviétiques 3BM3 et 3BM6 tirés du canon à âme lisse 2A20 de 115 mm du T62, mais qui est passé à 40:1 pour les obus expé-rimentaux5. L’énergie résultante appliquée contre la cible est de 35 800 MJ/m2 pour le pénétrateur américain actuel à UA de 120 mm dans l’obus M829A2.

LES PROPRIÉTÉS BALISTIQUES DE L’UA

Afin de comprendre l’utilisation de l’UA comme matériau de pénétration, il importe de jeter un bref regard sur le fonctionnement de la pénétration. Dans un régime d’hypervélocité, quand les impacts pénétrateur/cible sont de plus de 3 km/s, la pénétration se fait par l’érosion mutuelle de la cible et du pénétrateur. Si on sup-pose que le pénétrateur et la cible se comportent tous deux comme des fluides incompressibles, que la pénétration se produit à vitesse constante et que l’on se prévaut de la conservation du moment, on peut démontrer que :

Equation 1

P est la profondeur de pénétration dans la cible

L est la longueur de pénétration

rt est la densité de la cible

rp est la densité du pénétrateur

On peut voir que le degré de pénétration dépend seulement de la longueur du pénétrateur et de la densité de la cible et du pénétrateur, et qu’il ne dépend pas de la vitesse de frappe. Étant donné que les pressions à l’interface pénétrateur/cible sont bien au-delà de la limite conventionnelle d’élasticité de l’un ou l’autre matériau, les caractéristiques du matériau (mis à part les densités) ne sont pas importantes. Ce genre d’analyse est valable pour les jets d’ogives à charge creuse et les pénétrateurs formés par explosion6, tel que l’on peut voir à la figure 5, mais n’est pas valable pour les barreaux de pénétration dont on a parlé plus haut. Puisqu’ils frappent avec une vitesse dans le domaine de portée d’armes de 1500 à 1800 m/s, ces derniers sont plutôt décrits par la relation semi-empirique de Lanz-Odermatt7 :

Equation 2

a est fonction du rapport longueur/diamètre (L/D) du pénétrateur

S est une mesure de la résistance de la cible, et

v est la vitesse terminale

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Les deux paramètres d’ajustement a et S sont reliés aux propriétés mécaniques du pénétrateur et de la cible. On peut voir que, à mesure que la vitesse terminale v augmente, la pénétration devient indépendante de la vitesse, tel que décrit dans l’équation (1).

On peut donc augmenter la pénétration des barreaux de pénétration en augmentant leur longueur, leur densité ou leur vélocité. Bien que les canons et les agents propulsifs actuels semblent avoir atteint les tolérances de fabrication pour les vitesses de départ, on continue d’améliorer le rapport L/D. Quant à la densité, le changement des pénétrateurs de l’acier au tungstène a fait passer la densité d’environ 7800 kg/m3 à 17 500 kg/m3. L’uranium appauvri augmente encore la densité à 18 500 kg/m3, ce qui est plutôt faible compte tenu du fait que la pénétration varie en fonction de la racine carrée de la densité.

Les obus perforants tirés des canons de 105, 120 et 125 mm des CCP se composent de barreaux de pénétration à empennage, mais ce ne sont pas tous les canons tirant ces projectiles qui ont une âme lisse. Les canons de 105 mm L7 (US M68) britanniques et CN105F français ainsi que les canons de 120 mm L30 britanniques ont une âme rayée, mais ils utilisent des ceintures de projectiles dérapantes pour limiter la quantité de rotation imprimée au projectile par les rayures. On pense que la perte de complexité des munitions OFESD est en quelque sorte compensée par la plus longue portée des projectiles explosifs stabilisés par rotation. Dans le cas des canons automatiques où il existe plusieurs types de projectiles, les tubes sont également rayés. Le canon de 25 mm Bushmaster M242 est principalement utilisé contre les véhicules blindés légers; aussi, les munitions antichars s’en prennent-ils au blindage angulé et plus lourd de la tourelle ou au devant de la caisse des véhicules ciblés. Par conséquent, les États-Unis utilisent l’OFESD M919 muni d’un pénétrateur à UA. Puisque les canons antiaériens de 25 mm et de 30 mm seraient normalement utilisés pour attaquer le blindage plus mince du dessus à des angles plus près de la normale, on emploie dans ce cas comme munitions antichars des obus perforants incendiaires (PI) stabilisés par rotation, mais quand même munis de pénétrateurs à UA.

Figure 6 : Esquisse d'un char de combat principal américain Abrams M1A2HA montrant l'emplacement du blindage de protection en UA.

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Figure 6 : Esquisse d’un char de combat principal américain Abrams M1A2HA montrant l’emplacement du blindage de protection en UA.

Par ailleurs, quand il s’agit de fournir une protection au blindage, on constate que la pénétration diminue quand on augmente la densité rt de la cible. Donc, dans la version « blindé lourd » des chars d’assaut américains Abrams M1A1 et M1A2, des panneaux blindés en UA ont été ajoutés au blindage frontal de la tourelle, comme l’illustre la figure 6.

Figure 7 : Schéma montrant deux mécanismes différents de pénétration : une rupture en cisaillement adiabatique dans l'UA causant un auto-affûtage et un rhéodurcissement causant le champignonnage dans l'alliage lourd de tungstène (WHA).

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Figure 7 : Schéma montrant deux mécanismes différents de pénétration : une rupture en cisaillement adiabatique dans l’UA causant un auto-affûtage et un rhéodurcissement causant le champignonnage dans l’alliage lourd de tungstène (WHA).

Pour en revenir aux pénétrateurs, mentionnons que les premiers noyaux en usage après la guerre étaient en carbure de tungstène, mais on les a remplacés par des noyaux de tungstène allié à du nickel, du fer et du cobalt, parfois appelé alliage lourd de tungstène ou WHA. Ces derniers comportent des particules de tungstène dures mais cassantes enchâssées dans une matrice molle et ductile, laquelle sert à freiner les fissures et à répartir les contraintes. Les pénétrateurs en WHA sont normalement fabriqués par frittage, et on leur porte une attention spéciale afin de s’assurer de la densification complète et d’empêcher la porosité qui résulterait soit de l’occlusion de gaz, soit du retrait durant la solidification.

Au moment de l’impact sur une cible renforcée de blindage lourd, les pressions à l’interface pénétrateur/cible atteignent près de 6 GPa. Tel qu’illustré à la figure 7b, le pénétrateur forme un champignon à l’intérieur de la cible, accompagné d’une déformation plastique au niveau macroscopique suivi d’une érosion. La déformation initiale est surtout localisée à l’intérieur de la matrice, laquelle subit rapidement un rhéodurcissement prenant la forme d’un champignon. Une des conséquences de ce champignonnage causé par le rhéodurcissement fait que l’énergie s’étale radialement pour agrandir la cavité de pénétration8.

Par rapport au tungstène, l’UA présente aussi quelques défis de traitement. Il est sensible à la corrosion, aux impuretés d’éléments traces ainsi qu’aux variations causées par le traitement thermique, la fragilisation et la re-fragilisation à l’hydrogène. Par ailleurs, les particules finement divisées d’UA sont pyrophoriques, aussi préfère-t-on normalement le moulage par coulée et le corroyage à la métallurgie des poudres bien qu’il faille alors utiliser un outillage spécialisé. De plus, tout comme pour le tungstène, on doit allier l’UA, généralement avec du titane à 0,75 p. 100 en poids.

À l’instar du WHA, les pénétrateurs en alliage d’UA vont former un champignon à l’impact alors que le matériau en fusion est contraint de s’éloigner radialement du pénétrateur. Cette déformation plastique cause une hausse de la contrainte de fluage du matériau due au rhéodurcissement et, simultanément, une baisse de cette même contrainte due à l’amollissement thermique. De 90 à 95 p. 100 de l’énergie de déformation se transforme en chaleur alors que, à certains endroits, la température atteint quelque 1800 ºC. À l’inverse du WHA, l’amollissement de l’UA l’emporte sur l’augmentation de la contrainte de fluage permettant ainsi l’apparition de cisaillement adiabatique. Il en résulte l’auto-affûtage du pénétrateur, alors que la tête du champignon, pendant tout ce temps, se cisaille du corps du pénétrateur, comme l’illustre la figure 7a. L’effet net est une diminution de l’énergie utilisée pour agrandir radialement la cavité de pénétration, accompagnée simultanément d’une hausse de l’énergie disponible pour la pénétration axiale.

En général, les pénétrateurs à UA peuvent atteindre, contre des cibles semi-infinies, des pénétrations de 10 à 15 p. 100 supérieures aux pénétrateurs en WHA. Cependant, ce qui importe davantage, c’est que les obus d’UA peuvent atteindre la même pénétration que les obus de WHA, mais à des vitesses bien plus faibles; cela signifie que l’obus d’UA garde son efficacité contre un objectif à des portées bien plus grandes (de 50 à 70 p. 100 plus grandes).

Un autre avantage particulier de l’UA par rapport au WHA est sa performance contre des cibles soit de blindage angulé ou espacé, soit de blindage réactif. La ductilité et la résistance plus grandes des pénétrateurs à UA semblent leur permettre de plier sans casser, par opposition aux pénétrateurs de WHA, plus durs mais plus cassants, qui souvent se cisaillent après impact.

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L’impact contre des cibles renforcées crée des températures locales aussi élevées que 1800 ºC, ce qui entraîne un changement de phase de l’uranium de solide à liquide. À ces températures élevées, l’uranium réagit rapidement avec l’oxygène atmosphérique. Les oxydes qui en résultent se condensent en particules d’aérosol solide. Cette oxydation explique la nature pyrophorique des impacts à l’UA, laquelle n’existe pas pour ceux faits par le WHA. Cet effet de combustion augmente l’efficacité des pénétrateurs à UA, surtout à l’intérieur de la cible.

Plusieurs travaux ont été menés aux États-Unis pour déterminer le degré de transformation en aérosol des pénétrateurs et pour caractériser la composition granulométrique de cet aérosol. On estime qu’environ 18 p. 100 du pénétrateur à UA des munitions de chars de 120 mm s’aérosolise en frappant des cibles renforcées épaisses et que pratiquement toutes ces particules d’aérosol (de 91 à 96 p. 100) sont de dimensions < 10 um.

L’UTILISATION MILITAIRE DE L’UA

L’uranium appauvri a été utilisé par plusieurs pays dans des obus conçus pour s’attaquer à des cibles blindées. Par exemple, l’arsenal de la US Army inclut les munitions à UA suivantes : les obus de chars de 105 mm des séries M833 et M900 pour le canon M68, les obus de 120 mm de la série M829 pour le canon M256 et les obus de 25 x 137 mm de la série M919 pour le canon Bushmaster M242. Toutes ces munitions sont des OFESD. La US Air Force utilise de l’UA dans les obus PI PGU-14 de 30 x 173 mm pour le canon GAU 8/A de l’avion A-10 alors que les US Marines utilisent les obus PI PGU-20/U de 25 mm pour le canon GAU-12/U de l’avion Harrier AV-8B.

Il est intéressant de noter que la US Navy a approuvé l’usage de noyau en UA pour ses OFSD de 20 x 102 mm dans le système de défense rapprochée Phalanx (CIWS), lequel est une adaptation du système antiaérien Vulcan de la US Army. On a décidé en 1988 de remplacer les noyaux en UA par d’autres en tungstène puisqu’il n’y avait pas de différence significative de performance entre les noyaux de tungstène et ceux en UA lorsqu’on les utilise contre des missiles anti-navires et des objectifs aériens relativement peu résistants9. Les navires canadiens déployés lors de la guerre du Golfe en 1991 utilisaient des munitions à UA dans leurs systèmes Phalanx.

Endroits où on a utilisé des munitions à UA lors de la guerre du Golfe

Endroits où on a utilisé des munitions à UA lors de la guerre du Golfe10.

Endroits où on a utilisé des munitions à UA au Kosovo

Endroits où on a utilisé des munitions à UA au Kosovo11.

Plusieurs pays, dont la Grande-Bretagne, la France, la Russie, l’Ukraine, Israël et la Chine ont encore des munitions à UA dans leur arsenal tandis que d’autres, comme l’Allemagne, la Suisse et le Canada, ont comme politique de ne plus en avoir. On trouvera une liste de fabricants de munitions à UA au tableau 1.

Les munitions à UA ont été utilisées en abondance au cours d’opérations tant lors de la guerre du Golfe (au Koweït et en Irak) qu’au Kosovo, comme le montrent les cartes. Par exemple, lors de la guerre du Golfe, la US Army a utilisé 504 obus de 105 mm et 9048 munitions de charsde 120 mm. L’Armée britanique a tiré 88 munitions de chars de 120 mm. Les avions A-10 de la US Air Force ont lancé 783 514 obus d’UA de 30 mm, et les avions AV-8B du US Marine Corps ont largué 67 436 obus d’UA de 25 mm. Au Kosovo, les avions A-10 de la US Air Force ont lancé plus de 31 000 obus d’UA de 30 mm. Les tireurs d’élite américains et les équipes des forces spéciales américaines avaient des munitions à UA de 7,62 mm et de 12,7 mm (calibre .50); on ne dispose toutefois pas de données précises quant aux quantités utilisées. Dans l’ensemble, quelque 300 tonnes de munitions à UA ont été utilisées lors de la guerre du Golfe et plus de 9 tonnes au Kosovo12. En outre, on a tiré 10 800 obus d’UA dans les environs de Sarajevo durant la campagne aérienne de l’OTAN en Bosnie en 1994-199513.

Comme c’est le cas de toutes les autres sortes de munitions, on ne se sert pas des obus d’UA que sur les champs de bataille. En fait, on les utilise bien plus lors d’essais et d’entraînements que durant les combats. Un analyste cite des sources de la US Army qui rapportent que, des 14 000 pièces de munitions à UA de gros calibre utilisées lors de la guerre du Golfe, environ 4000 ont été employées dans les combats, quelque 7000 autres ont servi lors de tirs de pratique et environ 3000 ont été détruites par un incendie à Doha au Qatar14. Aux États-Unis, les installations de la défense qui manipulent ou qui font des essais de tir de munitions à UA doivent avoir un permis de la Nuclear Regulatory Commission. La US Air Force et la US Navy ont toutes deux un permis d’ensemble alors que la US Army a 14 permis spécifiques (on trouvera la liste partielle des sites d’essai au tableau 2). De telles installations sont nécessaires pour tout type de système d’armement. Cependant, la présence d’UA comporte le risque supplémentaire de radioactivité, d’où la présence d’un contrôle réglementaire. Ce fardeau additionnel ainsi que la publicité qui entoure ce genre de munitions et les inquiétudes qu’elles suscitent dans la population expliquent probablement pourquoi certains pays évitent l’utilisation des munitions à UA. Pourtant, les installations pour les essais et le tir de munitions classiques sont également fortement contaminées. La plupart des munitions d’armes légères (du moins jusqu’à récemment) contenaient du plomb, un élément toxique reconnu. De plus, comme on l’a déjà mentionné, les cônes de charge en WHA contiennent du tungstène et du cobalt dont le danger toxicologique est plus grand que ne l’est le danger de radioactivité de l’uranium (surtout de l’UA).

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SOURCES D’APPROVISIONNEMENT EN UA

L’uranium naturel se compose de trois isotopes: 238U , 235U et 234U. Lorsqu’on l’utilise comme combustible nucléaire, surtout dans les réacteurs à eau ordinaire, tels que les réacteurs à eau sous pression (PWR) et les réacteurs à eau bouillante (BWR), l’uranium est enrichi en 235U et en 234U avec pour conséquence que les résidus sont appauvris de ces isotopes. Le tableau 3 indique l’abondance et l’activité relative typiques de ces isotopes dans l’uranium naturel et dans l’uranium appauvri.

Il importe de noter que l’UA, bien qu’un peu plus dense que l’uranium naturel, ne présente qu’environ la moitié de sa radioactivité.

Cependant, le combustible nucléaire ne provient pas seulement de l’enrichissement de l’uranium naturel. Il peut aussi être récupéré du combustible épuisé. En fait, plus de 107 000 t d’uranium ont été recyclées aux États-Unis de 1952 à 1977. Ceci serait la cause de la présence probable d’isotopes de plutonium, de neptunium et d’uranium (tous radioactifs), respectivement 239Pu, 237Np et 236U dans les résidus d’enrichissement d’UA et, par conséquent, dans tous les pénétrateurs fabriqués à partir de ces résidus. C’est un phénomène important puisqu’il permet d’avoir un moyen de différencier entre l’uranium naturel et l’UA, surtout lorsqu’on le retrouve à l’état de trace dans les dosages biologiques.

Les résidus de l’uranium enrichi pour la production d’armes nucléaires constituent une autre source d’UA. La pratique courante aux États-Unis est de n’utiliser que l’UA provenant d’obus démilitarisés ou recyclés plutôt que des résidus provenant soit des centrales nucléaires, soit des usines de traitement d’armes, bien que ces dernières aient pu fournir au départ de l’UA. Peu importe sa provenance, l’UA est essentiellement un sous-produit de rejet des processus d’enrichissement et, à cause de cela, il est bon marché surtout si on le compare au WHA. Jumelé au fait qu’un alliage d’UA et de 0,75 p. 100 de Ti peut être coulé et laminé plutôt que fritté, le coût de production des pénétrateurs à UA est comparable à celui des pénétrateurs WHA équivalents qu’on fabrique aux États-Unis et la moitié moins cher que ceux fabriqués en Allemagne.

CONCLUSION

Comme on a pu le constater, les munitions à UA permettent une légère augmentation d’environ 10 p. 100 de la profondeur de pénétration d’une cible renforcée de blindage lourd si on les compare aux pénétrateurs de tungstène. Cependant, en termes de performance, cela signifie que l’on peut obtenir la même pénétration à des portées significativement plus grandes à cause de la perte de vitesse minime des barreaux de pénétration à faible traînée. Un autre avantage appréciable de l’UA est sa résistance relative, sa capacité de ne pas céder à la rupture par cisaillement lors de l’impact sur des cibles revêtues de blindage angulé, espacé, ou même de blindage réactif. Un troisième atout est sa pyrophoricité, c’est-à-dire sa capacité de brûler à l’air. Étant donné tous ces facteurs, y compris le succès des obus d’UA sur le champ de bataille, surtout quand les forces de la Coalition les ont utilisés contre des cibles irakiennes, et tenant compte des coûts de production, les obus d’UA sont appelés à demeurer indéfiniment dans l’arsenal des forces armées un peu partout dans le monde.

Toutefois, les inquiétudes de la population au sujet de l’utilisation des munitions à UA semblent généralisées. Certains ont pointé du doigt l’usage d’UA comme la cause des symptômes débilitants communément appelés « syndrome de la guerre du Golfe ». Pour cette raison en particulier, et pour des préoccupations environnementales en général, on cherche des solutions de rechange à l’usage d’UA comme matériau de pénétrateur.

TRAVAUX EN COURS

On considère aux États-Unis que la technologie des pénétrateurs à UA a atteint sa pleine maturité et qu’elle ne laisse pas beaucoup de place à des développements ultérieurs. Jumelé aux inquiétudes environnementales du grand public et à sa méfiance viscérale envers l’UA, ce constat a amené la US Army à tenter la mise au point d’alliages de tungstène en utilisant des nanocristaux innovateurs et des « filaments » de tungstène afin de reproduire la performance de l’UA; mais, jusqu’à présent, aucune de ces tentatives n’a porté fruit15.

REMERCIEMENTS

Ce travail a reçu l’appui du Directeur général – Sûreté nucléaire (DGSN) et du Directeur – Politique médicale (D Pol Méd) des Forces canadiennes. L’auteur remercie chaleureusement E.A. Ough, Ph.D., du CMR, S. Kupca, Ph.D., de DGSN, et K. Scott, Ph.D., de D Pol Méd.

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William S. Andrews, Ph.D., enseigne au département de chimie et de génie chimique et au département de science militaire appliquée du Collège militaire royal du Canada.

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NOTES

1. B.H. Liddell Hart, History of the First World War, Pan Books, London, 1970.

2. C.F. Foss, Jane’s Tank and Combat Vehicle Recognition Guide, Harper Collins, New York, 2000.

3. P. Chamberlain, H. Doyle, Encyclopedia of German Tanks of World War Two, Arms and Armour, London, 1999.

4. L.R. Bird et R.D. Livingston, World War II Ballistics: Armor and Gunnery, Overmatch Press, Albany NY, 2001.

5. W. Lanz, W. Odermatt, G. Weihrauch, « Kinetic Energy Projectiles: Development History, State of the Art, Trends », Proc. 19th Int. Symp. of Ballistics, Interlaken, Suisse, 7-11 mai 2001.

6. J. Carleone, (dir.), Tactical Missile Warheads, AIAA, Washington, 1993.

7. R. Subramanian, S.J. Bless, « Reference Correlations for Tungsten Long Rods Striking Semi-Infinite Steel Targets », Proc. 19th Int. Symp. of Ballistics, Interlaken, Suisse, 7-11 mai 2001.

8. S.P. Andrew, R.D.Caligiuri, L.E. Eiselstein, « Relationship Between Dynamic Properties and Penetration Mechanisms of Tungsten and Depleted Uranium Penetrators », Proc. 13th Int. Symp. of Ballistics, Stockholm, Suède, 1-3 juin 1992.

9. A.G. Williams, Rapid Fire, The Development of Automatic Cannon, Heavy Machine Guns and their Ammunition for Armies, Navies and Air Forces, Airlife Publishing, Shrewsbury, Royaume-Uni, 2000.

10. National Gulf War Resource Center, à http://www.ngwrc.org/Dulink/DU_Map.htm

11. Depleted Uranium in Kosovo Post-Conflict Environmental Assessment, Programme environnemental des Nations Unies (PENU), Suisse, 2001, à http://postconflict.unep.ch/index.htm

12. Vladimir S. Zajic, « Review of Radioactivity, Military Use, and Health Effects of Depleted Uranium », à http://vzajic.tripod.com/6thchapter.html#DU> Ammunition Use in Iraq

13. Groupe WISE, à http://www.antenna.nl/wise/uranium/diss.html

14. Leonard A. Dietz, Contamination of Persian Gulf War Veterans and Others by Depleted Uranium, 1999, à http://www.antenna.nl/wise/uranium/dgvd.html#DUTONN

15. L. Magness, L. Kecskes, M. Chung, D. Kapoor, F. Biancianello, S. Ridder, « Behavior and Performance of Amorphous and Nanocrystalline Metals in Ballistic Impacts », Proc. 19th Int. Symp. of Ballistics, Interlaken, Suisse, 7-11 mai 2001.